IV. PRINCIPALES OBSERVATIONS
A. LA MODERNISATION DE LA GESTION DU MINISTÈRE N'AMÉLIORE NI SA TRANSPARENCE NI LA STRUCTURE DE SES COÛTS
1. Le ministère de l'Intérieur se prépare à l'application de la loi organique relative aux lois de finances
Le
ministère de l'Intérieur a suivi avec une grande attention
l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances du
1
er
août 2001. Outre sa participation aux réunions
interministérielles sur le sujet, il convient de rappeler que le
ministre de l'Intérieur, mais aussi la direction de la programmation des
affaires financières et immobilières ainsi que le préfet
de Rouen, furent des interlocuteurs aux conseils précieux pour le
Parlement au cours de la rédaction de notre nouvelle Constitution
financière.
Cette participation n'est pas le fruit du hasard mais le résultat des
deux expérimentations que réalise le ministère de
l'Intérieur et qui, sur bien des plans, préfiguraient le nouveau
droit budgétaire français.
D'un point de vue comptable, le ministère a été
désigné comme pilote pour mener le projet ACCORD, du nom de la
nouvelle application de comptabilité en cours de développement
dans les services de l'État. ACCORD renouvelle les systèmes
comptables et rend notamment possible une ébauche de comptabilité
analytique, ainsi qu'une comptabilité en droits constatés
permettant de rattacher les charges et produits à l'exercice. Il
paraît évident que cet outil sera au coeur de la nouvelle
comptabilité publique qu'inaugure la loi organique du 1
er
août 2001.
Bilan de la mise en place du système ACCORD
Le
système ACCORD a démarré le 25 juin 2001 pour deux
services centraux du ministère : la direction des transmissions et
de l'informatique et la sous direction des affaires immobilières. Sont
également concernés par ce démarrage le service
ordonnateur et le contrôle financier central. Compte tenu de cette date
de démarrage récente et d'une montée en charge très
progressive, il est prématuré d'établir un bilan
exhaustif, sachant que toutes les potentialités du produit n'ont pas
encore été exploitées.
Toutefois, d'ores et déjà un certain nombre d'observations
peuvent être faites :
- les performances du produit se révèlent tout à fait
satisfaisantes, notamment en matière de délai de traitement. Des
progrès supplémentaires devraient être accomplis au cours
des prochaines semaines ;- ACCORD se trouve en phase de rodage s'agissant
des restitutions produites qui devraient permettre, à court terme, de
disposer d'une connaissance beaucoup plus
fine qu'auparavant des situations budgétaires, en fonction d'un grand
nombre de critères choisis par les gestionnaires, l'ordonnateur et le
contrôle financier ;- un travail approfondi va être
organisé d'ici la fin 2001 pour définir les axes d'analyse de la
dépense selon les cinq thèmes suivants : localisation de la
dépense ; acteurs responsables de la dépense ;
programmes et projets ; contrats de plan ; nature de la
dépense (utilisation à titre expérimental d'une
nomenclature de type plan comptable général, articulée
avec la nomenclature budgétaire d'exécution).
L'utilisation de l'axe « nature de la dépense » doit
déboucher sur la mise en place d'une comptabilité d'exercice, en
s'appuyant sur des principes juridiques de comptabilité
générale. Il convient toutefois de préciser que la notion
d'axes d'analyse se distingue de celle de comptabilité analytique.
L'utilisation des axes d'analyse s'intégrera cependant parfaitement dans
le cadre du contrôle de gestion, pour lequel un plan pluriannuel est en
cours d'élaboration et sera achevé fin 2001. Enfin, pour
permettre au ministère de l'Intérieur d'utiliser pleinement
l'ensemble des potentialités d'ACCORD et d'utiliser ce logiciel comme un
puissant vecteur de modernisation de l'administration, une mission conjointe
d'expertise et de conseil de l'inspection générale des finances
et de l'inspection générale de l'administration va être
diligentée.
A partir des premiers retours d'expérience et grâce aux
enquêtes conduites auprès des utilisateurs d'ACCORD, il
s'agira : d'identifier l'ensemble des améliorations et des
simplifications des circuits financiers rendues possibles par le changement
d'outil informatique ; de faciliter la mise en oeuvre des
fonctionnalités nouvelles développées dans ACCORD en vue
d'améliorer la gestion publique (introduction des axes d'analyse et de
la comptabilité d'exercice) ; d'engager une réflexion sur
les évolutions éventuelles à intégrer dans la
solution ACCORD, afin de la rendre totalement adaptée aux dispositions
de la loi organique relative aux lois de finances telle qu'elle vient
d'être votée par le Parlement.
Les conclusions de cette mission conjointe faciliteront la
généralisation d'ACCORD au ministère de l'Intérieur
qui interviendra au 1
er
janvier 2002 , en lui permettant de
s'appuyer sur les résultats concrets observés après les
premiers mois de fonctionnement du progiciel.
Source : ministère de l'Intérieur
Parallèlement, le ministère mène depuis 2000 une
expérience de globalisation des crédits des préfectures
qui semble donner toute satisfaction, aux gestionnaires, aux personnels, aux
services chargés du contrôle, mais aussi aux parlementaires qui y
ont trouvé une source d'inspiration. Il y a là, de toute
évidence, en miniature, un exemple de ce que pourrait être
l'État si les ambitions manifestées lors de la réforme de
l'ordonnance organique trouvent leur traduction concrète.
L'apport de la globalisation des crédits d'après le ministère de l'Intérieur
L'expérience de globalisation est programmée
pour une
durée de trois ans, et ce n'est qu'à l'issue de cette
période que le bilan définitif pourra en être
dressé. La décision de porter à 18 le nombre de
préfectures expérimentales à compter de 2002,
répond à l'objectif de pouvoir disposer d'un échantillon
suffisamment représentatif afin de tirer, le moment venu, tous les
enseignements de l'expérience. Néanmoins, un premier bilan
d'étape peut être fait à partir de l'exploitation de
réponses données par les préfets à un questionnaire
qui leur a été adressé en mai 2001 sur les conditions de
mise en oeuvre de l'expérimentation qui montrent que l'expérience
se déroule dans de bonnes conditions.
L'apport de l'expérience est jugé globalement très positif
au sein des préfectures en terme de pilotage des services,
d'approfondissement du dialogue avec l'encadrement sur les priorités
locales et avec les représentants des personnels et également en
terme de diffusion d'une culture de gestion renouvelée et
élargie. La maîtrise technique du dispositif de
« globalisation » des crédits de
rémunération et de fonctionnement, qui implique l'assimilation de
nouveaux concepts de gestion et l'appropriation d'outils informatiques
spécifiquement créés pour cette expérience, est
désormais acquise au prix d'un investissement lourd des équipes
de gestionnaires locaux qui dans la plupart des départements ont
été renforcées et réorganisées. Des marges
de manoeuvre financières plus ou moins marquées sont
dégagées en gestion au sujet desquelles la réflexion, en
concertation avec les agents, a commencé sur leur utilisation. Ces
marges sont pour l'essentiel le fait de vacances de postes frictionnelles
résultant soit de décisions locales dans le cadre d'une gestion
prudente des remplacements, soit surtout des délais inhérents
à toute affectation en préfecture dans le mode de gestion actuel
des personnels. Outre dans certains cas un abondement du régime
indemnitaire des personnels qui reste néanmoins dans la limite
autorisée par les textes régissant les indemnités et
primes, ce sont les domaines de la maintenance et des travaux
d'aménagement immobiliers, du renouvellement des mobiliers et des moyens
informatiques qui bénéficient en priorité de ces
redéploiements. Le dialogue social au sein des préfectures
connaît un approfondissement très marqué soit de
manière informelle au travers des comités de pilotage mis en
place dans les préfectures, soit au sein des comités techniques
paritaires locaux qui voient ainsi leur rôle renforcé. La
mise en oeuvre du contrôle de gestion, après une première
phase de rodage particulièrement délicate et plus longue que
prévu du fait qu'elle reste essentiellement perçue comme un
instrument d'évaluation individuelle ou comme un outil exclusivement
réservé à l'usage de l'administration centrale, commence
à être mieux comprise et acceptée notamment parmi les
personnels des quatre préfectures pilotes. La bonne qualité des
relations, dans la très grande majorité des cas, avec les
services locaux du ministère de l'économie et des finances
(trésoriers-payeurs généraux et contrôleurs
financiers en région) est soulignée. Pour certains
préfets, l'expérience met en lumière la lourdeur du
dispositif actuel de gestion nationale des personnels du cadre national des
préfectures. Des propositions d'assouplissement de cette gestion, voire
de déconcentration accrue de celle ci au niveau local sont émises.
