2. Trois séries de propositions d'améliorations
a) Une meilleure prise en compte du principe de subsidiarité
Il n'est pas contestable que la dernière mouture du texte proposé par la Commission européenne laisse une part beaucoup plus grande que sa version originale au principe de subsidiarité. Toutefois, votre commission estime nécessaire et possible de le mettre en oeuvre encore plus largement dans deux domaines particuliers : la durée des CSP et la définition du transport ferroviaire régional. Elle reprend ainsi les deux premières demandes formulées par la DUE, dans des termes du reste presque identiques, tout en les complétant.
Votre commission suggère d'une part de laisser entièrement à l'appréciation des collectivités territoriales, en tant qu'autorités organisatrices, la fixation de la durée des contrats de service public en fonction de la durée d'amortissement des investissements, au lieu d'organiser par la règle communautaire un système à la fois complexe et variable en raison même de l'aléa que constitue la durée d'amortissement (10 ( * )). Au fond, le projet de la Commission consiste à reconnaître aux collectivités territoriales la faculté de fixer une durée de CSP à l'intérieur de certaines limites pouvant aller jusqu'à vingt-deux ans et demi, et à leur interdire toute marge de manoeuvre au-delà. Or, il existe des projets pour lesquels la durée d'amortissement des investissements peut excéder cette durée et dépasser même les trente ans : il en est ainsi du projet en cours de réalisation pour la concession d'un tramway à Reims. Telle est la raison pour laquelle la totale application du principe de subsidiarité semble plus opportune, votre rapporteur ayant à cet égard jugé utile d'ajouter, dans le texte de la proposition de résolution de votre commission, une justification à cette demande afin de démontrer sa nécessité pour, notamment, les projets réalisés sous forme concessive ou sous celle de partenariat public-privé, qui sont les plus susceptibles d'être concernés par une durée excédant la vingtaine d'années.
D'autre part, votre commission reprend la demande formulée par la DUE de laisser à l'appréciation des Etats membres la définition du transport ferroviaire régional, qui conditionne la possibilité d'attribution directe des lignes concernées. Elle ajoute que cette mise en oeuvre du principe de subsidiarité, dont votre rapporteur rappelle qu'elle a été actée par le Conseil « Transports » de décembre dernier à l'occasion de l'examen du III ème paquet ferroviaire, conditionne également le traitement approprié, équitable et efficace, des services ferroviaires urbains et périurbains en ce qu'elle garantit l'absence de solution de continuité dans les réseaux des grands conurbations.
b) Des modifications portant sur le champ d'application du règlement et sur la définition de certaines des notions qu'il utilise
S'agissant du champ d'application du règlement, votre commission, tout comme la DUE, propose d'abord son extension aux services publics de transports de voyageurs par voie navigable, comme cela était envisagé initialement par la Commission européenne. En effet, outre que certains services de transports fluviaux peuvent être offerts par des opérateurs - tels les navettes de la RATP sur la Seine ou les lignes de vaporetti à Venise - et qu'il parait légitime de les prendre aussi en considération, on ne peut manquer de s'interroger sur les conséquences juridiques du remplacement du règlement (CEE) n° 1191/69 du Conseil du 26 juin 1969, appelé à être totalement supprimé, par un nouveau règlement dont le périmètre lui serait inférieur : comment et par quelle législation serait traité le périmètre résiduel ?
En outre, votre rapporteur a été sensible aux observations qui lui ont été communiquées par le Groupe des entreprises de transport public des grandes métropoles (11 ( * )) quant à la clarification des conditions d'attribution des CSP. Relevant que le règlement constituera, à terme, une lex specialis ayant vocation, s'agissant d'une législation sectorielle, à s'imposer aux législations horizontales, le GGM estime essentiel que les règles obligatoires qu'il fixe soient claires et non équivoques pour tous les contrats entrant dans son champ d'application, et qu'elles prévalent sur l'application de règles plus générales, notamment celles relatives aux obligations découlant des directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics. Or, en l'état, le texte de la proposition de règlement révisée demeure imprécis sur ce point. Telle est la raison pour laquelle votre commission demande, dans un alinéa particulier, la clarification de l'articulation entre le règlement et les directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics afin de définir précisément le régime adapté applicable aux différents types de contrats.
