3. L'évaluation de la qualité des eaux souterraines
Le suivi de la qualité des eaux souterraines ne s'est
développé que récemment et reste incomplet. Pour
répondre aux inquiétudes croissantes de l'opinion, la
réponse la plus facile consiste à multiplier les analyses,
à produire des statistiques, des cartes et des rapports, pas toujours
cohérents entre eux. Les réseaux d'analyses présentent des
limites qu'il convient de connaître.
a) Le réseau de suivi des eaux souterraines
« Pour 100 personnes qui suivent les eaux de surface, il n'y en a qu'une pour suivre les eaux souterraines ». Alors que la ressource est capitale pour l'alimentation en eau potable, l'attention portée aux eaux souterraines a été tardive et partielle. Le nombre, la profondeur, et parfois l'importance des nappes semblaient constituer des garanties suffisantes. Le suivi des eaux de surface était techniquement plus simple. Ainsi, le suivi des eaux souterraines n'est pas apparu prioritaire et ne s'est imposé qu'à la suite des périodes de sécheresse (1964, 1976 ...). L'objet du suivi était alors essentiellement d'ordre quantitatif, par la voie du suivi piézométrique, c'est-à-dire l'étude du niveau des nappes. Ce biais quantitatif est encore marqué aujourd'hui.
Les aspects qualitatifs ont été appréhendés par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qui procèdent depuis les années 60 à une analyse des prélèvements d'eau destinés à la consommation humaine.
Le besoin d'informations sur la qualité des eaux souterraines n'a été ressenti que dans les années 90, soit plusieurs années après que l'évolution des teneurs en nitrates sur les rares points de suivis à long terme ait révélé une dégradation sensible d'une ressource que l'on croyait préservée. Trois décisions marquent cette période : d'une part, l'élaboration -difficile- d'un instrument d'évaluation, le Système d'Evaluation de la Qualité des eaux souterraines (SEQ - eaux souterraines) (13 ( * )) fondé sur une appréciation des altérations de l'eau (14 ( * )) . D'autre part, le lancement de campagnes de mesures dédiées à certains paramètres (notamment nitrates et pesticides). Enfin, la création très tardive, décidée en 1999 mais encore inachevée, d'un réseau national des eaux souterraines, le RNES, après signature d'un protocole entre la Direction chargée de l'environnement et les Agences de l'eau.
Le réseau ainsi formé est articulé autour d'entités distinctes qui obéissent à des logiques et des objectifs différents. On distingue principalement le réseau patrimonial destiné à suivre l'évolution quantitative de la ressource et les réseaux de contrôle qualitatif destinés à suivre la qualité de l'eau prélevée pour l'eau potable, la qualité des eaux souterraines dans leur globalité, ou seulement quelques paramètres (15 ( * )) .
L'évaluation de la qualité des eaux pose d'ailleurs des problèmes de méthode. Trois options sont possibles :
- la qualité d'une eau est évaluée par rapport à des usages (les qualités d'une eau destinée à la consommation d'eau potable sont évidemment différentes de celles attendues d'une eau d'irrigation ou à usage industriel),
- la qualité d'une eau est évaluée par rapport à un état naturel. Dans ce cas, on mesure la dégradation mais cela suppose de connaître l'état naturel. (une eau naturelle pouvant parfaitement être impropre à la consommation - présence d'arsenic naturel par exemple),
- la qualité d'une eau est évaluée par un
indice synthétique, constitué à partir des deux modes
d'appréciation précédents.
b) Les insuffisances des réseaux
Aucun de ces réseaux ne donne une vision exhaustive et satisfaisante de la situation des nappes en France.
§ La première limite est celle du maillage et des
retards dans la mise en place d'un réseau d'observation
qualitatif.
Des différences sensibles existent entre les
régions. Certaines régions sont parfaitement
équipées et réalisent un travail remarquable (Seine
Normandie, Artois Picardie)
(16
(
*
))
. D'autres régions sont moins
avancées.
L'existence d'un réseau ne suffit pas pour
garantir le recueil des données. On signalera à ce propos la
paralysie qui a affecté le réseau des DDASS, en 1999 et 2000
(certaines DDASS ne rentraient pas les données transmises par les
laboratoires d'analyses, d'autres ne les communiquaient pas au
Ministère...).
§ La seconde limite est d'ordre qualitatif. Le
réseau de contrôle sanitaire des DDASS sur les captages d'eau
potable est sans doute le plus contestable.
