Rapport n° 448 (2011-2012) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 février 2012

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N° 448

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 février 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde , de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet,

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Corinne Bouchoux, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Roger Madec, Jean Louis Masson, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

4400 , 4411 et T.A. 870

Sénat :

442 et 449 (2011-2012)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 29 février 2012 , sous la présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président, la commission des lois a examiné le rapport, en première lecture, de M. Jean-Pierre Sueur sur la proposition de loi n° 442 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet.

M. Jean-Pierre Sueur a rappelé en premier lieu le contexte à l'origine de la proposition de loi, c'est-à-dire la situation de Petroplus Petit-Couronne, société en redressement judiciaire, tout en indiquant que ce texte avait fait l'objet de discussions préparatoires entre le Gouvernement et les formations politiques intéressées, selon une approche consensuelle et constructive, dans l'intérêt de la société visée chef et de ses salariés.

Modifiant le livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, la proposition de loi vise à permettre que soient ordonnées des mesures conservatoires dans le cadre de certaines actions judiciaires engagées à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait de sociétés faisant l'objet d'une procédure de sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire : action en extension, action en responsabilité pour faute ayant contribué à la cessation des paiements et action pour insuffisance d'actif. Les biens de ces dirigeants pourraient ainsi faire l'objet d'une saisie ou d'une sûreté judiciaire, dans l'attente du jugement au fond sur leur responsabilité dans la défaillance de la société, de sorte que leur propriétaire ne pourrait pas en disposer. Dans des conditions encadrées par la proposition de loi, les biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire pourraient être cédés, les sommes résultant de la cession devant être consignées ou pouvant, dans certains cas, être utilisées.

Après avoir déploré la méthode de préparation et d'examen de cette proposition de loi, afin de régler une situation particulière, dans des conditions de précipitation qui ne permettent pas de garantir sa pertinence juridique, la commission des lois a admis son intérêt et son urgence.

En conséquence, la commission a adopté la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet sans modification .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Mme Françoise Guégot, députée, a déposé le 22 février 2012, sur le bureau de l'Assemblée nationale, la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet. Le Gouvernement a engagé sur ce texte la procédure accélérée le 23 février 2012.

Mme Françoise Guégot a été désignée rapporteur par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a examiné ce texte le 28 février 2012 au matin, avant son adoption en séance publique le 28 février dans la nuit.

Ce texte a été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour du Sénat le 1 er mars 2012, soit une semaine après son dépôt à l'Assemblée nationale.

Votre rapporteur observe que cette initiative est destinée avant tout à contribuer au règlement de la situation de la société Petroplus Petit-Couronne, filiale française d'un groupe suisse de raffinage de pétrole et actuellement en procédure de redressement judiciaire, en ouvrant la possibilité d'ordonner la saisie des stocks de pétrole, propriété du groupe, dans l'attente d'un jugement sur la responsabilité de celui-ci dans la cessation des paiements de sa filiale, qui le conduirait à contribuer à la procédure de redressement.

L'exposé des motifs de la proposition de loi indique ainsi qu'il s'agit de prévoir « des mesures permettant de faire obstacle à ce que des tiers prélèvent les actifs de l'entreprise défaillante, organisent leur protection face au risque de voir leur responsabilité engagée, ou privent cette entreprise de toute possibilité de répondre à ses obligations, notamment environnementales ». Il ajoute : « si le maître de l'affaire, véritable dirigeant de la société en difficulté, est propriétaire d'éléments que cette dernière détient pour son compte, la mesure permettra de saisir à titre conservatoire ces éléments d'actif dont il aurait pu exiger la restitution avant qu'une décision judiciaire ne retienne sa responsabilité dans la défaillance de cette société ». Au-delà du cas de Petroplus, l'actualité récente, marquée par la crise économique, en fournit plusieurs exemples.

Quelle que soit sa position sur l'intérêt, l'opportunité ou l'urgence de ce texte et quand bien même il ne comporte que six articles, votre commission ne peut que déplorer des délais d'examen dont la brièveté est presque inégalée sous la présente législature 1 ( * ) . Elle craint en outre qu'il en résulte une éventuelle malfaçon, qui nécessiterait sa modification ultérieure.

