Rapport n° 349 (2007-2008) de M. Pierre HÉRISSON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 21 mai 2008

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N° 349

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 mai 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement sur :

- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques , 2002/19/CE relative à l' accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu'à leur interconnexion , et 2002/20/CE relative à l' autorisation des réseaux et services de communications électroniques (E 3701),

- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques , la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n° 2006/2004 relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs (E 3702),

- et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne du marché des communications électroniques (E 3703).

Par M. Pierre HÉRISSON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Hérisson , vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Jean Pépin, Bruno Sido, Daniel Soulage , secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Perre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Raymond Couderc, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Jean Desessard, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Élisabeth Lamure, MM. Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Muller, Mme Jacqueline Panis, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Yannick Texier.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat : 295 (2007-2008)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les communications électroniques constituant l'un des fondements essentiels de l'économie européenne et de sa compétitivité, et un vecteur primordial de la cohésion sociale et de la diffusion de nouveaux services, notamment culturels, la révision du cadre réglementaire qui leur est applicable est porteuse d'enjeux considérables pour l'ensemble de l'économie et de la société européennes. Elle concrétise l'initiative i2010 lancée par la Commission en juin 2005, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne renouvelée, pour promouvoir une économie numérique ouverte et concurrentielle.

Le cadre réglementaire actuel des réseaux et services de communications électroniques, créé en 2002 pour succéder au cadre initial qui avait permis, en 1998, l'ouverture à la concurrence de ces marchés, est fondé sur la réglementation sectorielle des opérateurs dominants par les autorités de régulation nationales (ARN), sous le contrôle de la Commission européenne (qui a un pouvoir de veto sur la définition des marchés à réglementer et l'identification des opérateurs dominants) : ce mode de régulation ex ante est axé sur les marchés de gros, où subsistent les principaux goulets d'étranglement qui entravent une concurrence effective.

Ce cadre, adopté en 2002 au niveau communautaire et transposé en France par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, a été d'emblée conçu dans la perspective de sa révision périodique. L'article 25 de la directive « cadre » du 7 mars 2002 prévoit ainsi explicitement que la Commission examine périodiquement le fonctionnement de cette directive. L'objectif est d'ajuster régulièrement le cadre réglementaire aux évolutions des marchés et de la technologie.

A ce jour, l'Union européenne compte, parmi ses Etats membres, plusieurs pays figurant dans les premiers rangs mondiaux en ce qui concerne la pénétration des communications mobiles et des accès haut débit à internet (ainsi, huit pays européens, dont le nôtre, dépassent les Etats-Unis en termes de pénétration de l'accès internet haut débit). La mise en oeuvre du cadre réglementaire adopté en 2002 a donc porté ses fruits en matière de concurrence et d'innovation dans les communications électroniques.

Ce cadre a fait la preuve, non seulement de son efficacité, mais aussi de sa flexibilité : la Commission propose d'ores et déjà de soustraire de la régulation sectorielle 11 des 18 marchés pertinents qu'elle avait identifiés en 2003.

Il n'est donc pas question de rompre avec le modèle actuel de régulation, mais, plus modestement, de l'adapter aux enjeux d'avenir pour assurer ce qui est le plus crucial : la compétitivité globale du secteur des technologies de l'information et de la communication.

Or l'Union européenne doit relever deux principaux défis dans les prochaines années : promouvoir l'investissement dans le développement des réseaux de nouvelle génération en fibre optique, permettant un accès à très haut débit à internet, vecteur pour de nouveaux services ; optimiser l'utilisation du spectre radioélectrique, qui constitue une ressource limitée et qui souffre d'une gestion trop rigide, notamment dans la perspective du développement des services très haut débit mobiles.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté, le 13 novembre 2007, trois propositions de texte constituant un nouveau « paquet télécom »:

- une proposition de directive modifiant les directives « cadre », « accès» et « autorisation » de 2002 (E-3701) ;

- une proposition de directive modifiant les directives « service universel » et « données personnelles » de 2002 et le règlement « protection des consommateurs » de 2006 (E-3702) ;

- une proposition de règlement instituant une Autorité européenne du marché des communications électroniques (E-3703).

Ces propositions s'accompagnent d'une analyse d'impact et d'une communication définissant les principales orientations politiques de la réforme, à savoir l'extension des pouvoirs de la Commission dans un certain nombre de domaines, la création d'une Autorité européenne qui agirait comme un centre d'expertise et de conseil sur lequel s'appuierait la Commission et la refonte des principes de gestion du spectre radioélectrique.

Au titre de l'article 88-4 de la Constitution, votre commission des affaires économiques a tenu à se saisir de ce « paquet » de directives, en amont de leur adoption définitive au terme de la procédure de codécision impliquant le Parlement européen et le Conseil. Elle a constitué en son sein un groupe de travail, qui a rencontré l'auteur de ce projet de réforme, Mme Viviane Reding, commissaire européen en charge de la société de l'information et des médias, et procédé à l'audition des acteurs concernés: régulateurs, opérateurs, syndicats, consommateurs... La proposition de résolution n° 295 déposée par votre rapporteur a été améliorée par le groupe de travail avant d'être adoptée par la Commission des affaires économiques le 21 mai 2008. Devenue résolution du Sénat, ce texte apportera au Gouvernement français un éclairage utile sur la position du Sénat, à la veille du Conseil « Transports, télécommunications et énergie » du 12 juin à l'ordre du jour duquel ce dossier est inscrit. Le Parlement européen, pour sa part, examinera ces projets de réforme le 16 juin en commission -les rapporteurs ayant d'ores et déjà publié des projets de rapport- et dès le 7 juillet en séance plénière.

L'examen du « paquet télécom » se poursuivra donc sous présidence française. Votre commission souhaite que cette résolution européenne serve de feuille de route au Gouvernement dans l'élaboration d'un accord politique sur ce texte, espéré pour l'automne prochain.

CHAPITRE IER - LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION POUR UNE RÉVISION AMBITIEUSE DU CADRE RÉGLEMENTAIRE DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Il ne s'agit pas ici de présenter de manière exhaustive le détail de l'ensemble des dispositions contenues dans les trois textes initiés par la Commission européenne. Votre rapporteur a préféré insister sur les points de réforme qui auront la plus forte incidence pour la France, pour son régulateur, pour ses opérateurs et pour ses citoyens.

I. COMMUNAUTARISATION DE LA RÉGULATION DES MARCHÉS DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

A. LE MORCELLEMENT REGRETTABLE DE L'APPLICATION ACTUELLE DU CADRE RÉGLEMENTAIRE

La Commission européenne identifie un manque d'harmonisation dans l'application du cadre règlementaire , préjudiciable au marché intérieur des communications électroniques, compromettant la compétitivité du secteur et hypothéquant les avantages escomptés de la concurrence pour les consommateurs.

Ce morcellement dans l'application de la réglementation communautaire à travers l'Union européenne prend plusieurs formes : retards d'exécution des analyses de marché prévues par la directive-cadre, divergences d'approche des autorités réglementaires nationales pour imposer les obligations destinées à pallier un manque de concurrence effective détecté par l'analyse de marché, hétérogénéité des conditions relatives aux droits d'utilisation, diversité des procédures de sélection pour les services d'envergure communautaire, existence de numéros différents au sein de la Communauté pour ces mêmes services, difficultés rencontrées par les autorités de régulation nationales pour résoudre les litiges transfrontaliers...

Ce manque de cohérence dans la mise en oeuvre des règles communautaires crée une insécurité juridique pour les opérateurs et porte préjudice à la concurrence, empêchant de fait la constitution du marché unique européen de près de 500 millions de consommateurs. Mme Viviane Reding, commissaire européen en charge de la société de l'information et des médias, juge cela particulièrement inacceptable pour une activité de services qui contribue précisément à l'intégration des activités économiques dans l'espace européen.

Ainsi, comme l'a relevé l'ARCEP, il n'est pas normal que, s'agissant de la fourniture de services fixes à haut débit, la filiale de France Télécom en Espagne ne trouve pas les mêmes conditions opérationnelles auprès de Telefonica que celles offertes par France Télécom en France aux opérateurs alternatifs 1 ( * ) . Plus généralement, si l'on constate une certaine convergence à travers l'Europe des tarifs de gros du dégroupage, il n'en est pas de même des conditions opérationnelles du dégroupage.

Le seul lieu actuel de coordination entre les régulateurs nationaux est le groupe des régulateurs européens (GRE), mais son fonctionnement reposant essentiellement sur le consensus aboutit à ne dégager que le plus petit dénominateur commun.

B. CRÉATION D'UNE AUTORITÉ EUROPÉENNE

1. Les missions de l'Autorité

Afin d'améliorer le fonctionnement du marché intérieur des communications électroniques, la Commission propose un règlement (texte E-3703) établissant une Autorité européenne du marché des communications électroniques (EECMA), qui aurait un rôle essentiellement consultatif auprès de la Commission européenne , concernant notamment la réglementation des marchés et la gestion du spectre radioélectrique : cette Autorité aura essentiellement pour fonction d'émettre des avis, de sa propre initiative ou à la demande de la Commission, et d'aider cette dernière en lui fournissant des conseils techniques, en réalisant des études, en collectant des informations et des rapports...

Plus précisément, s'agissant de la régulation des marchés , l'Autorité sera consultée sur la définition et l'analyse des marchés nationaux et la mise en oeuvre des solutions aux défaillances de la concurrence sur un marché. Elle pourrait aussi publier des orientations non contraignantes pour promouvoir les bonnes pratiques au sein des régulateurs nationaux. Elle sera enfin invitée à émettre un avis dans les cas où la Commission exprime des « doutes sérieux » sur un projet de mesure notifié en vertu de l'article 7 de la directive-cadre, dont la rédaction est revue par le texte E-3701. Lorsqu'un régulateur national n'a pas procédé à l'analyse des marchés dans le délai requis, la Commission pourrait demander à l'Autorité de la conseiller par rapport à ce marché national spécifique.

Concernant les marchés transnationaux , l'Autorité proposerait à la Commission européenne d'identifier de tels marchés, dont la croissance pourrait découler de la mobilité, de la convergence fixe/mobile, des services par satellite... L'analyse de ces marchés serait alors confiée à l'Autorité et leur régulation serait effectuée au niveau communautaire. L'Autorité serait aussi chargée de contrôler le développement des services d'itinérance, pour la transmission de la voix et des données.

L'Autorité devrait également aider la Commission pour les questions portant sur les aspects techniques et économiques relatifs aux radiofréquences utilisées pour la fourniture de services de communications électroniques : elle serait en charge de travaux d'analyse et de compte rendu, de l'identification du potentiel et des moyens pour le développement de nouveaux services, de la tenue d'un registre de l'utilisation du spectre à travers l'UE, du conseil en matière de procédures communes pour l'octroi des autorisations, de l'assistance technique pour la sélection des demandes de licences pour le spectre radioélectrique, et du conseil en matière de retrait des droits de l'utilisation en cas de non-respect des conditions relatives aux licences.

