C. AUDITION DE M. MARC BLONDEL, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET DE M. JEAN-CLAUDE QUENTIN, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL-FORCE OUVRIÈRE (CGT-FO)

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur le secrétaire général, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la commission des Affaires sociales qui a souhaité entendre les partenaires sociaux à propos d'un certain nombre d'articles qui ont été rajoutés au projet de loi de modernisation sociale concernant les licenciements collectifs. Nous avons donc souhaité connaître votre avis sur ces quelque 24 articles.

Je note également que, dans votre communiqué du 13 juin, vous considériez qu'il était plus que regrettable que les relations politiques se soient substituées aux relations sociales.

Je voudrais dans un premier temps que vous me donniez votre opinion globale sur l'ensemble de ces textes et ensuite le rapporteur et les autres commissaires ouvriront un dialogue avec vous.

M. Marc BLONDEL - Monsieur le président, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir pris l'initiative de nous recevoir. Cela fait partie, en démocratie, de ce qui me semble être opportun, à savoir qu'il y ait des consultations. Nous sommes des vecteurs de pensée et les représentants des intérêts des salariés. Il est donc normal que les élus du peuple nous consultent de temps en temps, ce qui ne veut pas dire que nous ayons toujours raison. Si j'insiste sur ce point, c'est parce que l'initiation de cette loi et le déroulement de ce texte ont donné lieu à des perturbations un peu inhabituelles avec des renvois, des interventions directes, qui ont pu donner l'impression que les organisations syndicales ont été plus ou moins écartées.

C'est à la fois vrai et faux. Il y a eu des discussions entre les organisations syndicales et le Gouvernement, et plus particulièrement le ministre des Affaires sociales, pour déterminer comment nous pourrions aider à la mise en place d'un système accordant plus de garanties aux salariés en matière de licenciements collectifs pour motif économique. Ce qui s'est passé, c'est que, d'une part, il y a eu des élections qui n'ont pas donné les résultats escomptés par certains, et que, d'autre part, plusieurs annonces de licenciements collectifs ont été faites dans un court laps de temps. Cela est arrivé dans d'autres périodes. Je me souviens en effet, de la semaine appelée « semaine noire » sous le gouvernement Balladur, pendant laquelle entre 27.000 et 29.000 licenciements étaient envisagés. Et je fais volontairement la jonction entre les municipales et les annonces de licenciements. Marks & Spencer et Danone sont devenus les symboles des choses affreuses que pouvaient faire les patrons.

Dès lors, les discussions avec les organisations syndicales n'ont plus pris l'allure des consultations, mais elles ont été « endiablées » par l'activité politique. Je ne juge pas de l'opportunité, chacun est libre de se comporter comme il l'entend. Toutefois, l'annonce des licenciements a changé la face des choses et nous sommes passés joyeusement à l'action, Marks & Spencer et Danone étant pour nous l'aspect symbolique des choses. Cela m'a même valu de défiler sous la pluie en Angleterre devant chez Marks & Spencer et de hurler des atrocités aux financiers de cette entreprise.

Si j'insiste sur ce point, c'est pour vous dire que Marks & Spencer est un mauvais exemple. En effet, ce problème ne peut être résolu en France, la solution est européenne. Quelles que soient les dispositions françaises, comme c'est une multinationale, seul un texte européen peut nous donner satisfaction. C'est le vieux texte que l'on appelait la directive Redling sur la consultation et l'information des entreprises en cas de licenciement. Il faut que vous sachiez qu'au Royaume-Uni il n'y a pas de structures de consultation comme les comités d'entreprise. Nous voulons obtenir au niveau européen, une instance à peu près équivalente au comité d'entreprise, au conseil d'entreprise, aux formules co-gestionnaires allemandes, pour qu'enfin les salariés ne soient plus considérés comme des marchandises. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis.

En ce qui concerne Danone, Franck Riboud annonce en septembre qu'il va licencier et au moment de le faire, il annonce un nombre de licenciements moins élevé que prévu, en tenant compte des réactions, et essaie d'utiliser au maximum les textes actuels. J'ai en main le projet de M. Riboud concernant le plan social et l'on peut dire qu'il a fait des efforts non négligeables.

