IV. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 29 juin 2005 sous la présidence de M. Alain Gournac, vice-président , la commission a ensuite procédé à l' examen du rapport de Mme Esther Sittler sur le projet de loi n° 343 (2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes .

Mme Esther Sittler, rapporteur, a fait observer que, contrairement aux idées reçues, le présent projet de loi n'est que le troisième consacré à l'égalité salariale depuis plus de vingt ans, après la loi Roudy de 1983 et la loi Génisson de 2001. Il est la traduction concrète d'un engagement du Président de la République formulé en début d'année et devrait contribuer à répondre aux tensions démographiques déjà sensibles sur le marché du travail en augmentant la proportion des femmes dans les emplois qualifiés et dans les fonctions dirigeantes. Il souhaite avant tout réduire les écarts salariaux entre les hommes et les femmes, encore proches de 25 %, et que plus aucun élément objectif ne peut expliquer, hormis la persistance de situations discriminatoires.

Mme Esther Sittler, rapporteur, a estimé que ces inégalités salariales résultent du fait que le chômage affecte plus les femmes que les hommes, que le travail à temps partiel est occupé très majoritairement par des femmes, souvent sans qu'elles l'aient souhaité, et que les effectifs féminins demeurent concentrés dans l'emploi non qualifié. Elle en a déploré l'effet négatif sur le niveau de vie des femmes, en particulier lorsqu'elles vivent seules avec des enfants. Or, la politique familiale n'a pas su répondre à cet état de fait, les allocations proposées créant parfois des trappes à inactivité dont les femmes peinent à s'extraire.

Mme Esther Sittler, rapporteur, a néanmoins considéré que la poursuite de la marche vers l'égalité ne doit conduire ni à une résurgence de la guerre des sexes, ni à une victimisation des femmes. Celles-ci sont désormais désireuses d'obtenir leur émancipation économique, mais en conciliant leur vie professionnelle et leur vie privée et familiale, donc sans renoncement personnel. Seule cette démarche démontrera que la femme active est source de plus-value pour l'entreprise, et non pas une contrainte.

Après avoir constaté que la lutte contre les discriminations, le renforcement de l'accès à la formation professionnelle et la politique de sanction à l'égard des entreprises n'ont pas suffi jusqu'à présent pour atteindre cet objectif, Mme Esther Sittler, rapporteur, s'est félicitée de la démarche suivie ici par le Gouvernement. Elle consiste à privilégier la négociation de branche et d'entreprise, avant toute idée de sanction, et s'inscrit dans un cadre législatif d'ensemble cohérent, car le présent projet de loi a été précédé par la loi de cohésion sociale, qui a renforcé la formation des femmes peu qualifiées de retour d'un congé de maternité, par la loi d'orientation sur l'école, qui a mis l'accent sur la nécessité d'orienter les filles vers des filières plus valorisantes, et par le projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises (PME), qui donnera au conjoint d'entrepreneur un statut juridique créateur de réels droits sociaux.

Mme Esther Sittler, rapporteur, a ensuite développé les quatre objectifs du texte :

- la suppression des écarts de rémunération en cinq ans, selon des modalités et un calendrier précis, qui devraient s'imposer aux branches professionnelles et aux entreprises ; après un bilan à mi-parcours, le Gouvernement déposera, si nécessaire, un projet de loi instituant une sanction financière pour les entreprises récalcitrantes ;

- la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, grâce à la neutralisation des conséquences financières de l'absence pour cause de maternité : la salariée bénéficiera de la moyenne des augmentations générales et individuelles perçues pendant son congé ; les petites entreprises percevront une aide financière pour embaucher du personnel en remplacement d'un salarié en congé de maternité ou d'adoption ; les partenaires sociaux de la branche pourront prévoir une majoration de l'allocation de formation d'au moins 10 % au profit du salarié qui engage des frais supplémentaires de garde d'enfant pour suivre une formation en dehors de son temps de travail ; enfin, le « crédit d'impôt famille » sera élargi aux entreprises qui engagent des dépenses en faveur des salariés qui ont démissionné pendant leur congé parental d'éducation ;

