Annexe 60 - LA FIXATION DES NORMES DE LA QUALITÉ DE L'EAU
Dans le domaine alimentaire, la plupart des seuils, limites et références de qualité adoptés en France et en Europe sont issus de « valeurs guides » déterminées au niveau international.
1. Les valeurs guides
Les « valeurs guides » sont recommandées par l'OMS - organisation mondiale de la santé- ou le JEFCA - Joint Expert Committee on Food Additives-, comité conjoint entre l'OMS et la FAO - Food and Agriculture Organisation. Le processus d'élaboration est le suivant.
L'estimation part d'une connaissance du danger et du risque.
Le danger est une propriété de la molécule. Il peut s'agir d'une perturbation physiologique, d'une lésion organique, d'une maladie, d'une altération des capacités et des performances (fertilité par exemple). Le risque est la probabilité d'être exposé au danger.
Il faut alors distinguer les éléments à effet déterminant et les éléments à effet probabiliste.
• Une molécule à effet déterminant est une molécule pour laquelle une relation dose-effet a été mise en évidence. Une trop forte concentration de plomb ou de fluor dans le sang, par exemple, a des effets connus sur la santé. Cette relation permet de déterminer un seuil d'exposition, déclenchant des effets critiques. Ce seuil est défini à partir d'études épidémiologiques chez l'homme (à partir d'épidémies, d'exposition professionnelle) ou d'études expérimentales chez l'animal.
On applique ensuite un coefficient d'incertitude, une marge de sécurité, pour tenir compte des différences de sensibilité entre espèces (le passage de l'animal à l'homme est affecté d'un facteur 10 à 100), et de différences de sensibilité entre individus (avec un nouveau facteur 10). Le facteur d'incertitude peut donc aller de 100 à 1.000.
• Les produits à effet probabiliste sont des éléments pour lesquels il n'y a pas de relation dose-effet. L'exposition à la molécule augmente la fréquence d'apparition de la maladie, mais la maladie peut aussi survenir chez les personnes qui ne sont pas exposées. Les molécules cancérigènes sont des molécules à effet probabiliste. La molécule aggrave le risque, mais le risque subsiste sans molécule. L'arsenic ou certains pesticides rentrent dans cette catégorie. L'objectif n'est donc pas le risque zéro puisque, par définition, il n'y a pas de risque zéro, mais est plutôt de fixer un risque, ou un « sur risque » acceptable, par exemple 1 cas pour 10.000 ou 100.000 personnes.
• Ces deux méthodes conduisent à déterminer une dose journalière tolérable (DJT), ou dose journalière admissible (DJA) (quand il s'agit d'un additif alimentaire par exemple) qui constitue la base des normes d'exposition. Ces doses sont souvent calculées en proportion du poids corporel.
Cette dose pouvant provenir de plusieurs sources, il est calculé ensuite la part qui revient à l'eau. Cette part varie entre 10 % et 80 %, selon la part de l'eau dans la source d'exposition. Ainsi, pour les métaux lourds par exemple, on estime que 90 % de l'exposition sont issus de l'alimentation. En revanche, certaines toxines peuvent être essentiellement d'origine hydrique, comme c'est le cas des microcystines, toxines issues des cyanobactéries présentes dans les eaux stagnantes.
La part qui revient à l'eau est calculée sur la base d'une consommation d'eau de deux litres par jour, pour une personne de 60 kg. Cette hypothèse paraît surestimée. Même si la consommation réelle d'eau est en fait assez méconnue (on connaît le volume tiré du robinet, mais pas la répartition faite selon les usages), elle serait plutôt voisine de 1,4 litre d'eau.
L'ensemble conduit donc à une valeur guide, établie par consensus scientifique.
2. La valeur limite
Cette valeur guide sert de référence à ce que deviendra ensuite une réglementation sous forme de concentration maximale autorisée (CMA) ou de valeur limite.
Il n'y a pas stricte concordance entre les valeurs guides internationales et les valeurs limites nationales. La réglementation nationale résulte aussi d'un arbitrage entre deux principes : le principe de précaution, qui vise à limiter les risques potentiels, et le principe dit ALARA « As Low As Reasonnably Achievable », c'est-à-dire aussi bas que possible. Cette demande tient compte du contexte naturel et du contexte local.