Tout cela conduit à un certain réalisme qui est peut-être le raisonnement de fond de mon propos. Nous vivons dans un régime capitaliste. Dès lors, je ne vois pas comment on peut assumer l'emploi à vie de tous. Mais ne me faites pas dire que je suis pour l'emploi à vie de tous, que je suis pour l'Union soviétique et que le jour où l'on ne travaille plus on devient hooligans . Dans une société capitaliste, il n'y a pas de possibilité d'empêcher une entreprise de respirer. Les entreprises réagissent aux lois du marché et du profit. Sur la réaction aux lois du marché, nous ne pouvons rien. Quant aux réactions aux profits, elles sont discutables. Est-ce de la spéculation ou des profits ? Est-ce que Marks & Spencer ferme son magasin boulevard Haussmann pour revendre ses locaux, gagnant ainsi de l'argent par spéculation immobilière, ou est-ce que, sur le plan du commerce, en général, il n'atteignait pas ses objectifs ?

Le véritable problème est celui-là. Une autre possibilité est de faire la révolution et de nationaliser toutes les entreprises. Dans ce cas, aurons-nous les garanties de l'emploi ? Peut-être sur le plan national, mais pas forcément, puisqu'il peut y avoir un retournement de marché. Prenons l'exemple de Renault Vilvoorde.

On peut enfin s'étonner du fait que des hommes politiques se soient d'un seul coup émus à un point tel qu'ils ont compris qu'ils n'étaient pas dans un régime collectiviste. Pardonnez-moi, mais cela fait un moment que je le savais. C'est bien pour cela qu'il faut des syndicats comme rapport de force dans l'entreprise afin d'empêcher le patron, au moindre aléa ou désir, de décider des licenciements.

C'est une société qui vit et qui respire, ce sont là des tensions naturelles. J'irais même jusqu'à dire que c'est la lutte des classes. Dès lors, je limite grandement les possibilités d'intervention étatique même si je pense qu'elle est plus que nécessaire. En effet, Marks & Spencer et Danone ne font pas partie des préoccupations gouvernementales premières. En revanche, le Gouvernement devrait être davantage préoccupé quand les licenciements sont annoncés à Calais, à Ris-Orangis, chez Valéo à Cahors ou encore chez Moulinex au Mans et à Alençon, c'est-à-dire lorsque toute une série de petites ou moyennes entreprises industrielles ferment. Cette situation résulte de la concentration capitalistique. Celle-ci risque d'entraîner des désertifications départementales. Valéo à Cahors emploie 320 salariés. C'est la deuxième entreprise industrielle du département du Lot. Si on ferme l'établissement, c'est une catastrophe. Il en est de même pour Moulinex au Mans ou à Alençon. Je prends un exemple virtuel, celui de mon grand-père qui aurait 94 ans. Il habitait Le Mans et ne conduisait plus. S'il voulait se rendre à Alençon aujourd'hui, il aurait besoin d'un réseau ferré. Or la meilleure garantie d'avoir encore un réseau ferré qui relie Le Mans à Alençon, c'est d'avoir deux usines.

Ce que je réponds un peu brutalement au Premier Ministre quand il dit que l'on ne peut rien face au marché, c'est qu'il faut intervenir. Pour cela, il faut relancer l'aménagement du territoire et le CIRI. Le cas échéant, je serais favorable à une taxe sur les profits non réinvestis, qui servirait à créer un fonds de ré-industrialisation. Un exemple illustre cette idée, celui d'EADS à Toulouse. Cette entreprise va, à terme, avoir l'obligation de faire appel à des entreprises sous-traitantes dans la région. Tout le monde ne devrait-il pas concourir à ce que cette sous-traitance soit placée à Cahors pour « réparer » les dégâts causés par la fermeture de Valéo ? Il y a un travail à faire, que nous avons négligé parce qu'on a laissé faire le marché sans intervention étatique. Ce genre d'action me paraît plus efficace que les grands débats théoriques.

Je ne suis pas contrarié par le fait que la loi ne soit pas applicable rapidement, parce que pour nous elle n'avait rien de révolutionnaire. En effet, dans le fond, on ne voit pas ce que l'on pourrait faire de révolutionnaire si ce n'est revenir à l'autorisation administrative de licenciements. C'est toutefois tout à fait autre chose si on revient dans un contexte dirigiste ou si c'est la volonté politique.

Le sentiment que nous avons eu avec l'agitation politique, due au fait que, les unes derrière les autres, les entreprises font des annonces de licenciements, c'est d'avoir un peu perdu la main dans les relations que nous avions avec le ministre sur cette question.