Source : ministère de l'Intérieur
Il reste bien entendu des efforts à réaliser, notamment du point
de vue du contrôle de gestion et des indicateurs. La mise en place
d'outils de contrôle de gestion au sein des préfectures
globalisées constitue en effet la contrepartie de la souplesse de
gestion dont elles bénéficient. Deux dispositifs
complémentaires existent : un système de comptabilité
analytique permettant une connaissance des coûts, et un dispositif plus
qualitatif de contrôle de gestion dénommé INDIGO
( Indicateurs de Gestion Optimisée ), outil de mesure de
la performance globale de la préfecture sur ses champs
d'activité. Ils reposent tous les deux sur la division des
activités d'une préfecture en sept missions tournées vers
l'extérieur (communication et représentation de l'Etat,
sécurité, accueil du public et délivrance des titres,
réglementation générale et élections, relations
avec les collectivités locales, animations des politiques
interministérielles, action régionale), et six fonctions
logistiques (immobilier des services et services techniques, garage et parc
automobile, administration générale, informatique, formation,
résidences du corps préfectoral), qui doivent rendre compte des
prestations remplies en interne par les services de la préfecture pour
lui permettre de fonctionner dans des conditions satisfaisantes. Ces outils
permettent d'opérer au niveau local un pilotage des principales missions
des préfectures, d'instaurer un dialogue de gestion entre les
préfectures et l'administration centrale, et de fournir aux
préfectures un outil de comparaison avec les autres préfectures.
Au total, votre rapporteur spécial considère qu'une telle
expérience de globalisation doit se poursuivre et s'amplifier.
Cependant, cela ne signifie pas que le ministère a fait tout le chemin
nécessaire à sa préparation en vue de l'application de la
nouvelle loi organique. Bien au contraire, il lui reste un travail très
important à conduire. La première partie de l'effort devra porter
sur les objectifs, tant ceux définis actuellement par le bleu
budgétaire, brillent par leur aspect généraliste et
fonctionnel et ne révèlent pas de choix particulier. Ensuite, et
sans reprendre les remarques formulées à propos des
différents agrégats sur les indicateurs figurant dans le bleu, il
faudra s'attacher à affiner considérablement la réflexion
sur les indicateurs de performance, sur l'organisation des services, sur la
connaissance des coûts. La Cour des comptes le relevait d'ailleurs
s'agissant de la police nationale : «
la mise en rapport
entre les coûts calculés analytiquement et les résultats
des politiques publiques de sécurité demandera encore des
progrès considérables pour correspondre aux enjeux d'un droit
budgétaire renouvelé
»
20(
*
)
.
Votre rapporteur spécial restera extrêmement attentif à la
poursuite des progrès en la matière, tant la réforme de la
procédure budgétaire conditionne celle de l'État.
2. Beaucoup de travail reste à faire sur la voie de la transparence
Malgré cette position privilégiée au
regard de
la nouvelle loi organique, malgré aussi des procédures de gestion
performantes notamment pour la maîtrise des coûts de
fonctionnement, le ministère de l'Intérieur a encore beaucoup de
progrès à réaliser pour parvenir à une transparence
de sa gestion en accord avec les exigences de notre société. Si
votre rapporteur spécial constate, une fois de plus, que le
ministère répond à son questionnaire, et que les services
lui apportent avec disponibilité les éclaircissements qu'il
demande, il ne peut cette année encore que formuler à nouveau
plusieurs observations déjà faites par ses
prédécesseurs.
La principale remarque porte sur le programme d'emploi des crédits
(PEC). Ce document notifié aux services par le directeur du cabinet du
ministre, voire le ministre lui-même, en début d'année,
recense l'ensemble des moyens disponibles du ministère et les ventile
par services : dotations ouvertes par la loi de finances initiale, reports
de crédits, fonds de concours, produits des ventes des Domaines,
transferts. De ce strict point de vue, il n'appelle aucune observation, et
constitue même un outil efficace de pilotage de la gestion du
ministère. Cependant, l'élaboration de ce PEC donne lieu à
deux pratiques fortement contestables du plan de la transparence
budgétaire et des droits de la représentation nationale. D'abord,
le PEC conduit à demander en loi de finances initiale des dotations qui
n'ont rien à voir avec les moyens réels des services. A cela le
ministère ne peut rien et la réforme de la loi organique devrait
apporter des progrès en contraignant par exemple à une
budgétisation initiale des ressources tirées des fonds de
concours. Ensuite, la répartition entre articles d'un chapitre figurant
au bleu ne recouvre qu'un caractère indicatif. Le ministère le
reconnaît d'ailleurs avec une belle franchise à plusieurs reprises
dans les réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial.
L'exemple le plus symbolique réside dans l'absence de ventilation des
moyens de fonctionnement de la police nationale. Sur ce point, le
ministère porte seul la responsabilité de ce qui s'apparente
à un obstacle au pouvoir de contrôle du Parlement. Enfin, cette
pratique interdit de vérifier que les objectifs et priorités
affichés par le ministère se traduisent concrètement dans
les dotations budgétaires. Ainsi, à de multiples reprises, les
réponses apportées au questionnaire apparaissent discordantes
avec les dotations inscrites dans le bleu budgétaire
21(
*
)
. Là aussi, le
ministère en est le seul responsable.
Parmi les autres sources d'obscurité qui persistent dans ce projet de
budget, votre rapporteur spécial souhaite insister sur trois points.
Le poids important des mises à disposition au profit d'autres
entités que le ministère de l'Intérieur, environ 10 % des
effectifs de l'administration centrale, donne une vision fausse des moyens
effectifs du ministère . Si cette pratique peut se justifier pour
certaines institutions nationales dépourvues d'emplois
budgétaires, elle est extrêmement contestable pour une myriade de
structures sociales et pour les services des rapatriés qui relève
du ministère de la solidarité. De plus, rien ne justifie
l'absence de remboursement au ministère des rémunérations
ainsi prises en charge.
22(
*
)
Le ministère possède toujours des dettes, certes peu importantes
en montant, qui n'apparaissent nulle part faute de comptabilité
d'exercice : 3,96 millions d'euros à payer à
l'Imprimerie nationale au 1
er
septembre 2001 ;
1,83 millions d'euros pour le carburant des aéronefs de la
sécurité civile à l'égard du ministère de la
défense au 1
er
janvier 2002 ; un contentieux avec
France Télécom sur le réseau national d'alerte (au
coût évalué à 530.000 euros par le ministère,
et à 7,93 millions d'euros par France Télécom).
Enfin, la concentration des dépenses de pension dans le seul
agrégat administration générale introduit un biais qu'il
conviendra de résoudre dans le cadre de la prochaine loi organique, en
tendant notamment vers leur ventilation au sein de chaque programme.
3. La structure des coûts du ministère illustre parfaitement les rigidités budgétaires de l'État
La
structure des coûts du ministère illustre des tendances
budgétaires contre lesquelles s'élève chaque année
votre commission des finances.
La première caractéristique de ce budget réside dans le
poids extrêmement fort des dépenses de personnel. Alors qu'elles
représentaient 80,7 % du total des moyens du ministère en
2001, elles en mobiliseront 81,7 % en 2002, pour s'élever à
7,48 milliards d'euros
23(
*
)
. Elle révèle une
très grande rigidité des coûts du ministère, pour
lequel chaque évolution de la valeur du point de la fonction publique se
traduit par une hausse apparente de ses crédits sans d'autre
conséquence sur l'efficacité de son action que celle attendue
pour une augmentation mécanique des traitements des fonctionnaires.
Corrélativement, on observe une chute des dépenses en capital.