- l'extension du champ des discriminations interdites à la grossesse de l'employée et aux mesures d'intéressement et de distribution d'actions ; les moyens de défense des femmes discriminées seront, en outre, renforcés grâce à un aménagement de la charge de la preuve et l'attribution de dommages et intérêts sera possible en cas d'inobservation, par l'employeur, des dispositions relatives aux congés ;

- le renforcement de la représentation des femmes dans le monde du travail, en organisant une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration des entreprises publiques, en favorisant une plus forte proportion de femmes au sein des conseils des prud'hommes et en améliorant l'accès des femmes à l'apprentissage et à la formation professionnelle .

Mme Esther Sittler, rapporteur, a indiqué que l'originalité de ce projet de loi réside dans le dispositif d'incitation des entreprises, qui seront soumises non plus à une obligation de moyens, mais à une obligation de résultat. Les dispositions proposées sont dictées par le bon sens pratique et la recherche d'une efficacité immédiate. Elles devraient convaincre les entreprises, qui veulent attirer à elles des compétences nouvelles, qu'il leur faut désormais mettre en oeuvre une autre idée du management.

En conclusion, Mme Esther Sittler, rapporteur, a fait état des apports utiles de l'Assemblée nationale, en première lecture, et qui portent notamment sur : la prise en compte, par les maisons de l'emploi, de l'objectif d'égalité professionnelle ; la sensibilisation des petites entreprises à ces objectifs ; l'obligation des régions de favoriser un égal accès des femmes aux formations et à l'apprentissage ; le maintien des droits à congés payés des salariées, lorsqu'ils coïncident avec leur congé de maternité ; la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les comités d'entreprise, parmi les délégués du personnel et dans les commissions administratives de la fonction publique ; la représentation paritaire hommes/femmes dans les conseils d'administration des sociétés anonymes.

M. Louis Souvet s'est d'abord étonné d'une double contradiction qu'il a relevée dans le propos du rapporteur : d'une part, entre la volonté du Gouvernement de négocier et son intention de sanctionner les entreprises ; d'autre part, entre le fait que les femmes sont désormais plus diplômées que les hommes et le fait qu'elles restent concentrées dans les métiers peu qualifiés. Ensuite, il a attiré l'attention de la commission sur la situation des mères isolées qui perçoivent des minima sociaux et se trouvent souvent dissuadées de reprendre un emploi, car le revenu qu'elles peuvent en escompter sera inférieur, dès lors qu'il sera amputé des frais de garde de leurs enfants.

Après avoir rappelé que le groupe communiste républicain et citoyen a lui-même déposé une proposition de loi sur l'égalité salariale, M. Guy Fischer a observé que les lois successives n'ont pas réussi à remédier aux discriminations faites aux femmes, dénonçant tout particulièrement la précarité des jeunes et des femmes. Il a enfin souhaité savoir si ce projet de loi ferait l'objet d'une évaluation, seule façon, à son sens, d'en évaluer l'efficacité.

Mme Gisèle Printz a jugé trop long le délai de cinq ans prévu pour la suppression des écarts salariaux. Elle a déploré que le projet de loi n'aborde ni la question du temps partiel subi, ni celle des familles monoparentales, qui sont dirigées, dans plus de 90 % des cas, par des femmes. Elle a par ailleurs fait valoir que le projet de loi relatif au développement des services à la personne, actuellement en cours d'adoption, risque d'accroître la précarité des femmes en les cantonnant dans les métiers de services, traditionnellement féminins.

M. Alain Gournac, président, a déclaré que les métiers ne doivent plus être catégorisés par genre, ce qui suppose de profondes évolutions de la société.

