EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LES RÉSEAUX TRANSEUROPÉENS : UNE GRANDE AMBITION POUR L'EUROPE, QUI DEMEURE UN HORIZON LOINTAIN
Issu du traité de Maastricht, l'article 170 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que l'Union « contribue à l'établissement et au développement de réseaux transeuropéens dans les secteurs des infrastructures du transport, des télécommunications et de l'énergie ». Le traité précise que l'Union établit des orientations, qui identifient des projets d'intérêt commun, qu'elle soutient l'interopérabilité et l'accessibilité des réseaux, en particulier via l'harmonisation des normes techniques et qu'elle contribue au financement des projets d'intérêt commun.
Cette politique des réseaux transeuropéens, cependant, n'a pas répondu aux espoirs qu'elle a suscités et la grande ambition d'un continent unifié par ses réseaux, demeure un horizon lointain. Or, c'est bien là un enjeu économique, social et environnemental de première importance : la Commission souligne qu'il en va de la compétitivité européenne et de sa croissance durable.
A. DES RÉALISATIONS ENCORE LIMITÉES
En matière de transport, les initiatives ont été rapides et nombreuses. En 1994, le Conseil européen d'Essen identifie 14 grands projets prioritaires au regard des subventions communautaires 1 ( * ) et qui sont annexés à un premier règlement d'orientations 2 ( * ) ; en 2004, à la suite du Livre blanc sur les transports et dans la perspective de l'élargissement, le Parlement européen et le Conseil adoptent une nouvelle décision 3 ( * ) : 30 projets nouveaux y figurent 4 ( * ) , établis à l'échelle des Vingt-Sept et déclarés d'intérêt européen pour une réalisation en 2020.
Qu'il s'agisse de transporter des personnes ou des marchandises, l'intérêt d'interconnecter les réseaux est évident, tout comme la place prépondérante qui revient à l'Union pour aider cette interconnexion. Les réseaux ont été construits dans un cadre national, les discontinuités accroissent les coûts du transport ; ensuite, les infrastructures d'interconnexion peuvent être trop coûteuses pour que leur intérêt national soit bien visible, quand bien même leur intérêt continental ne fait pas de doute. Aussi les grands projets d'intérêt commun ont-ils d'abord visé le raccordement des réseaux, par la modernisation d'infrastructures ou la réalisation de nouveaux équipements.
Sur le plan financier, les institutions européennes ont mobilisé le Fonds de cohésion, le Fonds européen pour le développement régional (FEDER) ou le Fonds européen pour l'agriculture et le développement rural (FEADER), ainsi que des prêts de la Banque européenne d'investissement ; la Commission européenne a fait adopter un règlement financier du RTE 5 ( * ) et initié avec la Banque européenne d'investissement, à partir de 2007, un « instrument de garantie de prêt pour les projets du RTE-T » (GPTT), qui préfigure les project bonds.
Ces différents outils ont mobilisé, pour la période 2007-2013, environ 8 milliards d'euros, dont 440 millions pour des projets situés exclusivement sur le notre territoire national et 1,66 milliards pour des projets auxquels notre pays est partie prenante 6 ( * ) . Selon les opérateurs que votre rapporteur a auditionnés, cette participation européenne aux réseaux de transports a apporté « un complément de financement », utile, mais qui est resté somme toute assez marginal. A l'échelle du continent, les ressources européennes n'ont finalement eu que peu de prise sur les orientations concernant les infrastructures de transports : c'est ce que constatent les services de la Commission, lors des auditions. De trop nombreux projets ont pris un retard jugé excessif par l'échelon européen. Plus gênant encore, des fonds réservés à des infrastructures ferroviaires ont été dépensés pour des infrastructures routières (cas de la Pologne).
Dès lors, le diagnostic réalisé par la Commission européenne 7 ( * ) a identifié les principaux obstacles suivants :
- des chaînons manquants empêchent la continuité du réseau, en particulier aux tronçons transfrontaliers ;
- des différences importantes de qualité et de disponibilité des infrastructures entretiennent des goulets d'étranglement ;
- les connexions multimodales sont en nombre très insuffisant pour parvenir à fluidifier les trafics ;
- enfin, les différences dans les règles nationales, en particulier pour l'interopérabilité, entretiennent la congestion du réseau.
En matière énergétique , les interconnexions facilitent la gestion des crises d'approvisionnement et permettent de gérer au mieux les pics de demande. Elles sont indispensables à la construction d'un marché intérieur unifié de l'énergie. On l'a constaté tout récemment, lors des pics de consommation de gaz et d'électricité du début du mois de février 2012. La France a importé jusqu'à 9 500 mégawatts d'électricité au cours de la matinée du 9 février dernier, soit l'équivalent de la capacité de cinq à six EPR, utilisant une grande partie des capacités d'interconnexion avec les pays voisins de son réseau d'électricité.
L'Union européenne a mis en place, depuis les années 1990, des orientations pour les réseaux transeuropéens d'énergie (RTE-E). Le cadre réglementaire actuel a été défini par la décision n° 1364/2006/CE du 6 septembre 2006 8 ( * ) . Celle-ci, qui se limite aux réseaux d'électricité et de gaz, établit une liste hiérarchisée de projets éligibles pour un financement communautaire :
- les projets d'intérêt commun doivent présenter des perspectives de viabilité économique potentielle, celle-ci étant évaluée en fonction d'une analyse des coûts et bénéfices liés à l'environnement, à la sécurité d'approvisionnement et à la cohésion territoriale ;
- les projets prioritaires sont définis parmi les projets d'intérêt commun et se caractérisent par un impact significatif sur le bon fonctionnement du marché intérieur, sur la sécurité d'approvisionnement ou sur la valorisation des énergies renouvelables. Ces projets sont privilégiés lors de l'attribution d'un soutien financier communautaire ;
- certains projets prioritaires présentant une nature transfrontalière ou ayant un impact notable sur la capacité de transport transfrontalier sont déclarés projets d'intérêt européen. Ils sont prioritaires pour bénéficier d'un financement communautaire au titre du budget affecté aux RTE-E et doivent faire l'objet d'une attention particulière pour leur financement au titre des autres budgets communautaires.
