CHAPITRE III
BIS
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Lutte contre le harcèlement moral au travail
Votre commission tient à insister sur l'importance du travail déjà accompli au présent chapitre par les deux assemblées qui, loin d'être stérile, a permis d'esquisser des accords non négligeables sur de nombreux points.
Les dispositions relatives au harcèlement moral témoignent ainsi avec force des possibilités d'enrichissement d'un texte par la navette.
Au fur et à mesure des lectures successives, les deux assemblées ont fait apparaître leurs convergences sur ce volet pourtant absent du texte du projet de loi initial. Ces convergences portent principalement sur les grandes lignes d'une définition du harcèlement moral, sur le champ d'application d'une nouvelle législation, sur la protection des victimes et sur les moyens de prévention. Seules les séparent notamment aujourd'hui la question de la sanction pénale et celle de la médiation externe.
Art 50 quater
(art. L. 122-49
à L. 122-53 nouveaux et L. 123-1 du code du
travail)
Définition, sanction et prévention du
harcèlement moral
Objet : Cet article vise à définir et à interdire le harcèlement moral dans l'entreprise. Il prévoit en outre une protection des victimes de harcèlement moral ou des personnes l'ayant dénoncé, des sanctions disciplinaires pour les auteurs et charge le chef d'entreprise d'une mission générale de prévention. Il définit enfin des conditions spécifiques d'action en justice en cas de harcèlement moral.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a adopté trois séries de modifications au texte adopté en deuxième lecture par le Sénat.
D'une part, elle est revenue à sa définition de deuxième lecture du harcèlement moral, en rétablissant sa référence aux « droits » des salariés.
Votre commission avait déjà exprimé sa réticence à reprendre cette notion de « droits » en deuxième lecture, soulignant toute son ambiguïté. Force est de constater que l'Assemblée nationale n'a pas levé les incertitudes sur ce point, le rapporteur se contentant d'indiquer que cette référence était proposée par le Conseil économique et social. Votre commission observe que le Conseil économique et social n'a pas non plus précisé la nature des droits évoqués. Elle remarque que le Conseil se contente d'indiquer que le harcèlement moral « se traduit aussi par la remise en cause des droits du travail : modification de l'exécution du contrat de travail, changement de qualification, prestations, licenciement... » 40 ( * ) sans apporter plus de précision. La fragilité juridique de cette notion de « droits » est ici évidente, le Conseil économique et social cherchant visiblement à faire référence, par ses exemples, au seul respect du droit du travail.
Aussi, compte tenu des incertitudes persistantes sur ce point, il semble préférable d'écarter cette notion de « droits ».
D'autre part, l'Assemblée nationale a également rétabli sa position traditionnelle sur le régime applicable en terme d'aménagement de la charge de la preuve.
Votre commission suggère pour sa part de revenir au régime plus équilibré qu'elle avait proposé en première et deuxième lecture.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements présentés comme des amendements de coordination, mais dont la portée n'est pas sans susciter certaines interrogations.
Le premier, d'après le rapporteur de l'Assemblée nationale, vise à tirer les conséquences des nouvelles dispositions sur le harcèlement moral en modifiant les articles L. 152-1-1 et L. 152-1-2 du code du travail.
En réalité, cet amendement aurait pour conséquence d'introduire une nouvelle sanction pénale en matière de harcèlement moral, distincte de celle de l'article 50 quinquies A du présent projet de loi. Dans un cas, la pénalité serait de 25.000 francs et, dans l'autre, de 15.000 euros.
Une nouvelle fois, comme en deuxième lecture, l'Assemblée nationale a donc institué une double sanction pénale. Mais sans doute est-ce, là encore, un nouvel acte manqué dont la récurrence devient pour le moins inquiétante.
Le second amendement viserait lui à coordonner les dispositions relatives au harcèlement moral avec les dispositions du code du travail spécifiques à certaines professions : marins ( art. L. 742-8 ), concierges et employés d'immeubles à usage d'habitation ( art. L. 771-2 ), employés de maison ( art. L. 772-2 ).
Votre commission ne peut ici que rappeler que ce travail de coordination a déjà été effectué à l'article 50 undecies du présent projet de loi, lors de son examen en première lecture au Sénat, article désormais adopté conforme par les deux Assemblées.
En conséquence, il n'est donc pas souhaitable de maintenir les dispositions issues de ces deux amendements.
Votre commission vous propose de rétablir, par voie d'amendement, la rédaction adoptée par le Sénat en deuxième lecture.
Art.
50 quinquies A
(art. 222-33-1 nouveau du code pénal)
Sanctions
pénales applicables au harcèlement moral
Objet : Cet article prévoit l'introduction d'une nouvelle sanction pénale en cas de harcèlement moral.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli cet article supprimé par le Sénat en deuxième lecture.
Votre commission considère, pour sa part, que l'institution d'une nouvelle sanction pénale pour le harcèlement moral au travail est à la fois inutile et dangereuse.
Inutile car il existe déjà des incriminations pénales pouvant être appliquées en cas de harcèlement moral. Ainsi, et alors même que le harcèlement se définit justement comme une atteinte à la dignité de la personne au travail, on rappellera qu'il existe depuis 1994 une incrimination d'atteinte à la dignité.