La loi ayant vocation à s'appliquer à toutes les situations de manière générale et impersonnelle, votre commission s'interroge enfin sur la méthode consistant à élaborer un texte en fonction d'un cas particulier d'actualité, sans prendre le temps de s'assurer de la cohérence de son insertion dans le droit en vigueur et des conséquences de son application.

Dans ces conditions, votre rapporteur n'a bien évidemment pas été en mesure d'entendre en audition toutes les parties intéressées. Il a néanmoins pris le soin d'échanger avec son homologue, dont il tient à saluer l'approche constructive, afin de faire valoir ses observations et les préoccupations de votre commission dès la première lecture à l'Assemblée nationale.

Au regard de l'intérêt de la société Petroplus Petit-Couronne et de ses salariés, en dépit des objections légitimes opposées à la méthode d'élaboration et d'examen de cette proposition de loi, votre rapporteur estime néanmoins que le principe de réalité impose de l'adopter.

Il constate en outre que le représentant de l'intersyndicale Petroplus a déclaré qu'en dépit du fait qu'un certain nombre d'amendements n'avaient pas été votés à l'Assemblée nationale, « il est primordial que la loi existe » 2 ( * ) .

I. LE DÉVELOPPEMENT DES MESURES CONSERVATOIRES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES COLLECTIVES

Dans le droit des procédures collectives, figurant au livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, le président du tribunal saisi d'une procédure de liquidation judiciaire dispose de la faculté d'ordonner des mesures conservatoires dans le cadre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, à l'égard des biens des dirigeants à l'encontre desquels est engagée cette action. Le livre VI ne prévoit aucun autre cas dans lequel de telles mesures conservatoires peuvent être ordonnées.

Héritière de l'ancienne action en comblement de passif, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif 3 ( * ) permet de faire supporter par les dirigeants de droit ou de fait d'une société, y compris les représentants des dirigeants personnes morales, une insuffisance d'actif apparue à l'occasion de la liquidation, dès lors que leur est imputable une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif. Lorsqu'une telle action est engagée, toute mesure conservatoire peut être ordonnée à l'égard des biens des dirigeants, de manière à assurer la conservation des biens susceptibles de supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La mesure conservatoire peut être une saisie ou une sûreté judiciaire.

Ce dispositif déroge au droit commun des mesures conservatoires, tel qu'il est prévu par les articles 67 et suivants de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. En effet, l'article 67 dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ». Dans le cas de l'action pour insuffisance d'actif, il n'est guère aisé d'avancer a priori que la créance est fondée dans son principe.

Le présent texte a pour premier objet d'étendre la faculté du président du tribunal d'ordonner des mesures conservatoires à l'occasion d'actions engagées dans le cadre, non seulement d'une liquidation judiciaire, mais aussi des deux autres procédures collectives que sont le redressement judiciaire et la sauvegarde. Sont ainsi concernées l'action en extension 4 ( * ) , applicable dans les trois procédures collectives, ainsi que l'action en responsabilité fondée sur la faute d'un dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à la cessation des paiements, organisée par la proposition de loi dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation. Dans l'attente du jugement au fond, les biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire sont indisponibles pour leur propriétaire.

Ainsi, lorsqu'une société engagée dans une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire exerce son activité avec des machines qui appartiennent à une société-mère qui les met à disposition ou transforme en tant que prestataire des marchandises qui appartiennent à une société-mère, ces machines ou ces marchandises, sur décision du président du tribunal, pourront faire l'objet de mesures conservatoires très rapidement, de sorte que la société-mère ne pourrait pas les récupérer, dès lors que serait engagée contre elle une action en extension ou en responsabilité.

À cet égard, votre rapporteur observe que l'action pour insuffisance d'actif, telle qu'elle avait été créée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, pouvait être engagée dans le cadre des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, jusqu'à ce que l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté vienne en restreindre le champ à la seule liquidation judiciaire 5 ( * ) . Dans ce cadre initial, le président du tribunal avait déjà la possibilité d'ordonner des mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants, ce que le présent texte propose d'instituer pour les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, dans des situations comparables.

