N° 762

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1), sur la proposition de résolution européenne de M. Jean-François HUMBERT présentée au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines (E6301),

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Claude Carle , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Catherine Dumas , secrétaires ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Claude Léonard, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mmes Mireille Oudit, Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

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Sénat :

739 (2010-2011)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 28 octobre 2010, le Sénat adoptait en première lecture la proposition de loi n° 441 relative aux oeuvres visuelles orphelines déposée par Mme Marie-Christine Blandin et les membres du groupe socialiste. L'examen de ce texte avait donné lieu à des débats permettant de dégager la position de notre assemblée sur la question des oeuvres orphelines, et en particulier, des oeuvres visuelles.

Les travaux du Sénat s'inscrivaient alors dans la perspective de publication d'une proposition de directive sur les oeuvres orphelines. Aussi, un consensus s'était dégagé pour adopter un texte a minima proposant une définition des oeuvres orphelines sans aller plus loin dans l'architecture juridique, notamment pour l'exploitation des droits attachés à ces oeuvres. Cette position devait permettre de tirer toutes les conséquences du texte européen alors en gestation afin de mieux appréhender les enjeux des oeuvres orphelines pour l'ensemble de l'écrit, et pas seulement pour les oeuvres visuelles.

Transmise par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution, la proposition de directive E 6301 du parlement européen et du Conseil sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines propose une solution juridique visant à concilier d'une part, les principes de la propriété intellectuelle et d'autre part, les objectifs de numérisation, de diffusion et donc d'accessibilité au patrimoine européen culturel écrit. Ce texte s'inscrit dans le prolongement de la recommandation n° 2006/585/CE de la Commission du 24 août 2006 sur la numérisation et l'accessibilité en ligne du matériel culturel et la conservation numérique et part du constat d'une carence de législations nationales sur les oeuvres orphelines. La clé de voûte de ce système est la reconnaissance mutuelle entre États membres du statut de l'oeuvre orpheline, ce qui présuppose une définition commune et des critères clairs permettant de rattacher les oeuvres à ce statut. Ces critères doivent notamment permettre d'apprécier si une recherche diligente a bien été effectuée.

L'approche choisie par les autorités européennes s'inscrit dans une logique patrimoniale puisqu'elle concerne les institutions culturelles telles que les bibliothèques, les établissements d'enseignement, les musées et archives publics, ainsi que les institutions dépositaires du patrimoine cinématographie et les archives des organismes de radiodiffusion de service public. Les utilisations visées relèvent d'une mission de service public culturel, laissant donc tout le champ libre aux États membres pour déterminer des cadres juridiques compatibles permettant une exploitation à des fins commerciales, dans la mesure où les législations nationales doivent être compatibles avec les principes définis dans la présente proposition de directive.

La commission de la culture du Sénat a décidé d'user de la faculté offerte par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat et de se saisir de la proposition de directive E 6301. Le présent rapport ne vise pas à détailler de façon exhaustive la position de la commission sur les oeuvres orphelines, déjà présentée dans le rapport n° 52 (2010-2011) sur la proposition de loi n° 441 précitée. Elle a pour objectif d'en rappeler les grandes lignes et de mettre en évidence les points de la proposition de directive sur lesquels des clarifications doivent être absolument apportées afin que son adoption ne se fasse pas au détriment d'une partie du patrimoine culturel que constituent les oeuvres visuelles.

Résultant de cette analyse, la résolution européenne adoptée par la commission de la culture le 12 juillet 2011 a donc pour objectif d'alerter les autorités françaises et européennes sur ces différents sujets. Elle rappelle également qu'il est regrettable qu'un pan entier du patrimoine culturel, constitué notamment des photographies détenues par les institutions patrimoniales, ne soit d'office traité par la directive.

Le traitement juridique des oeuvres orphelines de l'écrit ne doit pas se faire au détriment des oeuvres visuelles. Ces dernières non seulement font partie du patrimoine culturel européen, mais elles pâtissent de surcroît de pratiques abusives de la propriété intellectuelle particulièrement courantes. Tel est le message de la présente proposition de résolution européenne.