Les dépenses ordinaires représentent la quasi-totalité des
moyens budgétaires affectés à la sécurité et
à l'administration : 97,35 % contre 2,65 % pour les dépenses
en capital. La baisse de la part des dépenses en capital s'accentue donc
puisqu'elle était de 3,3 % en 2001 et de 3,5 % en 2000. Or les besoins
d'investissement du ministère, eux, ne diminuent pas, comme en
témoignent les urgences constatées en matière de
sécurité civile, l'état (au regard des normes de
sécurité notamment) des bâtiments de l'îlot Beauveau,
la décrépitude de certains commissariats, les besoins des
sous-préfectures, mais aussi les retards pris pour certaines
applications informatiques et la livraison des hélicoptères de la
sécurité civile.
Enfin, le poids des charges de pension ne fait que souligner que l'absence
d'une réforme des retraites de la fonction publique constitue le
principal risque budgétaire pour la France dans les années
à venir, et qu'une plus grande transparence en la matière devient
urgente. Votre rapporteur spécial se contentera de rapprocher les 122,5
millions d'euros supplémentaires accordés au ministère
pour honorer ses charges de pension et les 300 millions de crédits
supplémentaires totaux, hors élections, obtenus en 2002.
Là aussi, la création, par la nouvelle loi organique, d'un compte
spécial propre aux charges de pension, introduit à l'initiative
de votre commission des finances sera facteur de progrès. Il pourra
aussi faciliter les comparaisons avec les autres régimes de retraite,
notamment en ce qui concerne l'effort des cotisants.
B. LA SÉCURITÉ CIVILE RESTE ENCORE DANS L'ATTENTE DE SES RÉFORMES
Après un budget 2001 centré sur l'achat
d'hélicoptères non livrés et des mesures
catégorielles, le budget 2002 de la sécurité civile
apparaît comme celui de l'immobilisme et de l'impréparation. Cela
contraste fortement avec la succession des événements ayant,
depuis deux ans, mis la sécurité civile sous les feux de
l'actualité : tempêtes, inondations, naufrages de bateaux
transportant des matières polluantes, évacuation d'urgence des
populations à proximité de sites de stockage de munitions,
explosion de l'usine de Toulouse, auxquels s'ajoute la litanie des surfaces
boisées brûlées, le plus souvent suite à des actes
de malveillance. À côté de ces drames, bien souvent
circonscrits par des actions courageuses de personnes n'hésitant pas
à mettre leur vie en danger, et succombant parfois victimes du devoir,
certains dossiers n'évoluent pas d'un pouce, comme celui des services
d'incendie et de secours. Les missions interministérielles et les
rapports se sont succédés, accumulant les constats de
dysfonctionnements et les propositions pour y remédier.
Pour toute réponse, ne changeant rien à ses propos d'il y a un
an, le ministre annonce le dépôt d'un projet de loi au
début de l'année prochaine, le Premier ministre parlant quant
à lui de la fin de cette année, mais l'un comme l'autre
étant muets sur les perspectives de son examen par le Parlement.
Parallèlement à cet immobilisme en matière de
réforme d'organisation et de mode de fonctionnement, qui sera un jour
qualifié de coupable, les problèmes dénoncés depuis
des années persistent.
Lors de la discussion budgétaire pour 2001, le gouvernement se
glorifiait de la livraison des hélicoptères BK 117. Ils ont
depuis changé de nom, mais aucun n'a été livré et
ne le sera avant avril 2002.
En matière de déminage, les évacuations de 2001 ont
révélé les carences budgétaires des années
passées mais aussi les défauts d'organisation. Seul le
dévouement exemplaire des personnels en charge du déminage permet
à la France d'éviter des drames. Or, le projet de loi de finances
n'apporte aucune réponse, «
le niveau de crédits ne
permettra pas de couvrir l'ensemble des besoins
», de l'aveu
même du ministère dans sa réponse à votre rapporteur
spécial, alors que certains de ces besoins sont urgents, notamment en
matière de stockage des munitions. Le ministère de
l'Intérieur les liste lui-même : sécurisation des
clôtures, portail d'accès, réalisation de dalles
béton, acquisition de terrains, construction de soutes de type
« Igloo » à Vimy (2,13 millions d'euros) ;
création d'un accès, réhabilitation des soutes, travaux
anti-intrusion à Laon-Montbérault (600.000 euros) ;
clôtures et chemin de ronde à Metz-Woippy (400.000 euros) ;
sécurisation électrique et réhabilitation des abris
à Suippes (80.000 euros).
D'autres problèmes ponctuels demeurent, comme celui de l'accumulation
des heures de récupération non prises par les pilotes, situation
inacceptable, et que viendra aggraver la discussion sur l'aménagement et
la réduction du temps de travail. De même, l'âge de la
flotte reste dans l'ensemble préoccupant.
C. LE BUDGET DE LA POLICE NATIONALE RÉVÈLE LE DÉCALAGE ENTRE LES DISCOURS DU MINISTRE ET LA RÉALITÉ
Tous les partis politiques, même ceux qui gèrent le pays depuis près de cinq ans, reconnaissent que le développement de la violence dans notre pays a atteint un niveau insupportable. Cette violence n'est pas une statistique que l'on commente. Elle est une réalité. Ainsi, la sécurité constitue aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. Le gouvernement répond qu'il la place au premier rang de ses priorités avec la lutte contre le chômage. Votre rapporteur spécial examinera les actions réalisées et les projets budgétaires pour 2002 en adoptant ce prisme : le gouvernement réussit-il là où il donne la priorité ?
1. Les malaises
a) L'insécurité croissante
Le constat de la croissance de l'insécurité n'est plus à faire. Les journaux en font leur une, tandis que la presse internationale s'empare aussi du sujet. Mais, plus grave, les citoyens vivent avec et ne le supportent plus. Ils n'acceptent pas non plus ces zones où les policiers n'entrent qu'en nombre important ou en voiture banalisée - qui n'y reste d'ailleurs pas longtemps - où les pompiers n'interviennent que protégés, et où même les médecins hésitent à aller. La criminalité globale au cours de l'année 2000 se caractérise par une augmentation du nombre de faits constatés (+ 203.985) et, en pourcentage, + 5,7 %, soit + 4,5 % pour la police nationale et + 9,4 % pour la gendarmerie nationale). Au premier semestre 2001, la hausse des faits constatés est de 9,58 % (police nationale et gendarmerie confondus).
Évolution des faits constatés (en millions)
Les caractéristiques de cette croissance de la délinquance,
ininterrompue depuis 1997, sont connues. Elle est notamment le fait de jeunes
délinquants ( la part des mineurs dans les vols est ainsi passée
de 30 à 33 % depuis 1997), de plus en plus violents. Ils craignent
de moins en moins tôt d'être interpellés. Ils risquent au
plus un rappel à la loi qui leur paraîtra plus cocasse qu'il ne
les fera réfléchir.
En 2000, le nombre total des mineurs mis en cause en France pour crimes et
délits par les services de police et les unités de gendarmerie a
augmenté de 2,9 % par rapport à l'année 1999 (175.256
personnes contre 170.387 personnes), soit 21 % du total des personnes
mises en cause a légèrement fléchi passant de 21,3 %
en 1999 à 21 % en 2000. Ce chiffre varie en fonction de la nature
des faits imputables : par exemple 57,8 % des mis en cause pour des vols
de deux roues à moteur sont des mineurs, alors que ces derniers ne
représentent que 8,6 % des mis en cause pour trafic de
stupéfiants sans usage ou seulement 5,3 % des mis en cause pour les
homicides commis. On relève, par ailleurs, que si la part des mineurs
dans le total des mis en cause pour des faits de délinquance de voie
publique est en léger recul (33,9 % en 2000, contre 34 % en
1999), au cours de la dernière décennie, leur nombre s'est accru
de 72,4 % (soit 73.625 mineurs mis en cause supplémentaires). Ainsi, on
note un accroissement du nombre des mineurs mis en cause de + 16,4 %
pour les vols (et recels de vols), de + 105 % pour les infractions
économiques et financières, + 233,5 % pour les crimes et
délits contre les personnes et + 219,6 % pour les autres
infractions (dont celles liées aux produits stupéfiants). Leur
participation aux faits constatés est passée de 13,2 % en
1991 à 21 % en 2000. Enfin, s'agissant des suites pénales,
en 1994, il y avait eu 17.136 condamnations de mineurs pour délits. En
1998, ce chiffre était passé à 32.823. D'après une
étude citée dans le rapport de notre collègue
député Henri Cuq sur la proposition de loi n° 3122
rectifiée tendant à modifier l'ordonnance n° 45-174 du
2 février 1945 ainsi qu'à renforcer la protection des
mineurs
24(
*
)
, 5 % des
mineurs les plus actifs seraient responsables de 31,5 % des
dégradations et de 66,5 % des agressions.