Votre commission s'étonne particulièrement de ce qu'il faille en 2012 revenir en urgence sur des modifications opérées par une ordonnance publiée en 2008, dans le but de se rapprocher, sans le dire explicitement, d'un dispositif adopté en 2005.

Votre rapporteur considère donc que le présent texte n'aurait sans doute pas eu besoin de voir le jour si le Gouvernement, par l'ordonnance du 18 décembre 2008, n'avait pas restreint de manière injustifiée le champ de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la seule liquidation. Sur ce point, le 28 février 2012 devant l'Assemblée nationale, M. Michel Mercier, garde des sceaux, a curieusement évoqué un « vide juridique » du code, tandis que M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, a parlé quant à lui de « lacune de notre droit ». Si vide juridique il y a, il semble avoir été organisé par le Gouvernement lui-même.

La proposition de loi permet également, dans certaines conditions, la cession de biens faisant l'objet de mesures conservatoires, lorsqu'ils entraînent des frais pour leur conservation ou leur détention ou bien sont susceptibles de dépérissement, ainsi que l'affectation du produit de la cession au paiement des frais inhérents à la gestion des affaires du propriétaire des biens. Ces dispositions étant susceptibles de porter au droit de propriété - droit protégé par la Constitution - du propriétaire des biens une atteinte qui pourrait être disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, il appartient en tout état de cause à la loi de prévoir des garanties suffisantes, en encadrant strictement les conditions de la cession et surtout de l'affectation du produit de la cession.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ASSURER L'APPLICATION RAPIDE DE LA LOI AUX PROCÉDURES EN COURS

Votre commission considère que la proposition de loi est de nature à compléter utilement et à améliorer le déroulement des procédures collectives prévues au livre VI du code de commerce. Elle approuve le développement des mesures conservatoires ordonnées dans ce cadre, car elles constituent un instrument efficace pour protéger l'intérêt de la société qui fait l'objet d'une procédure collective, ainsi que celui de ses salariés.

Elle considère que ce texte est de nature à contraindre les dirigeants réels d'une société en difficulté, en particulier pour la filiale d'une société-mère, à assumer leurs responsabilités en matière sociale et environnementale ainsi qu'à les empêcher d'organiser leur insolvabilité ou de soustraire des actifs nécessaires à la continuité de l'activité de la société.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a apporté au texte, à l'initiative de son rapporteur, plusieurs modifications de nature à améliorer sa rédaction et son insertion dans le code de commerce. Un amendement de son rapporteur, adopté en séance, a permis de rappeler des responsabilités sociales et environnementales des dirigeants.

Elle a également veillé ce que soit mieux encadrée l'atteinte portée au droit de propriété, droit constitutionnel qui doit bénéficier de garanties légales, par la possibilité de céder des biens faisant l'objet de mesures conservatoires et dans certains cas d'utiliser le produit de cette cession.

Plusieurs clarifications utiles ont également été apportées à l'initiative du Gouvernement.

À l'initiative du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche de l'Assemblée nationale, le texte comporte enfin des modalités d'information spécifiques des représentants des salariés lorsque sont ordonnées des mesures conservatoires.

Il existe un intérêt manifeste et une urgence à ce que ce texte - même s'il est loin d'épuiser, selon votre rapporteur, la réflexion sur les moyens à mettre en oeuvre pour permettre la poursuite d'activité ou la reprise d'une société à l'égard de laquelle a été ouverte une procédure collective - puisse s'appliquer rapidement aux procédures en cours à ce jour.

Selon les informations communiquées par le Gouvernement à votre rapporteur, si plusieurs actions civiles et pénales sont en cours, aucune action en extension ou en responsabilité n'a pour le moment été engagée à l'égard des dirigeants de Petroplus Petit-Couronne. L'adoption de la proposition de loi devrait permettre de le faire dans de meilleures conditions.

