2. Les risques qualitatifs
Ce relatif désordre, où chacun « creuse son trou » sans rendre compte à quiconque, serait sans gravité, sinon sans conséquence, si les travaux étaient réalisés avec soin, et si seules la morale et la loi étaient bafouées. Ce n'est, hélas, pas le cas. Le non respect de la règle de droit s'accompagne de dommages écologiques et de risques de pollution.
Des forages mal conçus, mal réalisés, mal
entretenus, mal fermés conduisent à plusieurs types de risques de
pollution
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a) Les risques de contamination pendant l'exploitation
Le premier risque est celui de la contamination d'une nappe par une autre. Le forage, sur plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de mètres, traverse plusieurs couches de sols, tantôt perméables, tantôt imperméables (argiles, marnes), avant d'arriver à la nappe à capter.
En règle générale, la pollution est liée à la profondeur de la nappe. Ainsi, avant d'arriver à la nappe à capter, par hypothèse non polluée, le forage peut traverser d'autres nappes moins profondes qui, elles, peuvent être polluées. Ces deux nappes sont au départ superposées, donc indépendantes, mais le forage fait communiquer les eaux dégradées et la nappe profonde.
La communication sous forme d'infiltration de polluants, de la nappe supérieure vers la nappe inférieure, se fait par deux biais. Lorsque le forage est mal réalisé, le défaut d'étanchéité entre la cavité creusée dans le sol et le tubage génère un drain vertical et un écoulement continu. C'est le cas des anciens captages. A l'époque où les nappes étaient de bonne qualité, les forages étaient réalisés sans cimentation. L'écoulement peut aussi provenir de la canalisation elle-même, lorsque le forage a été mal conçu ou mal entretenu, entraînant la corrosion ou la perforation du tubage, la dislocation des joints... Une pratique assez courante consiste à prolonger les forages anciens. Les premiers puits permettaient de capter l'eau des nappes peu profondes, mais lorsque les puits sont approfondis par perforation, l'eau pompée correspond à un mélange des différentes sources et la pollution de la nappe superficielle est directement dirigée vers la nappe profonde.
Ces risques sont d'autant plus grands que, contrairement à la plupart des ouvrages de construction, l'ouvrage de captage est totalement invisible et se prête assez facilement aux malfaçons.
Les difficultés de ce type vont vraisemblablement s'amplifier dans les prochaines années sous le double effet de la concurrence des entreprises de forages et du vieillissement des installations. Plus de 600 entreprises de forages travaillent en France. L'expansion de l'activité a généré une offre abondante. La profession n'étant pas réglementée, n'importe qui peut s'improviser foreur et la concurrence est vive, notamment venant de sociétés d'Europe du Sud, qui proposent des forages à très bas prix. Il va sans dire que, dans de nombreux cas, la vigilance aux questions d'environnement est extrêmement réduite, et le forage en question se résume à un puits, à peine gainé, muni d'une pompe. Ces ouvrages, de plus en plus nombreux, entraîneront de graves déconvenues plus tard.
Par ailleurs, selon une estimation du Syndicat des entrepreneurs de puits et forages d'eau, 40 % des forages ont été réalisés il y a plus de 30 ans, ce qui est la durée de vie normale d'un forage, et près de 10 % ont plus de 50 ans. Ainsi, alors même que plusieurs milliers de forages sont réalisés chaque année et qu'un grand nombre de forages sont menacés d'usure, le Syndicat estime que « pas plus de 10 % des forages sont contrôlés régulièrement ». Il s'agit d'un risque inutile auquel il devrait être remédié en prévoyant des contrôles réguliers.
b) Les abandons de forages et les risques de contamination après l'exploitation
Ces risques évoqués sont amplifiés
lorsque ces forages cessent d'être exploités. Car il faut bien
distinguer les prélèvements d'eau et les forages. Les premiers
peuvent cesser, les seconds demeurent... Les abandons de captages tendent
à se multiplier en raison de la baisse de la qualité des
prélèvements d'eau, aux fermetures imposées...
