B. LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
1. Les évolutions institutionnelles et politiques
A la suite de la Nouvelle-Calédonie et bien que la situation de ces deux collectivités soient fondamentalement différentes, la Polynésie française est sur le point de connaître à son tour une évolution statutaire majeure. Cette perspective conduit à dresser un bilan des dispositifs novateurs introduits par la loi organique du 12 avril 1996.
a) La mise en oeuvre des dispositifs novateurs du statut de 1996
La loi
organique du 12 avril 1996 a consacré un statut d'autonomie
renforcée de la Polynésie française qui, sur bien des
points, a inspiré le récent statut de la
Nouvelle-Calédonie. Cette loi a élargi le domaine de
compétence territorial et a modernisé le fonctionnement des
institutions.
• Le territoire s'est vu attribuer la totalité du domaine public
maritime et le droit d'exploration et d'exploitation des ressources de la mer.
De
nouvelles compétences
lui ont été
transférées dans des domaines aussi divers que les
communications, les dessertes maritimes et aériennes internationales, la
réglementation en matière de coopération et de
mutualité, la création de ses propres filières
d'enseignement supérieur, la sécurité de la navigation
dans les eaux intérieures ou les jeux de hasard dans le respect de la
législation. Plusieurs délibérations de l'assemblée
de la Polynésie française et arrêtés du gouvernement
de la Polynésie française ont été pris en ces
matières.
Le statut de 1996 a également réalisé d'importantes
avancées en matière de relations internationales pour favoriser
l'insertion de la Polynésie française dans son environnement
régional. La Polynésie française est ainsi
représentée au sein de nombreux organismes tels que la
Communauté du Pacifique, le Programme régional océanien
pour l'environnement (PROE), la Commission des Nations Unies pour
l'Asie-Pacifique (CESAP), l'Organisation mondiale de la santé et le
Pacific Economic Cooperation Council (PECC). Lors de la dernière
réunion du Forum du Pacifique Sud au mois d'août 1998, le
Gouvernement français a indiqué à ses partenaires que la
Polynésie française aurait , à l'instar de la
Nouvelle-Calédonie, la capacité d'obtenir le statut d'observateur
au terme du processus statutaire engagé en sa faveur.
Par ailleurs, s'agissant de la négociation de certains accords
internationaux, la direction de la délégation française
est confiée à un membre du gouvernement de la Polynésie
française : s'agissant de la négociation des accords de
pêche franco-coréens, ce fut le cas en juillet 1997 à
Papeete et en novembre 1998 à Séoul, le ministre de la mer de la
Polynésie française présidant la délégation
en vertu de pouvoirs délivrés à cet effet par le ministre
des Affaires étrangères. En matière de transports
aériens internationaux, le président du gouvernement de la
Polynésie française a signé un accord avec l'Australie le
21 février 1997. Enfin, les consultations de l'Assemblée de la
Polynésie française sur les projets de loi de ratification de
conventions internationales traitant de matières relevant de la
compétence territoriale et sur les propositions d'actes communautaires
contenant des dispositions relevant du champ d'application du régime
d'association (article 68 de la loi du 12 avril 1992) sont en moyenne au
nombre d'une vingtaine chaque année.
• Les
procédures
prévues par la loi organique du 12
avril 1996 pour régler les questions de
répartition des
compétences entre l'État et les
institutions du
territoire
sont régulièrement mises en oeuvre. L'article 113
de cette loi définit une procédure de saisine pour avis du
Conseil d'État par le tribunal administratif de Papeete lorsqu'il est
saisi d'un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de
délibérations de l'assemblée de la Polynésie
française ou d'actes pris pour leur application fondé sur le
moyen d'une inexacte application de la répartition des
compétences. L'article 114 fixe une procédure similaire
lorsqu'une demande d'avis portant sur la répartition des
compétences émane du président du gouvernement ou du
président de l'assemblée de la Polynésie française.
Depuis 1996, le Conseil d'État a ainsi statué sur 14 dossiers (6
au titre de l'article 113 et 8 au titre de l'article 114 à l'initiative
du président du gouvernement) et 3 demandes sont actuellement en cours
d'examen.
