EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi n° 8 (2009-2010) tendant à interdire ou à règlementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d'une entreprise du secteur public et d'une entreprise du secteur privé, présentée par MM. Yvon Collin et Michel Charasse ainsi que plusieurs de nos collègues du groupe Rassemblement démocratique et social européen, dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes d'opposition et minoritaires en application de l'article 29 bis de notre Règlement.
Cette proposition intervient dans un contexte où l'Etat envisage de nommer à la tête d'EDF M. Henri Proglio, alors même que celui-ci conserverait des fonctions de mandataire social au sein de l'entreprise dont il a été, pendant plusieurs années le président-directeur général : Veolia Environnement. Pour ce faire, cette société a décidé de modifier sa gouvernance afin que M. Henri Proglio n'y exerce qu'une fonction de président non exécutif du conseil d'administration, alors qu'il est encore aujourd'hui président-directeur général de cette société.
Ce cumul de fonctions de direction entre sociétés du secteur public et sociétés du secteur privé qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne vient interdire ni même encadrer à ce jour, a suscité, dans son principe, des critiques tendant notamment à condamner ce que certains présentent comme un « mélange des genres ».
Le texte présenté par nos collègues s'inscrit dans cette démarche critique, son exposé des motifs mettant en particulier en exergue la nécessité, en cas de cumul, « de veiller à la préservation des intérêts de l'État, qui ne sauraient être compromis par la direction simultanée et unique de plusieurs entreprises publiques et privées, et éventuellement concurrentes . » S'il semble motivé par un cas particulier, ce texte n'en a donc pas moins une portée générale et vise à mieux s'assurer à l'avenir de la compatibilité de ce type de cumul.
A ce titre, la proposition de loi envisage un double encadrement :
- d'une part, un encadrement de la possibilité du cumul , par l'intervention obligatoire de la commission de déontologie de la fonction publique ;
- d'autre part, un encadrement de la rémunération au titre des différentes fonctions, lorsque le cumul est autorisé .
I. UN CUMUL ACTUELLEMENT PEU ENCADRÉ DES FONCTIONS DE DIRIGEANTS D'ENTREPRISES DES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ
La notion d'entreprise relevant du secteur public n'est pas légalement définie en tant que telle. Néanmoins, la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public définit un certain nombre d'entités comme faisant partie du secteur public et, en conséquence, soumises à des règles particulières en matière de gouvernance ainsi qu'en matière de participation des salariés. Énumérées par son article 1 er , ces entités sont :
- les établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat, autres que ceux dont le personnel est soumis à un régime de droit public ; autres établissements publics de l'Etat qui assurent tout à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, lorsque la majorité de leur personnel est soumise aux règles du droit privé ;
- les sociétés mentionnées à l'annexe I de cette loi 1 ( * ) ;
- les entreprises nationales, sociétés nationales, sociétés d'économie mixte ou sociétés anonymes dans lesquelles l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social ainsi que les sociétés à forme mutuelle nationalisées ;
- les sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, à lui seul par l'un des établissements ou sociétés mentionnés au présent article, et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est au moins égal à 200 ;
- les autres sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, conjointement par l'Etat, ses établissements publics ou les sociétés mentionnés dans cet article, et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est au moins égal à 200.
En l'absence de définition textuelle générale, le secteur public est considéré par la jurisprudence comme constitué :
- des établissements publics, qui constituent des personnes morales de droit public régies soit par le droit public, dans le cas d'une entité assurant l'exécution d'un service public administratif, soit par le droit privé dans le cas d'une entité exerçant un service public industriel et commercial ;
- d'entités relevant du droit privé, notamment les sociétés commerciales, lorsque l'Etat en est, en tout ou partie propriétaire. La jurisprudence a ainsi précisé, qu'une société relevait du secteur public dès lors que l'Etat y détient directement ou indirectement la majorité du capital social 2 ( * ) , voire la majorité des droits de vote.
Depuis 2004, un service à compétence nationale placé au sein du ministère de l'économie, l'Agence des participations de l'Etat, exerce la mission de l'Etat actionnaire dans des entreprises contrôlées ou détenues par l'Etat, limitativement énumérées 3 ( * ) .