Elle contribuera en outre à recenser les services définis comme étant « d'envergure communautaire » qui bénéficieraient d'une procédure commune de sélection. Un service serait réputé « d'envergure communautaire » s'il répondait à une demande dans plusieurs Etats membres et si, de par ses caractéristiques, il franchissait les frontières nationales et serait, à ce titre, susceptible de faire l'objet d'une réglementation européenne ou régionale plutôt que nationale. En ce cas, l'Autorité mènerait la procédure de sélection et émettrait un avis proposant la ou les entreprises auxquelles les droits nationaux d'utilisation du spectre pourraient être accordés.

Mais l'Autorité aurait aussi pour mission de fournir un cadre de coopération pour les régulateurs nationaux : l'Autorité offrirait des procédures de coopération entre les régulateurs nationaux, notamment en ce qui concerne l'échange d'informations, la fourniture de conseils et l'assistance technique. Elle serait habilitée à négocier et à résoudre les litiges transfrontières entre les ARN et encouragerait également la coopération entre les régulateurs nationaux de l'UE et les pays. Elle assumerait aussi des fonctions générales d'information et de consultation en étant chargée de présenter un rapport annuel sur le développement du secteur des communications électroniques et de contrôler l'interopérabilité et l'accessibilité en ligne en Europe.

Enfin, afin de garantir une utilisation fiable et sûre des communications électroniques, la Commission propose, à l'article 1 er du texte E-3701 qui modifie la directive-cadre, de s'appuyer sur l'Autorité pour remplir certaines des missions actuellement assumées par l'actuelle Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (ENISA 2 ( * ) ) : l'Autorité contribuera à l'harmonisation des mesures techniques et organisationnelles appropriées en matière de sécurité en donnant à la Commission un avis d'expert. De nouvelles dispositions étendent le champ des exigences d'intégrité des réseaux au-delà des réseaux de téléphone fixe pour couvrir les réseaux mobiles et internet. Les ARN se voient conférer des pouvoirs d'application dans ce domaine.

Finalement, c'est en matière d'administration de la numérotation que l'Autorité serait dotée de réels pouvoirs de décision : l'Autorité serait chargée d'administrer et de développer l'Espace de numérotation téléphonique européen (ETNS) et travaillerait avec les ARN et les Etats membres sur les aspects européens de la numérotation et de la portabilité des numéros, en s'occupant notamment de faire rapport sur le déploiement du numéro européen « 112 » pour les appels d'urgence, de déterminer les séries de numéros pour les services transfrontières, d'identifier le potentiel et les moyens pour le développement de nouveaux services, et de fournir des conseils en matière de procédures communes pour l'octroi des autorisations.

2. L'organisation de l'Autorité

Cette autorité européenne mobiliserait à partir de 2012 un personnel permanent de 134 ETP (équivalents temps plein) pour un budget annuel de 28 millions d'euros (en tenant compte de l'incorporation de l'ENISA à partir de 2011), pour partie financé par des taxes administratives. En termes de gouvernance, l'Autorité comprendrait un conseil d'administration de douze membres nommés paritairement par la Commission européenne et le Conseil, d'un conseil des régulateurs formé des chefs des autorités de régulations nationales des 27 États membres, d'un directeur nommé en conseil d'administration, d'un responsable de la sécurité des réseaux, d'un groupe permanent des parties prenantes concernées par la sécurité des réseaux et enfin d'une commission de recours permettant des procédures d'appel des décisions de l'Autorité en matière de numérotation. La Commission serait habilitée à participer aux réunions du conseil des régulateurs, mais sans droit de vote, et les avis et décisions adoptés par ce conseil devraient l'être à la majorité simple.

3. Le renforcement des autorités de régulation nationales (ARN)

L'autorité européenne n'aurait donc pas vocation à se substituer aux régulateurs nationaux. A fortiori , le projet de la Commission est de consolider les ARN pour faciliter la résolution ex ante des problèmes de concurrence qui subsistent. Il propose de renforcer leurs pouvoirs et leur indépendance et prévoit l'introduction de la séparation fonctionnelle comme remède disponible en dernier ressort pour résoudre des problèmes de discrimination persistants :

- l'article 1 er du texte E-3701 modifiant la directive-cadre renforce l'indépendance du régulateur national en encadrant la possibilité de congédier son président et en veillant à ce que le régulateur dispose de son propre budget distinct et de ressources humaines suffisantes ;

- l'article 3 du texte E-3701 modifiant la directive « autorisation » renforce les pouvoirs des ARN, notamment en leur permettant d'assortir les autorisations générales de conditions relatives aux communications des pouvoirs publics destinées aux publics en cas de danger imminent et de conditions relatives aux droits d'auteur et de propriété intellectuelle ;

- surtout, les modifications proposées à la directive « accès » prévoient de permettre à l'ARN d'imposer -et non plus seulement d'encourager- le partage des infrastructures passives (fourreaux, antennes, pylônes...) et d'ajouter la séparation fonctionnelle à la boîte à outils des régulateurs nationaux. Cet élément important est développé ci-après.

C. DROIT DE VETO ET SÉPARATION FONCTIONNELLE

Afin d'assurer une application plus efficace et plus cohérente des règles de l'Union européenne, et afin de consolider le marché intérieur des communications électroniques, la Commission propose de renforcer son propre rôle concernant les solutions imposées par les ARN et de doter celles-ci de la faculté d'imposer à un opérateur puissant la séparation fonctionnelle. La Commission devrait toutefois consulter l'Autorité européenne du marché des communications électroniques avant d'approuver l'imposition du remède que deviendrait la séparation fonctionnelle.

Dans le texte E-3701, la Commission propose d'étendre son pouvoir de supervision sur les « remèdes » que les ARN envisagent d'appliquer aux opérateurs puissants sur le marché. Elle propose également de prendre en charge, pour les marchés transnationaux, la désignation des entreprises puissantes et l'imposition d'obligations spécifiques à ces entreprises, compte tenu de l'avis de l'Autorité européenne.

Elle propose aussi , à l'article 2, de modifier la directive « accès » (article 13 bis) pour permettre à une ARN d'imposer la séparation fonctionnelle et définir dans quelles circonstances cette séparation peut être imposée. L'obligation de séparation fonctionnelle est définie par la proposition de directive communautaire comme l'obligation faite à « une entreprise verticalement intégrée de confier ses activités de fourniture en gros de produits d'accès à une entité économique fonctionnellement indépendante. Cette entité économique fournit des produits et services d'accès à toutes les entreprises, y compris aux autres entités économiques au sein de la société mère, aux mêmes échéances et conditions, y compris en termes de tarifs et de niveau de service, et à l'aide des mêmes systèmes et procédés ».

Il est prévu que la séparation fonctionnelle ne puisse être imposée par un régulateur national sans l'approbation préalable de la Commission ; le régulateur doit soumettre à celle-ci une demande comportant, outre le projet de la mesure envisagée, la preuve que l'imposition d'obligations appropriées pour assurer une concurrence effective a échoué, et échouerait systématiquement pour atteindre cet objectif, ainsi qu'une analyse de l'effet escompté sur le régulateur, sur l'entreprise et sa motivation à investir dans son réseau, sur la concurrence entre infrastructures et sur les consommateurs.

Séparation structurelle versus séparation fonctionnelle

La séparation d'un opérateur intégré en plusieurs entités distinctes fait l'objet de débats dans diverses industries de réseaux (télécommunications, énergie ou transport ferroviaire). La séparation structurelle totale, qui consiste en une dissociation des structures de propriété passe par la cession des actifs de réseaux non duplicables. Dans le cas des communications électroniques, secteur où les technologies et les services sont caractérisés par une innovation permanente, une séparation structurelle totale est unanimement considérée comme excessivement interventionniste. Le débat porte alors sur la séparation fonctionnelle, qui consiste à exiger que les actifs constituant des goulets d'étranglement soient confiés à une filiale distincte sur le plan fonctionnel afin d'inciter à la non discrimination tout en conservant entre les mêmes mains la propriété globale des divisions chargées des infrastructures et des services.

Si la Commission maintient sa préférence pour des solutions ex ante afin d'assurer l'égalité d'accès des prestataires de services à la boucle locale (lorsqu'il n'existe pas de concurrence fondée sur les infrastructures sur cette portion de réseau), elle estime nécessaire de donner aux ARN le pouvoir d'imposer une séparation fonctionnelle à titre de mesure exceptionnelle pour remédier à des discriminations persistantes, auxquelles l'ensemble de mesures correctives existant n'apporte pas de solution.

La séparation fonctionnelle est déjà mise en oeuvre au Royaume-Uni et l'Italie, la Pologne et la Suède envisageraient d'y recourir.

D. DES OBLIGATIONS COMMUNES POUR PROTÉGER LES CONSOMMATEURS

Si l'introduction de la concurrence a incontestablement permis d'enrichir les services et de baisser les prix, comme votre commission a pu en faire état dans son rapport d'information faisant le bilan de dix années de régulation du secteur des communications électroniques 3 ( * ) , elle a assurément été source de complexité, accentuée par l'innovation . C'est pourquoi la Commission juge nécessaire de renforcer la transparence sur les tarifs et les services, au bénéfice du consommateur.

Les mesures proposées par la Commission européenne dans la proposition de directive E-3702 visent, d'une part, à améliorer la protection des consommateurs et à renforcer les droits des utilisateurs, notamment handicapés ; d'autre part, à mieux protéger la vie privée et les données à caractère personnel , notamment à travers des mesures relatives à la sécurité des réseaux. Mais le périmètre du service universel dans l'Union européenne n'est pas modifié : ce devrait bientôt être l'objet d'une consultation publique spécifique, suivie de la publication d'une communication par la Commission européenne.

L'article 1 er modifie la directive « service universel » afin de :

- faciliter l'utilisation et l'accès des communications électroniques pour les utilisateurs handicapés , notamment s'agissant de l'accès aux services d'urgence ;

- améliorer la transparence et la publication d' informations destinées aux consommateurs : d'une part, afin d'accroître la transparence des prix, il est prévu d'imposer aux opérateurs l'obligation de publier des informations comparables, adéquates et actualisées et sous une forme aisément accessible. D'autre part, concernant la « neutralité de l'internet » (« net neutrality »), l'article 20.5 de la directive « service universel » établit un mécanisme de transparence de la part du fournisseur d'accès à internet à propos des restrictions éventuelles qu'il appliquerait aux contenus et applications licites accessibles aux consommateurs, cette transparence devant leur permettre de choisir leurs services en connaissance de cause. A ces fins, les ARN se voient accorder le pouvoir d'exiger une meilleure transparence tarifaire de la part des opérateurs ainsi que des informations claires sur ces éventuelles restrictions de l'accès aux contenus et services. La Commission se voit en outre donner la possibilité de prendre des mesures de mise en oeuvre afin d'assurer, en tant que de besoin, un niveau minimal d'harmonisation en ce domaine ;

- améliorer les obligations concernant la localisation de l'appelant dans le contexte des services d'urgence : il s'agit de renforcer l'obligation faite aux opérateurs de transmettre des informations aux autorités chargées de gérer les urgences améliorer les exigences relatives aux services d'urgence. Les possibilités d'accès au numéro européen « 112 » doivent également être améliorées avec, notamment, la publication d'un rapport annuel par les États membres ;

- renforcer le droit à la portabilité des numéros en fixant à un jour ouvrable le délai maximal pour rendre effectif le portage des numéros et permettre ainsi aux consommateurs de changer plus facilement de fournisseur.