I. oeUVRES ORPHELINES DE L'ÉCRIT : LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE GLOBALE

Votre rapporteur souhaite rappeler brièvement les quelques principes autour desquels un consensus s'était dégagé au sein de la commission de la culture, puis en séance publique :

- les oeuvres visuelles sont difficilement dissociables du reste de l'écrit tant leurs caractéristiques patrimoniales et culturelles sont liées. Compte tenu des enjeux de numérisation du patrimoine écrit, il serait hasardeux de distinguer le traitement des oeuvres visuelles (photographies, dessins, croquis) de celui des ouvrages qui les contiennent. C'est donc une approche globale de l'ensemble de l'écrit qu'il faut privilégier ;

- la question des « droits réservés » spécifique aux photographies, évoquée à l'automne dernier, est une question à part entière dont les problématiques ne recoupent pas complètement celles des oeuvres orphelines. Ces dernières ne constituent en effet qu'une partie des oeuvres visuelles dont la publication n'est pas accompagnée d'une mention des auteurs. En revanche, ces deux questions ont un point commun : tout cadre juridique visant une utilisation respectueuse de la propriété intellectuelle doit nécessairement s'appuyer sur un outil permettant une recherche efficace, diligente, des auteurs ou ayants droit. Les bases de données accessibles constituent donc un défi indissociable du traitement de la question des oeuvres orphelines comme de celle des droits réservés.

Ces points complètent évidemment les autres caractéristiques propres aux oeuvres orphelines développées dans le rapport n° 52 (2010-2011) précité. Votre rapporteur soulignait notamment les enjeux juridiques particulièrement importants, d'ailleurs rappelés par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) dans son rapport du 19 mars 2008. En effet, toute législation sur les oeuvres orphelines vise à concilier deux objectifs a priori antagonistes :

- la sécurité juridique d'autorisation d'exploitation de ces oeuvres, alors que, par construction, leur auteur n'a pas pu donner de consentement à cette exploitation ;

- la cohérence du droit de la propriété littéraire et artistique, construit sur la protection du droit d'auteur et des droits voisins, qui repose sur l'autorisation du titulaire de droits.

La recherche diligente, que l'on peut détailler comme avérée et sérieuse, apparaît ainsi comme l'élément incontournable capable de permettre l'exercice délicat de l'autorisation d'utilisation d'une oeuvre orpheline.

Cette notion occupe d'ailleurs une place centrale dans la proposition de loi n° 441 précitée adoptée le 28 octobre 2010 par le Sénat, tout comme dans la présente proposition de directive dont il est intéressant de souligner certains articles :

- la définition des oeuvres orphelines proposée à l'article 2 rejoint celle adoptée par le Sénat, même si les termes diffèrent légèrement. La Commission européenne mentionne « une recherche diligente » tandis que le texte adopté par notre Assemblée retient l'expression de « recherche avérée et sérieuse » . En outre, la proposition de directive précise utilement que l'identification ou la localisation d'un seul ayant droit fait tomber la qualification d'oeuvre orpheline ;

- l'article 3 prévoit expressément que les États membres veillent à ce que le résultat des recherches diligentes effectuées sur leur territoire soit enregistré dans une base de données accessible au public. Cet élément est essentiel pour pouvoir concrètement mettre en oeuvre toute recherche diligente et donc, tout traitement juridique des oeuvres orphelines ;

- le principe de la reconnaissance mutuelle rappelé à l'article 4 offre une sécurité juridique satisfaisante pour toutes les parties prenantes.

La reconnaissance mutuelle est un élément particulièrement important dans le cas des oeuvres visuelles pour lesquelles la question de la territorialité se pose avec une acuité toute particulière. En effet la circulation des photographies ou dessins, par le biais des nouvelles technologies, est beaucoup plus libre et fluide que celle du livre dont la langue constitue un facteur évident de localisation et une contrainte. Ce cadre juridique européen semble être une première réponse aux défis liés à une utilisation des oeuvres visuelles orphelines respectueuse des grands principes de la propriété intellectuelle. Pourtant la lecture de la proposition de directive laisse planer un doute sur la place accordée à ces oeuvres dans le projet dont il est question.

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