Votre commission a adopté la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet sans modification .

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 621-2 du code de commerce) Possibilité d'ordonner des mesures conservatoires à l'égard des biens de tiers dans le cadre de l'action en extension à l'occasion d'une sauvegarde, d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire

L' article 1 er de la proposition de loi, dans le cadre de la procédure de sauvegarde, complète l'article L. 621-2 du code de commerce, lequel permet d'étendre la procédure de sauvegarde à des tiers, « en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale » 6 ( * ) .

L'article L. 621-2 est applicable au redressement judiciaire en vertu de l'article L. 631-7 et à la liquidation judiciaire en vertu de l'article L. 641-1.

Le texte permet au président du tribunal ayant ouvert la procédure collective, en cas d'engagement d'une action en extension, d'ordonner toute mesure conservatoire utile, saisie ou sûreté, à l'égard des biens des personnes visées par l'action en extension, dans l'attente du jugement au fond. Le président du tribunal peut agir d'office ou à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire ou du ministère public, déjà compétents pour engager l'action en extension. L'ordonnance du président du tribunal relève des voies de recours de droit commun prévues par le code de procédure civile.

Votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 2 (art. L. 631-10-1 et L. 631-10-2 [nouveaux] du code de commerce) Possibilité d'ordonner des mesures conservatoires à l'égard des biens  des dirigeants dans le cadre d'une action en responsabilité à l'occasion d'un redressement judiciaire et modalités d'information des représentants des salariés sur les mesures conservatoires

L' article 2 de la proposition de loi introduit deux nouveaux articles L. 631-10-1 et L. 631-10-2 dans le code de commerce.

Dans le cadre du redressement judiciaire, l'article L. 631-10-1 vise à permettre au président du tribunal saisi par l'administrateur ou le mandataire judiciaire d'une action en responsabilité à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait - personnes physiques et personnes morales - d'une société en situation de redressement judiciaire d'ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens de ces dirigeants, lorsque l'action en responsabilité qui les visent est fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements, laquelle a conduit à l'ouverture de la procédure de redressement.

Ce dispositif s'apparente clairement, sans lui être tout à fait identique, à l'action pour insuffisance d'actif. Il s'agit en effet de rechercher une faute - qui n'est pas nécessairement une faute de gestion, mais qui serait en pratique le plus souvent une faute de gestion - imputable aux dirigeants.

Cette action à l'encontre des dirigeants d'une société en redressement se situe dans le cadre du droit commun de la responsabilité, sur la base de l'article 1382 du code civil. Elle peut conduire au versement de dommages et intérêts qui viendraient abonder l'actif de la société. Son insertion dans le code de commerce comme dispositif spécifique est néanmoins nécessaire pour prévoir, notamment, des mesures conservatoires qui dérogent avec le droit commun des mesures conservatoires tel qu'il résulte de l'article 67 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution.

La proposition de loi dispose qu'il appartient à l'administrateur ou au mandataire judiciaire de demander au président du tribunal la mise en place de mesures conservatoires, en tant qu'initiateurs de l'action. L'ordonnance du président du tribunal prononçant ces mesures conservatoires peut faire l'objet des voies de recours de droit commun du code de procédure civile.

Issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale en séance, à l'initiative du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, assorti de trois sous-amendements présentés par le Gouvernement, l'article L. 631-10-2 organise l'information des représentants des salariés - le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel -, par l'administrateur ou le mandataire judiciaire, lorsqu'une mesure conservatoire est ordonnée dans le cadre d'une action en extension prévue à l'article L. 621-2. Votre rapporteur note que seule l'action en extension est visée, oubliant l'action en responsabilité instituée par l'article 2 de la proposition de loi comme l'action existante pour insuffisance d'actif. Il considère qu'il aurait été judicieux de mentionner, outre l'article L. 621-2, les deux articles L. 631-10-1 et L. 651-4. Il note, en outre, que ce nouvel article se place dans le titre relatif au redressement alors qu'il vise une disposition du titre relatif à la sauvegarde. Il considère que les administrateurs et mandataires judiciaires feront très probablement une interprétation large de leur nouvelle obligation d'information. Il considère en tout état de cause que l'intention du législateur est bien que l'information des représentants des salariés en cas de mesures conservatoires ait lieu de manière exhaustive, dans les trois cas prévus aux articles L. 621-2, L. 631-10-1 et L. 651-4.