L'article 2 du texte E-3702, pour sa part, apporte des modifications à la directive « vie privée et communications électroniques » essentiellement destinées à avertir le régulateur et les consommateurs des violations de la sécurité des réseaux qui portent atteinte à la protection de leurs données personnelles.

II. UNE RUPTURE DANS LA POLITIQUE DE GESTION DU SPECTRE RADIOÉLECTRIQUE

A. LA NÉCESSITÉ D'OPTIMISER L'UTILISATION DU SPECTRE RADIOÉLECTRIQUE

Selon la Commission européenne, les services fondés sur le spectre radioélectrique représentent 250 milliards d'euros pour l'économie de l'Union européenne et continuent à se développer, notamment du fait de l'exigence croissante de mobilité, alors même que le spectre est une ressource limitée donc rare. Son affectation doit donc se faire selon des modalités permettant son optimisation. Or, la Commission juge les systèmes actuels d'attribution de fréquences décourageants pour l'innovation, du fait de leur rigidité.

Elle préconise donc de rompre avec le modèle actuel qu'elle qualifie d'« administratif » , fondé sur la technologie et le service, ce qui augmente les coûts, limite le nombre d'autorisations d'utilisation des fréquences et ralentit l'introduction de nouvelles technologies. Ce changement est particulièrement crucial dans le contexte actuel du prochain passage de la télévision analogique au numérique qui va libérer, dans la partie la plus précieuse du spectre, de nombreuses fréquences constituant le « dividende numérique ».

Les fréquences radioélectriques appartenant au domaine public national relèvent de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Il était donc impensable de centraliser la gestion du spectre à l'échelle européenne, pour des raisons juridiques mais aussi, et surtout, politiques.

Toutefois, la Commission suggère de fixer des principes communs pour la gestion du spectre en Europe. Elle envisage aussi de confier à l'Autorité européenne un rôle dans cette gestion.

B. QUAND LA RÈGLE DEVIENT L'EXCEPTION : RÉVOLUTION DANS LES PRINCIPES DE GESTION DES FRÉQUENCES

Dans le but affiché de prendre en compte les besoins économiques avec plus de souplesse et d'améliorer l'efficacité et l'accessibilité de l'utilisation du spectre radioélectrique, les principes de neutralité technologique et à l'égard des services sont posés par le texte E-3701 qui modifie l'article 9 de la directive-cadre.

Le principe de neutralité technologique est rendu contraignant par le point 3 de l'article 9 : il impose que « les Etats membres veillent à ce que tous les types de réseau de radiocommunications ou de technologie sans fil puissent être utilisés dans les bandes de fréquences ouvertes aux services de communications électroniques », sauf si cela contrarie l'objectif d'harmonisation de l'utilisation et de la gestion des radiofréquences dans la Communauté. Ceci signifie, par exemple, que tout opérateur de télécommunications détenant un droit d'usage d'une bande de fréquence peut y déployer n'importe quelle technologie sans fil (UMTS, Wimax, Wifi...). Entendu ainsi, ce principe de neutralité technologique existe déjà en toile de fond du cadre réglementaire en vigueur (à l'article 8 de la directive-cadre), pour les réseaux filaires aussi bien que sans fil.

Toutefois, le texte proposé par la Commission tend non seulement à autoriser l'usage d'une fréquence par n'importe quelle technologie sans fil, mais aussi par n'importe quel type de réseau de radiocommunications. Ce deuxième volet de la neutralité technologique conduirait donc à mélanger dans une même bande de fréquences tous les types de réseaux possibles : réseaux mobiles, réseaux par satellite, réseaux de radiodiffusion ...

Une autre nouveauté réside dans le principe de neutralité à l'égard des services qui concerne les réseaux et services de communication sans fil et se trouve posé par le point 4 de l'article 9, assorti de possibles dérogations, dans des cas limités : « les Etats membres veillent à ce que tous les types de service de communications électroniques puissent être fournis dans les bandes de fréquences ouvertes aux communications électroniques, mais peuvent prévoir des restrictions proportionnées et non discriminatoires aux types de service de communications électroniques à fournir. » De telles restrictions imposant de fournir un service dans une bande de fréquences spécifique peuvent se fonder sur un motif d'intérêt général : sécurité de la vie humaine, promotion de la cohésion sociale, régionale ou territoriale, efficacité d'utilisation des radiofréquences ou promotion de la diversité culturelle et linguistique et pluralisme des médias.

Les projets de textes soumis par la Commission envisagent d'appliquer ces principes aux fréquences déjà assignées à la date d'entrée en vigueur de la directive à compter du 1er janvier 2015 .

Par ailleurs, il est prévu la possibilité d'imposer, dans des bandes définies au niveau communautaire, le principe d'un marché secondaire des radiofréquences.

En outre, la proposition de directive E-3701, en son article 3, propose de modifier l'article 5 de la directive « autorisation » afin de renverser le principe actuel, qui consiste à octroyer des autorisations individuelles pour l'usage des fréquences : désormais, le principe serait d'accorder des autorisations générales, la licence individuelle devenant l'exception et devant se justifier par la nécessité d'éviter un « risque sérieux d'interférence nuisible » ou d'atteindre d'autres objectifs d'intérêt général. Notamment, il est envisagé qu'un Etat membre puisse établir que l'octroi d'autorisations individuelles d'usage de fréquences à des fournisseurs de services audiovisuels est essentiel pour respecter une obligation nécessaire à la réalisation d'un objectif d'intérêt général.

C. VERS UNE PLUS GRANDE HARMONISATION DES CONDITIONS D'AUTORISATION DES SERVICES PANEUROPÉENS

L'article 3 de la proposition de directive E-3701 propose de modifier les articles 6 bis et 6 ter de la directive « autorisation » pour faciliter l'accès aux fréquences des sociétés ayant besoin de détenir des droits d'utilisation de spectre dans chaque Etat membre, telles que les fournisseurs de service par satellite : dans ce but, la Commission, assistée par le Comité des communications, peut coordonner ou harmoniser les conditions applicables aux droits individuels 4 ( * ) , les procédures de sélection et la sélection des entreprises. Il est prévu que l'Autorité européenne assiste la Commission en émettant des avis.

CHAPITRE II - LA POSITION PRAGMATIQUE DE VOTRE COMMISSION

I. POUR UNE RÉGULATION CONJOINTE ENTRE LA COMMISSION ET LES RÉGULATEURS NATIONAUX

A. NI DROIT DE VETO, NI AUTORITÉ EUROPÉENNE

Le troisième texte, qui propose de créer une autorité européenne, ne confère principalement que des pouvoirs consultatifs à cette nouvelle Autorité ; mais cette proposition pourrait modifier sensiblement l'architecture institutionnelle, dans la mesure où, par l'intermédiaire de l'Autorité, la Commission se trouverait dotée de pouvoirs largement renforcés, notamment opposer son veto sur les « remèdes » imposés aux opérateurs puissants et modifier ces remèdes. La Commission pourrait ainsi imposer des décisions sans réellement demander l'avis des Etats, ce qui romprait l'équilibre actuel des pouvoirs. On s'étonnera aussi de ce projet de création d'une Autorité européenne alors même que la Commission a envisagé officiellement en mars 2008 un moratoire sur la création de nouvelles agences .

Aux yeux de M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP, entendu par le groupe de travail, l'Europe n'est pas en mesure de se substituer aux régulateurs nationaux , seuls à même d'organiser, entre les acteurs concurrents, des relations opérationnelles constructives comme celles qu'exige la mise en oeuvre du dégroupage. Comme l'avait déjà souligné votre commission dans son rapport d'information de 2007 5 ( * ) déjà évoqué, la proposition de création d'une autorité européenne est donc contraire au principe de subsidiarité, selon lequel l'Union n'agit - sauf pour les domaines de sa compétence exclusive - que lorsque son action est plus efficace qu'une action entreprise au niveau national, régional ou local.

De surcroît, cette proposition enfreint le principe de proportionnalité , qui suppose que l'action de l'Union ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du traité. A cet égard, une meilleure cohérence des politiques de régulation peut être obtenue par d'autres moyens que la création d'un régulateur européen.

A ceux qui fondent la légitimité de l'EECMA sur le précédent satisfaisant que constitue le réseau des autorités nationales et européenne de la concurrence, le président du Conseil de la concurrence, M. Bruno Lasserre, objecte la très grande différence entre la mission des autorités de concurrence, toutes chargées d'assurer l'application des articles 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne, et celle des régulateurs sectoriels des communications électroniques, à qui incombe un travail règlementaire d'analyse des marchés nationaux qui ne pourrait s'envisager à l'échelon européen.

Votre commission est donc défavorable à la création d'un régulateur européen. Elle note d'ailleurs que tous les acteurs du secteur concerné, que votre groupe de travail a entendus (Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications [AFORST], Association française des opérateurs mobiles [AFOM], France Télécom), ont fait part de leur égale réticence à l'idée de la création d'un régulateur européen, ainsi qu'à la perspective, intimement liée, de confier à la Commission un droit de veto sur les remèdes. En effet, l'existence d'un droit de veto sur les remèdes étendrait les pouvoirs de la Commission de sorte qu'elle puisse assurer elle-même l'harmonisation des pratiques des régulateurs nationaux 6 ( * ) .

Il reste qu'à plusieurs reprises, des acteurs du secteur des communications électroniques ont fait observer la nécessité de doter la Commission de moyens appropriés lui permettant d'assurer sa mission de contrôle des analyses de marché nationales, dans un souci d'harmonisation d'un Etat à l'autre. Dans cette perspective, il convient de proposer une alternative crédible au projet d'autorité européenne , afin que la Commission puisse s'appuyer sur une structure ad hoc intervenant comme expert ou conseil en la matière.