D'une part, les mesures sur
les lieux de forages, pourtant prévues par la réglementation,
sont délaissées au profit de mesures après traitement de
potabilisation ou après mélange des eaux (lorsque l'eau provenant
de différents captages est mélangée par l'interconnexion
entre les réseaux), gommant ainsi les analyses des eaux les plus
dégradées. D'autre part, les captages fermés et
abandonnés ne sont pas suivis. Ainsi, comme l'observe la direction de
l'Agence Artois Picardie, «
la représentativité de
la qualité de la ressource est de plus en plus tronquée en
fonction de l'abandon des ouvrages. En effet, les mauvais captages étant
fermés, le réseau (des DDASS) donne un aperçu optimiste de
la situation des nappes »
.
c) Les travers méthodologiques des analyses
Les analyses d'eaux, et plus encore les comparaisons, demandent une grande rigueur scientifique (17 ( * )). L'observateur doit se poser plusieurs questions sur les différents points suivants.
§ Quelle est la
représentativité des lieux de mesure ?
Le
choix des sites est évidemment déterminant, puisqu'on peut
parfaitement, par un choix judicieux, ou bien surévaluer une pollution,
ou bien la sous-estimer. Faute de sélection, la dérive consiste
à multiplier les mesures et les points de prélèvements. Il
s'agit d'une dérive coûteuse et inutile. Pour M. Philippe CROUZET,
Chef de mission à l'Institut Français de l'Environnement (IFEN),
« il n'y a pas besoin de plus de recherche, ni de plus de
mesures ; il y a juste besoin de mesures mieux documentées et plus
représentatives ».
§ La fréquence des analyses est-elle
adaptée ?
Certains réseaux choisissent des
mesures périodiques, à des périodes fixes et
déterminées à l'avance, ce qui permet d'évaluer une
moyenne de contamination. D'autres réseaux dédiés
(nitrates et surtout pesticides) mesurent les pollutions après les
événements à risques, ce qui permet de bien évaluer
les pics de pollution.
La fréquence doit dépendre du type d'eau analysée. Les pollutions des eaux de surface sont beaucoup plus irrégulières que la pollution des eaux souterraines surtout dans les petits bassins et/ou sous climat méditerranéen. Les professionnels considèrent qu'on ne gagne que très peu d'informations en multipliant le nombre de points et de fréquence de contrôles. D'ailleurs, la fréquence des mesures a beaucoup moins d'importance que leur pérennité et leur qualité.
§ L'appréciation des
analyses
Il n'existe pas -pas encore- de norme de
qualité des eaux souterraines. L'évaluation passe donc par une
grille d'analyses, fondées sur des altérations. Ces
altérations sont appréciées par des spécialistes...
de plus en plus spécialisés. Le responsable doit cependant
veiller à se garder des chapelles et des modes. L'opinion est sensible
aujourd'hui à la dégradation par les nitrates et pesticides. Il
existe pourtant bien d'autres risques sur lesquels il y a moins de
données, moins de communication, mais qui sont tout autant
préoccupantes : l'intrusion marine (pour les nappes),
l'eutrophisation (pour les cours d'eau), les contaminations bactériennes
sont des risques certainement plus importants.
§ La représentation de
données
La diffusion des informations est
généralement assurée par une cartographie et des couleurs.
On ne saurait assez mettre en garde chacun contre l'effet écrasant et
trompeur de carte de qualité, tant il est facile de multiplier les
« points bleus » (où tout est bon) ou, au contraire,
les « points rouges » (où tout est mauvais) selon
l'objectif recherché.
En conclusion, il apparaît que la dérive
statistique, la mesure anecdotique et la précipitation doivent
être bannies. Un réseau pertinent et opérationnel doit
être représentatif, ce qui suppose un travail méthodique de
la communauté scientifique .Il doit aussi s'inscrire dans la
durée ce qui suppose un engagement sans faille des responsables
politiques. Ces derniers doivent se garder d'être trop dépendants
d'une spécialité scientifique, quelle qu'elle soit, et des modes.
Dans cette politique de l'environnement, les élus ont besoin de
généralistes de haut niveau qui sachent faire la synthèse
entre les spécialités, et qui soient capables de
communiquer.
* (13) Annexe 13 - Le Système d'Evaluation de la Qualité des eaux souterraines (SEQ - eaux souterraines).
* (14) Annexe 14 - Les altérations des eaux souterraines.
* (15) Annexe 15 - Les Réseaux de Suivi des Eaux Souterraines.
* (16) Annexe 16 - L'évaluation de la qualité des eaux souterraines en Seine-Normandie.
* (17) Annexe 17 - Observations de méthode sur les analyses d'eau.