C. LE SOUTIEN PUBLIC PEINE À COMPENSER LES DIFFÉRENTIELS DE COMPÉTITIVITÉ
• Il n'y a presque plus de segment qui ne soit ouvert, d'une façon ou d'une autre, à la concurrence internationale . Quasiment tous ceux sur lesquels le pavillon français faisait prime sont accessibles aux navires battant pavillon d'un autre État membre de l'Union européenne (UE). Les marchés européens sont largement ouverts aux pays tiers, notamment ceux qui disposent d'un registre de libre immatriculation, et à bord des navires battant pavillon français, presque toutes les fonctions sont ouvertes aux marins ressortissants d'autres États membres de l'UE.
Dans ce contexte, les armements européens doivent faire face à une compétition issue des pays d'Asie du Sud-Est et d'Extrême-Orient qui opèrent avec des structures de coûts particulièrement attractives. Les écarts observés au sein de compagnies de porte-conteneurs sont de 1 à 3 entre un commandant français et un commandant philippin (1 à 2,5 pour un commandant roumain) et de 1 à 5 en ce qui concerne les personnels d'exécution .
• Les coûts d'exploitation des navires sont soumis à des contraintes homogènes laissant peu de marges de manoeuvre . Les coûts financiers (acquisition, affrètement et assurances) sont en général identiques : seuls des armateurs de dimension internationale accèdent au financement boursier ou activent des financements structurés en faisant jouer la concurrence entre les offres bancaires. Les coûts de voyage sont identiques pour les opérateurs (carburant, frais de port, de canaux) même s'ils développent des stratégies d'optimisation de coûts (slowsteaming, « eco-design » des navires pour réduire la consommation). Les coûts d'entretien des navires augmentent avec l'âge et le renouvellement de la flotte permet d'éviter cette augmentation des coûts.
En pratique, les dépenses de personnel restent la principale variable des coûts d'exploitation. Les aides financières mises en place par les États membres dans le cadre des lignes directrices communautaires en faveur du transport maritime visent à limiter le phénomène de dépavillonnement et les fuites vers des pavillons non européens, plus attractifs d'un point de vue économique. Néanmoins, si ces interventions publiques jouent un rôle important dans le ralentissement du déclin des flottes européennes, la concurrence internationale reste forte sur un marché global, complètement libre et caractérisé par de faibles barrières à l'entrée.
• La crise qui s'est installée depuis 2008 a exacerbé la concurrence et certains pays comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg ont mis en place des corpus réglementaires et fiscaux très attractifs, ce qui amplifie le dépavillonnement dans les pays voisins (sauf pour les pays qui s'étaient déjà inscrits dans une logique de libre immatriculation, comme Malte ou Chypre). Ainsi, le pavillon français ne souffre pas tant de la concurrence internationale, que de celle d'autres États membres de l'UE , pourtant soumis aux mêmes lignes directrices communautaires.
Plusieurs États européens (Danemark, Italie, Royaume-Uni, Luxembourg) sont allés au maximum de ce qu'autorisent les lignes directrices sur les aides d'État au transport maritime, en supprimant totalement les charges patronales et salariales . Pour cette raison, la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue a également mis en place le dispositif de « netwage » pour tous les navires de transport battant pavillon français soumis à une concurrence internationale ( v. supra ).
• Mais combien de précieuses années auront été perdues ? Sans compter le fait que ce dispositif nous permet à peine de combler notre déficit de compétitivité-coût , mais ne suffira probablement pas pour reconquérir des parts de marché. Le Danemark autorise même les armateurs à conserver une fraction de l'impôt sur le revenu prélevé à la source : ce n'est pas un hasard si la flotte danoise connaît une croissance de 10 % en nombre de navires et en tonnage !
Certes, la qualité des navigants français (officiers et ingénieurs) est reconnue, et ils restent prisés à bord de navires sensibles comme les méthaniers ou les câbliers. Il n'en reste pas moins que la principale marge de manoeuvre se situe aujourd'hui au niveau de la productivité : l' organisation du temps de travail et des congés n'est guère favorable à la France puisqu'il faut toujours trois équipages pour faire tourner un navire contre deux au Danemark .