C. LE LANCINANT PROBLEME DE LA CNRACL
Pour la troisième année consécutive, le projet de loi de financement autorise la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL ) à emprunter pour couvrir ses besoins de trésorerie en cours d'exercice . L'emprunt est autorisé dans la limite d'un plafond fixé à 2,5 milliards de francs.
1. L'absurdité d'une logique d'endettement
Les
difficultés financières de la CNRACL
,
caractérisées par un résultat déficitaire depuis
1992
60(
*
)
et l'épuisement
des réserves à compter de 2000,
sont, paradoxalement, dues au
ratio démographique favorable de la caisse.
En effet, en raison du caractère favorable de sa démographie, la
CNRACL participe, du fait des mécanismes de " compensation "
et de " surcompensation ", au financement des autres régimes
de retraite.
Depuis 1987, date d'entrée en vigueur de la
surcompensation, environ un tiers des ressources de la CNRACL ne sont pas
consacrées aux prestations servies aux retraités des fonctions
publiques territoriales et hospitalières, mais à
l'équilibre financiers d'autres régimes.
Par exemple, en 1998, les ressources de la caisse s'élevaient à
60,8 milliards de francs. 44,9 milliards de francs ont
été consacrés au versement des prestations tandis que
19,1 milliards de francs étaient transférés aux
autres régimes. Le résultat de l'exercice accusait un
déficit de 1,7 milliard de francs.
La CNRACL peut lisser au cours d'un exercice les versements aux régimes
qui en bénéficient des sommes qu'elle doit au titre de la
compensation et de la surcompensation, les acomptes, en fonction de la
situation de sa trésorerie. Ce " décalage " des
acomptes a porté en 1999 sur 3,016 milliards de francs.
Une utilisation plus large de la pratique du décalage des acomptes
permettrait d'éviter à la CNRACL d'avoir recours à
l'endettement pour subvenir à ses besoins de trésorerie.
Cependant, les périodes de l'année pendant lesquelles la
situation de la trésorerie de la CNRACL lui permet de verser ses
acomptes ne coïncident pas forcément avec celles au cours
desquelles le régimes bénéficiaires de la compensation et
de la surcompensation rencontrent des besoins de trésorerie. En
conséquence, depuis 1998, la CNRACL a été autorisée
à recourir à l'endettement de manière à pouvoir
satisfaire le plus rapidement possible les besoins de trésorerie des
autres régimes de sécurité sociale, et notamment des
autres régimes spéciaux.
Il apparaît donc que, d'une part, l'existence des mécanismes de
compensation et de surcompensation est à l'origine des
difficultés financières de la CNRACL et que, d'autre part, la
caisse est maintenant contrainte de recourir à l'endettement pour
permettre une gestion plus confortable des autres régimes.
La caisse n'a pas utilisé sa faculté d'emprunter en 1998. En
1999, elle s'est endettée auprès du crédit local de
France. Les frais financiers afférent à cet emprunt, qui doit
être remboursé avant la fin de l'année, se sont
élevés à 1,9 millions de francs.
En 2000, d'après les informations recueillies par votre rapporteur pour
avis auprès du ministère de l'emploi et de la solidarité,
la CNRACL fera également usage de sa faculté de recourir à
l'emprunt.
2. L'indispensable reforme des modalités de la participation de la CNRACL au système des compensations
a) La CNRACL devient structurellement déficitaire
Les
difficultés financières de la CNRACL, provoquées par les
modalités de sa participation au système des compensations, sont
aggravées par la dégradation de son ratio démographique.
Celui-ci s'établissait à 3,7 en 1987 et à 2,8 en
1997. Les projections réalisées par la Caisse des
dépôts et consignations font état d'un ratio de
2,36 en 2000, de 1,75 en 2005, de 1,43 en 2010 et de 1,2 en
2015.
Le rapporteur du groupe de travail sur la CNRACL mis en place au sein du
comité des finances locales, M. Jean-Claude Frécon,
considère que certaines réformes structurelles sont
nécessaires, notamment la modulation de la durée de cotisation et
du taux d'annuité.
Il constate cependant que l'entrée en vigueur de ces mesures n'aurait
pas d'impact à court terme, et ne permettraient donc pas à la
caisse de faire face à son besoin de financement pour 2000 et 2001,
qu'il chiffre, en l'absence de changement de la réglementation, à
6 milliards de francs, soit l'équivalent de 3 points de cotisations.
Ce besoin de financement n'existerait pas si la CNRACL ne consacrait pas le
tiers de ses ressources aux versements aux autres régimes
. Par
conséquent, il apparaît que le meilleur moyen de rétablir
l'équilibre des comptes de la caisse est de diminuer le montant de ces
versements obligatoires, et notamment les versements au titre de la
surcompensation. Leur montant est déterminé par le taux d'appel
de la surcompensation. Initialement fixé à 22 %, il a
été porté à 30 % en 1992 et à 38 % pour les
années suivantes. Les élus locaux réclament depuis
longtemps sa diminution.
Afin d'obtenir de l'Etat un geste en matière de surcompensation, le
groupe de travail constitué au sein du comité des finances locale
a proposé de répartir en trois parts l'effort nécessaire
en 2000 et en 2001 entre l'Etat, qui consentirait à baisser le taux de
la surcompensation, les collectivités locales, qui accepteraient une
majoration de leur taux de cotisation, et les agents, dont les cotisations
augmenteraient également. L'augmentation des cotisations des agents a
été jugée possible en raison des augmentations de leurs
traitement résultant de l'accord salarial dans la fonction publique de
février 1998. En outre, le taux de cotisation des agents de la fonction
publique territoriale est de 7,80 %, alors qu'il est de 10 % dans le secteur
privé.
