2. Pour une immigration mutuellement bénéfique
La France a renoncé depuis trente ans à recourir à l'immigration de travail pour satisfaire des besoins de main d'oeuvre. Depuis 1995, le flux annuel de nouveaux travailleurs permanents ressortissants de pays tiers à l'Union européenne est compris entre 4.000 et 7.000 personnes, à l'exception d'un pic en 2001 avec près de 9.000 personnes. Depuis 2001, leur nombre a tendance à baisser. Toutefois, malgré cette baisse, il faut noter que la part des ouvriers qualifiés augmente aussi bien en valeur absolue que relative.
Ce gel s'explique principalement par la situation du marché de l'emploi, les directions départementales de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle opposant quasi-automatiquement la situation de l'emploi à toute demande d'introduction d'un travailleur salarié 7 ( * ) .
Pourtant, malgré un taux de chômage élevé 8 ( * ) , de nombreux secteurs éprouvent des difficultés de recrutement importantes et durables.
L'immigration actuelle, essentiellement familiale, ne parvient pas à satisfaire ces besoins de main d'oeuvre, comme le démontre le taux de chômage supérieur à la moyenne de ces populations. Comme l'a indiqué à votre rapporteur M. Philippe Bouyoux, directeur des politiques économiques à la direction générale du Trésor et des politiques économiques au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, les primo-arrivants sont dans l'ensemble des travailleurs peu ou pas qualifiés.
Or, les besoins de main d'oeuvre identifiés par les services de l'Etat concerneraient plutôt des métiers moyennement qualifiés. Ainsi, la liste des métiers ouverts à l'embauche de ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union européenne à compter du 1 er mai 2004 est composée principalement de métiers moyennement qualifiés. Selon Mme Anne Epaulard, chef du bureau des politiques de croissance au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, n'ont été retenus dans cette liste que les métiers présentant une tension forte et durable sur le marché de l'emploi 9 ( * ) afin d'éviter des effets de substitution de main d'oeuvre ou de créer une pression à la baisse sur les salaires.
Il y a donc la place pour une immigration de travail en sus de l'immigration actuelle. Il faut cesser de se priver de cet apport bénéfique de main d'oeuvre sous le prétexte que les flux migratoires seraient déjà élevés.
Au contraire, l'immigration de travail devrait permettre de revaloriser l'image globale de l'immigration dans notre pays.
La théorie économique démontre que :
- l'immigration est a priori un facteur positif pour la croissance ;
- l'impact sur le PIB/habitant croît en fonction de la proportion d'actifs parmi les étrangers et de leur niveau de qualification.
La structure actuelle de nos flux migratoires n'est donc pas optimale du fait d'une immigration essentiellement familiale et peu ou pas qualifiée.
De nombreuses personnes entendues par votre rapporteur ont émis des critiques sur le risque d'un pillage des pays pauvres de leurs travailleurs qualifiés, pillage qui saperait les fondements de leur développement économique.
Consciente de ces risques, votre commission est toutefois convaincue que si cette immigration de travail est pilotée de manière raisonnée et modérée, les conditions d'une immigration avantageuse pour tous pourraient être réunies.
En premier lieu, l'époque où l'immigration de travail était une immigration de peuplement est partiellement révolue. Qu'il s'agisse de Polonais ou de ressortissants d'un pays du Maghreb, de plus en plus d'immigrés émigrent temporairement afin de franchir un palier social avant de revenir dans leur pays. L'immigration est à la fois mondiale et mobile, en particulier en ce qui concerne les travailleurs qualifiés. Les pays d'origine bénéficieront d'un retour d'expérience.
Si ces étrangers proviennent d'un pays lui-même en plein développement, la probabilité qu'ils retournent dans leurs pays après quelques années est encore plus forte. Tel est le cas en particulier des ressortissants des nouveaux Etats membres. Une proportion élevée de nos besoins en main d'oeuvre moyennement qualifiée devrait pouvoir être satisfait de cette façon.
Une politique plus volontariste allant dans le sens de la recommandation n° 17 de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine est aussi envisageable 10 ( * ) . Celle-ci prévoit d'inclure dans les accords de développement conclus par la France des clauses destinées à faciliter le retour des travailleurs qualifiés étrangers dans leurs pays d'origine.
En deuxième lieu, il n'est pas exclu que l'immigration de travail qualifié enclenche des dynamiques propres dans les pays d'origine. De la même façon qu'en France l'accueil d'une immigration de travail qualifiée revaloriserait la perception de l'immigration en général, l'émigration de travailleurs qualifiés, de chercheurs ou d'étudiants de haut niveau devrait relancer l'attrait des études et des formations qualifiés dans le pays d'origine. Ainsi, des travaux économiques ont montré que le recours massif de la Grande-Bretagne à des infirmières sud-africaines a eu pour effet de susciter un engouement nouveau pour cette profession en Afrique du sud.
En troisième lieu, une immigration de travail signifie des transferts d'argent vers les pays d'origine d'un montant plus important. Ces transferts pourraient devenir un levier financier important du co-développement à condition de les orienter vers des investissements.
Enfin, comme le relève le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur ce projet de loi 11 ( * ) , la critique du pillage des pays pauvres ne prend pas suffisamment en compte le fait que les diplômés de ces pays sont sur le marché mondial des diplômés. Par conséquent, s'ils ne viennent pas travailler en France, ils ne resteront pas pour autant dans leur pays d'origine. Ils partiront vers d'autres pays peut-être moins soucieux des enjeux de co-développement.
En sens inverse, il faut également prendre garde à ne pas déstabiliser notre marché de l'emploi. Lors de son audition, M. Jean-Louis Terdjman, directeur des affaires sociales et de la formation de la Fédération française du bâtiment, s'est réjoui de la réouverture du marché du travail, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics qui rencontre des difficultés de recrutement importante. Toutefois, il a attiré l'attention sur le risque potentiel que représentait l'ouverture simultanée du marché du travail aux ressortissants des nouveaux Etats membres de l'Union européenne et, le cas échéant, à d'autres étrangers. Si cette ouverture n'est pas maîtrisée, le danger est en effet que les employeurs aient recours à cette main d'oeuvre, fermant ainsi les débouchés aux personnes résidant en France. Les efforts importants de toute la filière BTP pour former des personnels qualifiés et réinsérer des personnes en difficultés seraient en partie gâchés.
* 7 Si officiellement l'immigration de travail a été interrompue, ponctuellement il a pu être fait appel à de la main d'oeuvre étrangère. En 1982, les étrangers pouvant prouver leur présence en France au 1 er janvier 1981 et justifiant d'un contrat de travail se virent accorder une carte de travail et de séjour. De même, à la fin des années 90, le passage à l'an 2000 a justifié le recrutement d'informaticiens dans des volumes de l'ordre de quelques milliers.
* 8 Les ressortissants de pays tiers, hors Union européenne, sont beaucoup plus touchés par le chômage. En 2004, le taux de chômage des actifs français était de 9,4 % contre 19 % pour les actifs étrangers. Si l'on considère uniquement les actifs originaires d'Afrique ou de Turquie, le taux de chômage s'élève respectivement à 27,8 % et 30,9 %.
* 9 61 métiers ont été retenus, notamment maçon, couvreur, géomètre, dessinateur du BTP, cuisinier, maraîcher-horticulteur, installateur maintenance ascenseurs, attaché commercial, agent d'entretien et nettoyage urbain...
* 10 Cf. Rapport précité p. 115.
* 11 Rapport n° 3058 (AN-XIIème législature) de M. Thierry Mariani, député.