EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Une fois de plus, le Gouvernement a eu recours à la procédure d' urgence pour l'examen d'un projet de loi important aussi bien par les matières traitées que par son volume, lequel a doublé au cours de son examen à l'Assemblée nationale, passant de 60 à 124 articles .
Votre rapporteur regrette vivement l'utilisation d'une telle procédure qui ne respecte pas les droits du Parlement puisque, l'Assemblée nationale ayant été saisie en premier lieu, les députés ne débattront pas en séance publique des modifications apportées au texte par le Sénat avant la réunion d'une éventuelle commission mixte paritaire.
Ainsi, comme lors de l'examen de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, par exemple, la commission mixte paritaire sera amenée à engager un travail de deuxième lecture.
A en croire les termes de son intitulé, le projet de loi qui nous est soumis concernerait la démocratie de proximité.
Les sujets traités dans ce texte sont pourtant très divers et ne se rapportent pas tous à cette question, dont l'importance n'est certes pas contestable.
Figurent en particulier dans le titre premier du projet de loi l'institutionnalisation des conseils de quartier, la création d'un « bureau des temps », le principe de l'élection au suffrage universel direct des membres des organes délibérants des structures intercommunales dotées d'une fiscalité propre, le renforcement des droits des élus minoritaires au sein des assemblées locales et la révision de la loi relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille et Lyon, pour n'en citer que les points principaux.
Le titre II concerne les conditions d'exercice des mandats locaux, sur lesquelles les deux assemblées ont déjà adopté des propositions de loi au cours de la dernière session. Faisant fi de cette initiative parlementaire, le Gouvernement, plutôt que de laisser se poursuivre l'une ou l'autre de ces procédures législatives, a préféré alourdir le présent texte. Votre rapporteur a néanmoins relevé avec satisfaction que certaines propositions du Sénat y étaient reprises.
Le titre III relatif aux compétences locales comporte de nombreux transferts aux régions, présentés à l'Assemblée nationale sous la forme d'amendements, ce qui peut surprendre dans une affaire aussi complexe.
Ce titre contient aussi des dispositions importantes sur le fonctionnement et le financement des services d'incendie et de secours. La réforme annoncée de la sécurité civile se trouve ainsi écartelée entre deux procédures législatives. En effet, est par ailleurs déposé un projet de loi de modernisation de la sécurité civile dont le ministre de l'intérieur a indiqué qu'il ne connaîtrait pas un début de discussion avant la fin de la présente législature.
Le titre IV porte sur la participation du public à l'élaboration des grands projets et le titre V sur les opérations de recensement, dont le rapport avec la démocratie de proximité est mal établi.
Malgré l'éventail des dispositions qui le composent et le présent projet de loi ne saurait être considéré comme la nouvelle étape attendue vers la décentralisation.
Il doit plutôt être classé dans la catégorie des trop nombreux textes « portant diverses dispositions », comportant des mesures qui sont loin de toutes relever du domaine législatif et prétend parfois institutionnaliser des pratiques de concertation auxquelles ont largement recours la plupart des élus locaux depuis plusieurs années.
Votre rapporteur, qui n'a pas perçu de fil directeur dans ce texte, examinera donc successivement les dispositions proposées concernant les institutions et la vie locales, les conditions d'exercice des mandats locaux, les compétences des collectivités territoriales, la participation du public à l'élaboration des grands projets et les opérations de recensement.
I. INSTITUTIONS ET VIE LOCALES
A. LA PARTICIPATION DES HABITANTS À LA VIE LOCALE
Les collectivités locales constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens et, plus généralement, des habitants à la vie locale. Elles garantissent l'expression de sa diversité.
En la matière, le droit s'avère en retard sur les pratiques, souvent innovantes, toujours diverses, et peine à leur offrir un cadre adapté. Le législateur se trouve confronté à une double exigence : il lui incombe de généraliser les expériences qui ont réussi, sans pour autant brider les initiatives nouvelles.
1. Le retard du droit sur les faits
a) Un cadre juridique récent
Les dispositions visant à promouvoir la participation des habitants à la vie locale sont nombreuses. Elles résultent d'apports législatifs successifs et concernent aussi bien les collectivités territoriales que leurs groupements.
La plupart de ces mesures sont récentes. Elles se rattachent aux lois de décentralisation, à la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, à la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, et à la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.
L'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales affirme le droit des habitants à être informés des affaires de la commune et à être consultés sur les décisions qui les concernent. Ce droit est reconnu comme un « principe essentiel de la démocratie locale. »
Les conseils municipaux et les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ont ainsi la faculté d'organiser des consultations locales et de créer des comités consultatifs sur tout problème d'intérêt communal ou intercommunal.
Instituées par la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, les commissions consultatives des services publics locaux ont pour fonction de permettre l'expression des usagers des services publics, sans pour autant remettre en cause les prérogatives des autorités qui en ont la charge.
Toutefois, ce cadre juridique assez formel ne permet guère de prendre la mesure de la diversité, de la vigueur et du foisonnement des initiatives locales.
b) Des pratiques diverses
Ainsi, en autorisant les collectivités territoriales à créer des comités consultatifs, la loi n'a fait que consacrer des pratiques souvent séculaires destinées à associer les habitants aux décision locales.
A Marseille existent, depuis 120 ans, plus de 280 comités d'intérêt de quartier (CIQ), élus au suffrage universel, regroupés dans les seize fédérations d'arrondissement et dans la confédération générale des comités d'intérêt de quartier. Ces comités déterminent eux-mêmes leur périmètre. La ville compte ainsi 111 quartiers, également appelés villages, pour 16 arrondissements. La population élit le bureau du CIQ, lequel élit son président. Ces comités sont donc caractérisés par leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.
A Versailles , les conseils de quartier constituent, depuis 1977, des lieux de débat et de dialogue avec la municipalité. Ils peuvent être saisis pour avis de toute question intéressant le quartier ou la ville et formuler toute proposition concernant le quartier. Présidés par un membre du conseil municipal, ils sont composés de représentants des habitants, élus par les Versaillais, de membres désignés par les associations et de personnes nommées par le maire.
La Roche-sur-Yon est découpée en trois quartiers, « administrés » par une association fédératrice de toutes les associations présentes sur les quartiers. Une association de coordination yonnaise des associations de quartier est chargée de représenter les maisons de quartier, d'harmoniser leur fonctionnement et leurs initiatives (actions culturelles...). En 1985, la municipalité a décidé de permettre aux habitants de gérer directement une partie du budget d'investissement de la ville, afin d'apporter des solutions rapides aux problèmes quotidiens.
S'ils constituent tous des lieux vivants et innovants de participation des habitants à la vie locale, de dialogue avec les élus et de réflexion sur l'évolution de la politique de la ville, les comités consultatifs se caractérisent par leur extrême diversité.
Inversement, les commissions consultatives des services publics locaux, inadaptées à la vie locale, n'ont pratiquement pas vu le jour , ce qui ne signifie pas pour autant que les associations d'usagers ne sont pas en mesure de faire valoir leur point de vue.