L'agence des participations de l'Etat L'Agence des participations de l'Etat constitue un service à compétence nationale placé auprès du directeur du Trésor au sein du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi . Elle est dirigée par un directeur général nommé par arrêté du ministre chargé de l'économie, sur proposition du directeur du Trésor. L'Agence exerce, en veillant aux intérêts patrimoniaux de l'Etat, la mission de l'Etat actionnaire dans certaines entreprises et organismes contrôlés ou détenus, majoritairement ou non, directement ou indirectement, par l'Etat . Elle exerce cette mission en liaison avec l'ensemble des ministères chargés de définir et de mettre en oeuvre les autres responsabilités de l'Etat. Les entités rentrant dans le champ d'intervention de l'Agence sont actuellement : Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIT) Aéroport de Bordeaux-Mérignac Aéroport Toulouse-Blagnac Aéroports de la Côte d'azur Aéroports de Lyon Aéroports de Paris (ADP) Air France - KLM Areva Arte France Autoroute et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) Audiovisuel extérieur de la France Compagnie générale maritime et financière (CGMF) CIVIPOL Conseil Caisse nationale des Autoroutes CNP Assurances Défense Conseil international groupe (DCI) DCNS Dexia EADS Electricité de France (EDF) Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR) Etablissement public de réalisation de défaisance (EPRD) ERAP Fonds stratégique d'investissement France Télécom France Télévisions GDF Suez GIAT Industrie - Nexter Grand Port maritime de Dunkerque Grand Port maritime de Marseille Grand Port maritime de Rouen Grand Port maritime du Havre Grand Port maritime La Rochelle Grand Port maritime de Bordeaux Grand Port maritime de Nantes / Saint-Nazaire Imprimerie nationale Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) La Française des jeux La Monnaie de Paris La Poste Nouvelle société de réalisation de défaisance (NSRD) Port autonome de Paris Port autonome de Strasbourg Radio France RATP Renault SA Réseau ferré de France (RFF) Safran SEMMARIS Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF) Société de gestion de garanties et de participations (SGGP) Société nationale des chemins de fer français (SNCF) Société nationale maritime Corse Méditerranée (SNCM) Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) Société de prise de participation de l'état Société financière de radiodiffusion (SOFIRAD) SOGEADE Conseil SOGEADE Société de gestion et participations aéronautiques (SOGEPA) Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) Thalès Thomson SA Au titre de ses missions, l'Agence : - propose au ministre chargé de l'économie la position de l'Etat actionnaire en ce qui concerne la stratégie des entreprises et organismes relevant de son périmètre, dans le respect des attributions des autres administrations intéressées. A ce titre, elle analyse la situation économique et financière de ces entreprises et organismes et sollicite les compétences des administrations intéressées ; - met en oeuvre les décisions et orientations de l'Etat actionnaire ; - participe, en liaison avec les administrations compétentes, à l'élaboration des contrats qui lient ces entreprises et organismes à l'Etat ; - examine, en liaison avec les ministères intéressés, les principaux programmes d'investissement et de financement des entreprises et organismes susmentionnés ainsi que les projets d'acquisition ou de cession, d'accord commercial ou de coopération et de recherche et développement. Elle propose au ministre chargé de l'économie la position de l'Etat actionnaire sur ces sujets et la met en oeuvre ; - s'assure, le cas échéant avec le commissaire du Gouvernement, de la cohérence des positions des représentants de l'Etat participant aux organes délibérants de ces entreprises et organismes, et représente l'Etat aux assemblées d'actionnaires ; - peut être consultée pour les nominations et révocations des membres des organes délibérants nommés par décret, autres que les représentants de l'Etat, dans les entreprises et organismes susmentionnés ; - évalue régulièrement la gestion mise en oeuvre par les dirigeants des entreprises et organismes susmentionnés, en liaison avec les autres administrations concernées ; - contrôle l'activité des personnes de droit public susmentionnées et la gestion financière des personnes contrôlées et propose, après avis du ministre chargé du budget, les évolutions relatives aux modalités d'exercice de ce contrôle. Elle recourt à cet effet, en tant que de besoin, aux services de l'inspection générale des finances et du contrôle d'Etat. L'entreprise ou l'organisme contrôlé est tenu de lui communiquer toutes les informations nécessaires à l'exécution de sa mission ; - propose, après avis des ministères concernés, les évolutions statutaires des entreprises et organismes susmentionnés. Elle assure la préparation et la mise en oeuvre des décisions prises en ces matières en liaison avec les administrations concernées ; - met en oeuvre, pour le compte du directeur du Trésor, les opérations en capital concernant les organismes susmentionnés ; - établit le rapport relatif à l'Etat actionnaire prévu par l'article 142 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ; - participe au suivi des questions relatives à la comptabilité patrimoniale de l'Etat. |
Le droit en vigueur se caractérise par une absence d'encadrement spécifique et général en cas de cumul de fonctions de direction simultanément dans des entreprises relevant du secteur public et du secteur privé . Toutefois, certains mécanismes permettent d'appréhender cette problématique dans des hypothèses de cumul déterminées.
A. UNE ABSENCE D'ENCADREMENT SPÉCIFIQUE
1. L'absence de réglementation du cumul de fonctions de direction
À l'heure actuelle, il n'est pas rare qu'une même personne exerce plusieurs mandats sociaux dans des sociétés relevant tant du secteur public ou du secteur privé.
Plusieurs exemples, en particulier dans les sociétés du CAC 40, montrent en effet que la situation dans laquelle une personne exerçant une fonction de direction dans une société est titulaire d'un mandat social non exécutif dans une autre est même relativement fréquente .
Néanmoins, à ce jour, il ne semble pas exister de cumul de fonctions de direction dans deux entreprises relevant pour l'une du secteur public et pour l'autre du secteur privé.
