Rapport n° 371 (2007-2008) de M. René GARREC , fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 juin 2008

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N° 371

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juin 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , complétant l' article 6 de l' ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ,

Par M. René GARREC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily , vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour , secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Éliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Jacques Gautier, Mme Jacqueline Gourault, M. Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. François Pillet, Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

325 , 740 et T.A. 118

Sénat :

260 (2007-2008)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 4 juin 2008, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. René Garrec, la proposition de loi n° 260 (2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, complétant l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Le rapporteur a décrit le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, qui institue, au profit des personnes entendues par les commissions d'enquête parlementaires, une immunité, limitée aux cas de diffamations, outrages et injures, pour les propos tenus ou les écrits produits sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête. Cette protection est étendue aux comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions. Les dispositions relatives à la répression du faux témoignage et de la subornation de témoins commis par une personne entendue, continueraient à s'appliquer.

Souscrivant à cette proposition, la commission a, toutefois, adopté deux amendements :

- le premier, d'une part, introduit le dispositif dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui comprend déjà les dispositions relatives aux immunités parlementaire et juridictionnelle, et d'autre part, renforce l'encadrement du champ de la protection ;

- le second complète l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, régissant les commissions d'enquête, par renvoi aux dispositions précitées.

La commission a, en conséquence, adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'une proposition de loi motivée par l'ouverture de diverses actions en diffamation contre plusieurs témoins convoqués par la commission, créée par l'Assemblée nationale le 28 juin 2006, pour enquêter sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et sur les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Ce harcèlement procédurier l'a conduite à adopter, le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, M. Bernard Accoyer, un texte qui complète les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, régissant les commissions d'enquête parlementaires. Il institue, au profit des personnes que celles-ci entendent, une immunité relative.

Avant d'aborder la proposition de loi, il apparaît utile de retracer brièvement l'évolution des pouvoirs accordés aux commissions d'enquête ainsi que le statut des personnes qu'elles entendent.

I. VERS UNE « PROFESSIONNALISATION » DE L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE : L'ATTRIBUTION DE POUVOIRS D'INVESTIGATION CONTRAIGNANTS

La commission d'enquête dispose, aujourd'hui, grâce à l'obstination patiente des parlementaires, des moyens propres à lui permettre de conduire la mission que lui a conférée l'assemblée qui l'a créée.

A. DU DROIT COUTUMIER À L'INSTITUTIONNALISATION LÉGISLATIVE

L'institution des commissions d'enquête parlementaires a connu depuis le début de la V e République, de notables évolutions qui ont modifié fondamentalement le statut des personnes dont elles jugent utile de recueillir le témoignage.

En effet, cet « instrument majeur du contrôle parlementaire » avait été sérieusement affaibli par les termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précitée, qui lui avait retiré les pouvoirs d'investigation contraignants dont elle disposait jusqu'alors :

- apparues au XIX e siècle, au cours des dernières années de la Restauration, les commissions d'enquête fonctionnèrent en dehors de tout cadre juridique jusqu'à la veille de la première guerre mondiale. Elles n'acquirent les moyens véritables de requérir les éléments d'information indispensables à leurs investigations que par l'adoption de la loi du 23 mars 1914 dite Loi Rochette du nom du principal auteur poursuivi dans une vaste escroquerie survenue dans les premières années du XXe siècle. Le législateur reconnut alors aux commissions des pouvoirs similaires à ceux aujourd'hui prévus par l'ordonnance de 1958 (auxquels s'ajoutait la faculté de requérir la délivrance d'un mandat d'amener par le procureur de la République) sous la réserve « d'une décision spéciale de l'assemblée » qui les aura créées ;

- sous la IV e République, ces pouvoirs sont repris dans la loi du 6 janvier 1950 ;

- en revanche, lors de l'avènement de la Ve République , de véritables pouvoirs d'investigation sont refusés aux commissions d'enquête parlementaires qui, ainsi affaiblies, ne disposent plus des moyens de mener efficacement leur mission.