Nous donner les moyens de définir si le licenciement est économique ou spéculatif nous aiderait. Toutefois, à 50 % les plans sociaux ne sont pas réalisés y compris pour une entreprise aussi importante qu'Alstom. En effet, lors de son dernier plan social, 1.200 personnes licenciées devaient être reclassées, mais pour 600 d'entre elles, les engagements n'ont pas été tenus. Or, je rappelle que généralement les plans sociaux se font avec le concours et la mobilisation de nombreux paramètres y compris l'argent public. Il faut donc donner les moyens de remettre tout en cause par la mise en place de commissions de suivi internes à l'entreprise et par la possibilité d'intervention et de sanction pour l'administration.

Sur la taxation concernant les profits non-réinvestis, nous avons fait une étude macro-économique rudimentaire.

Voilà, monsieur le président, en résumé, le contexte et la façon dont nous avons réagi dans cette affaire.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Merci. Je vais vous poser quelques questions comme je l'ai fait pour les autres partenaires sociaux que nous avons reçus.

Est-ce que FO a été consulté sur les ajouts réalisés par l'Assemblée nationale en deuxième lecture ?

M. Marc BLONDEL - Puis-je me permettre de reformuler votre question ?

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Oui, bien sûr.

M. Marc BLONDEL - N'êtes-vous publiquement pas en train d'essayer de savoir si j'ai fait partie, directement ou indirectement, des tractations de la gauche plurielle ?

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Non. J'aimerais savoir précisément si l'avis de FO a été demandé suite aux dispositions ajoutées, comme l'ont demandé nos collègues communistes de l'Assemblée nationale.

M. Marc BLONDEL - Nous avons été informés de façon informelle des discussions. Les rapports étaient essentiellement téléphoniques et il n'y a pas eu d'entretien. Il nous a semblé que quelque chose n'allait pas dans la mesure où le parti communiste et d'autres ont organisé une manifestation bien que le parti communiste ait participé à une tractation interne à la majorité.

On parlait à l'époque d'accroître le pouvoir des administrateurs dans les conseils d'administration ou les conseils de surveillance. Cela nous est complètement égal car on ne peut pas avoir une société mixte dans laquelle il y aurait à la fois les salariés et les patrons. Soit les salariés sont majoritaires au conseil d'administration et ils voteront alors pour un président qui ne licenciera pas, soit ils ne le sont pas et quand il y aura une décision, l'administrateur des salariés s'effacera de façon à ne pas se faire désavouer par ses camarades. Il est stupide de croire le contraire, et certaines expériences le prouvent, le meilleur exemple étant celui de la co-gestion allemande de Volkswagen. En effet, le vice-président de l'organisation de la métallurgie allemande a été désavoué par ses camarades lors de l'annonce de 5.000 licenciements.

Arrêtons ce genre de démagogie qui ne signifie rien en réalité. Mon prédécesseur disait qu'il vaut mieux être gouvernant que gouverné. Il faut croire que cette formule n'est pas si mauvaise. La relation serait plus saine si elle prenait en compte la compétence du comité d'entreprise, les délégués au comité d'entreprise, les organisations syndicales et le dialogue social, plutôt que de laisser croire que c'est à l'intérieur du conseil d'administration ou du conseil de surveillance que des éléments de force s'établiront, ou alors les entreprises ne sont plus des entreprises capitalistes.

Je crois que la formule trouvée in fine est le médiateur.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Oui et je voulais justement vous poser la question suivante. Que pensez-vous du recours au médiateur « lorsqu'il subsiste une divergence importante entre le projet présenté par l'employeur et les propositions alternatives présentées par les comités d'entreprise » ?

M. Marc BLONDEL - Je voudrais bien connaître cet homme merveilleux qui sera le médiateur. L'une des objections que l'on faisait à l'autorisation administrative de licenciement était que les inspecteurs du travail n'avaient guère de compétences pour juger de l'opportunité du mode de fonctionnement d'une entreprise. En effet, ce n'est pas leur travail, cela relève plus de juristes du travail.

Le médiateur aurait-il cette qualité ? Qui sera le médiateur ?

