II. UN PROJET DE LOI SANS TRADUCTION BUDGÉTAIRE NI FISCALE ET DONT LE CoeUR DU DISPOSITIF REPOSE SUR UNE HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE
A. LA QUESTION DU FINANCEMENT DU NOUVEAU SYSTÈME D'INDEMNISATION DES PERTES DE RÉCOLTES EST RENVOYÉE AU PROCHAIN PROJET DE LOI DE FINANCES
1. L'annonce d'un doublement du budget consacré à la gestion des risques en agriculture : la répartition des coûts supplémentaires pour 2023 par contributeur reste inconnue
Les rapporteurs pour avis considèrent que le nouveau système proposé dans le projet de loi présente des caractéristiques intéressantes en ce qu'il offre notamment une meilleure articulation entre l'indemnisation par l'assurance privée et l'indemnisation par l'État . Il apparaît en effet indispensable, dans un contexte d'aléas climatiques plus fréquents et importants, de garantir aux exploitants agricoles un cadre lisible, basé sur des éléments d'évaluation des sinistres partagés, des calculs de pertes d'exploitation similaires, que l'agriculteur soit ou non assuré.
Toutefois, ces évolutions auront un coût important . Les mesures proposées dans le présent projet de loi conduiraient, d'après l'évaluation préalable, à un doublement du budget public actuellement alloué à la subvention à l'assurance et à l'indemnisation des pertes de récoltes . Ce budget passerait ainsi de 300 à 600 millions d'euros dès 2023, d'après les paramètres proposés dans le rapport du groupe de travail « gestion des risques et développement de l'assurance récolte » du « Varenne de l'eau » (cf. infra ). Aucune mesure budgétaire n'est toutefois prévue dans le projet de loi ; il y a lieu de regretter l'absence de précision quant à la répartition de cette augmentation du coût du dispositif entre les différents acteurs, dont les grandes lignes peuvent néanmoins être dessinées.
Actuellement, pour mémoire, le système est financé de la manière suivante :
- 153 millions d'euros de subventions à l'assurance MRC , via le deuxième pilier de la PAC (FEADER) ;
- le produit des contributions additionnelles des agriculteurs aux primes ou cotisations afférentes sur plusieurs conventions d'assurance finançant le FNGRA, plafonné à 60 millions d'euros depuis 2016 ;
- des abondements de l'État au FNGRA (150 millions d'euros en 2020).
Ainsi, à partir de 2023 :
- les fonds issus du FEADER de la prochaine PAC consacrés aux subventions à l'assurance MRC s'élèveraient en moyenne à 185 millions d'euros par an, comme indiqué dans le plan stratégique national pour 2023 à 2027 transmis à la Commission européenne (soit environ 30 millions d'euros supplémentaires par an) ;
- les parties prenantes auditionnées par les rapporteurs pour avis ont indiqué qu'un relèvement du taux des contributions additionnelles versées par les agriculteurs de 5,5 % à 11 % devrait être proposé pour l'année prochaine 15 ( * ) ; cette mesure, qui devra donc figurer dans le projet de loi de finances pour 2023, conduirait à doubler la contribution des agriculteurs, à hauteur de 120 millions d'euros si le plafonnement de l'affectation de la taxe au FNGRA était maintenu dans des proportions équivalentes ;
- l'évaluation préalable du présent projet de loi indique que « les simulations budgétaires effectuées au regard des objectifs de diffusion de l'assurance et de la mise en place du dispositif à trois étages nécessitent de prévoir une mobilisation de moyens publics complémentaires à ceux actuellement engagés au travers de la PAC pour la subvention des primes et du FNGRA pour l'indemnisation des pertes des seuls agriculteurs non assurés sur les cultures considérées comme non-assurables. Cela nécessitera de prévoir une enveloppe de crédits budgétaires sur crédits nationaux, sur la période 2023-2030 ». Les montants qui seront dégagés par le budget général de l'État tant pour le subventionnement de l'assurance MRC que pour l'indemnisation des pertes « catastrophiques » restent à ce stade inconnus.
2. Cette enveloppe de 600 millions d'euros constitue une contrainte budgétaire qui nécessiterait un ajustement annuel des paramètres du nouveau système
Le présent projet de loi entend inciter à la couverture assurantielle des exploitants grâce à deux mécanismes incitatifs :
- une meilleure subvention là où un soutien public plus important est nécessaire pour inciter à la couverture assurantielle ;
- un taux d'indemnisation par l'État des pertes « catastrophiques » plus élevé pour les exploitants assurés que pour les non assurés.
Toutefois, à mesure que la couverture assurantielle se déploiera pour certaines filières, les paramétrages de la présente réforme fixés par voie réglementaire seraient amenés à évoluer, afin de contenir l'enveloppe budgétaire allouée .
