3. Les risques liés à la surexploitation
a) Les risques quantitatifs
L'état quantitatif d'une nappe est un solde entre les sorties d'eau en surface -écoulement vers les rivières (soutien du débit d'étiage) et les prélèvements d'origine anthropique (irrigation et alimentation en eau potable)- et la capacité de recharge de la nappe (par infiltration des eaux de pluie et des eaux de rivière). Un équilibre s'instaure lorsque l'écoulement et les prélèvements d'eau n'excèdent pas la recharge naturelle des nappes.
Les risques de surexploitation étaient connus sans être mesurés. Peu d'institutions reconnaissaient publiquement que « les eaux souterraines ne bénéficient pas d'une gestion rationnelle » (Sdage - Adour Garonne - 1996) et que « sur certaines d'entre elles, la pression des prélèvements est déjà forte alors que leur réalimentation est très lente » (tableau de bord du Sdage/Loire Bretagne - 2000). Ces risques sont aujourd'hui mieux appréciés. Toutes les agences ont développé et soutenu des programmes de suivi piézométrique et les résultats sont parfois préoccupants. La nappe carbonifère autour de Lille par exemple baisse en moyenne de 1 mètre par an et aurait perdu 60 mètres depuis le début des mesures en 1950. La directive cadre fait d'ailleurs de l'« état quantitatif » des nappes un élément d'appréciation de leur « état écologique ».
Cet état doit être surveillé là
où les risques de prélèvements excessifs sont les plus
importants. Tel était le sens de l'article L 211-3 du code de
l'environnement faisant référence aux «
zones de
sauvegarde de la ressource, déclarées d'utilité publique
pour l'approvisionnement actuel ou futur de l'eau potable
».
Cette appellation a été rarement retenue par les agences de l'eau
qui lui ont préféré d'autres concepts
(«
nappes réservées en priorité à
l'alimentation en eau potable
» et «
nappes
intensément exploitées
-NIE » en Loire
Bretagne, «
aquifères patrimoniaux »
dans
les agences de l'eau Rhône Méditerranée Corse et Adour
Garonne, «
nappes prioritaires
» dans l'Agence de
l'eau Seine Normandie...). Une meilleure coordination entre agences aurait
permis d'avoir une vision plus claire et plus globale de la situation
française. Mais quel que soit le mot finalement retenu, l'idée et
le concept de ressource stratégique doivent être gardés et
valorisés. Il est essentiel que toutes les actions des différents
acteurs - agences, collectivités locales, Etat - se coordonnent et se
concentrent sur ces ressources stratégiques. Tout n'est pas possible
partout, mais sur ces ressources stratégiques, tout doit être
tenté pour préserver la qualité et la quantité de
la ressource en eau.
b) Les conflits d'usage
Une des illustrations connues des difficultés engendrées par les prélèvements excessifs concerne les conflits d'usage : lorsque la ressource est rare, les différents utilisateurs peuvent se trouver en conflit pour partager cette ressource. Ces conflits, localisés, sont souvent prévenus par des restrictions d'usage imposées par arrêté préfectoral. Les usages d'agrément (arrosage des jardins, lavage des voitures...) sont touchés en priorité. L'irrigation agricole peut être menacée à son tour. Mais d'autres conflits d'usage liés au développement des équipements touristiques peuvent survenir.
§ L'exemple le plus connu est celui
des
golfs
(29
(
*
)).
La
consommation d'eau moyenne des golfs est de l'ordre de 6.800 m
3
par jour, soit, au total, de l'ordre de 36 millions de m
3
/an.
20 % seraient issus des forages d'eaux souterraines. Cette consommation
importante ne génèrerait cependant qu'assez peu de conflits
d'usage. Ils peuvent survenir néanmoins en période de
sécheresse. Il faut en effet rappeler que le surarrosage est
fréquent, que la consommation générale d'eau n'est pas
négligeable, que 20 % des golfs ont leur propre forage et que, en
1996, faute de dispositifs de comptage, de nombreux golfs n'avaient pas
d'idée précise des prélèvements qu'ils
opéraient...