Je m'interroge parce qu'aux Etats-Unis la loi sur la négociation collective se fait par l'intermédiaire de médiateurs qui sont indépendants. Quand il y négociation sans solution, les syndicats ou les employeurs se tournent vers ce médiateur qui demande une caution. Quand la médiation est rendue, elle est applicable et les grèves deviennent illégales, c'est-à-dire que le contentieux s'éteint. Excusez-moi, mais je ne veux pas entrer dans une telle société.

Essayons de dire franchement les choses. Dans une société démocratique, nous défendons, les uns et les autres, des intérêts qui sont parfois divergents voire opposés. Le problème est de savoir comment dépasser cela, et je crois que la négociation collective est le meilleur moyen. Il faudrait pouvoir négocier et obtenir des rapports qui soient stables le plus longtemps possible, parce que cela permet à l'employeur de mieux réfléchir et cela donne une sécurité aux salariés. Quand la situation est plus chaotique, c'est à l'employeur d'essayer de trouver les éléments stabilisateurs, et ce n'est pas en donnant aux salariés une petite partie du pouvoir des employeurs que cela changera. Sinon, nationalisez et que les travailleurs se mettent à gérer leur entreprise. Nous continuerons à faire la grève quand même et les syndicats resteront du côté des travailleurs. Cela sera toujours ainsi puisqu'un contrat de travail implique deux parties.

Monsieur le rapporteur, j'ai l'impression que si les médiateurs existent, on ne fera pas beaucoup appel à eux. La loi du 11 février 1950 prévoyait déjà des médiateurs. Or nous n'y avons que très rarement recours sauf depuis trois à quatre ans. Le recours au médiateur n'est pas en phase avec la réalité et ne règle jamais les problèmes, sauf en cas de conflit ouvert où le médiateur permet de « sortir des dossiers » quand la tension est permanente.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Le choix du médiateur sera fait par le juge d'instance.

M. Marc BLONDEL - C'est là une lourde responsabilité pour lui.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Nous avons entendu des syndicalistes ainsi que le ministre des Finances, Laurent Fabius, qui étaient inquiets quant à la possibilité de dissuasion des embauches qui pourrait être engendrée par ce texte. Quel est votre avis sur ce risque ?

M. Marc BLONDEL - Je ne suis pas du côté des gens qui crient au voleur. Ce texte n'est pas révolutionnaire et je connais suffisamment les employeurs pour savoir qu'ils vont le contourner avec beaucoup d'élégance et parfois même avec la complicité des salariés. Toutefois, le MEDEF affirme sans se cacher qu'il faut que le dialogue social soit le produit du rapport entre les patrons et les syndicats, au point où je leur ai fait le procès de nous emmener au corporatisme. Moi, je suis un républicain, dans un pays de droit et je veux que la loi garde son principe en ce qui concerne l'intérêt général. Je ne veux pas du tout que la loi revienne au corporatisme et j'ai même été un peu brutal en leur disant que cela pouvait conduire au pétainisme et au fascisme.

En d'autres temps, cette loi n'aurait pas posé d'énormes problèmes. Mais la situation est différente aujourd'hui, compte tenu de la position politique du MEDEF. Essayez de vous procurer le texte de M. Riboud concernant son plan social et vous verrez bien qu'il va d'ores et déjà satisfaire les obligations de la loi. De plus, il ne dit pas que cela va l'empêcher d'embaucher et encore mieux, il s'engage même à ne pas faire de délocalisation. Il essaie de faire comprendre que c'est le marché qui l'a contraint à fermer des usines Lu. Il fait des propositions d'emplois dans le groupe, il s'engage à ne pas faire de délocalisation des produits Danone à l'étranger et il propose même de participer à l'aménagement du territoire.

Il est quand même difficile de tenir cette théorie et les entrepreneurs nous disent même parfois qu'ils ne trouvent pas de salariés compétents pour leurs besoins. Auraient-ils déjà peur que ce texte ne les incite pas à embaucher ? Ils ont quand même suffisamment développé la précarité pour pouvoir avoir une marge de manoeuvre.

Le Premier ministre a raison, quand il dit que le nombre de licenciements annuels est passé de 400.000 à 250.000. C'est vrai, mais la différence vient des contrats à durée déterminés qui ne sont pas renouvelés. Dans la gestion d'une entreprise, ils équivalent à des licenciements économiques, avec les indemnités en moins. On démultiplie les CDD pour avoir moins de problèmes.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Oui, mais on a quand même entendu toutes sortes de réactions. En outre, on peut se demander quelle est la cause de l'inquiétude du ministre.