Le rapport du député Frédéric Descrozaille, président du groupe de travail « Gestion des risques et développement de l'assurance récolte », a ainsi proposé des taux pour les quatre paramétrages, filière par filière, pour 2023 ainsi que des cibles à horizon 2030 :
- s'agissant du taux de subvention de la MRC , il serait fixé à 70 % en 2023 pour toutes les filières mais aurait vocation à diminuer pour les grandes cultures et la viticulture , au fur et à mesure de la hausse attendue du taux de pénétration de la MRC dans ces filières et de la baisse des primes ; il resterait plus élevé pour l'arboriculture et les prairies pour lesquelles la couverture assurantielle est aujourd'hui très faible ;
- s'agissant de la franchise appliquée à l'assurance MRC , le seuil « plancher » de 20 % ouvert par l'article 2 du projet de loi n'aurait vocation à s'appliquer qu'à la filière prairies en 2023, filière la moins assurée ; le rapport du groupe de travail mentionne ainsi « l'impossibilité d'appliquer à tous les secteurs une franchise de 20 % comme le permet le règlement « Omnibus » » et retient une franchise de 25 % pour les autres filières, compte tenu du caractère « budgétivore de la couverture des risques compris entre 20 % et 30 % de pertes » ;
- s'agissant du seuil d'intervention de l'État pour les pertes exceptionnelles , il serait plus important pour les filières cultures et viticulture, mais serait également progressivement relevé notamment pour l'arboriculture et les prairies compte tenu du seuil très bas qui pourrait être retenu en 2023 (intervention à 30 %, afin de prolonger sans rupture brutale le filet de sécurité que constitue actuellement le régime des calamités agricoles) ;
- s'agissant du taux d'indemnité par l'État pour les pertes exceptionnelles : pour les non assurés, l'indemnisation serait dégressive dans le temps, et tendrait vers zéro, afin d'inciter encore davantage à la couverture assurantielle.
Hypothèses de travail du groupe de travail « Gestion des risques et développement de l'assurance récolte »
Source : rapport du député Frédéric Descrozaille, président du groupe de travail « Gestion des risques et développement de l'assurance récolte » dans le cadre du « Varenne de l'eau et du changement climatique »
Les seuils et les taux seraient fixés par la voie réglementaire, et la CODAR pourrait formuler des recommandations quant à l'évolution dans la durée de ces paramètres .
3. Les conditions de détermination des paramétrages et leur application dans le temps doivent d'être précisées afin d'offrir de la visibilité aux acteurs économiques
Le rapporteur pour avis Patrice Joly estime toutefois qu'une telle variabilité des paramétrages du dispositif d'année en année n'offre pas la prévisibilité suffisante aux exploitants agricoles s'agissant de leur régime d'indemnisation en cas de pertes de récoltes résultant d'aléas climatiques.
En conséquence, la commission des finances a adopté deux amendements COM-97 et COM-98 visant préciser la durée d'application des paramètres tels qu'ils seront fixés à la mise en oeuvre de la réforme, soit au 1 er janvier 2023, et à préciser les conditions de détermination des paramétrages par la voie réglementaire.
L'amendement COM-97 modifie l'article 5 du projet de loi et précise les missions de la CODAR au sein du CNGRA. Il s'agit de mettre cette nouvelle CODAR au coeur du dispositif de pilotage des outils de gestion des risques en agriculture pour que les professionnels, qui connaissent le mieux les besoins des exploitants et les contraintes des assureurs, proposent le système le plus en lien avec les réalités du terrain.
Il prévoit ainsi que la CODAR formule annuellement des recommandations au Gouvernement sur les taux à retenir pour les quatre paramètres précités, et ce pour les cinq années suivantes. Ces recommandations s'appuieraient sur des rapports du Gouvernement sur le bilan de l'application de la réforme et sur les perspectives financières envisagées pour les années suivantes. En outre, l'amendement complète la composition de la CODAR, en prévoyant qu'en fonction de l'ordre du jour, et sur désignation du président de la commission, les filières concernées puissent participer, avec voix consultative.
L'amendement COM-98 précise les conditions de détermination des paramètres par voie réglementaire. Il prévoit que le décret des ministres chargé de l'agriculture et des finances fixe les taux applicables pour les quatre paramètres pour une période de cinq ans, sur la base des recommandations du CNGRA, en fonction de la nature des productions et le cas échéant du type de contrat souscrit. Cet horizon vise à donner davantage de visibilité aux acteurs sur les niveaux d'intervention publique dans les années à venir, afin qu'ils s'engagent résolument dans le nouveau dispositif proposé dans le présent projet de loi.
Toutefois, des modifications annuelles des paramétrages pourront avoir lieu par arrêté des ministres chargés de l'agriculture et des finances, après avis de la CODAR, même si cette faculté a vocation à être peu employée. Par exemple, un taux annuel inférieur d'intervention de l'État pourra être défini s'il est constaté une menace sur la pérennité de certaines cultures en raison d'un aléa climatique, afin de garder une marge de manoeuvre sur le seuil de pertes « catastrophiques ». De même, un arrêté pourra limiter le montant de la prime admissible au bénéfice de la subvention en imposant temporairement des plafonds s'il est constaté une inflation forte des primes d'assurance, après avis de la CODAR.
* 15 Cette contribution des agriculteurs au dispositif est également mentionnée dans le rapport du député Frédéric Descrozaille, président du groupe de travail « Gestion des risques et développement de l'assurance récolte » dans le cadre du « Varenne de l'eau et du changement climatique ».