La France compte un peu plus de 35.500 captages d'eau potable (hors captages privés) dont 95 % exploitent les eaux souterraines. Ces captages, très inégalement répartis (entre quelques unités et plusieurs centaines par département) fournissent 63 % du volume d'eau distribuée en France. Cette situation n'est pas figée. Elle évolue avec les besoins, le rendement et la qualité des prélèvements. Chaque année, plusieurs dizaines de nouveaux captages sont réalisés, plusieurs dizaines de captages sont fermés (on peut estimer le nombre annuel de fermetures à une centaine). La détérioration de la qualité des eaux prélevées, et dans une moindre mesure, les difficultés, voire l'impossibilité, de protection du captage, sont les principales causes d'abandon. Ce dernier facteur, longtemps secondaire, devrait être déterminant à l'avenir. Le Préfet du Pas-de-Calais a même demandé à 54 maires du département de prendre une délibération de fermeture des captages, dès lors que ces derniers ne pouvaient bénéficier de la protection des captages prévue par le code de la santé publique, soit parce que la ressource était « improtégeable », soit parce que la qualité des eaux était « déjà (trop) mauvaise » (voir annexe précitée). Les abandons de captage ont des conséquences importantes. Ils constituent, en premier lieu, un signal d'alerte insuffisamment pris en compte. L'abandon des captages d'eaux souterraines en raison des dépassements des normes de potabilisation est révélateur d'une dégradation sensible d'une ressource que l'on croyait préservée et renouvelable. Pourquoi s'inquiéter d'une fermeture de captage quand l'interconnexion (une eau médiocre est mélangée à une eau de meilleure qualité) permet de contourner la difficulté ? Ou bien encore quand un autre captage de meilleure qualité est aussitôt mis en oeuvre ailleurs ? Mais il s'agit de solutions provisoires, car comme l'observe le directeur de l'Agence Artois-Picardie : « le problème, c'est qu'aujourd'hui, il n'y a plus d'ailleurs... » Les abandons de captage entraînent, en second lieu, un travers méthodologique non négligeable. Le principal réseau d'évaluation de la qualité des eaux est celui des DDASS, qui analysent les eaux prélevées dans les captages destinés à l'alimentation en eau potable. Les captages abandonnés ne sont donc plus suivis, puisqu'ils ne contribuent plus à l'alimentation en eau potable. Enfin, les abandons de captage ne sont pas réalisés avec suffisamment de précaution et constituent des sources potentielles de pollution des eaux souterraines pour l'avenir. |
Il faut être pourtant conscient qu'un forage abandonné sans précaution est un tuyau de pollution creusé dans le sol, puisque les défauts d'entretien, d'étanchéité, la corrosion, potentiels pendant l'exploitation, deviennent presque inévitables.
Avec la fréquence accrue des abandons de captage , cette menace devient tout à fait sérieuse, d'autant qu'il n'existe, à ce jour, aucune réglementation relative aux abandons de captage. C'est donc en toute légalité que les maîtres d'ouvrage créent les conditions propices aux pollutions de demain.
Cette situation est évidemment inadmissible. De même qu'il est inacceptable que les services techniques de l'Etat dans le département et les conseils généraux, répondent aux maires qui les sollicitent à ce sujet que « rien n'est prévu ». La réponse est formellement exacte mais irrecevable compte tenu des enjeux environnementaux.
Un suivi de la qualité des eaux des captages
abandonnés peut s'avérer utile. Dans le cas contraire, les
fermetures de captages devraient s'accompagner d'une cimentation des parois, et
ne pas se contenter d'un simple bouchon de surface, un dispositif notoirement
insuffisant pour prévenir les risques de pollution. Ces dispositions,
qui figurent d'ailleurs parmi la charte de qualité de puits et forages
d'eau, doivent être encouragées.
* (27) Annexe 27 - Schémas de pollution des eaux souterraines pour les forages.
* (28) Annexe 28 - Données statistiques sur les abandons de captage.