2. Les difficultés de financement
a) Une situation inextricable
Le rapport de M. Jacques Fleury sur le bilan de la mise en oeuvre de la réforme de 1996 rappelle que le ministère de l'intérieur avait, à l'époque, évalué entre 13 et 15 milliards de francs (entre 2 et 2,29 milliards d'euros) le coût des services d'incendie et de secours à la charge des différentes collectivités.
Cette estimation avait été faite à partir des données étudiées dans les onze services « départementalisés » existant à l'époque . Elle s'est trouvée confortée par les résultats de l'évaluation réalisée par les commissions administratives lors de l'installation des premiers conseils.
Le coût par habitant des contributions des collectivités dans le budget des SDIS a progressé régulièrement (de 226 F par habitant, soit 34,45 € en 1996, à 239 F, soit 36,44 € en 1999).
L'évolution de ce coût provient de l'harmonisation des régimes indemnitaires et statutaires des sapeurs-pompiers et de la mise à niveau des infrastructures, équipements et effectifs afin d'uniformiser la couverture des risques dans le département. La situation antérieure, hétérogène, dépendait essentiellement des budgets des communes et des structures intercommunales.
L'évolution de la répartition des contributions des différentes collectivités, variable selon les départements, n'a pas manqué de soulever des difficultés . Les chiffres ci-après doivent cependant être pris avec prudence, dans la mesure où ils traduisent des moyennes, pouvant cacher des variations sensibles selon les départements.
La contribution par habitant des communes et des EPCI peut varier d'une somme insignifiante (dans l'Essonne, 0,05 € ou 0,30 F) à des chiffres beaucoup plus importants (en Savoie, 57,13 € ou 374,77 F), sans que la nature de la protection assurée puisse seule servir d'explication.
La contribution globale des départements varie entre 12,27 % du budget du SDIS (Nord) et 99,90 % (Essonne). La contribution des départements par habitant est de 4,89 € ou 32,09 F dans le Nord, contre 69,03 € ou 452,81 F en Corse du Sud.
En 1997, les conseils généraux étaient les premiers contributeurs des SDIS (610 millions d'euros ou 4 milliards de francs, soit 60 % du budget), tandis que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale supportaient 0,41 million d'euros ou 2,7 milliards de francs.
En 2001, la contribution globale des départements s'établit à 47,50 % (contre 52,50 % aux communes et établissements publics de coopération intercommunale, qui supportent aussi la charge des centres de première intervention non intégrés aux SDIS).
Selon les informations recueillies auprès du ministère de l'Intérieur, 23 départements de métropole et d'outre-mer contribuent au budget du SDIS à hauteur d'au moins 50 % (99,1 % en Essonne). La participation du département est inférieure à 50 % pour 73 d'entre eux (Nord : 12,27 %).
Aux inégalités entre les contributions des différentes catégories de collectivités, s'ajoute une difficulté pour l'adoption du budget -pour lequel la majorité qualifiée des deux tiers est requise- lorsque la représentation du département au sein du conseil d'administration est relativement moins élevée.
b) L'évaluation de la loi par le rapport « Fleury »
Dans son rapport sur le suivi de la loi du 3 mai 1996 précitée, M. Jacques Fleury relève que « les départements dont les conseils généraux assument une part de financement très élevée semblent être ceux qui rencontrent le moins de problèmes ». Il considère cependant utile de laisser une part des dépenses aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale afin de maintenir un lien entre la commune et le SDIS et pour favoriser le service de proximité.
Dans une première étape, M. Jacques Fleury suggère de plafonner la part globale des communes et établissements publics de coopération intercommunale à leur niveau atteint en 2000 (dernier exercice avant le délai prévu par la loi de 1996 pour les transferts), de conférer au conseil général la majorité des sièges au conseil d'administration dès leur prochain renouvellement et d'insérer dans la loi un nombre limité de critères objectifs pouvant seuls justifier des écarts de charges entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. L'objectif serait de réduire dans un délai de six ans à une fourchette entre 1 et 3 l'écart maximum de contributions des communes et structures intercommunales.
Dans une seconde étape, M. Jacques Fleury préconise une « reprise par le conseil général des charges supportées par les collectivités de base », de manière progressive et prioritairement au bénéfice de celles dont la participation par habitant est supérieure à la moyenne départementale.
