2. Les négociations internationales cherchent à définir une taxe sur les transactions financières dont l'unique finalité serait le financement des biens publics mondiaux
a) A l'opposé d'une taxe Tobin, la taxe sur les transactions financières se veut désormais une « taxe de rendement »
L'ancien ministre Philippe Douste-Blazy, conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU sur les financements innovants pour le développement, écrit, dans un rapport publié en décembre 2009, que la TTF a conceptuellement succédé à la taxe Tobin . Les deux sont quasi-identiques en termes d'assiette et de modalités de recouvrement, mais se distinguent par leur taux et leur finalité .
Ainsi, le taux de la taxe Tobin, même faible, doit être suffisamment élevé pour influencer le comportement des marchés financiers, mais celui de la TTF doit, au contraire, être encore plus faible pour, justement, ne pas perturber le fonctionnement des marchés.
La possibilité d'établir une TTF s'inscrit par ailleurs désormais dans le cadre de la recherche de « financements innovants pour le développement » .
La France prend ainsi une part très active et assure le secrétariat permanent du « Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement », plate-forme réunissant cinquante-neuf pays, institutions internationales et organisations non gouvernementales, qui vise à promouvoir les réflexions sur la mise en place de mécanismes de financements innovants pour le développement.
Notre pays participe notamment, au sein du Groupe pilote, au groupe de travail sur les transactions financières internationales qui réunit onze Etats 6 ( * ) . Elle soutient la création d'une « Contribution solidaire internationale » qui prendrait la forme d'une taxe de 0,005 % sur les transactions financières dont le produit permettrait de financer les besoins alimentaires, la santé ou bien encore la lutte contre le changement climatique . Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a rencontré le Secrétaire général de l'ONU, le 7 décembre 2009, pour lui présenter cette initiative 7 ( * ) .
Bernard Kouchner et Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, avaient auparavant précisé, dans une tribune publiée dans Le Monde , le 2 décembre 2009, qu'il « ne s'agit pas de proposer la mise en place d'une taxe Tobin , dont l'objectif premier était de réguler un marché des changes trop erratique. Non, il s'agit de financer le développement, sans perturber les transactions financières. Une taxe de 5 centimes sur 1.000 euros serait indolore mais pas sans conséquence pour le monde en développement : car même à un seuil aussi peu significatif, les recettes escomptées pourraient représenter jusqu'à 35 milliards d'euros ».
Le taux retenu - dix fois moins élevé que celui de la proposition de loi - montre que le projet français se distingue clairement de la taxe Tobin . En effet, la taxe n'a pas pour but de modifier le comportement des marchés financiers ou de provoquer une distorsion dans leur fonctionnement. L'association d'un taux très faible et d'une assiette large - mondiale et sur l'ensemble des transactions financières - permet d'obtenir un rendement maximal.
b) Une forte contrainte d'universalité qui pourrait être levée
Dans un monde où les capitaux sont totalement mobiles, une TTF doit être universelle . A défaut, les transactions s'exileront immanquablement vers des places financières qui n'appliquent pas la taxe avec pour conséquence mécanique une concentration des risques.
Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait ainsi déclaré, en 1999, en réponse à une question du député Jean-Claude Lefort : « l'idée ne vaut que si elle était appliquée partout, faute de quoi elle serait inefficace » 8 ( * ) .
Une forte contrainte d'universalité pèse donc sur une TTF. Elle devrait, au minimum, être établie concomitamment dans l'Union européenne, aux États-Unis et au Japon .
Il existe aujourd'hui une réelle volonté politique au niveau international qui constitue une opportunité pour instaurer une TTF. Par exemple, Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne, s'y est déclarée favorable. Pour autant, les Etats-Unis demeurent incertains sur la position qu'ils entendent arrêter . Un refus de leur part signifierait probablement l'abandon du projet ou, à tout le moins, relativiserait fortement son efficacité.
c) Des obstacles techniques doivent encore être surmontés
Au-delà d'un accord de principe au niveau international, les modalités techniques de mise en oeuvre d'une TTF ne manqueront pas de susciter d'âpres négociations. Il s'agit en effet de fixer son taux, son assiette, son lieu de recouvrement, son gestionnaire et son affectation.
Votre rapporteur ne souhaite pas détailler plus avant chacun de ces éléments. Il note cependant que l'assiette soulève les problèmes les plus critiques. En effet, avec le développement de l'ingénierie financière et, surtout, sa complexité croissante, il existe des milliers d'opérations financières qui, par nature, pourraient donner lieu à taxation. Or il semble très difficile de les lister et même d'en avoir une idée exhaustive.
Plus encore, il est à craindre que l'apparition incessante de nouveaux produits financiers conduise une partie des transactions à être exonérées de la taxe. Un imposant travail technique doit encore être effectué par les autorités nationales, même si aucun obstacle n'apparaît, à ce stade, dirimant . Cette contrainte ne fait que renforcer l'obligation d'adopter une TTF au niveau multilatéral.
d) Une taxe sur les transactions financières peut-elle influencer le système financier ?
La TTF poursuit un but unique : lever des ressources pour le développement. Pour autant, il apparaît légitime de s'interroger sur les effets potentiels qu'elle pourrait avoir sur les marchés financiers.
Ainsi, dans sa résolution du 10 mars 2010 citée plus haut, le Parlement européen invite la Commission à lui présenter un rapport sur une taxe sur les transactions financières qui « contribuerait à couvrir les coûts engendrés par la crise ». Le document devra particulièrement s'attacher à explorer ses avantages et ses inconvénients en étudiant « les comportements d'évasion fiscale, la fuite de capitaux ou les offres de services en délocalisation », ainsi qu'à examiner « la mesure dans laquelle une taxe sur les transactions financières contribuerait à la stabilisation des marchés financiers par son impact sur l'excès des négociations à court terme ou la spéculation et sur la transparence » .
Les précautions prises par le Parlement européen tendent à montrer que les effets d'une taxe sur les transactions financières sur la stabilité et le comportement des marchés sont encore mal appréhendés .
Si le taux de la TTF est suffisamment faible, elle ne devrait pas entraîner d'externalités, qu'elles soient positives ou négatives.
Il est, en revanche, possible de prévoir qu'une partie du produit de la TTF soit versé à un fonds de résolution qui, pour sa part, aurait vocation à participer à la régulation et à la stabilisation financières internationales. Une telle solution conduirait cependant à lever moins de ressources pour le développement.
C'est pourquoi, dès lors que les pouvoirs publics poursuivent deux objectifs, il semble plus opportun qu'ils disposent de deux outils distincts et clairement identifiés . Une taxe sur les institutions financières est ainsi envisagée au niveau global.
* 6 L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Chili, l'Espagne, la France, le Japon, la Norvège, le Royaume-Uni et le Sénégal.
* 7 Cf. compte-rendu de l'audition de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, le 26 mai 2010, par la commission des finances et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
* 8 Journal officiel du 1 er mars 1999.