Les prélèvements d'eau au bord des
côtes, notamment lorsqu'il y a des risques d'intrusion marine (intrusion
de l'eau de mer dans les nappes du littoral) doivent évidemment
être surveillés de très près. On retiendra par
exemple que c'est dans l'Hérault, département où les
risques d'intrusion marine sont les plus graves, que se trouvait le golf le
plus important de la région (90 ha dont 77 ha
irrigués). Il avait les prélèvements d'eau les plus
massifs de toute la région Rhône Méditerranée Corse
(590.000 m
3
/an, avec une pointe de 100.000 m
3
/ mois
pendant l'été1991)
Il y a donc des situations où le
développement touristique peut être porteur de menaces
potentielles pour la ressource en eau. On pensera en particulier aux 56 golfs
des départements riverains de la Méditerranée
situés sur des zones fragiles (du point de vue de la ressource en eau).
Dans ces situations fragiles, il est impératif d'améliorer la
connaissance en imposant le comptage des prélèvements. Par
ailleurs, la réutilisation des eaux usées, pratique courante aux
Etats-Unis, pourrait être développée.
§ Un autre exemple d'un nouveau type de conflit d'usage
est celui de l'enneigement artificiel
(30
(
*
))
. Les prélèvements d'eau liés
à l'enneigement artificiel représentent de l'ordre de 20 millions
de m
3
dans les Alpes. La qualité des eaux de consommation
d'une commune en aval de communes de montagnes qui pratiquent l'enneigement
artificiel se serait subitement dégradée sous l'effet du cumul
des prélèvements d'eau (en rivière cette fois) et des
rejets massifs d'eaux usées. Cet incident encore unique appelle
néanmoins une grande vigilance.
c) La surexploitation
Le troisième risque est lié à la surexploitation d'une nappe. L'utilisation intensive, supérieure aux capacités de recharge en eau, peut entraîner un assèchement progressif conduisant à terme à l'abandon des captages. Les nappes situées en bordure du littoral sont, elles, particulièrement vulnérables au risque de pollution saline. Ce phénomène est connu sous le nom de « biseau salé » ou d' « invasion marine » : lorsque la nappe continentale descend trop bas, les écoulements d'eau s'inversent (de la mer à la terre, et non de la terre à la mer) entraînant l'intrusion d'eau salée dans les nappes d'eau douce continentale (voir encadré ci après).
Quand elle survient, la pollution est quasi irréversible. Ce phénomène est parfaitement illustré par la situation de la nappe de l'Astien, dans l'Hérault.
Les aquifères côtiers sont fragilisés par des prélèvements massifs concentrés sur une courte période de l'année, avec le cumul des prélèvements destinés à l'eau potable pendant la saison touristique et les forages destinés à l'irrigation. Des pompages excessifs d'eau douce peuvent entraîner des dépressions, comblées par les eaux de mer voisines. L'eau de mer pénètre par le sous-sol et par effet de contraste de densité entre l'eau douce continentale et l'eau salée (l'eau de mer contient en moyenne 30 grammes de sel par litre, et est donc plus dense et plus lourde que l'eau douce). Ce phénomène est connu sous le nom d'intrusion de biseau salé.
En Méditerranée, ce risque a été évoqué pour onze nappes (d'Ouest en Est) : - nappe du Roussillon (région de Perpignan) - nappe de la Basse Vallée de l'Aude (région de Lézignan - Narbonne) - nappe de la Vallée de l'Orb (région de Béziers) - nappe de l'Astien (région de Béziers) - nappe de la vallée de l'Hérault (région d'Agde) - nappe de Maugio-Lunel (région de Montpellier) - nappe de Crau (région d'Arles)
- nappe de Gapeau (région d'Hyères)
Source - Tableau de bord du SDAGE Rhône
Méditerranée Corse panoramique 2000 - page 86.