S'appuyant sur son expérience de vice-présidente du conseil régional de Rhône-Alpes, Mme Christiane Demontes a expliqué que, pour favoriser la mixité des formations et des métiers, cette région a créé un prix de l'égalité professionnelle, décerné à la fois aux femmes exerçant des métiers dits masculins et aux hommes occupant un emploi traditionnellement féminin. Affichant son scepticisme vis-à-vis des mesures de coercition, elle a proposé que l'accent soit mis sur les mesures permettant aux femmes employées à temps partiel d'accéder, si elles le souhaitent, à un poste à temps complet, en particulier les mères isolées.

M. Alain Gournac, président, a proposé que la mixité professionnelle soit enseignée aux enfants dès le plus jeune âge, au sein des familles et à l'école. Il a dénoncé le contenu des livres scolaires, qui continuent de reproduire les stéréotypes à l'égard des femmes.

S'appuyant sur son expérience de gestion municipale, Mme Isabelle Debré a objecté que la présence des hommes dans les métiers de services à la personne n'est pas toujours acceptée, notamment par les personnes âgées.

Répondant aux interrogations relatives à la question des sanctions, Mme Esther Sittler, rapporteur, a confirmé le souhait du Gouvernement de s'en tenir pour l'instant à la négociation collective, les sanctions n'étant qu'un ultime recours en cas d'inapplication de la loi. En ce sens, le projet de loi est cohérent, et non pas contradictoire. Au demeurant, elle a mis en garde contre l'idée de sanctionner les entreprises déjà aux prises avec des difficultés économiques.

En ce qui concerne le contrôle des mesures proposées, Mme Esther Sittler, rapporteur, a expliqué que le projet de loi ferait l'objet d'une évaluation par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle hommes/femmes. De plus, la délégation aux droits des femmes du Sénat ne manquera pas de faire également un travail d'évaluation, comme elle l'a fait pour la loi Génisson.

Pour favoriser le travail à temps complet plutôt qu'à temps partiel des femmes, Mme Esther Sittler, rapporteur, a annoncé qu'elle proposera à la commission un amendement en ce sens. Elle a aussi rappelé l'engagement pris par la ministre, lors de son audition devant la commission, d'ouvrir la réflexion sur le temps partiel subi.

Ensuite, la commission a procédé à l'examen des amendements proposés par le rapporteur.

A l'article premier (rémunération des salariées au retour de leur congé de maternité ou d'adoption), la commission a adopté un amendement qui permet de calculer les augmentations salariales individuelles perçues par le salarié de retour de congé de maternité ou d'adoption sur la moyenne de ses propres augmentations dans les trois dernières années.

A l'article 2 (extension du champ des discriminations interdites à celles fondées sur l'état de grossesse et à celles pratiquées en matière d'attribution des mesures d'intéressement ou d'actions), elle a adopté un amendement précisant que les discriminations liées à la grossesse ne sont passibles de sanctions que si l'employeur avait connaissance de l'état de la salariée.

A l'article 3 (négociations de branches relatives à la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes), outre trois amendements rédactionnels, elle a adopté un amendement tendant à dispenser de l'obligation de négociation sur l'égalité salariale les branches qui ont déjà signé un accord récent en ce sens, et ce, jusqu'à l'expiration dudit accord, ainsi qu'à un amendement tendant à supprimer la mention de l'engagement sérieux et loyal exigé de l'employeur, trop subjective pour ne pas susciter des contentieux.

Après l'article 3 , la commission a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel visant à autoriser la publicité des accords d'égalité conclus dans les entreprises.

A l'article 3 bis (égalité professionnelle dans les entreprises de moins de vingt salariés), elle a adopté un amendement tendant à imposer aux entreprises de moins de onze salariés, et non plus vingt, non couverts par un accord de branche étendu, une obligation de prise en compte des objectifs d'égalité salariale.

