D. LES CONSÉQUENCES DE LA « DOUBLE PEINE » : INJUSTES ET CONTRE-PRODUCTIVES

A été stigmatisé sous le terme de « double peine » le fait que certains étrangers qui ont subi une peine d'emprisonnement, peuvent, en droit français, faire également l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français. Cette possibilité est d'ailleurs admise par la Cour européenne des droits de l'homme.

Il convient dès à présent de préciser que le terme même de « double peine » est juridiquement impropre.

Tout d'abord, l'arrêté d'expulsion n'est pas une peine. Il s'agit d'une mesure de police décidée par le préfet ou le ministre de l'intérieur, qui peut être pris en vertu des articles 23 et 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, contre toute personne dont la présence constitue une menace grave à l'ordre public.

Ensuite, la peine d'interdiction du territoire français appartient à la catégorie des peines complémentaires 4 ( * ) et peut être prononcée par le juge en vertu de l'article 131-30 du code pénal 5 ( * ) .

Chaque année, d'après les chiffres recueillis par le groupe de travail chargé de réfléchir sur une éventuelle réforme de la « double peine », institué par M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, et ayant rendu son rapport en mars 2003, 150 étrangers ayant passé l'essentiel de leur enfance en France sont expulsés et 1.000 peines d'interdiction du territoire français constituant des « double peine » sont prononcées par les tribunaux.

La « double peine » est essentiellement critiquée lorsqu'elle concerne des étrangers qui ont créé des liens très forts avec la France. Leur éloignement peut être vécu comme un bannissement. En effet, l'étranger éloigné peut se retrouver dans un pays dont il ne connaît ni la langue ni la culture, et dans lequel il n'a plus d'attaches familiales. L'étranger doit également le plus souvent se séparer de sa famille qui comprend très mal cette mesure d'éloignement.

Certes, les articles 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et 131-30 du code pénal prévoient que certaines catégories d'étrangers, qui ont des liens personnels et familiaux particulièrement forts avec la France, peuvent bénéficier d'une protection contre, respectivement, les mesures d'expulsion et les peines d'interdiction du territoire français. Toutefois, cette protection n'est que relative, dans la mesure où elle connaît de nombreuses exceptions en matière d'expulsion et où elle ne consiste, pour la peine d'interdiction du territoire, qu'à obliger le juge à rendre une « décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger ».

Subsidiairement, lorsqu'un étranger est condamné à une peine d'emprisonnement ferme et, à titre complémentaire, à une peine d'interdiction du territoire français, il ne peut bénéficier d'aucune disposition favorisant la réinsertion au cours de son emprisonnement. En effet, destiné à être éloigné, il ne peut jamais suivre de formations professionnelles ou bénéficier d'aménagements de peine. L'étranger ne dispose d'aucune chance de s'amender comme tout autre détenu ayant commis un même délit et son comportement pendant la détention n'est nullement pris en compte.

Lorsqu'elle concerne des étrangers qui ont tissé des liens particulièrement forts avec la France, la « double peine » est en outre contre-productive. En effet, d'une part, l'administration peut rencontrer beaucoup de difficultés pour exécuter certaines mesures d'éloignement 6 ( * ) et, d'autre part, la plupart des étrangers qui ont passé l'essentiel de leur enfance en France ou qui y ont fondé une famille reviendront y vivre par tous les moyens, y compris clandestinement. Par conséquent, la mesure d'éloignement est contre-productive puisqu'elle n'empêchera en rien la présence de ces « double peine » sur le territoire français.

Sans remettre en cause le principe même de la « double peine », les conséquences que ce dispositif peut engendrer ne peuvent être niées. La « double peine » peut briser et sanctionner, pour de nombreuses années, des familles entières, et être perçue comme une peine d'autant plus sévère qu'il est en pratique bien difficile d'obtenir le relèvement d'une peine d'interdiction du territoire français et encore davantage l'abrogation d'un arrêté d'expulsion.

* 4 La catégorie des peines complémentaires compte notamment l'interdiction d'exercer une profession particulière, la suspension du permis de conduire, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille et l'interdiction d'émettre des chèques.

* 5 Tout en ayant pleinement conscience de ses limites, le terme de « double peine » sera employé dans ce rapport, afin de désigner la situation dans laquelle se trouvent certains étrangers qui, après une peine d'emprisonnement, doivent quitter le territoire, en vertu d'une mesure d'éloignement, qu'il s'agisse d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire français.

* 6 En 2002, le taux global d'exécution des arrêtés d'expulsion s'élevait à 57% et celui des peines d'interdiction du territoire français à 65%. Il est probable que les mesures d'éloignement prises à l'encontre d'étrangers ayant des liens particulièrement denses avec la France sont parmi les moins nombreuses à être exécutées.

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