Compte tenu des disparités entre départements, il conviendrait, pour M. Jacques Fleury, de déterminer un rythme de transfert, plutôt que de fixer un délai pour atteindre l'objectif fixé . Enfin, il estime que pour faciliter une telle évolution, l'intervention de l'État dans le financement des SDIS est nécessaire, « tout en observant un moratoire sur les exigences nouvelles, sources de dépenses supplémentaires ».
Ce dernier point supposerait que l'État mesure les conséquences financières des dispositions statutaires qu'il accorde généreusement aux intéressés, sachant qu'elles sont supportées par les collectivités locales. Il supposerait aussi l'attribution de moyens supplémentaires en provenance de personnes autres que les collectivités locales.
Le rapport de M. Jacques Fleury préconise d'ailleurs la recherche de nouvelles sources de financement. Partant du constat que de nombreuses interventions relevant de la compétence de la régulation médicale du centre 15 sont en fait réalisées par les sapeurs-pompiers en raison de la « carence des moyens hospitaliers », il préconise une généralisation par la loi de la pratique de conventions conclues entre certains SDIS et les agences régionales d'hospitalisation (ARH) pour la participation de ces dernières au financement des secours.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès du ministère de l'Intérieur, entre 5 et 10 % des dépenses de fonctionnement des SDIS sont consacrées aux interventions des services d'incendie et de secours à la demande de la régulation médicale du centre 15 lorsque celle-ci constate un défaut de disponibilité des transporteurs privés.
M. Jacques Fleury a aussi préconisé une participation des sociétés concessionnaires d'autoroutes , constatant que celles-ci étaient des entreprises privées qui, « malgré le risque qu'elles génèrent », ne disposent pas de service de sécurité dédié aux secours à personnes et à la protection incendie des utilisateurs.
Il a observé que le décret n° 97-606 du 31 mai 1997 avait instauré une redevance à la charge des sociétés concessionnaires et permettant aux services de gendarmerie de bénéficier d'une dotation. Il a rappelé que les services de secours n'étaient exonérés du paiement du péage que si l'intervention se situait à l'intérieur d'une section à péage. L'utilisation d'une autoroute pour se rendre sur le lieu d'un accident s'étant produit en dehors d'une section à péage donne, en revanche, lieu au paiement de ce péage.
M. Jacques Fleury a également évoqué l'institution d'une taxe additionnelle à la taxe sur les conventions d'assurance , dont le niveau des prestations peut être limité grâce à l'intervention des services de secours. Devant les objections du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie selon lesquelles la tarification des contrats d'assurance est plus élevée en France que dans les autres pays de l'Union européenne, M. Jacques Fleury a évoqué la possibilité pour l'État d'affecter aux SDIS une partie du produit de la fiscalité sur les contrats d'assurance.
Le rapport de M. Jacques Fleury souligne aussi -au-delà de la compétence traditionnellement reconnue aux collectivités territoriales pour le financement des services de secours et de l'intervention de l'État pour les moyens de secours lourds- l'écart entre l'effort des collectivités locales en la matière (2,5 milliards d'euros ou 16,4 milliards de francs) et celui de l'État (462 millions d'euros ou 3,03 milliards de francs). M. Jacques Fleury en déduit que l'État pourrait améliorer sa participation en réévaluant la dotation globale de fonctionnement, pour tenir compte aussi de ce que la sécurité civile demeure une compétence conjointe de l'État et des collectivités .
c) Le projet et les propositions de loi : des solutions variées
La proposition de loi de M. Joseph Ostermann et plusieurs de ses collègues (n° 418 ; 2000-2001) complèterait le code des assurances pour prévoir le versement au SDIS d'une indemnité forfaitaire par le tiers responsable d'un accident de la route, en contrepartie des frais d'intervention des services de secours. Le montant de l'indemnité serait égal au tiers des sommes versées par la compagnie d'assurance en règlement du sinistre, à l'intérieur d'une fourchette comprise entre 500 F et 5.000 F (entre 76,22 et 762,20 euros). L'indemnité serait recouvrée par le SDIS auprès de l'assureur du tiers responsable.
Les auteurs de la proposition de loi font valoir que l'efficacité des interventions des sapeurs-pompiers réduit les coûts des prestations des compagnies d'assurance, qu'il existe dé jà un prélèvement de ce type de 15 % sur les primes d'assurance au profit des caisses d'assurance maladie et que la contribution des assurances aux services de secours existe dans plusieurs pays membres de l'Union européenne.