En ce qui concerne par ailleurs la définition de certaines notions utilisées par le règlement communautaire, la proposition de résolution adoptée par votre commission préconise en premier lieu une modification du concept d'opérateur interne qui, en l'état de sa définition communautaire (12 ( * )), ne permet pas d'en faire relever les SEM : en effet, la loi du 2 janvier 2002, tout comme celle, fondatrice, du 7 juillet 1983, interdit que leur capital puisse être détenu à 100 % par les collectivités publiques.
Or, actuellement, une quarantaine de ces sociétés gèrent des services de transports publics urbains et interurbains en France, à la satisfaction générale des actionnaires comme des usagers. Le maintien sans modification du texte communautaire - qui, il convient de le noter, applique en l'espèce une jurisprudence Stadt Halle de la CJCE (13 ( * )) - exclurait donc les SEM de la possibilité de bénéficier, le cas échéant, d'une procédure d'attribution directe, ou contraindrait les collectivités territoriales choisissant cette procédure à ne faire appel qu'à des organismes placés sous le statut de régie, dont l'expérience a montré qu'il était moins satisfaisant.
Votre rapporteur ne mésestime pas le fait qu'il peut être difficile, au travers d'un texte particulier, de porter atteinte à une définition qui est utilisée dans d'autres secteurs couverts par la législation communautaire : c'est pourquoi il envisage de mener ultérieurement une réflexion sur le statut des SEM en recherchant une évolution susceptible de le rapprocher de celui des Stadtwerke allemandes (14 ( * )), dont le capital est entièrement détenu par une ou plusieurs collectivités territoriales. Nonobstant, il a jugé dans l'immédiat indispensable, pour autoriser les collectivités territoriales à exercer réellement un choix dans les modalités d'attribution du service public de transports terrestres entre l'attribution directe et l'appel d'offres, que la définition de l'opérateur interne posée par le règlement communautaire soit adaptée de manière à ce que les SEM puissent en relever.
Telle est la raison pour laquelle votre commission demande au Gouvernement d'oeuvrer en faveur d'une modification de la notion d'opérateur interne de manière à la rendre compatible avec la variété des organisations institutionnelles locales, et notamment le statut particulier des sociétés d'économie mixte.
Enfin, en second lieu, sa proposition de résolution suggère, tout comme celle de la DUE, un assouplissement du principe de spécialisation géographique pour permettre l'inclusion de certaines « lignes sortantes » dans le périmètre territorial du service. En effet, la condition de cantonnement territorial définie par la proposition de règlement exclut toutes les lignes de transport qui, bien qu'appartenant à un réseau structuré, franchissent les limites territoriales des autorités compétentes, quand bien même ces lignes seraient essentielle aux liaisons entre aires métropolitaines et banlieues, aux liaisons interrégionales, voire aux liaisons entre Etats limitrophes. Il paraît donc opportun tant de clarifier la définition du périmètre géographique sur lequel l'autorité compétente exerce ses compétences légales que d'assouplir celle de l'opérateur interne de manière à l'ouvrir aux opérateurs dont l'essentiel des missions, et non leur intégralité, est exercé à l'intérieur du territoire de ladite autorité compétente.
c) Des aménagements au mécanisme de la période de transition
Au contraire des précédentes, la dernière série de recommandations de la proposition de résolution de votre commission se distingue plus nettement de celle adoptée par la DUE.