Ces modalités d'information des représentants des salariés se situent pleinement, sur le fond, dans la logique de l'article L. 623-3, lequel prévoit que le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sont informés régulièrement par l'administrateur. Sans doute eut-il été préférable d'ailleurs de placer ces dispositions au sein de cet article L. 623-3.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3 (art. L. 651-4 du code de commerce) Possibilité de maintenir les mesures conservatoires ordonnées  à l'égard des biens des dirigeants en cas de conversion  du redressement judiciaire en liquidation judiciaire

L' article 3 de la proposition de loi permet au président du tribunal de maintenir, dans le cadre d'une procédure de liquidation concernant une société ayant préalablement fait l'objet d'une procédure de redressement, des mesures conservatoires ordonnées à l'égard des biens des dirigeants à l'occasion d'une action en responsabilité telle que prévue à l'article L. 631-10-1, qui résulte de l'article 2 de la proposition de loi.

Ainsi, dès lors que la procédure de redressement judiciaire peut être convertie en procédure de liquidation judiciaire, il est nécessaire, si l'action en responsabilité engagée à l'égard des dirigeants au moment de la procédure de redressement est toujours pendante, de permettre d'assurer le maintien des mesures conservatoires qui ont été antérieurement décidées, quand bien même elles l'auraient été par un juge différent.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

Article 4 (art. L. 663-1-1 [nouveau] du code de commerce) Possibilité d'autoriser la cession de certains biens de tiers faisant l'objet de mesures conservatoires et l'utilisation du produit de la cession

L' article 4 de la proposition de loi insère dans le code de commerce un nouvel article L. 663-1-1 autorisant la cession de biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire ordonnée au titre de toute action engagée dans le cadre d'une procédure collective, lorsque la conservation ou la détention de ces biens génère des frais ou que ces biens sont susceptibles de dépérissement : action en extension (article L. 621-2), action en responsabilité pour faute des dirigeants ayant contribué à la cessation des paiements (article L. 631-10-1) et action en responsabilité pour insuffisance d'actif (article L. 651-4). La cession est réalisée par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur.

Comme est en cause le droit de propriété de la personne propriétaire des biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire - le droit de propriété est constitutionnellement protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen -, la cession de ces biens doit être autorisée par le juge-commissaire désigné par le tribunal pour suivre la procédure, aux prix et conditions qu'il détermine 7 ( * ) . L'ordonnance du juge-commissaire encadre donc clairement les conditions dans lesquelles doit avoir lieu la cession et peut ainsi préserver les intérêts du propriétaire des biens concernés.

Puisque les biens cédés étaient sous mesure conservatoire, le produit de leur cession doit être confié à la Caisse des dépôts et consignations dans l'attente du jugement au fond. Pour éviter toute ambiguïté sur ce point, le texte prévoit expressément que les sommes résultant de la cession sont versées en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations. En pareil cas, l'article L. 662-1 du code de commerce dispose que n'est recevable, dans le cadre d'une procédure collective, « aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations ».

La proposition de loi permet aussi au juge-commissaire d'autoriser l'affectation du produit de la cession au paiement des frais engagés pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire des biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire. L'affectation du produit de la cession paraît tout à fait dérogatoire, dans le cadre de mesures conservatoires, et porte manifestement atteinte au droit de propriété.

Cependant, l'intervention du juge-commissaire lui permet de veiller à la protection des intérêts du propriétaire, de façon à ne pas porter une atteinte excessive au droit de propriété. De plus, l'affectation n'est possible que si les fonds disponibles de la société faisant l'objet de la procédure ne suffisent pas à pourvoir aux frais de la gestion.