Les avis sollicités sur le fondement de l'article 113 ont conclu trois
fois à la compétence de l'État (recherche et constatation
des infractions à la réglementation territoriale en
matière de protection de végétaux ; création
d'un service d'assistance et de sécurité du territoire
chargé d'une mission de police et délivrance des autorisations de
port d'armes aux agents de service ; création d'un service
territorial en matière d'inspection du travail), une fois à la
compétence du territoire (réglementation en matière
d'attestation de conformité et de marquage des équipements
terminaux des télécommunications utilisant des fréquences
électriques, sous réserve de respecter les règles fixant
les conditions d'utilisation de ces fréquences), une autre fois au
partage des compétences (le territoire pour fixer les règles
applicables aux loteries proposées au public, mais l'État pour
les règles relatives à leur installation et leur fonctionnement)
et une dernière fois à l'irrecevabilité (décision
déférée portant sur la détermination de
l'autorité compétente pour autoriser l'installation d'un
karaoké dans un établissement privé).
Les avis rendus en application de l'article 114 ont conclu à cinq
reprises à la compétence de l'État (mesures de saisie et
de destruction opérées par les agents habilités et
assermentés du service d'hygiène et de salubrité publique
dans le cadre de la police sanitaire ; fixation du taux
d'alcoolémie dans le sang au-delà duquel le conducteur d'un
véhicule se trouve en infraction et fixation du taux de l'amende ;
création de groupements d'intérêt public dans les domaines
de compétence du territoire et en particulier dans le domaine de
l'insertion sociale des jeunes ; réglementation des services
financiers de l'office des postes et télécommunications ;
réglementation de l'aide juridictionnelle en matière civile et
administrative et création du service public y afférent) et trois
fois à la compétence territoriale (mission dévolue en
matière d'adoption au service d'aide sociale à l'enfance ;
organisation des transports en commun sur l'île de Tahiti, sous
réserve des compétences reconnues aux communes en la
matière ; imputation des dépenses des services de
sécurité et d'assistance aux aéronefs des
aérodromes territoriaux).
• En revanche,
la commission paritaire de concertation
entre
l'État, le territoire et les communes instituée par l'article 91
de la loi organique du 12 avril 1996 (inséré dans la loi à
l'initiative du Sénat, sur proposition de votre commission des Lois)
fonctionne au ralenti. Constituée seulement en mars 1997, elle n'a tenu
que trois réunions le 28 août 1997, le 14 novembre 1997 et le 25
juin 1998.
b) Vers l'accession au statut de pays d'outre-mer
Une
réforme constitutionnelle, tendant à faire accéder la
Polynésie française, aujourd'hui territoire d'outre-mer, au
statut de pays d'outre-mer, est en cours : le projet de loi
constitutionnelle a été adopté dans les mêmes termes
par l'Assemblée nationale, le 10 juin 1999, et par le Sénat, le
12 octobre 1999. Ce texte sera soumis au Congrès du Parlement le 24
janvier prochain.
En vertu de ce nouveau statut constitutionnel, la Polynésie
française se gouvernera librement et démocratiquement. Hormis les
compétences régaliennes expressément
énumérées, de nouveaux transferts de compétences
seront opérés, les compétences d'ores et
déjà acquises par la Polynésie française ne devant
pas être remises en cause. Les pouvoirs des autorités
polynésiennes en matière de relations internationales devraient
être encore accrus afin de favoriser l'intégration de la
Polynésie française dans sa région géographique.
Une citoyenneté polynésienne pourra être définie,
permettant d'accorder un droit de priorité aux polynésiens en
matière d'accès à l'emploi, de droit
d'établissement pour l'exercice d'une activité économique
et d'accession à la propriété foncière.
Contrairement à la Nouvelle-Calédonie, cette citoyenneté
restera sans influence sur la définition du corps électoral admis
à participer à l'élection des membres de
l'assemblée délibérante locale.
Enfin, comme en Nouvelle-Calédonie, l'Assemblée de la
Polynésie française pourra adopter des
délibérations à valeur législative
dénommées lois du pays et susceptibles d'être soumises au
contrôle du Conseil constitutionnel avant leur publication.