Non contraignante, l'enquête parlementaire allait rapidement échouer. Entre autres, la commission de contrôle 1 ( * ) sur l'ORTF -constituée au Sénat le 14 décembre 1967- se voyait refuser l'audition des agents de l'ORTF ainsi que la transmission de renseignements qu'elle avait demandés.

A la suite de cet insuccès, le président et le rapporteur de cette commission, nos regrettés collègues Etienne Dailly et André Diligent, déposaient une proposition de loi qui, adoptée par le Sénat le 11 juin 1970, allait devenir la loi n° 77-807 du 19 juillet 1977 : ce texte réintroduisit, notamment, dans l'ordonnance de 1958, l'attribution de pouvoirs d'investigation aux commissions parlementaires d'enquête, particulièrement les moyens de contrainte , d'essence judiciaire, dont elles disposaient antérieurement à 1958 pour l'audition des personnes de leur choix.

La dernière étape de l'évolution du statut législatif des commissions d'enquête résulte de l'intervention, en 1991, d'une modification majeure dans l'organisation des travaux des commissions d'enquête : l'adoption du principe de la publicité des auditions auxquelles elles procèdent (loi n° 91-698 du 20 juillet 1991). Jusqu'à cette date, l'ordonnance de 1958 imposait strictement le secret tant aux membres des commissions qu'à toute personne assistant ou participant à leurs travaux, à un titre quelconque (fonctionnaires, témoins...). Seul en était excepté ce qui était publié dans leur rapport qui, lui, était public, à moins que l'assemblée intéressée, réunie en comité secret en décide autrement. Les infractions à cette obligation de confidentialité étaient pénalement sanctionnées.

Ces dispositions demeurent toujours applicables, mais leur champ d'intervention s'est considérablement réduit depuis 1991.

Aujourd'hui, en effet, les auditions des commissions d'enquête sont normalement publiques. Les commissaires peuvent, toutefois, décider librement l'application du huis-clos, soit, à l'ensemble de leurs auditions, soit à certaines d'entre elles.

Les pouvoirs dévolus aux commissions d'enquête, amplifiés par l'ouverture de leurs auditions décidée en 1991, ont considérablement modifié la situation des personnes qu'elles entendent.

B. LA FRAGILISATION CORRÉLATIVE DES TÉMOINS

Le régime de publicité des auditions détermine le traitement judiciaire des témoins.

1. Des obligations impératives

La personne convoquée par une commission d'enquête doit, d'une part, déférer à cette demande impérative et, d'autre part, déposer sous serment, sous peine d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7.500 euros aux termes du premier alinéa de l'article 6-III de l'ordonnance de 1958. S'ajoute à ces peines la faculté, pour le tribunal, de prononcer l'interdiction de tout ou partie de l'exercice des droits civiques (vote, éligibilité) (art. 6-III, 3 ème alinéa).

Si la personne est convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins, elle s'expose aux peines prévues par les articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, c'est-à-dire, dans le premier cas, cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende (ces plafonds sont portés à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende si la déposition mensongère résulte de la remise d'un don ou d'une récompense, ou si celui contre lequel ou en faveur duquel elle est commise est passible d'une peine criminelle) et, dans le second cas, trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

Précisons que les poursuites engagées à cette fin sont exercées à la requête du président de la commission ou, après la fin de la mission de celle-ci, à celle du Bureau de l'assemblée intéressée. Si cette procédure est rarement engagée, elle l'a déjà été tant à l'Assemblée nationale (notamment par la commission d'enquête sur les tribunaux de commerce) qu'au Sénat à la suite de déclarations apparemment contradictoires émises par le même témoin, à quelques jours d'intervalle, en 1999, devant la commission sénatoriale sur la sécurité en Corse et celle créée, pour le même objet, par l'Assemblée nationale. Aucune suite judiciaire n'a été donnée à ces transmissions.