M. Marc BLONDEL - Que M. Fabius s'interroge, c'est son problème. C'est à lui qu'il faut poser cette question. Je ne suis pas sûr qu'il ait raison de s'inquiéter. De plus, les dés sont pipés avec les 35 heures. En effet, la durée légale du travail a toujours été fixée par le législateur aussi bien en 1936 qu'en 1983. Or, à mon avis, le patronat avait obtenu des assurances que cela ne se passerait pas ainsi et pourtant c'est ainsi que les choses se sont passées. Dès lors, les patrons appliquent une restriction totale, ce qui n'arrange pas le dialogue social. Mon organisation a pour principe de négocier au maximum avec les employeurs, ce qui nous place dans une situation particulière. En effet, pour être efficace, je devrais conduire mon organisation au travaillisme en discutant avec une organisation politique. Mais mon organisation est indépendante et doit dialoguer avec les interlocuteurs que sont les patrons. Or, en ce moment, ils se défilent.

M. Alain GOURNAC, rapporteur - Oui, mais on savait très bien que les 35 heures allaient réduire tout cela.

M. Marc BLONDEL - Je revendique haut et fort le fait d'avoir été le premier en février 1995, à demander à M. Gandois de négocier les 35 heures et quand il m'a demandé comment, je lui ai proposé un accord interprofessionnel. Il m'a répondu qu'il n'avait pas le mandat des organisations patronales.

M. Jean DELANEAU, président - Dès 1993, Edouard Balladur avait demandé des discussions.

M. Marc BLONDEL - La question de la réduction du temps de travail est une revendication permanente mais pas essentielle. Les gens veulent toujours travailler moins pour gagner plus. Nous avions lancé cette revendication en février 1995 en allant voir le CNPF. Or nous nous sommes préoccupés de la sécurité sociale, devenue la première préoccupation, en laissant de côté le problème de la durée du travail. Tout le monde a intérêt à se demander comment nous travaillerons dans dix ans et plus.

De plus, je ne suis pas en adéquation avec l'application de cette loi puisque celle-ci ne concerne que sept millions de salariés. Quand je me tourne vers le Gouvernement en lui demandant ce qu'il en est pour ses propres agents, il me répond qu'il ne faut pas créer d'emplois.

À la différence des partis de l'opposition, je ne considérais pas les 35 heures comme une solution au chômage. Les effets de la réduction de la durée du travail ne sont pas toujours identifiables car très variables selon les professions. Si les patrons n'ont pas besoin de salariés supplémentaires, ils ne vont pas embaucher. On a voulu régler tous les problèmes par une loi.

En 1936, Léon Blum a fait passer la loi en trois jours et un an après on avait les décrets d'application selon les secteurs d'activité alors qu'il fallait à tout prix arrêter la grève générale. Cela prouve que les 40 heures ne pouvaient être appliquées à tous. C'est la même chose avec les 35 heures. Si nous avions pu négocier dès 1995, nous aurions pu avoir des applications différentes selon les secteurs. Le grand responsable de cette situation est le CNPF.

M. Jean CHERIOUX - Je voulais féliciter monsieur Blondel pour le réalisme avec lequel il a posé le problème.

Toutefois, comment envisagez-vous de mettre en oeuvre la contrepartie d'une liberté de plans sociaux ? Par exemple, pour Danone, cette contrepartie c'est l'aménagement. Comment envisagez-vous l'aménagement autrement qu'à travers la décision de l'entreprise elle-même ? De plus, en ce qui concerne la taxation des produits non réinvestis, vous admettez quand même une certaine distribution ?

M. Marc BLONDEL - Tout le problème d'une entreprise est de faire des profits et pour moi, le problème est d'en récupérer le plus possible pour ceux que je représente. Je comprends d'ailleurs que le représentant des actionnaires veuille en faire de même.

En ce qui concerne l'aménagement du temps de travail, cela m'ennuie que l'on soit dans l'obligation d'utiliser ce système pour arriver à la négociation des trente-cinq heures. C'est presque l'aveu que ces trente-cinq heures n'ont pas réussi à faire ce que nous souhaitions. Pour les faire passer, on pourra faire un plan social si préalablement il y a eu une négociation sur l'aménagement du temps de travail. J'avoue que cette mesure incitative m'ennuie.