Tout d'abord, observant les difficultés d'application pratique suscitées par le dispositif imaginé par la Commission européenne, qui consiste à partager la période de transition en deux pour contraindre les collectivités territoriales à attribuer la moitié de leurs CSP à la fin d'une étape intermédiaire (15 ( * )), la DUE avait retenu une suggestion formulée par le Comité des Régions tendant à ne rendre obligatoire à mi-parcours que la mise en conformité de la totalité des contrats de CSP. Or, votre rapporteur craint que cette obligation soit elle-même très délicate à mettre en oeuvre matériellement, d'autant que le contenu exact de la notion de mise en conformité est imprécis. Aussi, afin de régler le problème, extrêmement préoccupant, posé par le principe même d'obligations imposées à mi-parcours aux autorités organisatrices ayant opté pour un contrat multimodal unique couvrant l'ensemble de leur réseau, et éviter que celles-ci ne soient dans les faits soumises à une période de transition réduite de moitié, votre commission des affaires économiques estime plus opportun de demander directement la suppression de l'étape intermédiaire. Elle observe d'ailleurs que cette solution satisfait aussi au principe de subsidiarité en laissant aux autres collectivités la liberté de décider du rythme qui leur semble le plus adapté pour conformer leurs marchés de transport public aux nouvelles exigences communautaires.
Ensuite, votre commission préconise également la suppression de la clause de réciprocité, qui permet aux autorités organisatrices d'exclure de leurs nouveaux appels d'offres les opérateurs de transport bénéficiant, pour plus de la moitié de l'ensemble de leurs activités, de marchés attribués dans des conditions ne respectant pas encore les dispositions du règlement. Sur ce point, sa proposition est très divergente de celles de la DUE. Celle-ci, en effet, après avoir relevé que cette clause est approuvée par les opérateurs de transport privés et dénoncée par les opérateurs de transport publics, l'a estimée « équitable et équilibrée dans la mesure où il ne s'agit pas d'une clause automatique, mais d'une simple faculté offerte aux autorités organisatrices, qui seront libres d'exclure ou non de leurs appels d'offres les opérateurs en situation de monopole sur leurs marchés d'origine » et en a donc approuvé le principe.
Votre commission ne partage pas cette opinion dans la mesure où cette clause crée, pour l'accès au marché, une discrimination entre entreprises fondée sur des décisions qui ne relèvent pas de leur responsabilité. En effet, pendant la période de transition, la décision d'ouvrir un marché dans les conditions fixées par le règlement communautaire ou non relève de la responsabilité des collectivités territoriales et non des opérateurs de transport : il serait donc très inéquitable de les pénaliser en autorisant d'autres collectivités à les exclure de leurs propres marchés pour cette raison.
Enfin, toujours dans l'optique d'assurer la stabilité juridique des contrats passés dans ce secteur très capitalistique, qui requiert des investissements importants, et de faciliter la transition entre la réglementation communautaire actuelle et le futur cadre législatif, votre commission demande un élargissement des situations dans lesquelles des contrats attribués sans mise en concurrence avant l'entrée en vigueur du règlement pourront être poursuivis jusqu'au terme de leur échéance. Le texte de la proposition de la Commission n'est en effet pas très clair sur ce point. Or, dès lors que des contrats en cours attribués directement ont des durées compatibles avec celles fixées par le futur règlement, et non manifestement excessives, quelles raisons imposeraient-elles de revenir sur des dispositions contractuelles retenues d'un commun accord dans le respect de la législation communautaire alors applicable ?
* (10) On rappellera qu'il s'agit de huit ans pour les services d'autobus et de quinze ans pour les services de transport par rail et les services multimodaux, ces durées pouvant être allongées, au maximum, de moitié pour tenir compte des conditions d'amortissement des actifs.
* (11) Le Groupe des entreprises de transport public des grandes métropoles (GGM) regroupe les douze opérateurs de transport public des métropoles européennes suivantes : Athènes, Barcelone, Budapest, Berlin, Bruxelles, Lisbonne, Londres, Milan, Paris, Rome, Rotterdam et Vienne.
* (12) « Entité juridiquement distincte sur laquelle l'autorité compétente exerce un contrôle complet et analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services » .
* (13) Affaire C-26/03 Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH, Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall und Energieverwertungsanlage TREA Leuna - Arrêt de la CJCE du 11 janvier 2005.
* (14) C'est au demeurant en Alsace et en Moselle annexées que sont historiquement apparues, en 1895, les premières SEM, sous le statut de droit allemand de Stadtwerke .
* (15) On rappellera que cette étape est fixée à quatre ans pour les contrats de service public de transport par autobus et à cinq ans pour ceux de transport par rail.