Aujourd'hui, les ARN coopèrent entre elles et avec la Commission européenne, notamment au sein du Groupe des Régulateurs Européens (GRE) qui, depuis 2002, rassemble la Commission et les 27 régulateurs nationaux, en vue d'élaborer des méthodologies communes et, le cas échéant, de conseiller la Commission européenne lorsqu'elle envisage d'utiliser son pouvoir de veto (limité actuellement aux seules analyses de marché et à la désignation des opérateurs puissants). Mais la règle du consensus au sein du GRE limite son rôle à un « club » d'échanges d'expériences et, au mieux, d'identification des meilleures pratiques. En outre, certains Etats dérogent à l'obligation de notification et de consultation de la Commission et des autres autorités de régulation nationales 7 ( * ) , qui résulte de l'article 7 de la directive-cadre de 2002 et qui est un outil fondamental pour assurer la coordination des politiques de régulation, dont le non respect doit absolument être sanctionné .

Pour que la cohérence de la régulation progresse en Europe, il convient de dynamiser la collaboration entre les Etats et la Commission. Votre commission estime que cette dernière gagnerait à s'appuyer sur les compétences techniques des régulateurs nationaux pour formuler des propositions qu'elle soumettrait au GRE et qu'elle ne pourrait mettre en oeuvre que si elles recueillent l'approbation de la majorité des régulateurs (donc des Etats). Ainsi serait renforcée l'expression collective des régulateurs européens sur les décisions prises par chacun d'entre eux, sous la forme d'une régulation conjointe entre les régulateurs nationaux et la Commission . La Commission devrait systématiquement obtenir l'avis conforme du GRE dès qu'elle envisage de réagir, sous forme de recommandation, à une obligation qu'envisage d'imposer un régulateur (qui l'aura notifiée en application de l'article 7 de la directive-cadre). L'avis du GRE serait obtenu à la majorité de ses membres et rendu public , la plupart des opérateurs entendus par le groupe de travail ayant insisté sur ce point, afin de donner de la puissance à l'avis en question.

Cette solution réaliste ne crée pas de nouvel organe, mais érige le GRE en comité consultatif, dont l'articulation avec un autre comité créé par la directive 2002/21/CE, le Comité des communications -COCOM- (composé de représentants des Etats membres et non des autorités de régulation), chargé d'élaborer des règles harmonisées en diverses matières (numérotation, normalisation...) mais aussi d'émettre un avis sur les projets de mesures envisagées par la Commission, devrait d'ailleurs être éclaircie pour éviter toute redondance. Le GRE devrait, en toute logique, se substituer au COCOM dans l'examen des propositions de veto de la Commission en matière d'analyse de marchés, le fonctionnement actuel allant d'ailleurs à l'encontre de l'indépendance des régulateurs.

Cette solution ne conduit pas à doter la Commission, ou même le GRE, d'un nouveau droit, qui consisterait à opposer un veto sur les remèdes imposés par un régulateur national à un opérateur puissant ou à exiger d'un régulateur de modifier un remède. Il ne s'agit donc pas de créer un nouvel échelon décisionnel mais simplement d'accompagner la Commission dans sa fonction naturelle de gardienne de la cohérence de l'application du cadre réglementaire, en impliquant collectivement les régulateurs nationaux dans le processus d'harmonisation des pratiques de régulation et en engageant la Commission à les consulter, ce qui renforcerait ensuite le poids de son intervention auprès du régulateur à qui elle recommanderait une modification du projet de remède envisagé .

Comme elle l'avait laissé entendre dans son rapport de 2007 déjà cité, votre commission considère que cette mesure permettrait, sans bouleverser l'équilibre institutionnel, de faire progresser la cohérence de la régulation au sein de l'Union européenne.

Votre commission se félicite que, dans son projet de rapport devant la Commission industrie, recherche et énergie du Parlement européen, Mme Pilar del Castillo propose une solution proche. Elle imagine en effet de substituer au projet de la Commission la constitution d'un corps des régulateurs européens, le BERT (Body of European Regulators in Telecommunications). Comme on peut le lire dans le projet de rapport de Mme Pilar del Castillo, « cet organe reprendrait une grande partie des fonctions de l'EECMA sans en adopter la structure lourde d'agence et serait basé sur la bonne pratique du GRE, tout en rationalisant son fonctionnement et ses méthodes de travail et en renforçant l'obligation de la Commission de consulter ce nouvel organe et de prendre le plus grand compte de ses avis. La création du BERT, basée sur l'article 95 du traité CE, enracinerait le GRE actuel dans le droit européen en instituant de manière formelle un organe consultatif dont les fonctions et les responsabilités seraient expressément attribuées par un règlement. Le BERT se verrait ainsi conférer un plus grand degré d'efficacité et de légitimité que ce n'est le cas du GRE aujourd'hui, tout en préservant la participation effective des autorités réglementaires nationales (ARN) et leur inestimable expérience de terrain . »

Peut-être pourrait-on imaginer d'ouvrir aux opérateurs la saisine du BERT, afin d'obtenir son avis public sur une mesure adoptée par leur régulateur national, ce qui leur offrirait une forme d'expertise indépendante, collective et publique, dans l'hypothèse où ils souhaiteraient contester une décision de l'ARN. Ceci contribuerait à pallier le défaut d'expertise, souvent déploré par les opérateurs entendus par le groupe de travail, des organes d'appel nationaux, que sont, en France, le Conseil d'Etat et la Cour d'appel (lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision de règlement des différends prise par l'ARCEP).

B. L'OUTIL DE LA SÉPARATION FONCTIONNELLE : UNE « ARME ATOMIQUE » À MANIER AVEC UNE EXTRÊME PRÉCAUTION

Si son application à d'autres industries de réseaux peut se justifier (comme en matière ferroviaire, par exemple), il convient d'être particulièrement prudent à l'égard du « remède » que pourrait constituer la séparation fonctionnelle dans le secteur des communications électroniques, à l'heure où l'Europe s'engage dans une transition vers des réseaux de nouvelle génération. Il importe d'évaluer l'impact d'une telle mesure sur les investissements des opérateurs historiques comme alternatifs dans ces nouveaux réseaux et sur les utilisateurs de ces réseaux.

1. Les dangers de la séparation fonctionnelle

Parmi les inconvénients qu'emporte le recours à la séparation fonctionnelle, MM. Bernard Allain, secrétaire fédéral national, et Richard Didelin, responsable national de la branche Télécom du syndicat FO-COM, auditionnés par le groupe de travail, ont mis en avant le coût inhérent à cette mesure : selon FO-COM, mais aussi SUD-PTT qui a répondu à la sollicitation de votre rapporteur en apportant une contribution écrite au groupe de travail, ce coût serait essentiellement lié à la réorganisation de l'entreprise, qui menacerait l'équilibre social particulier de France Télécom, entreprise qui emploie près de 70.000 fonctionnaires, et à la dissociation d'activités présentant une évidente synergie. En effet, particulièrement en matière de communications électroniques, il existe une très forte synergie entre le réseau et les services , l'innovation se nourrissant de cette synergie. Si un opérateur comme Orange investit aujourd'hui dans la production cinématographique ou dans l'acquisition de droits de retransmission, n'est-ce pas la preuve de l'imbrication entre services et réseaux dans la conquête des clients finals qui payent l'accès au réseau ?

Mais la séparation fonctionnelle entraîne aussi des coûts indirects en termes de qualité de service , dans la mesure où le « cantonnement » du réseau d'accès diminue naturellement l'incitation de l'opérateur à investir dans ce réseau, ce qui risque de conduire à long terme à une perte de qualité et une moindre innovation , au détriment des consommateurs. Selon FO-COM, cette dégradation de la qualité a été relevée par le régulateur britannique, l'OFCOM, lors de l'évaluation des premiers résultats d'Openreach, entité issue de la séparation fonctionnelle de British Telecom (BT). Au nom de France Télécom, M. Hennès Vianès a ainsi estimé que la séparation fonctionnelle serait soit inutile si elle était appliquée au réseau existant, soit dangereuse si elle devait s'appliquer aux nouveaux réseaux. Pour les concurrents aussi, l'obligation de recourir à une boucle locale commune n'est pas nécessairement bénéfique car elle les prive d'une autonomie technologique, source de différenciation dans les services rendus aux consommateurs (comme en témoigne la substitution de la fibre au fil de cuivre).

M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP, fait également observer qu'en termes économiques, la séparation fonctionnelle signifie la reconnaissance d'un monopole naturel sur la boucle locale et implique une régulation à vie , qui rend caduque la perspective, pourtant fixée par la Commission européenne elle-même, d'un effacement de la régulation sectorielle du secteur des communications au profit du droit commun de la concurrence. Il attire aussi l'attention sur l'extrême difficulté que représente la régulation de long terme d'un tel monopole naturel 8 ( * ) . Il souligne également combien il serait délicat de tracer la frontière entre l'entité mère et l'entité séparée en charge de l'accès de gros au réseau, dans la mesure où la configuration du réseau est toujours susceptible d'évoluer. Enfin, il observe que la séparation fonctionnelle contredit l'objectif de neutralité technologique, pilier du cadre européen .

On relèvera aussi que l'expérience britannique de séparation fonctionnelle, mise en avant par la Commission européenne, n'est pas aussi concluante que la Commission veut bien le dire, même en matière d'accès non discriminatoire : du fait de plaintes répétées des opérateurs concurrents de British Telecom, le régulateur britannique (l'OFCOM) a annoncé le 20 mars 2008 une réforme du système d'incitations financières pour Openreach en créant, en particulier, un système de pénalités que le gestionnaire d'infrastructure devra payer aux opérateurs (automatiquement, sans même demande de leur part) en cas de dysfonctionnement prolongé de son réseau. L'entrée en vigueur de ce système est prévue pour juillet 2008.

Votre commission estime donc que la séparation fonctionnelle ne peut être un « remède » normal mais doit être un remède d'exception, qui, en tout état de cause, ne saurait être imposé par la Commission européenne directement .

Lors de leur audition par le groupe de travail, les représentants des consommateurs ont d'ailleurs manifesté leur réticence à l'égard de toute séparation fonctionnelle, consentant seulement à l'envisager comme une menace crédible susceptible de faire pression sur l'opérateur puissant.

2. Une arme de dissuasion à encadrer très strictement

Votre commission juge également que la possibilité, pour le régulateur, d'imposer la séparation fonctionnelle à un opérateur puissant peut constituer un outil de dissuasion efficace, pour reprendre l'analogie établie par le président de l'ARCEP avec l'arme atomique . Il existe en effet un risque réel, alors que s'amorce le déploiement de réseaux de nouvelle génération en fibre optique, de voir se reconstituer un monopole de l'opérateur historique, qui dispose d'une position très avantageuse en terme de propriétés d'infrastructures permettant de déployer ces réseaux (plus de 300.000 km de fourreaux appartiendraient à France Télécom en France). De ce point de vue, la séparation fonctionnelle, qui garantit la non-discrimination et accélère la concurrence -comme l'expérience britannique l'a permis dans l'accès à l'internet haut débit-, peut faire figure de solution de dernier ressort, ou en tout cas, la menace d'y recourir peut servir à inciter l'opérateur historique à faire preuve d'une volonté plus accommodante (le précédent du dégroupage a montré que l'opérateur puissant pouvait jouer sur des offres tarifaires non viables pour les opérateurs alternatifs, les délais d'attente, les conditions opérationnelles de mise en oeuvre du dégroupage...). C'est l'argument qu'a mis en avant l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) devant le groupe de travail, à l'appui du projet de la Commission de doter les ARN de cet outil de séparation fonctionnelle.