Dans une perspective comparable, la proposition de loi de M. Robert Bret et plusieurs de ses collègues (n° 41 ; 1999-2000) prévoit l'institution d'une taxe additionnelle à la taxe sur les conventions d'assurance, payée par les compagnies pour contribuer au financement des SDIS, dont le taux ne pourrait pas dépasser 1 %. Les modalités de mise en oeuvre de ce prélèvement et celles de la répartition des recettes « en fonction notamment de la population et de la superficie des départements concernés » seraient fixées par décret.
Votre commission des Lois n'a pas retenu ces propositions de loi, estimant que la conjoncture actuelle (catastrophes naturelles et attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis) ne permettait pas, sans étude complémentaire, d'ajouter un prélèvement sur les contrats d'assurance -ou de faire payer à l'usager une contribution pour ce qui correspond au coeur de la mission des pompiers.
Quant au projet de loi, l'article 46 remplace la majorité qualifiée des deux tiers des membres présents du conseil d'administration par la majorité simple pour la fixation du niveau des contributions des collectivités. Cette disposition, prévue dans le projet de loi initial, n'a pas été modifiée par les députés.
L'Assemblée nationale a pris l'initiative d'établir le principe d'une suppression totale des contributions communales et intercommunales à partir du 1 er janvier 2006 . Le texte initial du Gouvernement se limitait à plafonner la progression des contributions communales et intercommunales à 20 % du taux de progression du budget du SDIS. Les députés ont prescrit qu'un rapport sur la mise en oeuvre de cette suppression des contributions serait présenté au Parlement avant le 1 er janvier 2005. Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit aussi, pour les exercices entre 2002 et 2005, que les contributions communales et intercommunales ne connaîtront pas de majoration supérieure à celle de l'indice des prix à la consommation.
Le projet de loi prescrit également de ramener avant le 1 er janvier 2006 dans une fourchette de 1 à 3 l'écart maximum entre la plus haute et la plus basse cotisation par habitant versée par les communes et par les structures intercommunales .
Les députés ont aussi décidé une information des contribuables , en annexe à l'avis d'imposition à la taxe d'habitation, sur le montant total et par habitant des contributions des différentes collectivités au service départemental.
L'Assemblée nationale a également inscrit dans la loi la possibilité pour les SDIS de conclure une convention avec l'hôpital siège du SAMU, en vue de la prise en charge financière des interventions demandées par la régulation médicale du centre 15 , dans le cas d'indisponibilité des transporteurs sanitaires privés ( article 46 ter ).
Elle a enfin prévu une convention entre les SDIS et les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers ou autoroutiers sur les conditions de prise en charge des interventions effectuées sur le réseau concédé . La convention fixerait aussi les conditions de mise à disposition des SDIS des infrastructures routières concernées, pour les interventions urgentes dans le département ( article 46 quater ).
d) Les propositions de la commission : un rôle pilote du département respectueux de la place essentielle des communes
Votre commission des Lois, dans la logique de la départementalisation des services d'incendie et de secours engagée par la loi du 3 mai 1996 précitée, a jugé souhaitable de donner une place centrale au département pour leur financement, sans que pour autant les communes et les structures intercommunales soient écartées .
La place essentielle donnée au département répondrait à une indispensable logique de mutualisation des moyens financiers et aux préoccupations de nombreuses communes concernant l'aggravation des charges qu'elles supportent.
Pour autant, les communes doivent pouvoir continuer d'exercer leurs responsabilités en la matière , ce qui ne serait plus possible si elles ne participaient plus en aucune façon au financement des services départementaux.
Votre commission des Lois vous propose en conséquence :
- de fixer, à partir de 2006, à 80 % le montant global des contributions des départements aux services départementaux d'incendie et de secours et à 20 % celui des communes et établissements publics de coopération intercommunale , étant précisé que les participations communales et intercommunales seraient gelées à leur niveau actuel dans les départements où elle se situe actuellement à un niveau inférieur à 20 %. Les contributions communales et intercommunales seraient, durant les exercices précédant 2006, gelées à leur niveau de 2001.
En outre, la majorité simple suffirait pour l'adoption des montants des contributions des collectivités ( article 46 ) et du budget du SDIS ( article 45 ) ;
- de prévoir l'obligation de fixer par convention les conditions de prise en charge financière par les SAMU des interventions des services d'incendie et de secours étrangères à leurs missions légales, effectuées à la demande de la régulation médicale du centre 15, lorsque le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés est constaté ( article 46 ter ).