Enfin, ce dispositif se réfère à la notion de gestion d'affaires, qui est définie par les articles 1372 et suivants du code, afin de limiter le champ de l'utilisation des sommes. Sans doute la jurisprudence aura-t-elle à préciser l'interprétation qu'il convient de faire de cette disposition. Votre rapporteur ajoute qu'il est positif qu'ait été expressément mentionné, à la faveur d'un amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale, que la gestion des affaires du propriétaire des biens inclue le respect des obligations sociales et environnementales qui résultent de la propriété des biens.

Les ordonnances par lesquelles sont rendues les décisions du juge-commissaire peuvent faire l'objet de recours devant le tribunal lui-même, dont le jugement relève des voies de recours de droit commun prévues par le code de procédure civile.

Votre commission a adopté l'article 4 sans modification .

Article 5 Application en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna

L' article 5 de la proposition de loi prévoit qu'elle est applicable en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna, en vertu du principe de spécialité législative, selon lequel la loi n'est applicable que sur mention expresse dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie. Ceci suppose que l'État ait conservé la compétence sur le domaine modifié par la loi.

Le droit des procédures collectives relève en effet de la compétence de l'État dans ces deux collectivités ultramarines. Il relève, en revanche, de la compétence de la collectivité en Polynésie française, ce qui a conduit notre collègue rapporteur à l'Assemblée nationale à supprimer la Polynésie française de l'énumération faite à cet article.

Votre commission a adopté l'article 5 sans modification .

Article 6 Application aux procédures en cours de sauvegarde,  de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire

L' article 6 de la proposition de loi prévoit que les modifications et compléments qu'elle apporte au droit des procédures collectives s'appliquent aux procédures de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire en cours à la date de publication de la loi. Forme particulière de sauvegarde, la sauvegarde financière accélérée est évidemment concernée.

L'application aux procédures en cours de modifications du droit des procédures collectives n'est pas très fréquente, car elle peut être source de confusion. C'est ainsi que les dispositions améliorant le fonctionnement de la sauvegarde, figurant à l'article 58 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, ont pris effet le premier jour du cinquième mois suivant la publication de la loi.

Cependant, il doit être noté qu'il s'agit ici d'améliorer les conditions de traitement des difficultés des entreprises et d'accroître les chances de poursuite d'activité. Il s'agit surtout, dans le cadre inchangé du droit des procédures collectives, de compléter une procédure particulière d'action en extension et de préciser les conditions d'une action en responsabilité - actions déjà connues - par la faculté d'ordonner des mesures conservatoires, qui ont un caractère provisoire, dans l'attente d'un jugement au fond. Les procédures existantes ne sont donc aucunement bouleversées, de sorte que l'application aux procédures en cours ne présente pas de difficulté pour la bonne administration de la justice comme pour les droits des justiciables.

Votre commission a adopté l'article 6 sans modification .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet sans modification .

EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 29 février 2012)

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M. Jean-Pierre Michel , président . - Nous passons à l'examen du rapport et du texte proposé par la commission pour la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet, adoptée par l'Assemblée nationale hier soir.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Les députés ont adopté le texte que j'ai l'honneur de rapporter, aujourd'hui à 1 h 30 ; c'est dire les conditions de grande rapidité dans lesquelles nous avons travaillé pour préparer son examen aujourd'hui.

Le dépôt rapide de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale - la semaine dernière ! - se justifie par les difficultés rencontrées par l'entreprise Petroplus de Petit-Couronne. J'ai travaillé de manière constructive avec son auteur, Mme Françoise Guégot, sur ces mesures de nature à sauvegarder les intérêts de cette société et de ses salariés.

Cette affaire, la presse s'en est fait l'écho, a fait l'objet de discussions entre le Gouvernement et l'opposition ; en l'espèce, entre MM. Fillon et Fabius. Cela peut paraître critiquable mais, après tout, n'est-il pas normal en démocratie que des responsables politiques appartenant à des formations politiques différentes puissent se parler et oeuvrer pour le bien commun ? Les salariés de l'entreprise, reçus lundi dernier par le président Bel, ont d'ailleurs clairement manifesté leur souhait de voir ce texte adopté.