M. Guy FISCHER - Monsieur le secrétaire général, vous avez tenu des propos très généraux sur le texte mis en réserve. Est-il utile ?

M. Marc BLONDEL - Il est utile mais pas révolutionnaire. Sans dédouaner les élus, je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus, si ce n'est diriger les entreprises à la place des patrons. Ayons le courage de dire que nous sommes dans un système capitaliste, c'est évident. Je ne vois pas pourquoi conserver des illusions.

M. Roland MUZEAU - Vous avez présenté, de façon caricaturale, la situation politique qui a donné lieu à l'élaboration de cette loi, notamment à ses modifications. Vous avez aussi évoqué les élections municipales et une sorte d'emballement de la machine politique à la suite de celles-ci. Je trouve que cela n'a rien à voir.

Marc BLONDEL - Expliquez-moi alors pourquoi les réactions politiques n'ont pas eu lieu quand Monsieur Riboud a fait ses annonces de licenciements.

M. Roland MUZEAU - Je considère que ce qui pose problème c'est uniquement l'annonce de tous ces plans de licenciements dans des entreprises qui gagnent beaucoup d'argent et qui considèrent que le monde étant leur domaine, ils peuvent agir en dehors de la loi et des responsabilités citoyennes.

Le président du MEDEF, que nous venons de quitter, a déclaré qu'il considérait que les modifications intervenues à l'Assemblée nationale, après l'interruption de quinze jours, étaient sérieuses et qu'elles empêchaient les entreprises de faire ce qu'elles ont à faire pour sauver l'emploi. Il considère que la définition des licenciements économiques est extrêmement restrictive et problématique. Enfin, il pense que les droits nouveaux qui seront donnés aux comités d'entreprise et aux salariés en général, qui sont certes limités, sont pour lui inacceptables car ils vont ajouter au moins trois mois à la procédure et donc donner lieu à de la médiatisation, des luttes sociales et des oppositions entre salariés et patronat qui ne sont pas de bon augure pour l'avenir.

Nous avons donc, entre votre appréciation et celle du MEDEF, un écart sensible. Que cette loi ne soit pas révolutionnaire, je partage vos propos, mais ce n'était pas le but recherché. J'aimerais connaître la position de votre organisation syndicale sur les équilibres entre le rôle de l'Etat, donc la place de la loi, et la place de la négociation.

M. Marc BLONDEL - Je vous remercie de faire une différence entre ma position et celle du MEDEF, cela me rassure. Je crois cependant avoir été clair car si le patronat lève les bras aux cieux, c'est parce que cela fait partie du contexte.

Je suis démocrate au point de tenir compte de l'avis de tous les partis quels qu'ils soient. Je n'ai pas voulu ridiculiser les politiques, mais j'ai simplement dit qu'en d'autres circonstances, il est fort possible qu'il n'y aurait pas eu d'agitation et que les syndicats n'auraient pas été dessaisis.

Permettez-moi alors un petit rappel historique. Michelin avait annoncé 7 000 licenciements et Monsieur Riboud a annoncé dès septembre qu'il allait licencier. Nous n'avons pas réussi à manifester. La meilleure réaction aurait été que l'ensemble des salariés de chez Danone établisse un rapport de force entre eux au lieu de se tourner vers le boycottage. Montrer qu'il y avait une solidarité entre tous aurait été une bonne réaction.

Ce qui me choque le plus c'est de laisser croire que, puisque des hommes de gauche sont au Gouvernement, la société est socialiste et que l'on ne licencie plus. Pardonnez-moi, mais ça n'est pas vrai.

Le texte en question améliore un peu les choses mais il ne peut pas aller plus loin.

M. Roland MUZEAU - Donc, vous pensez qu'il est utile.

M. Marc BLONDEL - Oui, il est utile. Je n'ai pas dit le contraire, j'ai simplement dit qu'il n'était pas révolutionnaire et de ce fait il ne peut l'être. Si vous voulez faire la révolution pour cela, alors faites-la aussi pour le reste.

M. Philippe NOGRIX - Le rôle des auditions est d'essayer de nous faire une idée des conséquences éventuelles d'un texte. Toutefois, je n'ai pas très bien compris à l'intervention du MEDEF, comme à la vôtre et aux autres, quel pouvait être le rôle de la loi sur les suppressions d'emplois ou sur les non-créations d'emplois ?