La personne entendue par une commission d'enquête se trouve donc dans une situation très contrainte, sous la réserve de l'opposition du secret professionnel. En effet, les dispositions pénales sanctionnant les atteintes audit secret (article 226-13 du code pénal, prévoyant une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 15.000 euros) lui sont applicables, hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret (cf. article 226-14 du code précité). Rappelons, à cet égard, l'exception expressément prévue par le législateur, en 2001, dans l'ordonnance de 1958 pour délier du secret les agents des autorités de contrôle et de régulation du secteur financier (commission bancaire, autorité des marchés financiers, comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance) lorsque la commission d'enquête a décidé que ses auditions se dérouleraient à huis-clos. La levée du secret à l'égard de la commission est, cependant, alors entourée de certaines garanties : outre le huis-clos, son rapport non plus qu'aucun autre document public ne pourra faire état des informations ainsi recueillies 2 ( * ) .

Cette entorse raisonnable à la règle du secret professionnel concilie les intérêts des parties en présence, en renforçant les prérogatives de la commission d'enquête dans sa recherche de la vérité tout en préservant l'obligation de confidentialité des témoins.

Après avoir retracé le statut législatif du témoin, il s'agit maintenant de considérer les circonstances de son audition et les conséquences qui peuvent en résulter.

2. Une situation inégalitaire

Les personnes participant à un titre quelconque aux travaux d'une commission parlementaire n'obéissent pas toutes au même régime.

Rappelons, à titre liminaire, que pour leur part, les commissaires, députés et sénateurs, bénéficient de l'immunité de l'article 26 de la Constitution qui exonère députés et sénateurs de toutes poursuites pour les opinions et votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, afin de leur permettre d'exercer librement le mandat que leur a confié leurs électeurs.

Cette irresponsabilité traditionnelle a été reprise par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui en modifie, cependant, l'étendue : en effet, si la Constitution en attribue le bénéfice aux seuls parlementaires, l'article 41 de la loi de 1881 en accroît le champ réel puisqu'il protège de toutes poursuites « les discours tenus dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l'une de ces deux assemblées ».

L'article 41 (alinéa 2) étend le bénéfice de l'immunité au compte rendu des séances publiques des assemblées fait de bonne foi dans les journaux, afin d'en préserver la libre information.

Cette immunité étant absolue, son application est d'interprétation stricte 3 ( * ) .

Reste la question des autres bénéficiaires de l'immunité posée par l'article 41 de la loi de 1881.

La jurisprudence a été mouvante pour son application aux personnes qui, en dehors des députés et sénateurs, participent, à un titre quelconque, aux travaux parlementaires.

Pour ce qui concerne la question précise des personnes entendues par les commissions d'enquête, ces témoins ont pu en bénéficier (CA Paris, 13 janvier 1880). Mais le dernier état de la jurisprudence les en exclut : ainsi, pour la Cour de cassation, tant les dispositions constitutionnelles que les termes de l'article 41 de la loi de 1881 établissent une immunité personnelle qui est d'interprétation stricte en raison de son caractère exceptionnel (Cass., 2 e civ., 22 février 1956).

Par deux décisions rendues le 11 janvier 1984 et visant le même témoin pour des propos tenus devant la commission créée par l'Assemblée nationale pour enquêter sur les activités du service d'action civique (SAC), la Cour d'appel de Paris précise le champ de la protection organisée par l'article 41, alinéa 1, de la loi de 1881 : selon la Cour, la Constitution accorde une immunité absolue aux seuls députés et sénateurs ; en conséquence, appliqué aux personnes amenées à déposer devant une commission d'enquête, l'article 41 « laisse place à la faute personnelle , telle que la tenue de propos diffamatoire(s) ou injurieux s'avérant étrangers à l'enquête parlementaire et malicieux ». La suite du raisonnement de la Cour d'appel constitue le coeur de la question dont le Sénat est aujourd'hui appelé à débattre : la faute personnelle est couverte dans l'instance par le huis clos dans lequel s'est déroulée l'audition du témoin qui n'a pas maîtrisé la publication de ses propos, ordonnée par la commission avec celle de son rapport « par une décision souveraine et ultérieure de l'Assemblée nationale, non prévue par le témoin à la date de sa déposition, (elle) n'est en rien le fait de celui-ci ». En l'espèce, en conséquence, l'action en diffamation publique était irrecevable puisque si la publicité, essentielle pour la constitution de ce délit, était avérée, l'élément intentionnel faisait défaut.