A l'article 4 (négociations d'entreprises relatives à la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes), elle a adopté deux amendements de coordination avec ceux présentés à l'article 5 pour les entreprises ayant déjà conclu un accord d'égalité salariale l'année précédant la promulgation de la présente loi. Elle a ensuite adopté deux amendements visant à simplifier la procédure de la négociation d'entreprise.

A l'article 4 bis (participation des maisons de l'emploi aux objectifs d'égalité professionnelle), elle a adopté un amendement rédactionnel portant sur son intitulé.

Au titre II (avant l'article 5) , la commission a adopté un amendement rédactionnel.

A l'article 6 (prise en compte de l'égalité professionnelle dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), elle a également adopté un amendement rédactionnel.

Après l'article 6 , elle a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel visant à autoriser les employeurs, si l'accord collectif le prévoit, à proposer la réalisation d'heures supplémentaires ou d'heures choisies en priorité aux salariés employés à temps partiel.

A l'article 9 (extension du champ d'application du crédit d'impôt famille en faveur des salariés en formation de retour d'un congé parental d'éducation), la commission a adopté un amendement tendant à étendre le crédit d'impôt famille aux employeurs qui engagent des dépenses pour former des salariés licenciés pendant leur congé parental d'éducation.

A l'article 10 (aménagement de la charge de la preuve au bénéfice des salariées discriminées en raison de leur état de grossesse), elle a adopté un amendement de coordination avec l'amendement présenté à l'article 2.

A l'article 12 ter (droit individuel à la formation), elle a adopté un amendement tendant à considérer que l'absence pour congé de présence parentale et congé parental d'éducation est prise en compte pour le calcul des droits ouverts au titre du droit individuel à la formation, au même titre que le congé de maternité ou d'adoption.

A l'article 13 bis (représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d'administration des sociétés anonymes), elle a adopté un amendement visant à indiquer que dans les sociétés anonymes, le règlement intérieur des conseils d'administration prévoit des mesures permettant d'atteindre en leur sein une représentation équilibrée des femmes et des hommes.

A l'article 15 (formation professionnelle et apprentissage), la commission a adopté un amendement de coordination.

M. Louis Souvet a souhaité savoir si les amendements du rapporteur présentés aux articles premier et 3 bis ne sont pas en retrait par rapport au projet de loi.

Concernant l'amendement à l'article premier, Mme Esther Sittler, rapporteur, a expliqué que la rédaction initiale de cet article est susceptible de pénaliser les salariées qui bénéficient habituellement des augmentations salariales individuelles les plus fortes. En outre, l'extension systématique des augmentations individuelles de tout employé aux salariés de retour de congé risque d'inciter les entreprises à ne pas procéder à des hausses de salaires si elles savent que même les salariés qui n'ont pas travaillé en bénéficieront.

Concernant l'amendement à l'article 3 bis, elle a indiqué que la catégorie des entreprises de moins de vingt salariés ne correspond pas à des critères juridiques spécifiques. Retenir ici la catégorie des entreprises de moins de cinquante salariés n'aurait pas été adéquat, puisqu'entre onze et cinquante salariés, ces entreprises, qui ont un délégué du personnel, sont astreintes à l'obligation de négociation. Reste donc la catégorie des entreprises de moins de onze salariés non couverts par un accord étendu de branche sur l'égalité salariale, qui est susceptible de regrouper les entreprises échappant à toute obligation en la matière. L'amendement présenté à l'article 3 bis vise en conséquence à sensibiliser précisément ces petites entreprises à l'objectif d'égalité salariale.

M. Jean-Pierre Godefroy a confirmé l'intention des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, de déposer un amendement pour organiser le paiement du congé maternité prolongé des jeunes mères d'enfant prématuré. Il a ensuite proposé d'étendre, aux élections prud'homales et aux élections des commissions administratives paritaires de la fonction publique, le principe de la liste alternée « un homme/une femme », applicable en matière politique.

La commission a approuvé le rapport de Mme Esther Sittler et donné un avis favorable à l'adoption du présent texte ainsi modifié.

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