Les vols - et recels de vols - (qui constituent 61,9 % de l'ensemble des
infractions) augmentent en 2000 de + 3,7 %. La hausse de cette
catégorie résulte notamment de la recrudescence du nombre de
plaintes pour vols (vrais ou supposés) de téléphones
portables. Cet accroissement est à mettre en relation avec le fort
développement qu'a connu la téléphonie mobile en 2000, qui
représente aujourd'hui plus de 34 millions d'appareils en service sur le
territoire métropolitain. La catégorie des infractions
économiques et financières enregistre une hausse de + 19,1 % en
2000. Ceci résulte de la hausse des escroqueries, faux et
contrefaçons (+ 22,7 % soit + 58.738 faits). La délinquance
économique et financière proprement dite diminue de 15,7 % soit
3.451 faits en moins. Les infractions à la législation sur les
chèques enregistrent en 2000 une hausse de 7,39 %. Les infractions
contre les personnes sont orientées à la hausse en 2000 (+ 9,1 %,
soit 21.320 faits en plus). L'augmentation numérique enregistrée
par cette catégorie d'infractions provient essentiellement des coups et
blessures volontaires (+ 11.249 faits) ainsi que des menaces et chantages
(+ 4.447 faits). Les autres infractions (dont celles liées aux
produits stupéfiants) enregistrent une hausse de 5,6 % en 2000
(+ 44.067 faits). Exception faite des délits à la police des
étrangers qui ont diminué de 1,2 %, l'ensemble des autres
composantes est orienté à la hausse : + 1,9 % (soit + 1.890
faits) pour les infractions à la législation sur les
stupéfiants, + 3,8 % (soit 18.966 faits) pour les destructions et
dégradations de biens et + 17,1 % (soit 23.758 faits) pour les
délits divers. La délinquance de voie publique
25(
*
)
, la plus durement ressentie par la
population, représente 1,937 millions de faits constatés,
soit 2 % de plus qu'en 1999. En 2000, elle forme à elle seule 51,4 % du
total des crimes et délits enregistrés par les services de police
et de gendarmerie en France métropolitaine.
Parallèlement à cette hausse de la délinquance,
l'efficacité des services de police diminue comme le montre la baisse du
taux d'élucidation passé de 29,5 % en 1997 à 26,8 % en
2000. Le pourcentage des affaires élucidées demeure toujours
très différent selon la nature des infractions.
Élevé pour les viols (75,5 %) et les homicides (79,2 %), il
l'est moins pour d'autres délits, notamment les vols avec violences sans
armes à feu (14,8 %). Enfin, les taux les plus bas concernent les vols
à la roulotte et les vols d'accessoires (élucidés à
5,2 %), les vols d'automobiles (élucidés à 7,2 %), les
cambriolages d'habitations principales (élucidés à 8 %).
Le ministère met en avant pour nuancer ces statistiques l'existence de
deux biais statistiques : le succès de la police de
proximité, la plus grande présence policière se traduisant
par davantage de dépôt de plaintes ; le développement
des infractions liées à la téléphonie mobile. Aucun
de ces arguments n'est réellement convaincant. S'agissant du premier, la
progression équivalente des faits constatés dans les zones
gendarmerie, non concernées par la réforme de la police, confirme
que la tendance observée n'est pas simplement due aux effets de la
statistique. S'agissant du second, votre rapporteur spécial n'insistera
pas sur son caractère pour le moins étrange, qui semblerait
laisser penser qu'à partir du moment où on offre des objets
à voler il serait normal qu'ils le soient.
Au contraire, il apparaît de plus en plus évident que l'appareil
statistique français sous-estime la réalité de la
délinquance
26(
*
)
.
L'étude du professeur Jean-Paul Grémy du CNRS pour l'IHESI
indique par exemple que les chiffres de la délinquance constatée
représenteraient pour 1997 et 1998 entre 43 % et 61 % des cambriolages
et tentatives de cambriolages, entre 74 % et 100 % des vols et tentatives de
vols de véhicules à moteur ; entre 28 % et 32 % des
vols et tentatives de vols à la roulotte ; entre 31 % et 37 % des
vols sans violence.
Le gouvernement a décidé lors de la réunion des ministres
le 12 avril 2001 de s'engager dans une démarche visant à mettre
au point un nouvel instrument statistique, qui, selon les termes mêmes du
ministère
27(
*
)
,
«
ne permet pas une approche globale de la délinquance et
de l'insécurité
». Le Premier ministre a ainsi
confié à nos collègues députés Robert
Pandraud et Christophe Caresche une mission de réflexion qui pourrait
déboucher sur la création d'un observatoire de la
délinquance. Un comité technique assiste les deux
députés dans cette mission. Les objectifs de cette
démarche sont «
de disposer à terme d'un outil
statistique apte à rendre compte de l'évolution réelle de
la délinquance, de l'activité des services de police et de
gendarmerie et des suites données par l'autorité judiciaire aux
procédures établies par ces services
». La mesure
du sentiment d'insécurité est également recherchée,
ainsi que la diffusion, par le futur observatoire des informations sur la
délinquance et des réponses apportées par les politiques
concourrant à la sécurité publique. La mission rendra ses
réflexions et propositions au Premier ministre au début de 2002.
Enfin il faut constater que la délinquance n'a jamais été
aussi élevée alors que la croissance n'a jamais été
aussi bonne, le chômage aussi bas et la protection sociale aussi
développée. Ce simple rapprochement conduit à
écarter toute explication de l'insécurité par le contexte
économique.
b) La motivation des personnels
Dans ces
conditions, il paraît important de se pencher sur la motivation et les
conditions de travail des fonctionnaires de police. Ceux-ci accomplissent leur
métier avec un remarquable sens du devoir et, le plus souvent, avec
passion. Cependant, la police nationale voit se succéder les
réformes d'importance, toujours annoncées avec force, rarement
menées à terme, toutes sources de bouleversements et de
changements, dont la reproduction génère plus de
déceptions qu'elle ne fait avancer les choses.
Votre rapporteur spécial est convaincu de l'existence, et du
développement, d'un profond malaise dans la police. Les manifestations,
durant le mois de novembre de fonctionnaires de police en sont une des
expressions. Les policiers ne se sentent pas reconnus pour leur travail. Ils
font face à des situations de plus en plus difficiles et violentes.
Toujours plus de policiers sont tués ou blessés en service. La
loi sur la présomption d'innocence est venue alourdir les tâches,
complexifier les rapports avec la justice, et réduire le service
apporté aux citoyens. Enfin, les charges de service
supplémentaires pleuvent sur les fonctionnaires, par exemple avec le
passage à l'euro ou Vigipirate. Ils n'ont pas l'impression d'être
la «
priorité du gouvernement
».
Les conséquences administratives de la loi sur la présomption d'innocence
Sur le
plan administratif, c'est essentiellement la majoration des tâches de
transfèrement et de présentation de prévenus qui suscite
des inquiétudes, l'équipement des services pour procéder
aux enregistrements des auditions de mineurs gardés à vue
s'étant déroulé dans de bonnes conditions et ne semblant
pas obérer le potentiel opérationnel des équipes
d'investigation.