2. Les concours financiers de l'État au développement de la Polynésie française
a) La politique contractuelle
Le
contrat de développement
conclu entre l'État et le
territoire de la Polynésie française pour la période
1994-1999 a été signé le 4 mai 1994 en application de
l'article 8 de la loi d'orientation n° 94-99 du 5 février 1994
pour le développement économique, social et culturel de la
Polynésie française. Ce contrat, correspondant à un
montant total de 2,9 milliards de francs dont la moitié à la
charge de l'État, s'articule autour de trois programmes d'action :
le développement économique, avec un effort particulier pour
l'agriculture et la pêche ainsi que le tourisme et la formation
professionnelle (776 millions de francs) ; l'équipement du
territoire et le désenclavement des archipels (1,468 milliard de
francs) ; l'insertion sociale (658 millions de francs).
Au 31 décembre 1998, plus de 70 % du montant contractualisé
avaient été engagés.
Un avenant d'un montant de 110 millions de francs a en outre été
conclu en vue de renforcer le dispositif de la politique de l'habitat. Enfin,
une convention santé-solidarité a été signée
le 18 novembre 1999 par le secrétaire d'État à l'outre-mer
et le président du gouvernement de la Polynésie française,
qui prévoit une contribution de l'État de 221,5 millions de
francs par an sur cinq ans pour le financement de la protection sociale
(195 millions de francs pour le financement du régime de protection
sociale généralisée dont les dépenses
s'élèvent aujourd'hui à 825 millions de francs ; 9
millions de francs affectés à des actions de santé
publique ; 17,5 millions de francs pour la formation des personnels
sanitaires et sociaux).
Eu égard à la loi d'orientation du 5 février 1994 qui
prévoyait des contrats de développement pour une durée de
dix ans entre l'État et le territoire de la Polynésie
française et à l'étalement du premier contrat sur une
période de six ans, le nouveau contrat couvrira une période de
quatre ans 2000-2003. Les montants correspondant à ce nouveau contrat ne
sont cependant pas encore arrêtés.
b) La convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française
Cette
convention, signée le 25 juillet 1996 par le Premier ministre et le
président du gouvernement de la Polynésie française, tend
à maintenir sur une période de dix ans un flux financier vers la
Polynésie française équivalent à celui qui
résultait du fonctionnement du Centre d'expérimentation du
Pacifique (CEP). Son montant a été fixé à 990
millions de francs par an.
Ce montant recouvre :
- les flux correspondant aux dépenses encore exposées au titre du
CEP (démantèlement et surveillance) ;
- les dépenses relatives au service militaire adapté (SMA) ;
- un versement au budget du territoire, non affecté, complétant
le montant des droits de douane effectivement perçus pour les biens
introduits en Polynésie française pour l'accomplissement des
activités résiduelles du CEP afin d'atteindre le montant de 220
millions de francs ;
- le solde affecté au fonds pour la reconversion économique de la
Polynésie française.
Pour l'année 1998, les montants correspondant à ces
différentes rubriques sont les suivants : 337 millions de francs au
titre des dépenses effectuées par les forces armées dans
leurs activités résiduelles sur la base de Hao
(5
ème
régiment étranger, détachement de
gestion de la base aérienne, hôpital militaire) ; 35 millions
de francs de taxes douanières liées à ces activités
militaires ; 49 millions de francs de dépenses du SMA ; le
solde, soit 551 millions de francs étant ventilé entre 193
millions de francs versés au budget de la Polynésie
française et 376 millions de francs affectés au fonds pour la
reconversion économique de la Polynésie française.
Les opérations aidées par ce fonds de reconversion doivent
contribuer à la création d'emplois durables. Elles sont
arrêtées par un comité de gestion co-présidé
par le haut-commissaire et le président du gouvernement de la
Polynésie française. Ce comité s'est réuni à
deux reprises au cours de l'année 1998 et a défini 9 projets,
destinés notamment au développement du port de pêche de
Papeete, au réaménagement du port d'Uturoa à Raiatea et
à des travaux relatifs au réseau d'assainissement des eaux
usées à Bora-Bora. L'enveloppe totale devant couvrir ces
dépenses s'élève à 188,875 millions de francs. A
ces projets s'ajoutent ceux relatifs au logement social et à l'emploi
à hauteur de 462 millions de francs, 140,5 millions de francs ayant
été avancés par le territoire au 31 décembre 1998.