D'une part, il y a deux logiques différentes pour déterminer un seuil. Soit on accepte de développer un risque mineur pour tout le monde, même si l'on sait que le danger est réel pour une partie de la population. C'est le cas des « tourista » d'origine hydrique et bactérienne. La population est autochtone et de fait immunisée, mais un touriste extérieur est très vulnérable et développe des pathologies (diarrhées). Soit on est solidaire de la population la plus fragile (nourrissons, femmes enceintes, personnes âgées ou immuno-déficientes) et le seuil est alors fixé pour cette catégorie.
D'autre part, il ne paraît ni possible de faire totalement abstraction des conditions économiques et sociales des pays, ni souhaitable d'interdire tel ou tel produit consommé depuis des générations pour la seule raison qu'il contient quelques milliardièmes de gramme de trop de tel ou tel composant. Un Etat doit aussi faire avec son sol, son sous-sol et son passé.
C'est pourquoi les valeurs limites peuvent être différentes entre l'OMS et l'Union européenne (sur le cadmium et le bore par exemple), entre l'Union européenne et d'autres Etats (sur les pesticides par exemple), voire même entre les réglementations nationales et les valeurs de la directive européenne (la réglementation nationale pouvant seulement n'être que plus restrictive).
La microcystine est une toxine de cyanobactéries, appelée aussi algues bleues, qui sont des bactéries d'eau douce qui prolifèrent dans les eaux stagnantes. Dans plusieurs pays, les cyanobactéries ont provoqué des intoxications chez des personnes qui avaient bu de l'eau insuffisamment traitée ou mal traitée (adjonction de sulfate de cuivre pour détruire les algues). La microcystine LR a été identifiée comme étant la principale toxine des cyanobactéries. Le calcul de la limite de qualité a suivi les étapes suivantes. Une étude chez les souris a permis d'évaluer la dose sans effet identifié observable (DSEIO) : 40 ug/kg de poids corporel. Cette dose a été appliquée à l'homme après prise en compte d'un facteur d'incertitude de 100 pour tenir compte du passage de la souris à l'homme, et d'un nouveau coefficient d'incertitude de 10, en raison du manque de données sur la toxicité chronique. La dose journalière tolérable a donc été fixée pour l'homme à 0,04 ug/kg de poids corporel. Un facteur de 0,8 a été appliqué pour établir la contribution relative de l'eau de boisson. Le coefficient est souvent beaucoup plus faible pour les autres contaminants qui peuvent prendre la voie d'une contamination par des aliments, mais pour les cyanobactéries, la cause principale d'exposition est l'eau de boisson. On arrive ainsi à une valeur guide, dite « provisoire » pour tenir compte de l'évolution des connaissances, reprise dans la réglementation française sous forme de référence de qualité à 1 ug/litre d'eau. |
Le classement de substances
cancérogènes
Le Centre National de Recherche du Cancer qui dépend de l'Organisation Mondiale de la Santé classe les substances selon quatre niveaux de cancérogénicité :
. Catégorie I : cancérogènes prouvées chez l'homme (arsenic, amiante..). Des résultats épidémiologiques concluent à une relation causale entre la substance et le cancer.
. Catégorie II a : cancérogènes probables (cadmium, PCB ...) Cette classe regroupe les substances pour lesquelles les connaissance épidémiologiques sont limitées mais avec des données animales concluantes constatant une fréquence accrue des tumeurs cancéreuses dans au moins deux espèces différentes.
. Catégorie II b : cancérogènes possibles (DDT ...). Dans ce cas, les connaissances épidémiologiques et les données chez l'animal sont limitées.
. Catégorie IV : absence d'effets cancérogènes.
En matière de cancérogénèse, il est admis que la dose admissible est celle qui entraîne dans la population générale un supplément de risque d'avoir le cancer pour une exposition durant la vie entière d'un millionième par rapport au risque de base. Cette dose est déterminée le plus souvent à partir d'une approche toxicologique qui suppose qu'il existe un seuil en dessous duquel il n'y a pas d'effet toxique. On admet qu'une dose n'ayant entraîné aucun effet chez l'animal n'aura pas non plus d'effet chez l'homme en appliquant un coefficient d'incertitude pour tenir compte de l'extrapolation à l'homme (coefficient de 100 à 1000).