La Cour de cassation a, précisément, posé le statut des personnes convoquées par les commissions d'enquête en leur refusant expressément le bénéfice de l'immunité parlementaire. Au surplus, elle les écarte également du champ d'application de l'exonération de responsabilité prévue pour les parties aux procès, en excluant les commissions d'enquête parlementaires de la notion de tribunal (1 ère civ., 23 novembre 2004).

Ainsi donc, la protection dont peuvent bénéficier les témoins des commissions d'enquête qui, rappelons-le, déposent sous serment, est grandement entamée depuis l'intervention de la loi du 20 juillet 1991 qui a établi la publicité des auditions en principe de droit commun. Désormais, les propos tenus au cours de dépositions publiques, éventuellement constitutifs du délit de diffamation, pourront être ainsi réprimés.

Il va de soi que si l'information des parlementaires doit être la plus complète possible et qu'il importe donc, à cette fin, d'entourer les témoins de garanties propres à encourager une expression libre, cette protection ne saurait s'organiser au détriment des tiers.

II. LA CONCILIATION RAISONNABLEMENT PROPOSÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Confrontée aux nombreuses poursuites en diffamation engagées contre certains témoins ayant déposé devant ses commissions, l'Assemblée nationale a donc adopté un système qui s'attache à concilier les différents intérêts en cause : d'une part, les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte, d'autre part, la préservation des droits des tiers qui s'estimeraient lésés par les propos tenus, ce dans le respect des pouvoirs des commissions qui doivent librement mener leurs investigations et donc, notamment, recueillir les éléments d'information nécessaires à leur mission.

Le dispositif retenu par les députés s'inspire de l'immunité prévue par l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, au bénéfice des acteurs des procès devant les tribunaux (magistrats, parties à l'instance et leurs avocats, témoins).

Ces dispositions interdisent toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux », interprétés par les juridictions dans leur acception la plus large (Cass. Crim. 4 juin 1997). La jurisprudence a précisé la notion en y intégrant tout à la fois les juridictions d'instruction et de jugement, les deux ordres juridictionnels -judiciaire et administratif- et les juges financiers -Cour des comptes et chambres régionales des comptes. La même exemption s'étend aux comptes rendus fidèles faits de bonne foi des débats.

Si elle est admise, l'immunité « juridictionnelle » supprime la responsabilité pénale comme la responsabilité civile.

En revanche, elle ne s'applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause (article 41, dernier alinéa).

Cette même réserve qui ne figurait pas dans le texte de la proposition de loi déposée par le président de l'Assemblée nationale, y a été introduite par les députés sur la proposition de leur commission des lois.

Le texte aujourd'hui soumis au Sénat peut s'analyser comme suit :

- objet : création d'une immunité personnelle.

- bénéficiaires : les personnes convoquées par les commissions d'enquête parlementaires auxquelles s'ajoutent les auteurs des comptes rendus des réunions publiques des commissions (rappelons, à cet égard, que l'article 41, alinéa 2, de la loi de 1881 n'étend le bénéfice de l'immunité parlementaires qu'aux seuls comptes rendus des séances publiques des assemblées ).