La nappe de l'Astien est une importante ressource en eau du département de l'Hérault, entre Agde et Béziers. La nappe couvre une superficie de 450 km 2 et fournit entre 3 et 5 millions de m 3 /an, soit 15 % de l'alimentation en eau de ce secteur. Sa bonne qualité et sa faible profondeur (pour l'essentiel entre 20 et 100 mètres) ont favorisé le développement de nombreux forages. Suite à l'inquiétude provoquée par la baisse de rendement et de la qualité des prélèvements, des analyses ont été conduites dans les années 80. Les constats furent particulièrement préoccupants : 1 er constat : la très mauvaise connaissance des forages. Un inventaire a permis de recenser plus de 700 forages, dont plus de 80 % concernaient l'alimentation en eau à usage domestique (eau potable ou arrosage), et près de 50 % étaient réalisés par des particuliers. Moins de 15 % des forages avaient été déclarés. La plupart n'avaient pas de connaissance des prélèvements opérés. 2 ème constat : la mauvaise qualité des forages, conduisant à « mettre en communication l'aquifère astien et les aquifères superficiels de médiocre qualité, d'où des risques de pollution ». 3 ème constat : la baisse continue, voire, en bordure littorale, l'effondrement du niveau piézométrique, c'est-à-dire de la hauteur de la nappe, générant un risque majeur de salinisation de l'eau par intrusion d'eau salée dans l'aquifère astien où il aboutit à la mise en place d'un « biseau salé ». Devant ce « risque de pollution irréversible », une structure locale de gestion, réunissant les différents acteurs concernés par l'utilisation de la ressource (communes, département, chambres consulaires) a été créée en 1990 (le Syndicat mixte d'études et de travaux de l'Astien, SMETA), aboutissant, en 1996, à la conclusion d'un « contrat de nappe », entre l'Etat, l'Agence de l'eau, le conseil général et le syndicat, afin de réduire les prélèvements (par délestage et raccordements sur d'autres sources, par incitation à la pose de compteurs...) et de préserver la qualité (bouchage des puits abandonnés, contrôle des forages...). Alors que le premier contrat de nappe s'achève, il apparaît que les améliorations sont limitées et fragiles . La baisse des prélèvements constatée entre 1988 et 1993, favorisée par une forte médiatisation du risque et une pluviométrie suffisante, est interrompue. Le retour à des conditions climatiques défavorables (sécheresse) et l'arrêt de la médiatisation ont entraîné une reprise des consommations. La connaissance des prélèvements reste aléatoire (notamment auprès des campings) « La menace de dégradation irréversible de la ressource sur le littoral reste toujours présente du fait de l'absence de planification des ressources alternatives et d'une insuffisante gestion économe de la nappe » (...). « La protection de la qualité de la ressource est compromise. La faible maîtrise des forages privés, liée à l'absence d'encadrement réglementaire des petits forages et au droit inaliénable de la propriété privée, rend difficile la pérennisation d'une véritable protection de la nappe contre les pollutions par les milieux superficiels ». |
Le développement mal maîtrisé et l'abandon anarchique des forages sont des vecteurs de pollution des eaux souterraines. Ce volet n'est pas suffisamment pris en compte. Toute réforme dans ce domaine doit s'inspirer de deux impératifs : la simplicité et l'efficacité.
Tel n'a pas été le cas jusqu'à aujourd'hui. L'ancien projet de loi sur l'eau contenait même des dispositions (31 ( * )) compliquant encore davantage un dispositif déjà trop compliqué. De très nombreux forages échappent à toute règle de droit, ne sont ni déclarés, ni autorisés, ni connus, sans pratiquement qu'aucune sanction ne soit jamais appliquée.
Pour en savoir plus sur cette partie, voir aussi les annexes suivantes consultables à l'adresse ( http://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-2.html ) :
Annexe 25- Statistiques sur les forages d'eau souterraine
Annexe 26- Le régime juridique des forages destinés aux prélèvements d'eau
Annexe 27- Schémas de pollution des eaux souterraines pour les forages
Annexe 28 - Données statistiques sur les abandons de captage
Annexe 29 - Les golfs et l'eau
Annexe 30 - Incidence de l'enneigement artificiel sur la ressource en eau
Annexe 31 - Les dispositions de l'ancien projet de loi sur l'eau relatives aux prélèvements d'eau
* (29) Annexe 29 - Les golfs et l'eau.
* (30) Annexe 30 - Incidence de l'enneigement artificiel sur la ressource en eau.
* (31) Annexe 31 - Les dispositions de l'ancien projet de loi sur l'eau relatives aux prélèvements d'eau. Voir notamment l'article 49 relatif aux conditions de calculs des prélèvements d'eau.