CHAPITRE VI - DISPOSITIONS RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DES ACTIVITÉS TERRORISTES

Article 12 (chapitre IV du titre VI du livre V du code monétaire et financier - art. L. 564-1 à L. 564-6 - chapitre IV du titre VII du livre V du même code - art. 574-3 nouveau)
Gel administratif des avoirs en matière de terrorisme

Cet article tend à insérer un nouveau chapitre dans le titre VI du livre V du code monétaire et financier afin d'instaurer une procédure administrative de gel des avoirs pour lutter contre le financement des activités terroristes.

En l'état du droit, il existe aujourd'hui deux procédures de gel des avoirs. La première, à caractère judiciaire , permet au juge d'ordonner le gel des avoirs aux différentes étapes de la procédure judicaire : ainsi, en vertu de l'article 706-103 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention peut ordonner, sur requête du procureur de la République, dans le cadre d'une information judicaire portant sur des infractions liées à la criminalité organisée, les mesures conservatoires sur les « biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis, de la personne mise en examen », afin de garantir « le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l'indemnisation des victimes . »

La seconde procédure de gel présente un caractère administratif . Elle permet l'exécution en France de décisions prises sur le fondement d' instruments communautaires . Il s'agit, d'une part, du règlement du Conseil 881/2002 du 27 mai 2002 qui transpose dans le droit communautaire la résolution n° 1390 des Nations Unies relative à la lutte contre Al Qaïda. Sur cette base, les listes de personnes et entités liées au réseau Al Qaïda, sont reprises par les règlements communautaires sans requérir une nouvelle intervention des Etats membres. D'autre part, le règlement du Conseil 2580/2001 du 27 décembre 2001 a transposé la résolution 1373 des Nations Unies, relative aux autres organisations terroristes. A la différence du système précédent, il appartient au Conseil de l'Union européenne de déterminer la liste des personnes, groupes et entités liés à des activités terroristes.

Ces instruments communautaires ne permettent pas de procéder à des mesures administratives de gel des avoirs de résidents français ou de résidents communautaires .

Les dispositions proposées visent à combler cette lacune en instituant dans notre droit un dispositif de gel des avoirs de personnes physiques ou morales, autonome par rapport aux instruments communautaires et dont le champ d'application permettra de couvrir les résidents français et communautaires .

Le champ d'application du dispositif (art. L. 564-1 nouveau)

Les mesures de gel ou d'interdiction devront être appliquées par les organismes financiers et personnes mentionnées au 1 à 5 et au 7 de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, à savoir :

- les organismes et institutions bancaires ;

- la Banque de France et l'institution d'émission d'outre-mer ;

- les entreprises d'assurance ainsi que les courtiers d'assurance ou de réassurance mentionnés à l'article L. 310-1 du code des assurances ;

- les instituts ou unions relevant du titre II et IV du livre IX du code de la sécurité sociale (instituts de prévoyance et de gestion de retraite supplémentaire des salariés) ou de l'article L. 727-2 du code rural (organismes de protection sociale des professions agricoles) ;

- les mutuelles relevant du champ de l'article L. 111-1 du code de la mutualité ;

- les entreprises d'investissement, les membres des marchés réglementés d'instruments financiers, les organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM), les sociétés de gestion des OPCVM et les conseillers en investissement financier ;

- les personnes qui réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations portant sur l'acquisition, la vente, la cession ou la location des biens immobiliers.

Par ailleurs, les fonds susceptibles de faire l'objet d'une mesure de gel ou d'interdiction sont définis par l'article L. 564-1 nouveau sur le modèle des dispositions prévues par le règlement n° 2580/2001 du Conseil du 27 décembre 2001 (art. 1 er - 1°). Il s'agit :

- des avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit ;

- des documents ou instruments légaux sous quelque forme que ce soit y compris sous forme électronique ou numérique qui prouvent un droit de propriété ou intérêt sur ces avoirs (par exemple, les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit...).

Les finalités de la mesure de gel (art. L. 564-2 nouveau)

Les mesures de gel ne peuvent concerner que les personnes physiques et morales 84 ( * ) qui commettent, facilitent ou participent à des actes de terrorisme définis au 4 de l'article 1 er du règlement du Conseil du 27 décembre 2001 qui renvoie lui-même à l'article 1 er , paragraphe 3, de la position commune n° 2001/931 PESC du même jour. Selon ce texte, l'acte de terrorisme doit constituer une infraction dans le droit des Etats membres commise dans le but soit d'intimider gravement la population, soit de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou s'abstenir d'accomplir une action quelconque, soit gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale.