Escortes et transferts
L'application des dispositions de l'article 722 nouveau du code de
procédure pénale, qui « judiciarisent » en
quelque sorte la fonction de juge d'application des peines, a contribué
à majorer le nombre des escortes de détenus. En effet, la mise en
oeuvre des dispositions nouvelles a entraîné un accroissement
sensible des charges de transfèrement de détenus auxquels les
services de police (comme de gendarmerie) doivent faire face. Or, ces
dernières, régulièrement qualifiées de
« tâches indues », grèvent d'ores et
déjà un pourcentage non négligeable du potentiel policier
disponible. Ainsi, la mission d'évaluation et de contrôle de
l'Assemblée nationale, dans son rapport en date du 7 juillet 1999,
rappelait que cette sujétion représentait, pour certains
commissariats moyens, la dévolution exclusive de 25 % des effectifs
opérationnels pour les seules charges de transfèrement.
Certes, au regard des textes, s'agissant de détenus, leur transfert
devrait revenir à l'administration pénitentiaire ; mais
cette dernière ne possède en rien les moyens pour
l'accomplissement de ces missions. Déjà, l'annexe à la loi
d'orientation et de programmation relative à la sécurité
du 21 janvier 1995 indiquait que « le gouvernement a mis à
l'étude la possibilité de transférer à
l'administration pénitentiaire la charge des prévenus et des
détenus dès qu'ils sont remis à la justice, et de lui
laisser ainsi le soin d'assurer les transfèrements, extractions et
comparutions, qui sont aujourd'hui à la charge de la police nationale
(...) ». Cette étude, qui a été
réalisée, a fait ressortir qu'un tel transfert
représenterait un coût budgétaire exorbitant.
En outre l'institution, par la loi du 15 juin 2000, d'un juge des
libertés et de la détention provisoire (articles 137-1 et
suivants nouveaux du code de procédure pénale), compétent
pour tout placement sous ce régime, a immanquablement
généré un allongement important des délais de
présentation à magistrat des mis en cause, mission qui
débute dès la notification de fin de garde à vue et
s'achève, plusieurs heures plus tard, avec la mise sous écrou du
mis en cause présumé, dans l'enceinte de l'établissement
pénitentiaire. Cette seule mesure a donc grevé le potentiel
opérationnel des fonctionnaires de sécurité publique, en
majorant de moitié le temps consacré à l'accomplissement
de la mission.
Par ailleurs, les extractions et, notamment, l'escorte et la garde de
détenus pour des visites médicales, demeurent majoritairement
à la charge de la sécurité publique.
Il convient enfin de noter qu'au delà du volume horaire que
représente l'exercice de ces missions, leur accomplissement, souvent
imprévisible et, à tout le moins, irrégulier, perturbe la
bonne marche des services en tant qu'elle contraint de modifier sans cesse les
prévisions d'emploi des effectifs.
Enregistrement des auditions de mineurs gardés à vue
Un consensus des directions et services actifs de la police nationale
(direction centrale de la sécurité publique, direction centrale
de la police judiciaire, direction centrale des renseignements
généraux, direction centrale de la police aux frontières,
service central des compagnies républicaines de sécurité,
et de la préfecture de police de Paris), s'est rapidement établi
sur le choix du standard numérique ; la gendarmerie nationale, de
son côté, s'est orientée dans la même direction.
Cette solution, qui a rapidement émergé des travaux du groupe de
pilotage mis en place auprès de la direction de l'administration de la
police nationale, rassemblant des représentants de chacune des
directions et service précités, de la direction des transmissions
et de l'informatique du ministère de l'Intérieur, et de la
direction de la formation de la police nationale, a été
agréée par les services du ministère de la justice, qui
l'ont rapidement considérée comme plus pratique et
résolument moins coûteuse que le recours à des
équipements de type analogique.
Tout au long de la conduite de ce projet d'envergure, les services de la
Chancellerie ont été constamment informés de l'état
d'avancement du dossier, sur le plan technique, afin de rendre le
système développé au bout du compte parfaitement
compatible avec les moyens informatiques que les magistrats des juridictions
possèdent en dotation.
Plusieurs raisons ont milité en faveur de la mise en oeuvre de
matériels numériques : le dispositif mis en oeuvre, en
intégrant à la fois le logiciel de rédaction de
procédure et celui qui guide l'enquêteur depuis le début de
l'audition jusqu'au « gravage » final, évite de
spécialiser un second enquêteur dans la seule fonction
d'enregistrement vidéo, en plus de celui qui procède à
l'audition ; l'intégration, à terme, du dispositif dans une
version graphique du logiciel de rédaction de procédures, qui
devrait être développée dans les mois à venir, le
rend particulièrement opérationnel et aisé à mettre
en oeuvre ; en termes de sécurité et de
confidentialité des données, la solution numérique retenue
par la police nationale devrait permettre d'éviter toute perte ou
dissémination, grâce, notamment, à la mise en oeuvre d'une
interface logicielle assurant tant la capture et l'enregistrement que le
« gravage » simultané des données
audiovisuelles, sans qu'il soit possible de pénétrer dans le
système par effraction, ou de se procurer quelque copie que ce soit.
Au 16 juin 2000, 2.704 configurations fixes et 428 portables avaient
été déployées dans les services actifs, soit un
total de 3.132 postes d'enregistrement, fonctionnant à l'aide d'un
logiciel d'aide aux enquêteurs, développé pour le compte du
ministère de l'Intérieur, qui en est aujourd'hui
propriétaire.
Source : ministère de l'Intérieur
Lors de déplacements aux côtés de policiers travaillant
dans les banlieues, votre rapporteur spécial a pu constater de
lui-même chacun de ces points. Il ne peut que saluer les fonctionnaires
conservant l'envie d'effectuer avec conscience leur tâche dans un
environnement particulièrement difficile, dans des locaux insalubres
(commissariat de Bobigny) ou mal conçus (commissariat de Stains),
constatant que, faute de réponses rapides et efficaces de la
justice
28(
*
)
, leurs efforts
sont réduits à néant.
Plus que jamais, il convient de s'interroger sur l'effet de notre
procédure pénale sur le travail des policiers, obligés de
boucler des procédures en une heure ou de multiplier les actes. Il ne
faut pas oublier que, dans les six premiers mois d'entrée en vigueur de
la loi sur la présomption d'innocence, alors que la délinquance
augmentait de 9,58% le nombre de gardes à vue a diminué de 9,76
%
29(
*
)
. De même,
rarement l'incompréhension entre policiers et juges n'aura
été aussi vive et le fossé les séparant aussi
grand. Comment les policiers ne s'interrogeraient-ils pas quand ils constatent
d'un côté les progrès de la délinquance, de l'autre
les contraintes supplémentaires qui leur sont imposées en termes
de procédure. Comment ne pas se sentir découragé quand
l'interpellé est relâché presque immédiatement
même en cas de récidive, ou quand la procédure est
annulée pour une erreur matérielle commise après plusieurs
heures de service.
2. Une priorité budgétaire ?
a) Juger comme telle la priorité du gouvernement
La
lecture attentive du projet de loi de finances pour 2002 conduit à
relativiser les annonces du gouvernement faisant de la sécurité
une priorité budgétaire. La lecture de la répartition des
crédits entre les différents agrégats du ministère
de l'Intérieur, en ôtant les dépenses d'élections,
laisse dubitatif sur l'affirmation selon laquelle la police nationale est la
priorité du gouvernement et du ministère. Ainsi, la part des
crédits de l'agrégat police nationale diminue relativement au
budget du ministère, passant de 55,1 % à 55,02 %. Quand on
enlève les effets de structure liés aux élections, cette
part passe de 54,6 % en 2000, à 54 % en 2001, et 53,5 % en 2002.
Alors que la police rassemblait 78,5 % des effectifs du budget de
l'Intérieur en 2001, elle n'en occupera plus que 77,9 % en 2002. De
même, la part des moyens de fonctionnement dans ceux de l'ensemble du
ministère diminue, passant de 50,35 à 50 %.
Quant à la part du budget de la police dans la richesse nationale, elle
sera passée de 0,34 % à 0,33 % entre 1997 et 2002.