Les six articles de cette proposition relativement technique modifient le livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises : sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire. Il autorise des mesures conservatoires à l'égard de biens appartenant à de tierces personnes à l'occasion de certaines actions judiciaires engagées dans le cadre des procédures collectives. Il est d'une portée générale, bien qu'il vise, dans l'immédiat, à protéger Petroplus Petit-Couronne.

Quelle est la situation ? La holding suisse Petroplus, dont l'avenir économique semble sérieusement compromis, dirigeait de fait Petroplus Petit-Couronne en raison de sa forte immixtion dans sa gestion. Or la filiale se trouve actuellement en redressement judiciaire. Dans ces conditions, son administrateur judiciaire pourrait engager une action en responsabilité contre la holding pour obtenir sa contribution à la procédure de redressement. Le pétrole qui se trouve dans les cuves de Petroplus Petit-Couronne, d'une valeur de 200 millions, serait bien utile pour oeuvrer à la poursuite de l'activité de la société française, mais son propriétaire, la holding Petroplus, peut vouloir le récupérer avant que le jugement au fond sur sa responsabilité dans la cessation des paiements ne soit prononcé.

La proposition de loi, examinée selon la procédure accélérée, prévoit, à ses articles 2 et 3, des mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants, qu'ils soient de droit ou de fait, dans le cadre d'une action en responsabilité engagée en cas de redressement ou de liquidation. Concrètement, les biens saisis seraient indisponibles pour le propriétaire dans l'attente du jugement au fond sur sa responsabilité. L'article 1 er prévoit des mesures conservatoires dans le cadre de l'action en extension, qui existe pour les trois procédures collectives ; cette action vise à étendre la procédure à d'autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui de la société ou de fictivité de la personne morale. Les voies de recours habituelles, prévues dans le code de procédure civile, seront possibles à l'encontre de l'ordonnance du président du tribunal de commerce qui décide les mesures conservatoires.

Pour mémoire, ces mesures conservatoires, qui dérogent à la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, sont actuellement limitées au seul cas de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, dans le cadre de la liquidation. La responsabilité, ce sera là ma seule considération critique, en revient au Gouvernement, dont l'ordonnance du 18 décembre 2008 a, pour des raisons qui m'échappent totalement, restreint le champ de cette action tel qu'il avait été prévu par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, rapportée par M. Jean-Jacques Hyest. Sans cela, rien n'empêchait sans doute d'engager une action en insuffisance d'actif contre la holding Pétroplus et d'ordonner la saisie du pétrole.

En pratique, les mesures conservatoires évitent la disparition des biens appartenant à un tiers mais susceptibles d'être joints à l'actif de la société en redressement. Elles donnent aussi un pouvoir de négociation avec ce tiers pour discuter de l'avenir économique de sa filiale. Enfin, si la responsabilité du tiers est reconnue, ces biens peuvent contribuer à la procédure de redressement et, donc, servir au paiement des créances et de toutes les obligations de la société en redressement : salaires et avantages sociaux ou encore obligations sociales et environnementales.

Dernier article important, l'article 4 qui concerne le droit de propriété. Parce qu'il est garanti par la Constitution, toute limitation - et c'est le cas ici - doit être encadrée. Nous éviterons ainsi qu'une question prioritaire de constitutionnalité mette en cause le dispositif.

Pour ce faire, le texte prévoit la cession des biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire, lorsque leur conservation engendre des frais ou lorsqu'ils sont sujets à dépérissement. Celle-ci sera autorisée par le juge-commissaire chargé de suivre la procédure, au prix et aux conditions qu'il détermine. Le produit de la cession doit être consigné à la Caisse des dépôts et consignations dans l'attente du jugement au fond. Il est somme toute préférable de vendre les biens et d'en consigner le produit plutôt que de les laisser dépérir. Le même raisonnement vaut sans doute pour le pétrole. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, Mme François Guégot, j'y ai travaillé avec elle, a apporté des garanties sur les droits du propriétaire des biens, concernant les conditions de cession et la consignation du produit de la cession.