Est-ce que cette loi permettra aux entreprises de pouvoir prendre des marchés furtifs ou précaires, ou est-ce qu'elle interdira à toutes les entreprises françaises de s'installer sur ce créneau ?

M. Marc BLONDEL - Elle n'interdira rien, c'est juste le phénomène de circonstance sur lequel le MEDEF se polarise. En effet, il nous dit aussi que les salaires et les charges sociales sont trop élevés et que les entreprises ne peuvent pas licencier comme elles l'entendent. Je vous citerai un exemple, lu dans un journal américain : Monsieur Michel Bon est le patron d'une entreprise formidable, France Télécom, et l'une de ses difficultés de gestion est qu'il ne peut pas licencier ses fonctionnaires. Cette conception est différente de la nôtre, et les patrons actuellement se sentent malheureusement anglo-américains, c'est-à-dire qu'ils voudraient un contrat de travail modifiable à tout moment. À partir du moment où vous créez une réglementation, elle apparaît obligatoirement comme étant une contrainte. S'il y a du travail, les chefs d'entreprise devront de toute façon embaucher à moins d'adopter un comportement anti-français en délocalisant leur activité à l'étranger.

En dehors de mes responsabilités nationales, je suis membre du conseil d'administration du Bureau international du travail. Lorsque nous discutons des normes internationales du travail, que nous considérons comme étant secondaires car correspondant bien souvent aux normes françaises dans leur concept de base, il y a toujours un pays contre la norme à cause d'un problème de dumping social et de globalisation. Mais la globalisation fait que dans les pays en voie de développement, dans lesquels il existait un petit secteur industriel, les multinationales mangent les petites industries. Dans les pays industrialisés, on dit qu'il faut réduire les salaires au nom de la concurrence sans quoi la production est délocalisée à l'étranger. La société mondiale, quand elle arrive dans les pays en voie de développement, réduit en miettes les quelques petites entreprises existantes.

M. Gilbert CHABROUX - La loi est très importante et nous ne pouvons pas la sous-estimer. Bien qu'elle ait été retardée, il va falloir voter afin de mieux prévenir les licenciements et de mieux informer les salariés. Je ne comprends pas que l'on puisse être en retrait. Au contraire, on devrait veiller à ce que cette loi puisse très rapidement s'appliquer. Toutefois, ce n'est pas la loi qui est urgente mais son application. Vous avez dit que les plans sociaux ne sont pas appliqués et vous avez cité l'exemple d'Alstom. Comment peut-on en arriver là sachant qu'il y a une participation des fonds publics ? Comment peut-on verser des fonds publics à des entreprises qui ne respectent pas leurs engagements ?

Par ailleurs, le MEDEF nous dit qu'on ne lui donne rien. Je trouve cela sidérant.

Où va cet argent et pourquoi n'est-il pas mieux utilisé ? Pourquoi ne peut-on pas organiser le suivi et le contrôle des plans sociaux ?

M. Marc BLONDEL- J'ai dit que ce suivi est l'une de nos préoccupations les plus importantes. A ce sujet, nous avons vu le Premier Ministre, accompagné d'Elisabeth Guigou, à qui nous avons demandé d'intervenir.

Vous avez raison, car lorsqu'on permet à l'entreprise de résoudre le problème avec des départs anticipés et que pour faciliter ceux-ci, il y a une prise en charge avec l'intervention de l'Etat, c'est aussi une substitution aux charges éventuelles de l'entreprise. Donc, si on regarde exclusivement la masse d'argent distribué et tous les effets co-latéraux, il y a en effet beaucoup d'argent engagé dans cette affaire. Je considère que c'est une honte parce qu'avec le plan social on obtient tardivement la paix sociale. Quand le plan social est discuté et que les parties arrivent à un accord, cela signifie entre autres, que les grèves s'arrêtent et en résumé on se résout à des solutions faciles.

La loi est une duperie, elle n'est pas révolutionnaire, mais son contenu servira. Aucune loi ne fera disparaître les débats entre les syndicats et les patrons.

M. Jean DELANEAU, président - Monsieur le secrétaire général, il nous reste à vous remercier.

M. Marc BLONDEL - C'est moi qui vous remercie de m'avoir offert la possibilité d'être auditionné par votre commission. Nous restons à votre disposition.

Si monsieur le rapporteur me le permet, je lui ferais parvenir quelques documents concernant sa cinquième question.

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