Parmi les opérateurs alternatifs entendus par le groupe de travail, le groupe Iliad/Free fait valoir qu'en outre, l'existence d'une menace de séparation fonctionnelle peut avoir un effet bénéfique sur les investissements des opérateurs alternatifs, qui se verraient ainsi confortés dans leur volonté de déploiement de nouveaux réseaux, et, par ricochet, sur ceux de l'opérateur historique, aiguillonné par la concurrence et motivé pour conserver son avance. Cet effet positif sur l'investissement est toutefois contesté par l'opérateur historique , qui explique au contraire que la perspective d'une possible séparation fonctionnelle de son nouveau réseau fibre le dissuaderait d'avancer dans le déploiement de ce réseau.

En tout état de cause, votre commission considère que la séparation fonctionnelle ne saurait être un outil parmi d'autres au milieu de ceux dont disposerait a priori le régulateur sectoriel. Ses effets importants et controversés, les risques qui y sont associés ainsi que son caractère irréversible, intrusif et complexe doivent conduire à en encadrer très strictement l'usage 9 ( * ) . C'est pourquoi elle propose d'autoriser une ARN à recourir à la séparation fonctionnelle comme à une mesure exceptionnelle, de dernier ressort, mais aussi de soumettre sa mise en oeuvre à la tenue préalable d'un débat au Parlement ainsi qu'à l'avis conforme de la majorité des régulateurs nationaux . De surcroît, elle refuse que la Commission se voie dotée du pouvoir d'imposer aux régulateurs nationaux de mettre en oeuvre cette mesure.

II. OPTIMISER LA GESTION DU SPECTRE RADIOÉLECTRIQUE SANS DOGMATISME

Le spectre radioélectrique est porteur d'enjeux économiques, sociaux et culturels importants et sa rareté doit conduire à en optimiser l'usage, notamment en permettant aux activités innovantes d'y accéder : télévision numérique, télévision numérique, télévision mobile personnelle, internet mobile...

Lors de son audition par le groupe de travail, M. François Rancy, directeur général de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), a rappelé les trois impératifs de la gestion du spectre :

- organiser un accès au spectre pour tous les usages en optimisant le bénéfice pour la société (téléphonie mobile, audiovisuel, télécommandes, étiquettes radio, Wifi, espace, défense, aviation civile, intérieur, météo...) ;

- garantir la sécurité juridique des investissements et permettre l'innovation, en termes de réseaux, de terminaux et de services ;

- être en phase avec l'harmonisation internationale, qui se négocie à l'Union internationale des télécommunications (UIT) 10 ( * ) , et pour le continent européen, à la Conférence européenne des postes et télécommunications (CEPT) 11 ( * ) .

A. LES PRINCIPES DE NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE ET DE NEUTRALITÉ DE SERVICES A L'ÉPREUVE DU PRINCIPE DE RÉALITÉ

La Commission ambitionne de bousculer la politique actuelle de gestion du spectre radioélectrique en Europe en proposant de banaliser les autorisations générales, les licences individuelles d'usage du spectre devenant l'exception, et d'ériger en objectifs généraux la neutralité technologique et de services, même si elle y prévoit des exceptions, au nom de l'efficacité spectrale, de l'interopérabilité, des économies d'échelle ou au bénéfice des réseaux de sécurité ou des réseaux de radiodiffusion. Ainsi, deviendraient soumis à régime dérogatoire les principes actuels qui sont ceux d'utilisation efficace du spectre et de protection contre les brouillages .

Sans doute est-il nécessaire d'améliorer la flexibilité dans la gestion du spectre et de réduire les entraves à une gestion dynamique des fréquences en Europe, pour éviter une forme de « sédimentation » au bénéfice exclusif des opérateurs en place. Mais les propositions de la Commission semblent très théoriques.

A toutes fins utiles, votre rapporteur relève la confusion qui entoure la notion de neutralité de services. En effet, le principe de neutralité technologique est posé par la Commission en des termes larges, comme expliqué plus haut. D'une part, il permet que, dans la même bande de fréquence, diverses technologies sans fil (2G, 3G, Wimax, LTE ...) cohabitent, en respectant assurément des garde-fous techniques pour éviter les perturbations, mais sans privilégier telle ou telle technologie pour des causes historiques. Mais, d'autre part, entendu du point de vue des réseaux, ce principe conduit à une forme de neutralité de services : dès lors qu'une bande de fréquences doit pouvoir accueillir tout type de réseau, cela signifie qu'elle peut supporter indifféremment tous les services utilisant ces réseaux. La neutralité technologique , telle que définie dans le texte E-3701, peut donc aisément être confondue avec la neutralité de services , au sens des services définis par le règlement des radiocommunications de l'UIT (les services à l'UIT correspondant à des types de réseaux).

A proprement parler, la neutralité de services, telle que définie par le texte E-3701, signifie qu'une bande de fréquences doit pouvoir accueillir tout type de service de communications électroniques ; or la définition des services de communications électroniques, qui figure à l'article 2 de la directive-cadre, inclut tous les services fournis sur des réseaux de communications électroniques (y compris les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion) mais exclut les services consistant à fournir des contenus. La neutralité de services, entendue par la Commission, pourrait donc viser à ce que, sur un réseau de communications électroniques donné, puisse être offerte la plus large palette de services de communications électroniques possible : voix, internet, vidéo ...

Des restrictions à ce principe restent prévues par la Commission, soit pour interdire la fourniture d'un service, soit pour l'imposer.

Si, en matière de télécommunications, l'interdiction de la fourniture d'un service de communications électroniques sur une bande de fréquences n'existe pas, en matière audiovisuelle, pour des raisons liées à la promotion de la diversité culturelle et linguistique et au pluralisme des médias, les interdictions sont bien plus courantes. Ainsi par exemple, les radios (telle que la FM) n'ont pas le droit de fournir des services de télévision ou de données.

Pour ce qui est de la possibilité d'imposer la fourniture de certains services de communications électroniques , certaines spécificités du spectre -notamment sa rareté- peuvent conduire les régulateurs à y recourir pour des motifs d'intérêt général, dont font évidemment partie la diversité culturelle et le pluralisme. Mais, dans les télécommunications aussi, les cahiers des charges imposent la fourniture de certains services associés à des critères de couverture et de qualité de service.

En tout état de cause, et quelle que soit l'interprétation à donner au texte de la Commission, la combinaison des principes de neutralité technologique et de neutralité de services est assurément excessive et soulève de grandes difficultés.

En effet, il est tout aussi indispensable de garantir l'interopérabilité et de promouvoir une approche européenne harmonisée pour le développement de services innovants à l'échelle du continent européen ; cette harmonisation des normes technologiques a notamment fait le succès du GSM. Elle permet des économies d'échelle et une baisse du prix des équipements ; elle assure aussi une meilleure qualité de services ainsi que la continuité des services sur le territoire européen. La Commission elle-même n'en convient-elle pas quand elle prend parti en faveur d'une norme technologique, comme elle vient encore de le faire, en mars 2008, en approuvant l'adoption du DVB-H comme norme officielle de l'Union Européenne dans le domaine de la télévision mobile personnelle ?

Dans son projet de rapport devant la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen sur le texte E-3701, Mme Catherine Trautmann insiste également sur l'enjeu que représente le maintien de la possibilité d'une approche harmonisée 12 ( * ) .

Comme le souligne M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP 13 ( * ) , les principes de neutralité technologique et de services ne pourraient s'envisager que dans une Europe fédérale, où n'existerait pas ce risque de fragmentation du marché.

En ce qui concerne les dangers qu'il y aurait à adopter le principe de neutralité de services , on peut aussi redouter que des acteurs majeurs du logiciel ou d'internet en profitent pour concurrencer les opérateurs en place, sans aucune contrepartie ou obligation, au détriment de la qualité de service.

On voit mal enfin comment ces principes pourraient être appliqués au regard des contraintes internationales qui découlent des conférences mondiales des radiocommunications (lesquelles affectent certaines bandes de fréquences à certains usages). C'est pourquoi votre commission rappelle que l'application de ces principes doit être circonscrite aux possibilités offertes par les règlements internationaux de l'UIT ou de la CEPT qui déterminent quels types de services peuvent coexister dans les différentes bandes de fréquences.

En tout état de cause, la mise en oeuvre de la neutralité technologique et de services risque aussi de porter atteinte à la sécurité juridique des acteurs et d'affaiblir la protection contre les brouillages, décourageant l'investissement. Ce risque d'interférences et de dégradation de la qualité de services serait accru par l'attribution d'autorisations générales et non de droits d'usage individuels, comme l'a souligné l'Association française des opérateurs mobiles (AFOM) devant le groupe de travail.

Lors de son audition, M. Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), a également mis l'accent sur ce danger, faisant à cet égard observer qu'à défaut d'harmonisation, le spectre réellement disponible dans chaque pays pourrait se réduire à cause des bandes de protection qu'il serait nécessaire d'établir entre des services d'usage différent (et de rayonnement différent) pour éviter les brouillages. La libéralisation de l'usage du spectre, facilitée par l'octroi d'autorisations générales et la cession de droits d'usage des fréquences entre acteurs sur un marché secondaire, pourrait effectivement s'avérer contre-productive en matière de capacité spectrale. L'application de la neutralité de services entraînerait donc, pour des raisons techniques, un gâchis absurde de spectre.

Mais il a surtout fait part de son inquiétude quant à la déstabilisation que le principe de neutralité de services entraînerait pour le modèle français de régulation de l'audiovisuel fondé sur l'attribution de fréquences en échange d'obligations qui participent de la réalisation d'objectifs d'intérêt général. En effet, il s'agit de permettre que les fréquences sont attribuées non pour des usages prédéterminés, mais à des opérateurs, qui sont libres ensuite d'en faire l'usage de leur choix -audiovisuel ou télécommunications-. Or il importe de ne pas porter atteinte à la force de l'audiovisuel européen, notamment la variété et la richesse de ses programmes, et de conserver leur valeur aux contenus, dans un contexte de concurrence internationale croissante.