En cette matière, les élus locaux, comme les parlementaires,
doivent se contenter de faire des propositions puisque tant la
détermination du taux de la surcompensation que celle des taux de
cotisation relèvent du pouvoir réglementaire.
b) L'équilibre devrait être atteint en 2000 et en 2001
Le
Gouvernement a partiellement entendu les préconisations des élus
locaux et a décidé de répartir l'effort entre l'Etat et
les collectivités locales :
- le taux de la surcompensation baissera de 8 % en deux ans. Il sera
porté à 34 % en 2000 et à 30 % en 2001. En d'autres
termes, l'Etat accepte de réduire le montant de la participation de la
CNRACL au financement des cinq régimes spéciaux qui
bénéficient de la surcompensation
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)
et donc, en principe,
d'accroître le montant des subventions d'équilibre versées
par l'Etat à ces régimes.
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Les subventions de l'Etat aux autres régimes spéciaux constituent
des crédits votés en loi de finances, inscrits aux budgets de
ministères concernés par ces régimes (par exemple, les
crédits subventions au régime de la SNCF figurent au budget du
ministère des transports, les subventions au régime des mines
sont au budget des charges communes, etc.). Le projet de loi de finances pour
2000 ne prévoit pas les ajustements nécessaires. Il conviendra
donc d'être vigilant et de s'assurer que l'Etat, dans le cadre de la loi
de finances rectificative pour 1999 ou de la loi de finances rectificative pour
2000, supporte réellement l'effort qu'il a annoncé.
Cette vigilance est d'autant plus nécessaire que l'effort de l'Etat
s'accompagnera d'une augmentation de l'effort financier des
collectivités locales.
- les taux de cotisation des collectivités locales employeurs
augmenteront de 1 % en deux ans, soit un effort de 1,1 milliard de francs, dont
550 millions de francs en 2000. Le Gouvernement n'a, en revanche, pas retenu
l'idée d'une augmentation de la participation des agents.
Ces mesures devraient permettre à la CNRACL de faire face à ses
engagements en 2000 et en 2001 :
- en 2000, le déficit prévisionnel s'élève à
3,7 milliards de francs. La baisse de 38 % à 34 % du taux de la
surcompensation minorera les charges de la caisse de 1 milliard de francs,
tandis que l'augmentation des cotisation augmentera les ressources d'autant. Le
solde, soit 1,7 milliard de francs, sera couvert par la consommation des
réserves disponibles fin 1999, soit 1,57 milliard de francs.
L'écart entre 1,7 et 1,57 disparaîtra si, comme c'est le cas ces
dernières années, le déficit réalisé se
révélait inférieur au déficit
prévisionnel ;
- en 2001, les mesures nouvelles réduiront de 4 milliards de francs le
besoin de financement de la CNRACL . Cependant, le déficit
prévisionnel s'élève aujourd'hui à 4,7 milliards de
francs. Le Gouvernement parie donc que les comptes de la CNRACL se redresseront
de 700 millions de francs d'ici à 2001.
Au total, ces mesures devraient permettre à la CNRACL de passer, dans
des conditions difficiles, le cap de 2000 et de 2001. Elles ne font toutefois
que reporter les échéances, c'est-à-dire la mise en oeuvre
de véritables réformes de structure.
A ce titre, il convient de se demander dès aujourd'hui si les
collectivités locales et leurs agents pourront encore longtemps
continuer à consacrer le tiers de leurs cotisations au financement des
prestations servies à des retraités d'autres régimes qui,
en outre, bénéficient souvent de prestations plus favorables que
celles offertes par la CNRACL.
Votre rapporteur pour avis s'étonne donc que ce " plan de
redressement " fasse ainsi l'impasse sur 700 millions de francs en misant
sur la reproduction des bonnes surprises du passé.
Cette crainte est
d'autant plus fondée que le régime général supporte
la plus grande partie des incertitudes financières.
c) ... aux conséquences financières sur le régime général
Les
mesures proposées par le redressement de la CNRACL ont de lourdes
conséquences financières sur les équilibres financiers de
la sécurité sociale et, plus particulièrement, de la
CNAMTS et de la CNAVTS.
L'effet pour l'assurance maladie résulte directement des hausses de
cotisations des hôpitaux en tant qu'employeurs soit :
450 millions de francs en 2000,
900 millions de francs en 2001.
L'effet pour l'assurance maladie est plus incertain et dépend de la
bonne application des promesses du Gouvernement. En effet, en l'absence d'une
inscription au projet de loi de finances de l'effort de l'Etat comprenant la
baisse du taux de compensation, ce sont trois milliards de francs sur 2 ans (un
milliard en 2000 et deux milliards en 2001) qui pèseront sur la CNAVTS
par le simple jeu de la compensation entre les régions. C'est pourquoi
il est particulièrement essentiel que le projet de loi de finances
prévoit de manière explicite la compensation par l'Etat de ces
trois milliards de francs.
*
La question de la CNRACL illustre à la fois les absurdités de la politique de trésorerie - emprunter à court terme pour payer les charges de l'Etat -, de la politique en matière de retraites - ne rien faire - , et de la politique d'ensemble des finances publiques - l'absence de coordination des projets de loi de finances et de financement.