Deux projets sont en discussion tout en suscitant respectivement pour le
premier, relatif à la construction d'une route de desserte de
l'aéroport de Nuku-Hiva aux Marquises, les réticences de
l'État eu égard à son coût, et pour le second,
tendant à la création d'une route de contournement de
l'aéroport de Faa'a à Tahiti, l'opposition du gouvernement de la
Polynésie française.
3. L'évolution de la délinquance et l'activité des juridictions
a) L'évolution de la délinquance
Si
la
délinquance et la criminalité
constatées par les
services de police et de gendarmerie ont progressé de 44 % depuis 1991
(4995 infractions constatées contre 7198 en 1998), une baisse importante
de 23,5 % peut être constatée pour 1998 par rapport à
l'année précédente du fait de la réduction du
nombre des infractions à la législation sur les
stupéfiants et des atteintes aux biens.
Cette baisse est également sensible à Papeete (- 17,14 %)
où cependant les délits contre les personnes sont en hausse
constante depuis 1994. En 1998, ont ainsi continué à augmenter le
nombre de vols avec violence et les affaires de moeurs. De 1989 à 1995,
la délinquance n'a cessé d'y progresser en doublant en sept ans,
avec des pics en 1993 et 1995 (émeutes du mois de septembre).
Au 1
er
janvier 1999,
la population carcérale
dans les
établissements pénitentiaires polynésiens était la
suivante :
Établissement |
Capacité
|
Effectifs de détenus |
Densité carcérale |
Centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania |
193 |
267 |
138,3 % |
Maison d'arrêt de Taiohae (Marquises) |
5 |
4 |
80 % |
Maison d'arrêt d'Uturoa (Raiatea) |
10 |
6 |
60 % |
Total |
208 |
277 |
133,2 % |
Le
centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania à Tahiti est dans un
état très préoccupant. Construits en 1972, les
bâtiments sont vétustes, dépourvus des
éléments architecturaux conformes aux normes de
sécurité, mal ventilés et humides. Les travaux de
réfection se heurtent à l'étroitesse des locaux et au
manque d'espace lié à leur situation dans une vallée
encaissée. Une mission chargée de procéder au diagnostic
technique de l'établissement et à l'élaboration d'un
schéma directeur s'est rendue sur place au début du mois de juin
1999. Les études en vue de la réhabilitation de ce centre
devraient être engagées prochainement.
L'effectif des personnels pénitentiaires en poste au 1
er
janvier 1999 en Polynésie française s'élève
à 89 agents, dont 72 agents de surveillance.
b) L'activité des juridictions
Comme
cela a été indiqué pour la Nouvelle-Calédonie, les
dernières statistiques connues de la Chancellerie à la fin de
l'été sur
l'activité judiciaire
remontaient
à 1995. Ces données ont, depuis lors, été
actualisées.
Selon les informations délivrées à votre rapporteur, le
contentieux du tribunal de première instance est ainsi, au civil, en
nette diminution : 3617 affaires nouvelles en 1998 contre 5876 en 1995,
soit une baisse de plus de 38 % sur les trois dernières
années. Cette baisse concerne en particulier le contentieux relatif
à la propriété (regroupant, selon la dénomination
locale, les " affaires de terres ") et les affaires familiales. On
est ainsi passé de 125 affaires de terres en 1997 à 97 en 1998 et
de 1426 affaires portées devant le juge aux affaires familiales en 1995
à 1128 en 1998. Le nombre des jugements correctionnels est en revanche
en légère augmentation, passant de 2063 en 1995 à 2415 en
1998.
Concernant le
tribunal administratif
de Papeete, le nombre d'affaires
nouvelles depuis 1994 oscille d'une année sur l'autre entre 331 et 535
et le nombre d'affaires traitées entre 330 et 471. En 1998, le stock
s'élevait à 326, en forte augmentation depuis 1996 (+ 65,6 %). Le
stock d'affaires ayant plus de deux ans d'ancienneté reste cependant
très faible : 0,2 % des affaires en instance contre 29,3 % en
métropole.