Cette définition fondée, comme en droit français, sur la finalité poursuivie des auteurs de l'infraction recouvre un champ comparable à celui des articles 421-1 à 421-2-2 du code pénal.

Les mesures de gel peuvent également s'appliquer aux personnes morales détenues par les personnes physiques mentionnées plus haut ou qu'elles contrôlent directement ou indirectement.

Enfin, les fruits produits par ces fonds, instruments et ressources peuvent ainsi être gelés.

La définition d'une mesure de gel (art. L. 564-2 nouveau)

La mesure de gel recouvre toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert ou utilisation de fonds, instruments financiers et ressources économiques qui auraient pour conséquence, en particulier, un changement de leur localisation, de leur montant, de leur propriété et de leur nature.

La procédure (art. L. 564-2 nouveau)

La mesure de gel incombe au ministère de l'économie .

Elle est fixée à une durée de six mois renouvelable .

Les décisions du ministre sont publiées au Journal Officiel et exécutoires à compter de cette publication.

Cette mesure, dérogatoire au principe de notification des décisions individuelles, se justifie par le fait que bien souvent l'identité de la personne et, a fortiori , son adresse ne sont pas connues.

Les effets juridiques (art. L. 564-2 et L. 564-3 nouveaux)

Les mesures de gel peuvent non seulement viser les fonds, instruments financiers et ressources appartenant aux terroristes mais aussi les mouvements de fonds en faveur de telles personnes (y compris lorsque l'ordre d'exécution a été émis antérieurement à la date de publication de la décision d'interdiction).

Par ailleurs, les mesures de gel s'imposent à toute personne copropriétaire des fonds, instruments et ressources ainsi qu'à toute personne titulaire d'un compte joint dont l'autre titulaire est une personne propriétaire, nue-propriétaire ou usufruitier impliqué dans un acte terroriste.

Elles sont opposables aux créanciers et aux tiers pouvant invoquer des droits sur les avoirs concernés.

Les garanties d'efficacité du dispositif (art. L. 564-4 et L. 574-3 nouveaux)

Aux termes de l'article L. 564-4, le secret bancaire ne fait pas obstacle à l'échange d'informations entre les organismes requis et les services de l'Etat chargés de mettre en oeuvre la mesure de gel, lorsque la demande d'information vise à s'assurer de l'identité des personnes concernées directement ou indirectement par la mesure . L'information demandée ne peut être utilisée qu'à cette fin.

Les services de l'Etat concernés sont néanmoins autorisés à échanger les informations nécessaires avec les autorités d'agrément et de contrôle des organismes requis dans l'exercice de leurs missions respectives.

En cas de manquement à leurs obligations, les dirigeants ou les préposés des organismes requis ainsi que les personnes faisant l'objet de la mesure de gel ou d'interdiction sont passibles des peines prévues au 1° de l'article 459 du code des douanes pour les personnes contrevenant aux règles relatives aux relations financières avec l'étranger (peine d'emprisonnement de 5 ans, confiscation du corps du délit, amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction). L'article L. 574-3 renvoie également les règles relatives aux constatations des infractions, aux poursuites, au contentieux et à la répression aux dispositions subséquentes des titres II et XII du code des douanes.

Les garanties apportées aux personnes appelées à mettre en oeuvre à la demande de l'Etat, les mesures de gel (art. L. 564-5 nouveau)

Aux termes de l'article L. 564-5 nouveau, l'Etat est responsable des dommages éventuels liés à la mise en oeuvre, de bonne foi, des mesures de gel ou d'interdiction par les organismes financiers ou personnes requises par le ministre de l'économie. La responsabilité sans faute de l'Etat pourra donc être engagée.

Par ailleurs, aucune sanction professionnelle ne peut être prononcée à l'encontre des dirigeants de ces organismes ou de leurs préposés.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 12 sans modification .

Article additionnel après l'article 12 (art. 222-39-1, 225-4-8, 312-7-1, 450-2-1 et 321-6 ; art. 321-6-1 et 321-10-1 nouveaux du code pénal ; art. 706-73 du code de procédure pénale)
Extension du délit de non justification de ressources correspondant au train de vie

Cet article tend à étendre le délit de non justification de ressources correspondant au train de vie à l'ensemble des infractions procurant un profit et punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

En l'état du droit, la lutte contre l'économie souterraine présente certaines failles.