De fait, le cumul éventuel de fonctions de direction dans le cadre d'entreprises relevant du secteur public et du secteur privé ne fait, à l'heure actuelle, l'objet d'aucune réglementation particulière . Rien n'empêche ainsi, dans son principe, un tel cumul.
Exemples de cumuls de mandats sociaux
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Thierry Desmarest |
- Président du conseil d'administration de Total - Administrateur d'Air liquide, de Sanofi-Aventis, de Renault SA et Renault SAS - Membre du conseil de surveillance d'Areva |
Anne Lauvergeon |
- Présidente du directoire d'Areva - Administrateur de GDF-Suez et Total |
Didier Lombard |
- Président-directeur général de France Télecom - Administrateur de Thomson SA et Thalès - Membre du conseil de surveillance de STMicrolectronics, et de Radiall |
Gérard Mestrallet |
- Président du conseil d'administration de GDF-Suez - Administrateur de Saint-Gobain - Membre du conseil de surveillance d'Axa |
Henri Proglio |
- Président-directeur général de Veolia environnement - Administrateur d'EDF, de CNP Assurances, de Dassault aviation - Membre du conseil de surveillance de Dalkia (président), Natixis et Lagardère |
Louis Schweitzer |
- Président du conseil d'administration de Renault - Administrateur de Veolia, de BNP Paribas et de l'Oréal - Président du conseil de surveillance du groupe Le Monde |
Jean-Cyril Spinetta |
- Président du conseil d'administration d'Air-France-KLM - Président du conseil de surveillance d'AREVA - Administrateur d'Alcatel, de Saint-Gobain et de GDF-Suez |
Sources : documents de référence 2008. |
L'état du droit en la matière se distingue donc par son libéralisme de celui qui s'applique à l'égard des fonctionnaires et agents publics, dont la situation est examinée par un organe consultatif administratif : la commission de déontologie de la fonction publique.
Le cumul d'activités au sein de l'administration et dans le secteur privé est en effet par principe interdit, mais trois hypothèses strictement limitées permettent par exception le cumul avec des activités privées :
- l'exercice d'activités accessoires à l'activité principale dans l'administration, sous réserve que ces activités ne portent pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service. Ces activités, limitativement énumérées 4 ( * ) , ne peuvent être exercées qu'après autorisation de l'autorité dont relève l'agent ;
- la création ou la reprise d'une entreprise. Après déclaration à l'autorité dont relève l'agent pour l'exercice de ses fonctions, cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d'un an ;
- la continuation de fonctions de dirigeant d'une société ou d'une association. Cette dérogation s'applique aux lauréats d'un concours ou aux personnes recrutées en qualité d'agent non titulaire de droit public, qui, après déclaration à l'autorité dont ils relèvent pour l'exercice de leurs fonctions, peuvent continuer à exercer leur activité de direction, pendant une durée maximale d'un an à compter de leur recrutement, prolongeable pour une durée maximale d'un an.
C'est du reste cette considération qui a amené les auteurs de la présente proposition de loi à proposer un dispositif juridique particulier destiné à pallier ce que d'aucuns ont pu qualifier de manque, voire de « trou législatif ».
* 1 Cette annexe, non mise à jour depuis 1997, mentionne Natexis (devenue Natixis en 2006), la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface), la Caisse des dépôts-développement, ainsi que la société nationale Elf-Aquitaine.
* 2 Conseil d'Etat, assemblée, 22 décembre 1982, Comité central d'entreprise de la Société française d'équipement pour la navigation aérienne.
* 3 Décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale « Agence des participations de l'Etat ».
* 4 Le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État énumère neuf types d'activités :
- expertises ou consultations auprès d'une entreprise ou d'un organisme privés ;
- enseignements ou formations ;
- activité agricole au sens du premier alinéa de l'article L. 311-1 du Code rural dans des exploitations agricoles non constituées sous forme sociale, ainsi qu'une activité exercée dans des exploitations constituées sous forme de société civile ou commerciale, sous réserve que l'agent public n'y exerce pas les fonctions de gérant, de directeur général, ou de membre du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance, sauf lorsqu'il s'agit de la gestion de son patrimoine personnel et familial ;
- travaux d'extrême urgence dont l'exécution immédiate est nécessaire pour prévenir des accidents imminents ou organiser des mesures de sauvetage ;
- travaux ménagers de peu d'importance réalisés chez des particuliers ;
- aide à domicile à un ascendant, à un descendant, à son conjoint, à son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou à son concubin, permettant à l'agent de percevoir, le cas échéant, les allocations afférentes à cette aide ;
- activité de conjoint collaborateur au sein d'une entreprise artisanale ou commerciale ;
- activité d'intérêt général exercée auprès d'une personne publique ou auprès d'une personne privée à but non lucratif ;
- mission d'intérêt public de coopération internationale ou auprès d'organismes d'intérêt général à caractère international ou d'un État étranger, pour une durée limitée.