- actes protégés :

l'ensemble des éléments -oraux ou écrits- portés à la connaissance des commissions dans la mesure où ils correspondent à l'objet de l'enquête ;

les comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, qui apparaît comme le corollaire de la publicité voulue par la législateur de 1991. En l'espèce, l'immunité ne s'appliquerait donc pas aux auditions tenues à huis-clos non plus qu'aux autres délibérations tenues dans le même cadre, notamment celles conduisant à l'adoption du rapport de la commission : dans ce cas, l'auteur du compte rendu, outre qu'il s'exposerait, le cas échéant, à des poursuites pour diffamation, tomberait également sous le coup des sanctions prévues par le dernier alinéa de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 en cas de divulgation ou de publication, dans un délai de trente ans, d'une information relative aux travaux non publics d'une commission à moins que le rapport de celle-ci en ait fait état.

- infractions couvertes : il s'agit des diffamation, outrage et injure définis par la loi de 1881, dont le juge n'exige pas la commission par voie de presse pour les réprimer 4 ( * ) , ainsi que des autres outrages prévus par le code pénal (cf. articles 433-5 et 434-24, c'est-à-dire envers une personne chargée d'une mission de service public ou dépositaire de l'autorité publique) 5 ( * ) .

Ainsi délimitée, la proposition ne semble donc pas contraire au principe d'égalité devant la loi pénale, constitutionnellement protégé qui implique, pour le Conseil constitutionnel, que « pour des infractions identiques, la loi pénale ne saurait (...) instituer au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu » (décision n° 89-262 du 7 novembre 1989).

Le champ d'intervention de l'immunité proposée est strictement circonscrit aux trois types d'infraction précédemment évoqués et aux faits se rapportant à l'objet de l'enquête.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : PROTÉGER LES TÉMOINS SANS PERMETTRE DES PRATIQUES ABUSIVES

Votre commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l'Assemblée nationale à travers le texte qu'elle nous a transmis.

Rappelons que le législateur de 1991 avait déjà envisagé les conséquences de l'ouverture des auditions à la presse et au public sur la responsabilité des témoins. Votre commission, à l'instigation de son rapporteur, notre regretté collègue Etienne Dailly, avait proposé, dans un premier temps, de les protéger de toute action 6 ( * ) . Cependant, cette proposition avait paru excessive et avait donc été retirée.

Au surplus, après plus de quinze années d'application des nouvelles règles régissant ces auditions, votre commission des lois considère que les risques encourus par les personnes entendues par les commissions d'enquête doivent être relativisés si l'on considère le nombre de poursuites engagées contre elles au regard des centaines de témoins convoqués par les commissions d'enquête de chacune des assemblées.

Un statut non dénué de toute garantie

Elle souhaite également souligner que les personnes convoquées ne sont pas démunies de toute protection : la loi du 20 juillet 1991 a prévu la faculté, pour les commissions, de décider le huis clos. Il est donc toujours loisible au témoin d'en demander le bénéfice. Force est de constater qu'au Sénat, ce qui nous est le plus familier, les commissions défèrent généralement à ces requêtes et respectent le secret. Citons, par exemple, la commission d'enquête sur la situation et la gestion des personnels des écoles et établissements d'enseignement de second degré, qui n'a publié le compte rendu des quatre auditions conduites sous la règle du secret ni dans le bulletin des commissions, ni en annexe de son rapport. C'est encore le cas de la commission sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites. Si la commission d'enquête sur la sécurité en Corse a révélé dans son rapport l'identité de certains témoignages, c'est parce qu'une telle connaissance était indispensable à la compréhension des choses ou que le contenu du témoignage constituait une entrave au déroulement d'une enquête judiciaire.

* Une protection normalement accrue

Plusieurs arguments, cependant, conduisent votre commission des lois à retenir le principe d'une immunité spécifique aux commissions d'enquête :

- le premier concerne les premiers bénéficiaires de la proposition soumise au Sénat qui leur permettrait d'obéir au même régime quelles que soient les conditions dans lesquelles ils auraient témoigné : réunion publique ou huis clos. Rappelons, en effet, qu'en l'état actuel de la jurisprudence, le secret ne permet pas de constituer le délit de diffamation puisque la publicité, élément essentiel de l'infraction, est extérieure au témoin. Ainsi, les mêmes propos peuvent ou non constituer l'infraction selon leur cadre d'expression alors même que leur auteur n'a pas la maîtrise des conditions d'organisation de son témoignage, qui relèvent de la seule responsabilité de la commission. Ce pouvoir souverain de la commission doit, d'ailleurs, être préservé afin d'éviter d'éventuelles entraves à ses investigations ;

