EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 16 novembre 2000 sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé à l'examen des crédits de la justice et de l' article 61 rattaché, sur le rapport de M. Hubert Haenel, rapporteur spécial.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a tout d'abord présenté quelques chiffres clés. Il a constaté que le budget proposé par le gouvernement pour 2001 était en augmentation de 3,1 % à structure constante et s'élevait à 29 milliards de francs.

Il a ajouté que 1.550 créations d'emplois étaient prévues, dont notamment 525 emplois pour les services judiciaires, 530 emplois pour l'administration pénitentiaire et 380 emplois pour les services de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a ensuite tenu à relativiser ces chiffres. Il a souligné l'important décalage entre les augmentations du budget constatées depuis quatre ans et le malaise persistant observé au sein des juridictions ou encore dans les prisons.

Il a également fait remarquer que les avancées budgétaires semblaient incapables de soigner les maux qui accablent la justice, à savoir la durée excessive de traitement des dossiers, l'encombrement des juridictions, la charge croissante de travail des magistrats ou encore la persistance des vacances de postes qui désorganisent les services concernés.

M. Hubert Haenel , rapporteur spécial, a alors fait plusieurs observations justifiant à ses yeux le rejet du budget de la justice.

Tout d'abord, il s'est inquiété de l'inertie du Gouvernement qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour appliquer dans de bonnes conditions les réformes introduites par la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits de la victime.

Il a rappelé qu'un certain nombre de dispositions devaient entrer en application dès le 1er janvier 2001 : il s'agit de l'appel en matière criminelle ; la présence des avocats dès la première heure de la garde à vue ; l'exercice par le juge des libertés et de la détention des compétences actuellement exercées par le juge d'instruction pour le placement ou le maintien en détention provisoire ; les conditions du placement en détention provisoire, ainsi que la juridictionnalisation de l'application des peines.

Or, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a mis en garde sur le fait que lors de ses nombreuses visites sur le terrain, il avait constaté qu'aucune disposition n'avait été prise pour assurer la tenue des procès d'assises statuant en appel, soit par la construction de bâtiments, soit par la location de locaux. En conséquence, les audiences de cours d'assises auront lieu au détriment d'autres audiences, comme par exemple celles relatives aux affaires correctionnelles ou aux affaires familiales.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a ensuite fait état d'une prise en compte trop timide des conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires.

Il a ainsi regretté l'insuffisance des créations d'emplois administratifs et l'absence de créations d'emplois techniques. En outre, il a rappelé qu'eu égard aux sommes nécessaires pour réhabiliter le parc pénitentiaire (évaluées à 13 milliards de francs au minimum), la commission d'enquête s'était prononcée pour le lancement d'une nouvelle loi de programme qui fixerait les objectifs à atteindre, les moyens financiers à y consacrer et permettrait de contrôler la bonne exécution du plan de réhabilitation. Or, le gouvernement semble opposé à une telle démarche.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial , a estimé que le décalage constaté entre l'augmentation croissante des crédits votés par le Parlement afin de réhabiliter, voire de reconstruire le parc pénitentiaire français, et les retards accumulés dans l'utilisation desdits crédits rendaient pourtant une loi de programme indispensable.

Il a ensuite qualifié l'évolution du budget de la justice d'augmentation en trompe l'oeil, en précisant que le gonflement des effectifs n'avait qu'une répercussion très limitée sur la durée moyenne de traitement des affaires, tandis que la productivité des juridictions mesurée en nombre de décisions par magistrat avait atteint un palier. En effet, la multiplication des réformes ne permet pas d'utiliser les postes créés pour résorber les retards accumulés dans le traitement des contentieux, tandis que les magistrats du Parquet sont appelés à exercer de plus en plus d'activités extra-juridictionnelles.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial , a par ailleurs regretté l'absence d'une réflexion d'ensemble sur l'aide juridictionnelle qui s'est fortement développée depuis 1991 et constitue désormais la principale ressource d'un nombre non négligeable d'avocats, ce qui n'est pas sans poser de questions sur l'évolution de cette profession. Par ailleurs, il s'est inquiété du grippage du système de l'aide juridictionnelle et du mécontentement croissant des avocats en raison du développement des tâches demandées à ces derniers, et de l'inadaptation du calcul de leurs prestations.

M. Hubert Haenel, rapporteur spécial , a également regretté l'enterrement de certaines réformes pourtant très attendues. Il a cité la loi n ° 98-1163 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits qui est promulguée depuis le 18 décembre 1998 mais dont certaines dispositions ne sont toujours pas entrées en vigueur faute de décret d'application.

Il a également rappelé que l'ancienne ministre de la justice, Mme Elisabeth Guigou, avait fait de la réforme de la carte judiciaire une priorité et avait créé une mission dans cet objectif. Il a jugé que ses résultats au bout de trois ans d'activité étaient assez décevants et a ajouté que cette réforme paraissait enterrée.

En conclusion, il a présenté l'article 61 rattaché qui revalorise les plafonds d'admission de l'aide juridictionnelle.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. René Ballayer s'est étonné de l'importance des sommes consacrées à la prise en charge des escortes des détenus devant effectuer une consultation médicale (13 millions de francs).

M. Jacques Pelletier a regretté la faiblesse du plafond de ressources exigé pour pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle, soit 5.175 francs pour l'aide totale et 7.764 francs pour l'aide partielle. Il a estimé que ces plafonds empêchaient une grande partie de la population d'accéder à la justice.

M. Yvon Collin s'est interrogé sur les mesures à prendre pour éviter que la prison ne soit " l'école du crime ".

M. Gérard Braun a demandé des informations précises sur le montant de l'aide juridictionnelle.

M. Alain Lambert, président, s'est montré favorable au rejet du budget de la justice. Il a estimé que la volonté affichée par le gouvernement de faire de ce budget une priorité ne se retrouvait pas dans les arbitrages financiers de ce dernier. Il a ainsi cité la loi sur la réduction du temps de travail, pour le financement de laquelle le gouvernement parvient à débloquer 85 milliards de francs, alors qu'au même moment il refuse de lancer une loi de programme pour la rénovation des établissements pénitentiaires.

En réponse, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial , a regretté la faible revalorisation des plafonds de ressources pour pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle et l'absence de valorisation de l'unité de valeur à partir de laquelle est calculée la prestation des avocats. Il a rappelé que le nombre des admissions à l'aide juridictionnelle avait diminué l'année dernière.

En ce qui concerne le traitement de la délinquance, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a estimé que le maillon le plus faible à l'heure actuelle était celui de l'éducation, et non celui de la répression.

Il a fait ensuite remarquer que le montant de l'aide juridictionnelle avait augmenté de 50 % entre 1995 et 1999 et qu'il devrait s'élever en 2001 à 1,5 milliard de francs.

En conclusion, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a rappelé que le Sénat avait produit de nombreux rapports sur le fonctionnement de la justice et les moyens pour remédier à sa paralysie, mais que ces derniers n'avaient pas été pris en compte par le Gouvernement.

Il a par ailleurs insisté sur la nécessité de disposer d'une étude d'impact précise et fiable sur le coût de chaque réforme proposée par la Chancellerie et a proposé que ce travail soit délégué au rapporteur spécial des crédits de la justice.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification l'article 61 et de rejeter les crédits de la justice.

Réunie le jeudi 16 novembre 2000 sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé à l'examen des crédits de la justice et de l' article 61 rattaché, sur le rapport de M. Hubert Haenel, rapporteur spécial.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification l'article 61 et de rejeter les crédits de la justice pour 2001.

Elle a confirmé cette position lors de sa réunion du jeudi 23 novembre après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale .

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