Le CSA déplore donc que le texte E-3701 supprime, à l'article 5 de la directive « autorisation », la possibilité que des critères et des procédures particuliers puissent être adoptés par les Etats membres « pour octroyer le droit d'utilisation des radiofréquences à des fournisseurs de services de contenus de radio ou de télédiffusion en vue de poursuivre des objectifs d'intérêt général conformément au droit communautaire ». Il rappelle en outre que l'article 1.3 de la directive-cadre, sur lequel la Commission ne propose pas de revenir, spécifie : « La présente directive, ainsi que les directives particulières, ne portent pas atteinte aux mesures prises au niveau communautaire ou national, dans le respect du droit communautaire, pour poursuivre des objectifs d'intérêt général, notamment en ce qui concerne la réglementation en matière de contenus et la politique audiovisuelle ».

En outre, et toujours selon M. Michel Boyon, le principe de neutralité de services conduit inévitablement à un mode d'attribution des fréquences par mise aux enchères , puisque aucune indication sur la nature du service et les obligations incombant à celui-ci ne pourrait être prise en compte, ce qui risquerait de défavoriser les acteurs de l'audiovisuel dont la puissance financière est largement inférieure à celle des acteurs des télécommunications.

Or, votre commission considère que les textes de la Commission européenne ne vont pas si loin, dans la mesure où ils prévoient des exceptions au principe de neutralité de services, exceptions motivées par un objectif d'intérêt général, ce qui exigerait d'imposer des obligations aux titulaires de l'autorisation d'usage du spectre. De telles obligations peuvent aussi bien être imposées par le mode actuel d'attribution de fréquences dans l'audiovisuel (gratuité du droit d'usage en échange d'un cahier des charges et de la contribution au financement de la création) que par une procédure de « concours de beauté » (où le prix n'est qu'un critère parmi d'autres pour l'attribution de l'autorisation) ou encore par une procédure d'enchères mais assorties d'un cahier des charges imposé. La mise aux enchères pures n'est donc pas l'horizon unique de la Commission : ce point ne constitue donc pas un motif majeur d'inquiétude pour votre rapporteur.

De même, le développement d'un marché secondaire des fréquences ne signifie pas nécessairement l'impossibilité de maintenir des obligations réglementaires ou conventionnelles associées au droit d'usage des fréquences, dans la mesure où l'on peut plaider pour que le droit d'usage d'une fréquence soit cédé avec les obligations dont il est assorti . D'ailleurs, la Commission elle-même ne remet pas en cause l'existence d'objectifs d'intérêt général, comme la promotion de la diversité culturelle et linguistique, le pluralisme des médias ou la cohésion nationale.

Il reste que les principes de neutralité technologique et de services portent en eux-mêmes les germes d'une révolution dans la gestion du spectre, dont les conséquences n'apparaissent pas pleinement mesurées par la Commission et dont l'application, d'ici seulement cinq ans, aux fréquences déjà attribuées, serait excessivement brutale . Le groupe Canal+ a fait part au groupe de travail de sa très grande inquiétude sur ce point, qui lui paraît porteur d'un effondrement immédiat de la valorisation des groupes détenteurs de droits d'utilisation du spectre.

De surcroît, lors de son audition, l'ANFR a insisté sur le fait que le développement de systèmes radio s'inscrivait dans des cycles longs : il n'est pas rare que dix années s'écoulent entre les premiers développements normatifs et les premiers déploiements commerciaux (ce fut le cas pour le GSM comme pour l'UMTS). L'Association française des opérateurs mobiles (AFOM) a également fait valoir que le retour sur investissements lié au déploiement d'un réseau mobile exigeait une dizaine d'années. Votre commission juge donc que le raccourcissement de la durée des autorisations, que la Commission propose de ramener de dix à cinq ans pour améliorer la flexibilité du spectre et s'assurer régulièrement du respect des obligations assortissant le droit d'usage du spectre, apparaît volontariste et peu en accord avec le rythme de l'évolution technologique dans le domaine des fréquences et la durée d'amortissement des investissements consentis. Par voie de conséquence, ce raccourcissement de la durée des autorisations risque de freiner les investissements des usagers du spectre .

C'est pour ces diverses raisons que votre commission estime que l'assouplissement de la gestion du spectre que la Commission européenne voudrait provoquer présente des risques réels et appelle la prudence . Elle rappelle donc, dans sa proposition de résolution, que l'optimisation de la gestion du spectre radioélectrique est indispensable afin de le rendre plus accessible aux services innovants, mais que cette optimisation n'implique pas d'ériger en principe absolu la neutralité de services, précision que votre commission a tenu à ajouter sur le fondement de l'amendement n° 2 présenté par M. Michel Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés. En outre, votre commission précise que cette optimisation ne doit pas porter préjudice à la nécessaire harmonisation communautaire ni fragiliser la sécurité juridique des investissements, et doit tenir compte des objectifs d'intérêt général, en particulier dans le domaine audiovisuel.

Plutôt que de renverser brutalement l'architecture de la gestion du spectre en Europe et de transformer la règle en exception -et inversement-, votre commission plaide finalement pour une évolution mesurée, guidée par deux soucis :

- assurer l'équilibre entre les principes actuels de gestion du spectre et les nouveaux principes de neutralité technologique et de services ;

- prendre en considération, au niveau européen, les contraintes nationales et internationales.

B. AMÉLIORER À LA MARGE L'ARCHITECTURE DE GESTION DU SPECTRE RADIOÉLECTRIQUE, POUR UNE MEILLEURE COORDINATION

Concernant l'organisation institutionnelle de la gestion du spectre , l'intérêt qu'il y aurait à confier un rôle en la matière à l'éventuelle Autorité européenne est loin d'être évident. Ce projet, qui semble d'ailleurs très largement rejeté par les Etats membres, apporterait plutôt une complexité supplémentaire dans le processus d'harmonisation communautaire en matière de spectre, processus déjà compliqué du fait de la multiplicité des structures impliquées (RSPG, RSCOM, CEPT, Commission...).

Aujourd'hui, c'est le Radio Spectrum Policy Group (RSPG), composé de représentants de chaque Etat membre, qui donne l'impulsion stratégique sur les questions communautaires relatives au spectre. Il apparaît comme un conseil d'orientation, qui assure une coordination entre Etats membres, notamment pour que les arbitrages rendus sur la répartition du spectre entre les usages gouvernementaux et les usages destinés aux communications électroniques permettent de tirer tous les bénéfices escomptés. Il assure aussi la coordination entre la Commission, la CEPT et l'organe de normalisation européen (ETSI).

A côté du RSPG, un système d'harmonisation communautaire a été mis en place : en vertu de la décision « spectre radioélectrique » de 2002 14 ( * ) destinée à faciliter l'harmonisation communautaire des conditions techniques d'utilisation des fréquences destinées aux communications électroniques, la Commission européenne, s'appuyant sur l'avis conforme du comité du spectre radioélectrique (RSCOM 15 ( * ) ) , qui se prononce à la majorité qualifiée, prend des décisions . 16 ( * )

Dans les enceintes de négociations internationales relatives aux fréquences, il ne serait d'ailleurs pas souhaitable que la Commission négocie au nom des Etats membres , ce système de mandat présentant une rigidité qui rendrait difficile l'obtention du consensus, sur lequel repose le processus de décision à l'UIT.

Le processus actuel a montré son efficacité et sa réactivité, y compris sur des sujets politiques comme le dividende numérique, permettant par exemple, pendant la conférence mondiale des radiocommunications de novembre 2007 (CMR-07), une évolution des positions européennes d'un refus de toute attribution du dividende numérique dès cette conférence, à une position d'ouverture, finalement en ligne avec le mandat français de négociation. Selon l'ANFR, dans les circonstances qui prévalaient avant la conférence, un mandat à la Commission européenne pour la CMR-07 n'aurait pas permis une telle évolution des positions. Il est même probable que le mandat aurait été de ne rien changer à l'existant.

En outre, comme le fait observer M. François Rancy, directeur général de l'ANFR, rompu à l'exercice, la négociation dans ces enceintes est globale et porte le plus souvent sur des points techniques et réglementaires : il paraît difficile, face aux autres organisations régionales 17 ( * ) , de différencier les sujets politiques sur lesquels négocierait la Commission européenne pour une Europe à 27 -sur le fondement d'un mandat discuté au Conseil et au Parlement- de sujets techniques ou non communautaires sur lesquels négocierait la CEPT représentant 48 pays. Enfin, l'instauration d'un mandat de la Commission européenne réduirait l'influence de l'Europe et conduirait à sa division entre l'Union européenne et l'Europe-hors UE, invitant de fait la Russie à prendre la tête de cette dernière, alors même que beaucoup de chemin a été fait depuis 1989 pour intégrer la Russie dans la CEPT.

Il n'est donc pas utile , aux yeux de votre commission, de modifier l'architecture institutionnelle de gestion du spectre à l'échelon européen et il est même essentiel de conserver la décision « spectre radioélectrique » de 2002.

Même concernant les services « d'envergure communautaire », votre commission reste réservée à l'idée d'accroître les pouvoirs d'harmonisation de la Commission. La gestion du spectre doit rester une prérogative nationale et les autorisations délivrées pays par pays au sein de l'Union. Toutefois, il faut reconnaître que le caractère « pan-européen » de certains services appelle sans doute une plus grande coordination entre Etats membres : ainsi, l'attribution des fréquences UMTS a pâti d'un défaut de coordination entre Etats membres dans le lancement de ces services et la procédure d'attribution des fréquences. Une coopération plus grande entre la Commission et les Etats membres est apparue également nécessaire à l'occasion du projet de sélection coordonnée des services mobiles par satellite.

Pour votre commission, ceci est possible dans le cadre des équilibres institutionnels actuels, notamment au sein du RSPG, dont le champ d'action pourrait être élargi et qui, au-delà de la fourniture d'avis à la Commission européenne, pourrait être chargé de donner la nécessaire impulsion stratégique pour une coordination des politiques des Etats membres en matière de spectre .

III. ASSURER DES PROGRÈS RÉALISTES POUR LA SÉCURITÉ DES RÉSEAUX ET LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Le texte E-3702, qui fixe de nouvelles obligations aux opérateurs de communications électroniques en matière de transparence à l'égard des consommateurs, repose sur une extension des pouvoirs de la Commission européenne à des fins d'harmonisation (article 21 de la directive « service universel ») ; rien n'indique que cette extension soit absolument nécessaire, au vu de la précision des obligations que le projet de directive envisage de faire peser sur les opérateurs et des spécificités des marchés nationaux. C'est la raison pour laquelle votre commission rejoint M. Malcolm Harbour lorsque, dans son projet de rapport à la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen, il propose de refuser à la Commission de s'arroger un rôle de surveillance du respect par le marché des droits des consommateurs .