Enfin, du strict point de vue des moyens supplémentaires effectivement
octroyés, les 87 millions d'euros ne représentent que les deux
tiers de ce que le ministère recevra en plus pour les dépenses de
pension. En effet, quand on enlève le poids des mesures
générales, la hausse des crédits de la police n'est que
138 millions d'euros. Et quand on y soustrait les économies
réalisées par la police nationale elle-même, la hausse
nette n'est alors plus que de 87 millions d'euros. La véritable marge de
manoeuvre nouvelle du ministère s'élève donc à 87
millions d'euros. Il convient de rappeler qu'avaient été
accordés en 2001 hors transferts 85,7 millions d'euros
supplémentaires. Quant à l'effort en faveur du fonctionnement, il
apparaît faible : + 0,7 %.
Il ne faut pas non plus oublier que le passage à l'euro et le plan
Vigipirate seront facteurs de coûts. La direction générale
de la police nationale évaluait le premier à environ 40 millions
d'euros. Quant au second, il est délicat à chiffrer
30(
*
)
.
Il convient d'apprécier l'efficacité de l'affichage
gouvernemental. Or on constate simultanément une hausse des
crédits affectés à la police, certes inférieure aux
annonces mais réelle, et prélevés sur les Français,
et une baisse du service rendu : de 1998 à 2002, les crédits
de la police auront augmenté de 17 % ; de 1998 à 2001, les
faits de délinquance auront augmenté de 16 %. Le bilan est donc
inversement proportionnel aux ambitions.
b) La police de proximité
La
police de proximité se voulait une police plus visible, plus à
l'écoute des citoyens, plus efficace. Est-ce vraiment le cas ?
Pour vérifier cela, votre rapporteur spécial avait demandé
dans son questionnaire budgétaire la communication de plusieurs rapports
réalisés par les inspections générales, et
notamment les quatre études de l'inspection générale de la
police nationale. Il les attend toujours
31(
*
)
. Or il semble d'après les
extraits qui ont pu paraître dans la presse que le bilan n'est pas
à la hauteur des espoirs. Il y a ainsi une contradiction entre la hausse
de l'accueil du public et la présence accrue de la police sur la voie
publique. La polyvalence pose ainsi problème : un policier
polyvalent saura-t-il par exemple assez bien mener une procédure de plus
en plus complexe pour éviter l'annulation prononcée par un
juge ? Les fonctionnaires perdent leurs repères, se sentent un peu
isolés. Les moyens ne suivent pas toujours.
De ce point de vue, votre rapporteur spécial déplore avec force
l'impossibilité qu'il y a pour la représentation nationale
à pouvoir évaluer le coût réel de la police de
proximité. La Cour des comptes le relève ainsi : il n'existe
aucun moyen de distinguer les coûts supplémentaires de la
réforme et les éventuelles économies ; la
réforme se fait sans que soit menée conjointement une
responsabilisation budgétaire des services ; il n'y a pas de
distinction entre besoins habituels non couverts et besoins nouveaux
liés à la seule réforme ; il n'a pas
été élaboré de schéma directeur immobilier
tirant les conséquences de la réforme
32(
*
)
. Ainsi, il est impossible
d'évaluer l'état des « piliers de la
réforme », l'emploi, les moyens de fonctionnement et
l'informatique.
Enfin, de l'aveu même du ministère, il est délicat de
vérifier les conséquences de la police de proximité sur la
délinquance.
Police de proximité et évolution de la délinquance
Le bilan
de l'évolution de la délinquance en l'an 2000 dans les 63
circonscriptions concernées par la première vague de mise en
oeuvre de la police de proximité, doit être étudié
avec prudence. En effet, après la phase d'expérimentation de 1999
(choix des 5 sites en mai, de 62 autres en août et lancement de la
fidélisation en octobre), l'année 2000 a vu une mise en place
progressive de la police de proximité. La réforme a aussi bien
concerné la détermination des nouvelles pratiques
opérationnelles (diffusion de la doctrine aux premiers jours 2000,
définition de l'exercice des missions de police judiciaire et relations
avec l'autorité judiciaire en juillet 2000), que le choix des nouvelles
organisations (fin avril 2000), le lancement de la formation de masse (mai
2000), la mise en place des crédits délégués (juin
2000), la validation des projets d'organisation (juin 2000), les
redéploiements consécutifs à la fidélisation (juin
2000), l'attribution de moyens matériels pour les secteurs (octobre
2000) et enfin l'affectation des personnels (décembre 2000). Compte tenu
du caractère progressif de la mise en oeuvre de cette réforme, en
particulier de l'arrivée d'effectifs supplémentaires, son impact
sur la délinquance dans les 63 circonscriptions de 37
départements, abritant 10,9 millions d'habitants, est donc difficile
à mesurer. On peut, en préalable, écarter l'influence de
la variable « accroissement des personnels », car le mouvement
de renfort s'est effectué en décembre, voire janvier, et les
policiers affectés ont fait l'objet d'une formation d'intégration
qui ne leur a pas permis de jouer un rôle décisif en
décembre. Un autre élément de complexité de
l'analyse tient au fait que la majorité de ces 63 circonscriptions sont
des grandes agglomérations traditionnellement
caractérisées par un taux de délinquance important et par
un moindre niveau de performance au niveau des taux d'élucidation.
L'ampleur des volumes concernés (1.064.000 crimes et délits pour
ces circonscriptions, soit 43,7 % de la délinquance nationale) produit
un effet d'écrasement sur les pourcentages, qui limite les enseignements
qui peuvent être tirés. A cela, il convient d'ajouter l'incidence
de l'application des prescriptions de la loi du 15 juin 2000
renforçant la présomption d'innocence, en ce qu'elle constitue
une charge de travail supplémentaire pour l'ensemble des services
d'investigations.
Sous ces réserves, les tendances suivantes sont cependant clairement
identifiées : ces sites ont connu dès 2000 une évolution
plus favorable de la délinquance et de l'activité judiciaire avec
cependant des effets inégaux selon les circonscriptions. Ces
évolutions devraient être plus claires encore en 2001. Dans le
recensement de tous les crimes et délits commis en 2000, les
63 circonscriptions montrent une évolution de la délinquance
légèrement plus favorable qu'au plan national. Ainsi, la
délinquance générale ne progresse que de 4,12 % sur ces
sites, contre 4,83 % au niveau national. Leur part dans la
délinquance nationale diminue donc en passant de 44 % à
43,70 %. Cette évolution se retrouve encore plus nettement pour ce
qui concerne la délinquance de voie publique. Celle-ci baisse de
0,99 % sur ces sites alors qu'elle progresse de 0,05 % au plan
national. Cette différence touche d'abord les délits en
augmentation : la hausse des vols à main armée est ainsi
inférieure avec 8,7 % contre 9,8 % au plan national ; de
même, les vols avec violence croissent de 12,58 % contre
15,21 % et les dégradations n'évoluent que de 0,33 % contre
1,41 % au plan national. Le phénomène est aussi visible sur
les infractions en diminution : les cambriolages y baissent davantage
(-3,54 % contre -3,05 % au plan national) comme les
dégradations sur véhicules (-2,83 % contre -0,47%).
Les 63 circonscriptions de police de proximité présentent des
résultats judiciaires plus favorables en matière de
répression que le reste du territoire. Les mis en cause et les gardes
à vue augmentent respectivement de 5,24 % contre 4,47 % au
plan national et de 4,46 % contre 4,17 %. Les écrous baissent
de façon moindre : - 7,7 % contre - 8,3 % au
plan national. Les taux d'élucidation globaux présentent, eux
aussi, des caractéristiques plus favorables, (quoiqu'en baisse, compte
tenu du fort développement de la délinquance financière).
En ce qui concerne la délinquance de voie publique, les faits
élucidés présentent un différentiel plus favorable
de 0,44 % contre 1,60 % au plan national. Les résultats de la
répression sont nets. L'écart positif d'environ 0,8 point de
pourcentage pour le nombre de personnes mises en cause est notamment à
considérer, bien que les résultats du quatrième trimestre
limitent la portée de l'analyse et imposent une certaine vigilance dans
la coordination de l'activité de police judiciaire.