- la garantie ainsi offerte aux témoins est de nature à sauvegarder la sincérité des témoignages qui doivent pouvoir être déposés en toute liberté dans l'intérêt de l'enquête, et donc propre à renforcer les pouvoirs d'investigation des commissions parlementaires ;

- enfin, les tiers, pour leur part, ne sont pas non plus dépouillés de toute protection puisque d'une part, l'immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l'objet de l'enquête , et que d'autre part, elle n'affaiblit pas les infractions de faux témoignage ou de subornation de témoins , qui continueraient à être pénalement sanctionnés.

En revanche, votre commission des lois s'est attachée à limiter strictement le dispositif proposé.

* Un encadrement strict de la garantie nouvelle

Au préalable, il vous est proposé, pour des motifs de lisibilité et de clarté de la loi , d'introduire la protection supplémentaire dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En effet, son article 41, comme nous l'avons exposé précédemment, comporte déjà d'une part, l'immunité parlementaire (alinéas 1 et 2) et d'autre part, l'immunité applicable devant les tribunaux (alinéa 3 à 5). Ainsi, l'ensemble des immunités serait rassemblé dans un même article.

En conséquence, votre commission prévoit, dans un article additionnel , d'inscrire dans la loi de 1881 le texte adopté par l'Assemblée nationale, assorti de deux modifications destinées à bien cerner les contours de l'immunité :

- d'une part, celle-ci ne pourrait s'exercer que dans le cadre restreint des réunions des commissions d'enquête 7 ( * ) ,

- d'autre part, le compte rendu des réunions, pour bénéficier de l'immunité, devrait non seulement être établi de bonne foi, mais encore être fidèle , ce qui implique qu'il ne procède pas à une dénaturation ou à une falsification des faits. Ainsi que l'expliquait l'avocat général honoraire Henri Guillot à propos des comptes rendus des procès, « sous le rapport de la fidélité, la partialité est la faute majeure » (cf. jurisclasseur pénal, annexe V ).

Tel est l'objet du premier amendement que votre commission des lois vous propose d'adopter pour créer un article additionnel avant l'article unique .

Par voie de conséquence, elle prévoit la mention d'un renvoi aux nouvelles dispositions dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 afin d'y établir l'ensemble du régime législatif des commissions d'enquête parlementaires.

Tel est l'objet du second amendement complétant le troisième alinéa du paragraphe II de l'article 6 de l'ordonnance de 1958.

*

* *

Votre commission croit devoir conclure son rapport en soulignant la responsabilité supplémentaire que cette nouvelle immunité imposera aux présidents des commissions d'enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions, propres à respecter les divers intérêts en présence.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des lois vous propose d'adopter la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale.

* 1 Jusqu'en 1991, l'ordonnance de 1958 distinguait les commissions d'enquête, chargées de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, des commissions de contrôle créées pour examiner la gestion administrative, financière ou technique de services publics ou d'entreprises nationales.

Cette dichotomie a été supprimée par la loi du 20 juillet, sur la proposition de votre commission des lois.

* 2 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, art. 17.

* 3 Cass. Crim. 24 novembre 1960.

* 4 Cf Cass. crim. 3 mars 1949.

* 5 Ces infractions sont inclues, par la jurisprudence, dans le champ de l'immunité devant les tribunaux (cf Cass. crim. 13 février 2001).

* 6 Rapport n° 352 (1990-1991).

* 7 Précisons que les mêmes dispositions s'appliqueraient dans le cadre des travaux conduits par une commission permanente ou spéciale bénéficiant des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Le Conseil constitutionnel considère, en effet, que l'ensemble des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1958 s'impose alors (cf décision n° 96-381 DC du 14 octobre 1996).

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