Il n'empêche que les attentes des consommateurs à l'égard d'une meilleure lisibilité tarifaire doivent être entendues mais sans doute diffèrent-elles d'un pays à l'autre et le niveau communautaire n'est-il pas le mieux à même d'y répondre. D'ailleurs, même à l'échelon national, le régulateur français, par la voix de son président, considère que son rôle devrait se limiter à définir, en collaboration avec les représentants des consommateurs, le cadre de l'information que les opérateurs seraient tenus de rendre publique, mais ne pas s'étendre à la collecte de cette information.

Au-delà de ces considérations d'ordre institutionnel, il convient de mesurer la plus-value réelle, pour les consommateurs, des mesures proposées par la Commission et de s'interroger sur le caractère approprié ou proportionné des obligations qu'elles créent pour les opérateurs ou les autorités publiques.

En matière de portabilité des numéros , les représentants des consommateurs auditionnés par le groupe de travail sont convenus de l'impact positif sur la concurrence et sur la transparence des prix d'un raccourcissement des délais de portabilité, mais envisagent de ramener de dix à deux jours le délai de cette portabilité. La proposition de la Commission de limiter à vingt-quatre heures ce délai apparaît donc excessive, puisqu'elle va même au-delà de la demande des consommateurs.

Les opérateurs font valoir, en outre, qu'il serait absurde de prévoir une portabilité en vingt-quatre heures quand le délai de rétractation prévu par le droit communautaire de la consommation est de sept jours : ceci exposerait les consommateurs à des risques d'interruption de services en cas de rétractation ... Par ailleurs, puisque la Commission, prenant acte de la convergence croissante entre fixe et mobile, envisage la possibilité d'appliquer aux services de téléphonie fixe ces mêmes délais de portabilité, les opérateurs font observer que le changement de fournisseur d'accès internet haut débit exige souvent une intervention physique sur le réseau (dans le cadre du dégroupage) pour construire l'accès, intervention qui ne peut se faire systématiquement dans la journée où elle est demandée ; une portabilité en 24 heures pourrait aussi mettre à mal la sécurité des procédures de sa mise en oeuvre (comme le laissent présumer les cas d'écrasement de ligne ou « slamming » déjà constatés en matière de dégroupage).

L'AFOM souligne enfin qu'une éventuelle portabilité des numéros entre fixe et mobile serait prématurée et entraînerait une perte d'information tarifaire pour les consommateurs, lesquels ne pourraient plus bénéficier de la lisibilité qui découle de l'architecture actuelle du plan de numérotation en France, qui attribue des tranches de numéros distinctes aux services de téléphonie fixe ou mobile.

De même, la proposition de la Commission d'obliger tout opérateur à notifier aux abonnés toute atteinte à leurs données personnelles, si elle peut contribuer à une meilleure transparence au profit des consommateurs, pourrait se révéler contre-productive en nourrissant l'inquiétude des consommateurs voire en provoquant des attaques pour tester la sécurité des réseaux. Sans doute serait-il donc préférable de prévoir l'accord préalable du régulateur national avant tout type de communication en matière de sécurité ou, comme le propose l'AFOM, de limiter l'information du consommateur aux seules atteintes à ses données personnelles qui seraient susceptibles de lui porter préjudice.

S'agissant du sujet de la neutralité de l'internet -« net neutrality »-, tout juste effleuré par la Commission mais pourtant largement débattu outre-Atlantique, les représentants des consommateurs auditionnés par le groupe de travail s'inquiètent de l'ouverture manifestée par la Commission à l'égard de restrictions, certes raisonnables, que les opérateurs pourraient décider d'apporter à l'accès à certains contenus, au nom de la qualité de service. Ils font valoir la nécessité d'assurer à tout utilisateur d'internet un égal accès aux mêmes services. Votre rapporteur comprend la préoccupation des représentants des consommateurs, la possibilité de dérogation au principe de neutralité de l'internet pouvant paraître attentatoire à la liberté qui est consubstantielle à l'usage d'internet. Il relève, à cet égard, que l'article 8.g) de la directive-cadre, dans la rédaction proposée par le texte E-3701, pose le principe général selon lequel « les utilisateurs finaux doivent pourvoir accéder à tout contenu licite et en diffuser, et utiliser toute application et/ou service licite de leur choix », garantit un internet ouvert .

Toutefois, il n'ignore pas la nécessité, pour les opérateurs, de réguler le trafic en accordant, selon les services, une bande passante de taille variable sur leurs réseaux, afin de prévenir tout engorgement et d'assurer aux consommateurs finals une qualité de service optimale. Les opérateurs de réseaux doivent pouvoir conserver un pouvoir d'arbitrage pour prévenir les situations critiques pour leurs infrastructures. Il serait donc utopique de prétendre interdire toute forme de régulation du trafic -« traffic shaping »- et d'écarter toute contribution des services tirant profit de la bande passante disponible sur les réseaux, au financement de ces infrastructures. Surtout, comme l'a fait observer la Fédération française des télécommunications lors de son audition, le caractère « ouvert » de l'internet est assuré par l'environnement concurrentiel, les possibilités simplifiées de changement d'opérateur et l'application du principe de non discrimination.

Votre rapporteur approuve donc la proposition de la Commission et considère essentiel d'informer les consommateurs des éventuelles restrictions apportées à l'accès aux contenus, la transparence sur ce sujet délicat pouvant sans doute contribuer à éviter les dérives redoutées.

Plus généralement, votre rapporteur estime que le degré d'ouverture de l'internet résulte à la fois de l'attitude des opérateurs de réseaux et de celle des fournisseurs de contenus, susceptibles, pour leur part, de discriminer entre les opérateurs de réseaux. Cette problématique d'accès aux contenus et de partage de la valeur n'est qu'à peine abordée par le « paquet télécom » proposé par la Commission, ce que regrette votre rapporteur 18 ( * ) .

Concernant la lutte contre le piratage sur internet , les propositions de la Commission exigent d'une part que les consommateurs soient clairement informés, avant la conclusion d'un contrat et régulièrement par la suite, de leurs obligations en matière de respect des droits d'auteurs et des droits voisins, ce qui paraît effectivement indispensable 19 ( * ) . Elles prévoient d'autre part que les autorisations générales délivrées à un service de communications électroniques peuvent être assorties de conditions relatives au respect des mesures nationales de mise en oeuvre des directives communautaires relatives aux droits d'auteur et de la propriété intellectuelle 20 ( * ) . Votre commission s'interroge sur la légitimité de cette disposition, dans la mesure où les législations nationales prévoient déjà une sanction, par le juge ou une autorité administrative spécifique, à tout manquement à ces droits. Sans doute l'efficacité de ces sanctions n'est-elle pas démontrée à ce jour, mais n'est-ce pas excessif de faire du respect de ces droits une condition générale d'accès à une autorisation ?

En matière de sécurité des réseaux , votre commission n'est pas convaincue par la proposition de la Commission européenne de reporter sur la nouvelle autorité européenne les missions aujourd'hui assumées par l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (ENISA). Défavorable sur le fond au projet de création d'une autorité européenne pour la régulation des marchés de services de communications électroniques, votre commission note également le risque , mis publiquement en avant par les experts conseils de l'ENISA 21 ( * ) , qu'il y aurait à réduire la sécurité aux services de communications électroniques : toute la chaîne technologique qui contribue à la sécurité -depuis l'équipement informatique jusqu'aux systèmes d'exploitation- serait méconnue et la prise en compte de certains utilisateurs et secteurs (banques, logiciels...) serait négligée.

Enfin, concernant les services d'urgence , la proposition, à l'article 26 de la directive « service universel » issu du texte E-3702, d'imposer, aux frais de l'opérateur, la transmission gratuite aux autorités gérant les urgences de la localisation de l'appelant. L'ensemble des opérateurs ont fait valoir, par la voix de la Fédération française des télécommunications, les obstacles techniques qui persistent à rendre difficile cette transmission en mode « push ». Ils estiment en outre que les investissements, que la mise en oeuvre d'une telle mesure impliquerait sur le réseau cuivre, seraient rapidement perdus du fait que ce réseau téléphonique commuté touche à sa fin et devrait à terme être supplanté par les nouveaux réseaux en fibre optique.

Votre commission propose donc de confirmer le besoin d'une meilleure protection des consommateurs de services de communications électroniques, dans le souci d'améliorer la transparence et la lisibilité tarifaire. Mais elle invite à ne pas faire peser, à ce titre, d'obligations excessives ou inappropriées sur les autorités publiques ou les opérateurs, votre commission ayant adopté la proposition faite par M. Michel Teston et les membres du groupe socialiste dans leur amendement n° 5 d'éviter prioritairement aux autorités publiques de telles obligations.

Enfin, pour conclure sa proposition de résolution, votre commission insiste sur l'importance, pour l'Europe, d'un fonctionnement optimal des réseaux et services de communications électroniques, vecteur fondamental de diversité culturelle, mais aussi de développement économique, précision que votre commission a bien voulu apporter suite à l'amendement n° 6 présenté par M. Michel Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Lors de sa réunion du mercredi 21 mai 2008, votre commission des affaires économiques a examiné le texte présenté par son rapporteur, au nom du groupe de travail. Après avoir y avoir apporté des modifications, au vu des amendements déposés, elle a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution dont le texte suit, le groupe socialiste, apparentés et rattachés s'abstenant et le groupe communiste républicain et citoyen votant contre.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le texte E 3701 portant proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l'accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu'à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l'autorisation des réseaux et services de communications électroniques,

Vu le texte E 3702 portant proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n°2006/2004 relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs,

Vu le texte E 3703 portant proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne du marché des communications électroniques,

(a) Considère que l'adaptation du cadre règlementaire du secteur des communications électroniques doit tenir compte de l'exigence de mobilité et de la convergence entre les télécommunications, l'internet et l'audiovisuel,

(b) Estime l'optimisation de la gestion du spectre radioélectrique indispensable afin de le rendre plus accessible aux services innovants, sans ériger en principe absolu la neutralité de services, sans porter préjudice à la nécessaire harmonisation communautaire en la matière, sans fragiliser la sécurité juridique des investissements, et en tenant compte des objectifs d'intérêt général, en particulier dans le domaine audiovisuel, où la régulation s'attache à promouvoir le pluralisme, la diversité culturelle et la création,

(c) Juge que la possibilité d'imposer à l'opérateur historique la séparation fonctionnelle de son réseau doit constituer une mesure exceptionnelle de dernier ressort, soumise à la tenue préalable d'un débat au Parlement et à l'avis conforme de la majorité des régulateurs nationaux, et refuse que soit donné à la Commission européenne le pouvoir d'imposer aux régulateurs nationaux de mettre en oeuvre cette mesure,

(d) Confirme le besoin de mieux assurer les droits et la protection des consommateurs de services de communications électroniques, dans le souci d'améliorer la transparence et la lisibilité tarifaire, sans pour autant faire peser d'obligations excessives ou inappropriées sur les autorités publiques ou les opérateurs,

(e) S'oppose à la création d'une autorité européenne du marché des communications électroniques et réfute la nécessité de créer un droit de veto communautaire sur les remèdes imposés par un régulateur national à un opérateur puissant sur un marché,

(f) Propose, afin d'harmoniser les pratiques nationales de régulation en Europe sans bouleverser l'équilibre institutionnel, de construire un système de régulation conjointe entre la Commission et les régulateurs nationaux, réunis au sein d'un comité consultatif dont l'avis, adopté à la majorité, lierait la Commission et serait rendu public,

(g) Rappelle qu'un fonctionnement optimal des réseaux et services de communications électroniques est un vecteur fondamental de diversité culturelle et de développement économique en Europe.