L'impact attendu s'est produit. Il paraît présenter la forme
atténuée qui était espérée et se
répartit différemment selon la nature des plaintes. Sans que cela
remette en cause des données générales meilleures que la
moyenne nationale, on doit constater que l'implantation de la police de
proximité, spécialement dans les quartiers difficiles,
s'accompagne d'une hausse des plaintes sur les infractions en rapport avec la
violence, essentiellement les coups et blessures volontaires et les menaces.
Les premières augmentent de 14,98 % (+ 4.012 faits) contre
11,83 % (+ 7.925 faits) au plan national et les secondes de
13,60 % (+ 2.084 faits) contre 12,32 % (4.017 faits).
Simultanément, l'élucidation de ces deux types de délits
est en hausse notable. Elle progresse ainsi pour les coups et blessures
volontaires de quatre points (+ 12,71 %, + 2.242 faits
contre + 8,77 %, + 4.177 faits au niveau national). Cette
progression est de trois points pour les menaces (+ 11,65 %,
+ 1.023 faits contre + 8,81 %, + 1.804 faits) au
niveau national. L'effet plus global d'un meilleur accueil est difficile
à mesurer. On en trouve la marque essentiellement dans les plaintes pour
vols simples. Si elles ont, au niveau national, augmenté de 0,6 %
(soit 14.753 faits supplémentaires), on constate que cette
augmentation se trouve surtout dans les 63 circonscriptions (10.192 faits
supplémentaires).
Le bilan de l'impact sur la délinquance de la mise en place de la police
de proximité ne peut pas éluder l'influence plus ou moins
mobilisatrice des projets de service qui l'ont installée. Or, la
situation est très différente selon les circonscriptions. 7
circonscriptions ont de très bons résultats, 5 circonscriptions
ont de bons résultats par une augmentation de la répression et
une stagnation de la délinquance, 8 circonscriptions ont des
résultats équilibrés par la diminution de la
délinquance, 24 circonscriptions ont des résultats
équilibrés par une augmentation de la répression, 19 sites
ne tirent pas profit de la police de proximité.
Source : ministère de l'Intérieur
3. Le problème des effectifs
Les
débats en matière de police se concentrent habituellement, outre
la délinquance, sur la question des effectifs. La controverse est
d'autant plus aisée qu'il est toujours légitime d'adopter tel ou
tel concept : parle-t-on des emplois budgétaires, des emplois
réels, des adjoints de sécurité, des surnombres, chaque
point de vue se défend. Votre rapporteur spécial n'entrera donc
pas dans une polémique stérile, préférant se
contenter d'examiner l'évolution future des effectifs de police.
Or, de ce point de vue, force est de constater que l'aménagement et la
réduction du temps de travail (les « 35 heures »)
font peser un risque majeur sur la disponibilité des forces de police.
Comment, comme l'affirme le ministre de l'Intérieur, concilier les
impératifs de respect de la loi, de maintien des capacités
opérationnelles, de satisfaction des attentes des agents, de poursuite
de l'extension de la police de proximité ? A vrai dire, nul ne peut
apporter une réponse satisfaisante à cette question. De
même que personne ne peut démentir que, pour éviter qu'une
baisse de 10 % de la durée du travail ne se traduise par une baisse de
10 % de la présence policière sur le terrain (soit de l'ordre de
9.000 fonctionnaires de police), il faudra soit recruter bien au-delà
des 3.000 créations de postes prévues pour 2002, soit
« acheter » le temps de travail des policiers par le biais
de repos et d'indemnités, soit utiliser les deux solutions. Votre
rapporteur spécial rappellera aussi d'une part que le discours officiel
du gouvernement est d'indiquer que le passage aux 35 heures se fera sans
créations d'emplois dans la fonction publique, d'autre part que le
basculement d'une circonscription de police dans le mécanisme de la
police de proximité se traduit par une hausse de 10 % des besoins en
hommes.
Ainsi, les 35 heures se traduiront nécessairement par une
réduction de la capacité opérationnelle des forces de
police et par l'accumulation des heures supplémentaires. Malgré
les propos rassurants du ministre
33(
*
)
, il ne peut en être
autrement.
Par ailleurs, même si tous les fonctionnaires au temps de travail ainsi
allégé étaient remplacés en 2002, il faudrait tenir
compte des délais nécessaires à leur recrutement, entre
l'ouverture d'un concours et le recrutement effectif, et à leur
formation :
Délais moyens entre l'ouverture et le pourvoi d'un poste dans la police nationale
(en mois)
|
Délai d'organisation du concours (*) |
Délai d'attente des candidats reçus avant incorporation |
Durée de la scolarité |
Total |
Commissaire |
8 |
2 |
24 |
34 |
Lieutenant |
12 |
2 |
18 |
32 |
Gardien de la paix |
8 |
8 |
12 |
28 |
(*)
Délai entre la date de l'attente du concours et celle des
résultats d'admission
Source : Réponse au questionnaire de votre rapporteur
spécial
De même, votre rapporteur spécial ne peut que relever
l'incertitude entourant le discours du ministre : les policiers
supplémentaires serviront-ils à la police de proximité ou
bien à la compensation des 35 heures ? 3.000 créations
d'emplois ne pourront en tout cas servir aux deux.
Enfin toujours du point de vue des effectifs, de nombreuses critiques
formulées chaque année restent valables. La répartition
des effectifs sur le territoire, par mission et par service continue à
faire débat. Ainsi, la Cour des comptes relève que seulement
39 % des effectifs de la direction des renseignements
généraux travaillent sur les violences urbaines dans les
26 départements sensibles
34(
*
)
. Les adjoints de
sécurité continuent à faire l'objet de discussions :
le fait qu'ils ne soient pas considérés comme emplois
budgétaires est d'autant plus anormal que personne ne songe plus
aujourd'hui sérieusement à faire fonctionner les services de
police sans eux ; on ne sait pas combien d'adjoints de
sécurité sont effectivement en poste
35(
*
)
; il ne faut pas oublier que,
de même qu'un apprenti demande du temps de la part des artisans pour
être formé, ces adjoints mobilisent des ressources humaines pour
compenser la faible durée de leur formation. De même, votre
rapporteur ne peut que renouveler les observations sur la pratique des
surnombres (passés de 234 en 1998 à 2.162 en 2002) ou sur le
maintien de personnes rémunérées sur crédits de
fonctionnement
36(
*
)
. Le
rapport entre emplois administratifs et personnels actifs se
détériorera en 2002, quel que soit le mode de calcul
employé, et reste bien en deçà des moyennes
européennes. Enfin, l'accumulation des heures supplémentaires,
non payées et donc récupérées en fin de
carrière pose de vrais problèmes. Cela a trois
conséquences : des départs anticipés de policiers en
fin de carrière donc au traitement plus élevé que lors de
la constitution des heures supplémentaires dues ; l'absence de
remplacement des agents partis ainsi prématurément faute de
support budgétaire pour le faire ; une déconnexion
croissante entre le travail fourni et la rémunération mensuelle,
qui tend à décourager l'effort. Ainsi, au 31 décembre
2000, il y avait plus de 8,18 millions d'heures supplémentaires ni
payées ni récupérées, soit un coût
budgétaire d'environ 85 millions d'euros. Pour les agents du corps de
maîtrise et d'application, les heures non prises étaient d'environ
108 heures par agent ; pour les officiers, elles passent à
114 heurs par agent. A la préfecture de police de Paris, elles
atteignent 159 heures par agent de ces deux corps. Or le passage aux 35
heures se traduira justement par des heures supplémentaires et un compte
épargne temps...
Ainsi, on peut affirmer, quant au nombre d'emplois, que les motifs de critiques
restent nombreux.
4. Les points d'ombre persistants
a) Les obscurités budgétaires
Le
budget de la police nationale pratique lui aussi l'obscurité
budgétaire.
La Cour des comptes insiste sur l'absence de connaissance, par le
ministère lui-même, de ses coûts
37(
*
)
: emplois budgétaires
présentés par corps et grade sans indication de leur
répartition par service ou de leur localisation ; dépenses
de fonctionnement ventilées de manière organique
indicative ; coût complet de certains services non
communiqués au Parlement, comme celui de la préfecture de police
de Paris ; absence de coïncidence entre les missions
opérationnelles, les services chargés de les exercer et les
budgets de fonctionnement.