À la suite du règlement financier RTE 9 ( * ) , adopté le 20 juin 2007, les projets RTE-E ont disposé d'une enveloppe de 155 millions d'euros pour la période 2007-2013.
Enfin, le Programme énergétique pour la relance 10 ( * ) , préparé dans le contexte de la crise économique et financière, a octroyé des montants substantiels d'environ 3,85 milliards d'euros à un nombre limité de projets dans le domaine des infrastructures du gaz et de l'électricité, de l'énergie éolienne en mer et du captage et stockage du carbone.
Ce cadre n'a pas donné les résultats espérés, la Commission européenne constatant elle-même 11 ( * ) que cette politique a donné une visibilité politique à certains projets sélectionnés, mais qu'elle n'a pas pu combler les insuffisances en matière d'infrastructures car elle a manqué de perspective et de flexibilité et n'était pas assez ciblée. Elle pointe également l'insuffisance du budget et des synergies avec les autres fonds de l'Union européenne, ainsi que l'absence d'instruments d'atténuation des risques et de financements en dehors de l'Union.
En matière de télécommunications, l'Union a soutenu des projets territoriaux de déploiement d' infrastructures numériques , notamment de transition vers le très haut débit, en complément des financements nationaux ou locaux. Cependant, la notion de réseau transeuropéen numérique n'a guère été développée. De fait, la notion même d'infrastructure d'interconnexion est, pour le numérique, à l'opposé de ce qu'elle est pour les transports ou l'énergie : le réseau numérique est par nature interconnecté, et le problème qui se pose est plutôt celui de la couverture territoriale que des différences de standards entre réseaux nationaux, ou encore des goulets d'étranglement ou des chaînons manquants.
La « politique numérique » de l'Union européenne , par analogie à d'autres grands secteurs d'action des institutions communautaires, est pour l'heure ambitieuse dans ses objectifs , mais peu développée dans ses moyens d'action et ses réalisations , en particulier pour ce qui est de la mise en réseau. La « feuille de route » de la Commission européenne en matière de numérique est constituée par l'« Agenda numérique pour l'Europe », adopté à la mi-2010. Fixant la stratégie européenne pour une économie numérique prospère, cet Agenda détermine sept domaines d'action prioritaires, dont l'un - la recherche d'un accès plus rapide à l'internet - est susceptible de contribuer à l'amélioration des réseaux de communications électroniques à l'échelle de l'ensemble de l'Union.
Dans ces conditions, le bilan de l'intervention européenne sur le numérique tient surtout à la politique de libéralisation du secteur des communications électroniques formalisée par l'adoption, en 1993, d'une réglementation couvrant tous les réseaux et services de communications électroniques. Cette politique, en entraînant la dissolution de tous les grands monopoles nationaux et en stimulant la concurrence sur les différents marchés, a permis de faire émerger de nouveaux opérateurs et, indirectement, en prévoyant des procédures dites de « dégroupage » des boucles locales haut débit, d'inciter au développement des réseaux correspondants.
* 1 Pour la France quatre lignes ferroviaires à grande vitesse : la ligne Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, très largement réalisée ; la ligne Sud Europe Madrid-Montpellier, partiellement réalisée ; la ligne Est Europe Paris-Karlsruhe, très largement achevée pour la partie française ; la ligne Lyon-Turin, en cours d'étude.
* 2 Décision n° 1692/96/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 1996 sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.
* 3 Décision n° 884/2004/CE du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la Décision n° 1692/96/CE sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport.
* 4 Aux quatre projets de lignes ferroviaires identifiés en 1994, la décision de 2004 a ajouté la LGV Rhin-Rhône, le canal Seine-Nord-Europe, les autoroutes de la mer Atlantique et Méditerranée et une troisième traversée ferroviaire des Pyrénées.
* 5 Règlement (CE) n° 680/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens.
* 6 Source : Ministère du transport. Ces chiffres, cependant, sont provisoires, les crédits pour 2007-2013 n'ayant pas été intégralement engagés - et il s'agit de décisions de financement, pas de crédits payés.
* 7 La Commission européenne a mené une consultation publique entre février 2009 et juin 2010, adopté un « livre vert », publié les recommandations de plusieurs groupes d'experts, tenu deux conférences ministérielles et entretenu des contacts permanents avec les Etats membres via le comité chargé du contrôle et du suivi des orientations et de l'échange d'informations (conformément à la décision n° 1692/96/CE).
* 8 Décision n° 1364/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, établissant des orientations relatives aux réseaux transeuropéens d'énergie et abrogeant la décision 96/391/CE et la décision n° 1229/2003/CE.
* 9 Règlement (CE) n° 680/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 déterminant les règles générales pour l'octroi d'un concours financier communautaire dans le domaine des réseaux transeuropéens de transport et d'énergie.
* 10 Règlement (CE) n° 663/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un programme d'aide à la relance économique par l'octroi d'une assistance financière communautaire à des projets dans le domaine de l'énergie
* 11 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes et abrogeant la décision n° 1364/2006/CE, exposé des motifs et considérant 5.