ANNEXE I - LISTE DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL « PAQUET TÉLÉCOM »

M. Pierre HERISSON, président

M. Jean-Claude DANGLOT, vice-président

M. Bruno RETAILLEAU, vice-président

M. Claude BIWER, membre

M. Gérard CORNU, membre

M. Gérard DELFAU, membre

M. Daniel RAOUL, membre

M. Bruno SIDO, membre

M. Michel TESTON, membre

ANNEXE II - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

Mme Viviane Reding , Commissaire européen en charge de la société de l'information et des médias .

Agence nationale des fréquences (ANFR)

- M. François Rancy , directeur général

- M. Didier Chauveau , responsable du département des affaires européennes

Association française des opérateurs mobiles (AFOM)

- M. Jean-Marie Danjou , délégué général

- M. Nicolas Herbreteau , chargé de mission

Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST)

- M. Richard Lalande , président

- Mme Katia Duhamel , directeur déléguée

- Mlle Marie Lamoureux , chargée de mission

accompagnés de M. Jean-Luc Archambault , président de Lysios

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

- M. Paul Champsaur , président

- Mme Gabrielle Gauthey , membre du collège

- Mme Anne Lenfant , chef du service international

Canal +

- M. Olivier Zegna Rata , directeur des relations extérieures

- M. Blaise Mistler , responsable des relations internationales

Conseil de la concurrence

- M. Bruno Lasserre , président

- M. Antoine Darodes de Tailly , rapporteur permanent

Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

- M. Michel Boyon , président

- M. Olivier Japiot , directeur général

- Mme Martine Coquet , directrice des affaires européennes et internationales

Fédération française des télécommunications et des communications électroniques (FFT)

- M. Yves Le Mouel , directeur général

- Mlle Marie Lamoureux , chargée de mission à l'AFORST

- M. Nicolas Herbreteau , chargé de mission à l'Association française des opérateurs mobiles (AFOM)

Fédération syndicaliste Force ouvrière de la communication (FO COM)

- M. Bernard Allain , secrétaire fédéral national FO branche Télécom

- M. Richard Didelin , responsable national branche Télécom

France Télécom

- Mme Florence Chinaud , directrice des relations institutionnelles

- M. Hennès Vianney , directeur du bureau de Bruxelles

Free

- M. Olivier de Baillenx , directeur des relations institutionnelles

UFC - Que choisir ?

- M. Julien Dourgnon , directeur des études et de la communication

- M. Edouard Barreiro , chargé de mission commerce et technologies de l'information et de la communication

ANNEXE III - AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° 1

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés

Rédiger la proposition de résolution comme suit :

« Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le texte E 3701 portant proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l'accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu'à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l'autorisation des réseaux et services de communications électroniques,

Vu le texte E 3702 portant proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n° 2006/2004 relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs,

Vu le texte E 3703 portant proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne du marché des communications électroniques,

Considère que l'adaptation du cadre réglementaire du secteur des communications électroniques doit tenir compte de l'exigence de mobilité et de la convergence entre les télécommunications, l'internet et l'audiovisuel,

Estime que les principes de gestion du spectre tels qu'ils résultent des décisions d'harmonisation en vigueur ne doivent pas être remis en cause par la volonté d'ériger, en principe absolu, la neutralité des services. L'allocation des fréquences doit continuer à répondre à des critères économiques et sociaux, à respecter des objectifs précis en termes de pluralisme, de création et de diversité culturelles ainsi que de mission de service public.

Refuse la possibilité donnée aux Autorités de Régulation Nationales d'imposer, aux opérateurs concernés, la séparation fonctionnelle entre les services offerts et la gestion de leur réseau.

S'oppose à la création d'une autorité européenne du marché des communications électroniques et réfute la nécessité de créer un droit de veto communautaire sur les remèdes imposés par un régulateur national à un opérateur puissant sur le marché.

Propose donc la mise en oeuvre d'une régulation concertée entre le niveau communautaire et le niveau national. II s'agirait, pour la Commission, de jouer un rôle de facilitateur et non pas de juge.

Dans cette perspective, la résolution des conflits devra reposer sur une concertation entre la Commission et le Groupe des Régulateurs Européens.

Confirme le besoin de mieux assurer les droits et la protection des consommateurs de services de communications électroniques, sans pour autant faire peser d'obligations excessives sur les autorités publiques et, ou, les opérateurs.

Rappelle qu'un fonctionnement optimal des réseaux et services de communication électronique est un vecteur fondamental de diversité culturelle et de développement en Europe. »

Amendement n° 2

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés.

Remplacer le paragraphe 2 de la proposition de résolution par la formule suivante :

« Estime que les principes de gestion du spectre tels qu'ils résultent des décisions d'harmonisation en vigueur ne doivent pas être remis en cause par la volonté d'ériger, en principe absolu, la neutralité des services.

L'allocation des fréquences doit continuer à répondre à des critères économiques et sociaux, à respecter des objectifs précis en termes de pluralisme, de création et de diversité culturelles ainsi que de mission de service public. »

Amendement n° 3

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés.

Rédiger le paragraphe 3 de la proposition de résolution comme suit :

« Refuse la possibilité donnée aux Autorités de Régulation Nationales d'imposer, aux opérateurs concernés, la séparation fonctionnelle entre les services offerts et la gestion de leur réseau. »

Amendement n° 4

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés.

Remplacer le paragraphe 6 de la proposition de résolution par la formule suivante :

« Propose donc la mise en oeuvre d'une régulation concertée entre le niveau communautaire et le niveau national. Il s'agirait, pour la Commission, de jouer un rôle de facilitateur et non pas de juge.

Dans cette perspective, la résolution des conflits devra reposer sur une concertation entre la commission et le Groupe des Régulateurs Européens. »

Amendement n° 5

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés.

Le paragraphe 4 de la proposition de résolution devient un avant-dernier paragraphe dans lequel l'expression :

« , sans pour autant faire peser d'obligations excessives sur les opérateurs ou les autorités publiques »

Est remplacée par l'expression :

« , sans pour autant faire peser d'obligations excessives sur les autorités publiques et, ou, les opérateurs ».

Amendement n° 6

présenté par M. Michel TESTON et les membres du groupe socialiste,

apparentés et rattachés.

Amendement rédactionnel au dernier paragraphe :

Remplacer l'expression :

« vecteur fondamental de la diversité culturelle en Europe »

par l'expression :

« vecteur fondamental de diversité culturelle et de développement en

Europe »

* 1 Pour plus de détails, voir page 129 du rapport 2006-2007 n°350 , Dix ans après : la régulation à l'ère numérique , de M. Bruno Retailleau, au nom de la Commission des affaires économiques du Sénat.

* 2 European Network and Information Security Agency.

* 3 Ib.

* 4 Durée des droits d'utilisation des fréquences, couverture territoriale des droits, possibilité de transfert du droit à d'autres sociétés, méthode de calcul des redevances...

* 5 Ib.

* 6 En outre, le droit de veto offre une forme de recours face aux décisions des ARN concernant les remèdes.

* 7 Ce fut le cas en Allemagne où le régulateur a décidé une pause réglementaire, afin de laisser à Deutsche Telekom toute liberté pour déployer son réseau VDSL, sans consultation de la Commission ni des autorités réglementaires des autres États membres.

* 8 A cet égard, on peut relever le cas américain où, sous la pression de la demande et de la technique, la séparation fonctionnelle n'a pas résisté au temps et a abouti à une reconsolidation progressive de l'ancien AT&T.

* 9 D'ailleurs, le droit communautaire de la concurrence autorise déjà la Commission européenne à imposer des mesures de nature structurelle aux entreprises préalablement reconnues responsables de pratiques anticoncurrentielles (c'est-à-dire en cas d'infraction constatée aux articles 81 et 82 du Traité), mais encadre strictement cette possibilité : cette mesure doit être «  proportionnée à l'infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l'infraction. Une mesure structurelle ne peut être imposée que s'il n'existe pas de mesure comportementale qui soit aussi efficace ou si, à efficacité égale, cette dernière s'avérait plus contraignante pour l'entreprises concernée que la mesure structurelle. (...) Il ne serait proportionné de modifier la structure qu'avait une entreprise avant la commission de l'infraction que si cette structure même entraînait un risque important que l'infraction ne perdure ou ne soit répétée ».

* 10 191 Etats membres.

* 11 48 Etats membres.

* 12 Pourtant, elle propose de supprimer la décision « spectre radioélectrique » de 2002 (décision 676/2002/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002) qui est l'instrument juridique par lequel peuvent s'effectuer des harmonisations communautaires de nature technique et sans lequel la Commission devrait recourir à des directives pour toute harmonisation, qu'elle soit de nature politique ou simplement technique, ce qui serait excessivement lourd et entraînerait sans doute un recul de l'harmonisation dans l'Union européenne.

* 13 In La lettre de l'Autorité , n° 60, mars/avril 2008.

* 14 Décision 676/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire pour la politique en matière de spectre radioélectrique dans la Communauté européenne.

* 15 Regroupant la Commission européenne et les Etats membres.

* 16 Les rôles du RSPG et du RSCOM sont donc différents et leur fusion, proposée au Parlement européen par Mme Catherine Trautmann, risquerait, selon M. François Rancy, de créer un conflit d'intérêt en réunissant en une seule enceinte les acteurs chargés de répartir le spectre entre le Gouvernement et les communications électroniques et ceux chargés de l'harmonisation des conditions d'utilisation des seules fréquences de communications électroniques.

* 17 CEPT pour l'Europe, CITEL pour les Amériques, APT pour l'Asie Pacifique, la Ligue Arabe et l'UAT pour l'Afrique.

* 18 Dans une contribution adressée à votre rapporteur, Bouygues Telecom suggère même d'élargir la définition de l'accès pour y inclure l'accès aux contenus, afin d'éviter l'apparition de barrières injustifiées à l'interopérabilité entre les réseaux.

* 19 Article 1 er du texte E-3702 modifiant l'article 20, paragraphe 6, de la directive « services universels »

* 20 Point A.19 de la directive autorisation, résultant du texte E-3701 et faisant référence aux directives 2001/29/CE et 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil.

* 21 In Europolitique , n°3502, 3 avril 2008.

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