S'agissant du budget de fonctionnement, l'absence de détail de la
ventilation des différentes mesures rend impossible
l'appréciation concrète des mesures nouvelles
décidées en faveur des moyens de fonctionnement par service, mais
aussi par type de dépenses. Par exemple, il serait intéressant de
savoir combien de gilets pare-balles seront acquis - il ne faudrait d'ailleurs
pas que les fonctionnaires les portant soient désignés comme des
cibles. De même, il serait utile de savoir si le ministère compte
acquérir des herses pour bloquer les passages de voitures et
éviter ainsi des fuites de véhicules que les policiers n'ont
souvent pas les moyens - et parfois les consignes - de poursuivre, avec les
conséquences que l'on peut imaginer sur leur état d'esprit. Dans
sa réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, le
ministère indique : «
quant à la
répartition par article, elle sera établie en fonction des
dialogues de gestion entamés avec les directions centrales et
secrétariats généraux pour l'administration de la police
durant le mois de novembre ; la direction de l'administration de la police
nationale proposera alors un programme d'emploi des crédits au vu des
spécificités particulières des grands services de police
et des directives ministérielles
». D'après la note
de présentation du budget du ministère, «
outre la
mise en oeuvre de la troisième phase de la police de proximité,
[la hausse des crédits de fonctionnement]
permettra
également de consolider au niveau nécessaire les dotations de
renouvellement des véhicules et les moyens de fonctionnement des
services et de prendre en compte les dépenses nouvelles
inéluctables résultant de la prise à bail de surfaces
nouvelles (+ 3,8 millions d'euros) et de l'augmentation de la contribution de
la France à l'organisation Europol qui progresse de 2,3 millions
d'euros.
» Votre rapporteur spécial ne peut que condamner
fermement cette pratique qui prive la représentation nationale des
informations lui permettant de vérifier les affirmations du ministre et
d'exercer son vote de manière éclairée.
De même, votre rapporteur spécial ne peut pas savoir si la
dotation demandée en informatique de police correspond effectivement aux
besoins, ni la manière dont elle sera ventilée entre les
articles. Il existe d'ailleurs une discordance entre la réponse au
questionnaire sur les besoins en la matière et l'inscription
budgétaire... L'examen détaillé des différents
projets évoqués par le ministère fait aussi
apparaître des besoins bien supérieurs aux crédits, dont
votre rapporteur spécial n'a pas les moyens d'indiquer comment ils
seront financés.
La mise en place du réseau Acropol semble quant à elle se
dérouler dans des conditions difficiles, en tous cas plus
délicates que prévues, notamment en raison de problèmes
techniques. Malgré cela, le ministère conserve inchangé
son objectif d'achèvement des travaux.
D'autres remarques traditionnelles restent d'actualité pour 2002. Ainsi
de l'âge des véhicules, la réponse au questionnaire de
votre rapporteur spécial étant éclatante de
franchise : «
durant les dernières années,
à partir de 1994, l'insuffisance répétée des
crédits consacrés au renouvellement automobile a eu pour
conséquence de retarder ce dernier, entraînant un vieillissement
du parc. Ce vieillissement induit une augmentation du coût d'entretien et
de réparation ainsi que du taux d'indisponibilité des
véhicules
». En 2001, 30 % du parc ont
dépassé leurs critères de réforme ; parmi eux,
la moitié n'a pu être renouvelée. En matière de
véhicules de maintien de l'ordre, le retard de renouvellement
nécessiterait 33,5 millions d'euros pour être
résorbé.
Enfin, plusieurs mouvements budgétaires restent à
éclaircir comme les crédits destinés aux syndicats de
police en 2002. Est-ce que la subvention aux autres syndicats du
ministère est équivalente ? Qu'est ce qui justifie un
traitement privilégié des syndicats de policiers par rapport
à ceux des autres corps. Il y a là un champ d'investigation pour
le contrôle.
b) Les silences
Le budget reste enfin muet sur des thèmes d'actualité d'importance, qui ne sont pas même évoqués dans les documents budgétaires ou dans les notes de présentation. Ainsi, on voit mal comment les contrats locaux de sécurité pourront continuer à se développer et, surtout, être respectés, entre les contraintes de la police de proximité et celles des 35 heures.
Les contrats locaux de sécurité
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contrats locaux de sécurité (CLS) avaient été
signés au 10 août 2001 sur le territoire national, toutes zones de
compétence confondues. Ils recouvrent 5.057 communes dont
1.711 relèvent de la compétence de la police d'Etat et 3.346
de la gendarmerie nationale. Ils se répartissent entre 371 CLS communaux
et 175 CLS intercommunaux. Ces contrats se caractérisent par une
multiplicité des critères. Certains se limitent à un
quartier, alors que d'autres vont jusqu'à couvrir l'ensemble d'un
département. Il peut s'agir de quelques bâtiments, d'une ou
plusieurs lignes de bus, tramway, train ou métro, d'un ou plusieurs
centres commerciaux ou d'une plate-forme aéroportuaire. Enfin la
durée dans le temps varie puisque quelques CLS ne sont mis en place que
pour les périodes estivales, pour faire face à l'afflux important
de population et à la délinquance qu'elle engendre.
Chaque CLS est donc unique. Chacun dispose de son plan d'objectifs et d'actions
propre découlant d'un diagnostic local de sécurité.
Chacune de ses actions fait l'objet d'un suivi, d'une évaluation et
d'une adaptation en fonction de l'évolution de la délinquance et
au travers d'indicateurs définis localement. C'est donc un dispositif en
constante évolution pour s'adapter en permanence au
réalité de la délinquance quotidienne spécifique.
C'est pourquoi, l'évaluation des CLS ne peut se faire qu'au cas par cas
et localement, au vu des indicateurs d'évaluation mis en oeuvre par les
comités de pilotage. Les statistiques de la délinquance de la
sécurité publique sont tenues au niveau de la circonscription,
non de la commune, et de ce fait ne peuvent mesurer de manière absolue
des dispositifs communaux. L'évaluation des CLS fait ainsi l'objet d'un
suivi régulier par la mission interministérielle
d'évaluation qui a produit trois rapports sur le sujet. La cellule
interministérielle d'animation et de suivi des CLS s'attache elle aussi
à apprécier les conditions et les effets de leur mise en oeuvre.
De l'analyse des CLS en zone police, il s'avère que 427 d'entre eux ont
été signés par les procureurs de la République soit
99,3% représentant la quasi totalité des contrats.
Source : ministère de l'Intérieur
De même, aucune indication n'est donnée sur la nécessaire
coordination avec les services de la gendarmerie, qui font eux aussi l'objet de
tensions vives, et des douanes. A ce sujet, votre rapporteur spécial ne
peut que rappeler les trois grands axes des 65 propositions du rapport, remis
au Premier ministre en 1998, de notre regretté collègue
député Roland Carraz et de notre collègue sénateur
Jean-Jacques Hyest :
• donner une priorité absolue dans la répartition des
effectifs aux régions les plus touchées par la délinquance
de voie publique : grande couronne parisienne, grandes
agglomérations de province, pourtour méditerranéen ;
• modifier les méthodes de fonctionnement, et notamment de
ressources humaines, de la police et de la gendarmerie, en adoptant une optique
de projet et une obligation de résultat : faire baisser la
délinquance de voie publique génératrice du sentiment
d'insécurité de nos concitoyens ;
• systématiser le partenariat, tant au niveau national que local,
d'une part entre la police et la gendarmerie, d'autre part entre celle-ci et
les autres administrations, notamment la justice, ainsi que les
élus ; en effet, c'est l'ensemble du corps social qui doit faire
reculer l'insécurité.
Surtout, le silence le plus étonnant concerne le nouveau contexte. Si le
projet de loi de finances pour 2002 a été préparé
avant les événements de septembre 2001, il n'en reste pas moins
que l'on ne peut plus raisonner dans le même cadre. Or à
l'Assemblée nationale, lors de l'examen des crédits du
ministère de l'Intérieur, aucun amendement n'a été
apporté pour tenir compte des conséquences de la situation
terroriste actuelle. Il y a là au moins motif à
étonnement.