Dangereux car l'introduction d'une telle sanction risque de se traduire par une pénalisation accrue du droit du travail alors même que votre commission privilégie une approche de prévention.
Votre commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.
Art.
50 quinquies B
Médiation en matière de harcèlement
moral
Objet : Cet article vise à instituer une procédure de médiation externe à l'entreprise en cas de harcèlement moral.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli cet article supprimé par le Sénat, mais dans une nouvelle rédaction.
La nouvelle procédure de médiation proposée par cet article comporte en effet trois différences principales avec celle adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture :
- extension de la procédure aux cas de harcèlement sexuel ;
- suppression de la saisine préalable de l'inspection du travail ;
- suppression de la phrase écrite contradictoire.
En deuxième lecture, votre commission avait fait part de son scepticisme sur cette procédure de médiation externe considérant que le harcèlement devrait avant tout être traité au sein de l'entreprise.
Mais, en nouvelle lecture, elle constate que la nouvelle procédure proposée est pire encore que celle imaginée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Les inconvénients de la procédure proposée par cet article sont en effet nombreux :
- champ limité de la procédure, qui ne s'applique pas à la fonction publique ;
- confusion regrettable entre harcèlement moral et harcèlement sexuel, le harcèlement sexuel n'ayant à l'évidence pas vocation à faire l'objet d'une quelconque médiation, mais bien plutôt d'une sanction ;
- absence de tout filtrage préalable, de nature à prévenir les recours manifestement abusifs ;
- procédure déséquilibrée, qui ne peut être enclenchée qu'à la seule demande de la « victime » ;
- durée illimitée de la procédure, qui peut entraîner un « pourrissement » de la situation ;
- risque d'arbitraire de la procédure, le médiateur pouvant être proposé par des associations de défense des victimes de harcèlement.
De fait, l'ensemble de la procédure est particulièrement déséquilibré et présuppose l'existence effective d'un harcèlement alors qu'elle devrait prioritairement avoir pour objet de vérifier la réalité du harcèlement.
Dans ces conditions, et à l'instar de ce qu'avait proposé M. Jean Le Garrec, président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, votre commission ne peut qu'inviter les auteurs de l'amendement « à poursuivre la réflexion sur ce sujet ».
Toutefois, à ce stade de l'examen du texte, l'Assemblée nationale n'est plus guère en mesure d'améliorer sa rédaction. Dès lors, votre commission ne saurait que suggérer la suppression de cet article.
Il semble en effet préférable d'évaluer, dans un premier temps, l'impact de la nouvelle législation sur le harcèlement moral. Si, à l'usage, celle-ci se révèle insuffisante et semble exiger la mise en place d'une procédure de médiation externe, que la législation actuelle n'interdit d'ailleurs pas, il sera alors temps d'étudier la procédure la plus pertinente plutôt que de légiférer à la hâte au risque d'inventer une « usine à gaz » déstabilisante.
Votre commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.
Art.
50 duodecies
(article 6 quinquies nouveau de la loi n° 83-364 du
13 juillet 1983
portant droits et obligations des
fonctionnaires)
Harcèlement moral dans la fonction publique
Objet : Cet article étend la nouvelle législation sur le harcèlement moral aux trois fonctions publiques.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale, a rétabli sa rédaction de deuxième lecture, par coordination avec sa définition du harcèlement moral.
De même, par cohérence avec la définition qu'elle propose du harcèlement moral, votre commission ne peut que proposer de revenir au texte du Sénat de deuxième lecture.
Votre commission vous propose de rétablir, par voie d'amendement, la rédaction adoptée par le Sénat en deuxième lecture .
Art.
50 quaterdecies (nouveau)
(section 8 nouvelle du chapitre II du titre
II
du livre premier du code du travail)
Création d'une section
« Harcèlement » dans le code du travail
Objet : Cet article, introduit par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, vise à créer une nouvelle section dans le code du travail où seraient regroupées les dispositions relatives au harcèlement sexuel et au harcèlement moral.
Dans un souci de clarté et de lisibilité du code du travail, l'Assemblée nationale a souhaité, en nouvelle lecture, introduire une nouvelle section dans le code du travail intitulé « Harcèlement ».
Votre commission partage ce souci. Il est incontestablement plus lisible de regrouper, dans le code du travail, les dispositions relatives au harcèlement moral et au harcèlement sexuel dans une même division.
Toutefois, ce souci pratique ne doit pas conduire à une assimilation hâtive entre ces deux notions, qui gardent leur logique propre. Ainsi, afin d'éviter toute confusion et tout amalgame entre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, votre commission ne peut que suggérer de baptiser un tel intitulé « Harcèlements », l'utilisation du pluriel permettant de souligner la diversité des formes de harcèlement.
Elle relève d'ailleurs qu'à l'article 50 bis AF (nouveau) du présent projet de loi l'intitulé de la section « Discrimination s », que cet article propose d'insérer dans le code du travail, figure également au pluriel.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé .
* 40 Avis du Conseil économique et social présenté par M. Michel Debout.