Elle repose en effet d'abord sur l' incrimination de recel , définie à l'article 321-1 du code pénal comme « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit ». Le recel est également constitué par le « fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit ». Le délit de recel ne peut ainsi être constitué sans l'existence d'une infraction préalable de nature criminelle ou délictuelle. Or, il apparaît souvent difficile de démontrer l'existence de cette infraction alors même que la possession de certains biens, sans rapport avec les ressources légales des intéressés, ne peut provenir que d'un crime ou d'un délit.

Sans doute le législateur a-t-il pris en compte ces difficultés en permettant de poursuivre les individus qui ne sont pas en mesure de justifier de leurs ressources alors qu'ils sont en relations habituelles avec certaines catégories d'individus.

Le tableau suivant récapitule l'état du droit en la matière.

Personne en relations habituelles avec :

Peine encourue

- Personnes se livrant à la mendicité
(art. 225-12-5)
? assimilation à l'exploitation de la mendicité

3 ans d'emprisonnement - 45.000 € d'amende

- Usagers ou trafiquants de stupéfiants (art. 222-39-1)

5 ans d'emprisonnement - 75.000 € d'amende

- Membres d'une association de malfaiteurs (art. 450-2-1)

5 ans d'emprisonnement - 75.000 € d'amende

- Mineurs se livrant habituellement à des crimes et délits contre les biens d'autrui et sur lesquels la personne a autorité (art. 321-6)

5 ans d'emprisonnement - 375.000 € d'amende

- Victimes ou auteurs de traite des êtres humains (art. 225-4-8)

7 ans d'emprisonnement - 750.000 € d'amende

- Terroristes (art. 421-2-3)

7 ans d'emprisonnement - 100.000 € d'amende

- Personnes se livrant habituellement à la prostitution (art. 225-6)
? assimilation au proxénétisme

7 ans d'emprisonnement - 150.000 € d'amende

- Auteurs d'extorsion commise en bande organisée avec violences ou actes de torture (art. 312-7-1)

10 ans d'emprisonnement - 375.000 € d'amende

Pour ces délits, la présomption de l'origine frauduleuse des biens de la personne justifie le renversement de la charge de la preuve . Elle découle, d'une part, de liens objectifs entre cette personne et les individus ayant commis des infractions de profit et, d'autre part, de l'impossibilité de justifier son train de vie.

Le dispositif apparaît néanmoins complexe (il n'existe ainsi pas moins de huit délits de non justification de ressources) et lacunaire (il ne concerne pas des situations très répandues tels que des biens issus de vols commis avec certaines circonstances aggravantes).

Votre commission estime donc nécessaire de simplifier ces dispositions et d'en élargir le champ d'application. Le délit serait ainsi défini comme le fait de ne pas pouvoir justifier de l'origine de son bien tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect.

L'extension proposée est cependant assortie d'une double garantie :

- elle vise des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement , seuil également retenu pour l'infraction d'association de malfaiteurs ;

- elle ne concerne que les personnes en relations habituelles avec l'auteur de telles infractions.

Les personnes coupables de ce délit seraient passibles d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, par cohérence avec celles plus sévères du recel simple (cinq ans d'emprisonnement) dont cette infraction constitue l'extension, ce qui justifie qu'elle figure dans le chapitre consacré au recel.

Cependant, afin de permettre une répression équivalente à celle actuellement prévue par les incriminations spécifiques, les peines seraient portées à cinq ans et 150.000 euros d'amende si les crimes et délits sont commis par un mineur sur lequel la personne ne pouvant justifier ses ressources a autorité. De même, elles seraient portées à sept ans lorsque les infractions commises constituent les crimes ou délits de trafic de stupéfiants, d'exploitation de la mendicité d'autrui, de traite des êtres humains, d'extorsion ou d'association de malfaiteurs.

Elles seraient enfin portées à dix ans et 300.000 euros d'amende quand il s'agit d'une des infractions précitées et qu'elle est commise par un ou plusieurs mineurs (comme tel est déjà le cas, en vertu de l'article 222-39-1, alinéa 2, pour les personnes en relation avec des mineurs commettant des trafics de stupéfiants).

Le condamné pourrait également encourir la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie de ses biens dont l'origine n'a pu être justifiée, ainsi que les peines complémentaires prévues pour les infractions commises par la personne avec laquelle l'auteur des faits était en relations habituelles.

En conséquence, les différentes infractions de non justification de ressources seraient intégrées dans ce nouveau dispositif à l'exception des dispositions relatives à l'exploitation de la mendicité, aux proxénètes et au terrorisme qui doivent conserver leur spécificité.

Votre commission des lois vous propose d'adopter un article additionnel ainsi rédigé.

* 84 La référence aux personnes morales résulte d'un amendement adopté par les députés à l'initiative de la commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement.

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