Autre atteinte au droit constitutionnel de propriété, l'affectation du produit de la cession aux frais engagés pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire des biens. Pour limiter la portée de la dérogation, l'affectation du produit de la cession résultera, elle aussi, d'une ordonnance du juge-commissaire. Afin de lever toute ambiguïté, un amendement, adopté majoritairement cette nuit, précise que la gestion des affaires du propriétaire des biens inclut le respect de ses obligations sociales et environnementales. Là encore, l'ordonnance du juge-commissaire sera susceptible des recours habituels du code de procédure civile.

L'information des salariés est une préoccupation légitime. Si le droit actuel des procédures collectives comporte déjà de nombreuses dispositions à ce sujet - notamment, les rapports de l'administrateur judiciaire au comité d'entreprise -, les salariés de Petroplus tenaient particulièrement à ce que la loi mentionnât explicitement une information spécifique. D'où l'amendement du groupe SRC adopté cette nuit à l'Assemblée nationale, qui vise l'article L. 621-2 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde. Nonobstant les trois sous-amendements du Gouvernement, il reste quelque peu imparfait. Il eût été plus pertinent de faire également référence aux articles L. 631-10-1 relatif au redressement et L. 651-2 qui concerne les actions pour insuffisance d'actif. Nous le mentionnerons dans le rapport afin de garantir une bonne interprétation de l'amendement adopté hier soir par les députés.

Pour une application rapide de ces mesures à Petroplus, le texte prévoit, à l'article 6, une application aux procédures en cours dès la publication de la loi.

Compte tenu de la situation de l'entreprise, je propose d'adopter le texte de l'Assemblée nationale, nonobstant les améliorations que nous pourrions y apporter. Le délai-limite de dépôt des amendements est fixé demain au début de la discussion générale ; nous les examinerons donc après la discussion générale. Je précise d'emblée que les députés qui défendaient la reprise de certaines mesures de la proposition de loi de M. François Hollande et n'ont pas obtenu satisfaction, ont considéré opportun de voter le texte.

M. Jean-Jacques Hyest - Modifier ainsi le code de commerce est un peu léger après tout le temps que nous avons passé à définir les procédures collectives et à les améliorer. Le ministère public est mentionné, puis disparaît ; il a pourtant un rôle dans les procédures. Au nouvel article L. 631-10-2, il est question d'un administrateur ou, à défaut, d'un mandataire judiciaire. Ce n'est pas très bien écrit ! Mieux aurait valu faire référence aux articles relatifs aux diverses procédures.

Cela dit, le cas est particulier. Les dirigeants ont manifestement commis une faute, une procédure a été engagée. Mais, pour aller plus vite, il faudrait des mesures conservatoires afin de protéger le stock physique dans l'entreprise, qui doit être sous la main soit de l'administrateur, soit du mandataire ou du liquidateur. En fait, il aurait fallu lancer la procédure pour faute plus rapidement. Néanmoins, ce texte répond à un problème précis, encore qu'il faudrait le réécrire entièrement... au moyen d'une ordonnance ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - ... ou d'une proposition de loi Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest . - Je regrette une certaine illisibilité de la loi.

M. Jean-Pierre Michel , président . - Le texte aurait été préparé en haut lieu !

M. Jean-Jacques Hyest . - Là aussi, il y a des juristes, paraît-il !

M. Gaëtan Gorce . - Ce texte me plonge dans l'embarras. Si je comprends la nécessité d'agir pour des raisons humaines et sociales, je ne peux méconnaître qu'il contrevient à des principes juridiques. Juridiques parce que nous légiférons pour un cas particulier, qui plus est en recourant à la procédure accélérée. Juridiques, aussi, parce que régler de tels problèmes par des mesures conservatoires ne peut pas nous satisfaire.

Je suis totalement interloqué, mais peut-être finirai-je par m'y habituer, de voir que l'on continue d'expliquer à nos concitoyens, particulièrement dans les périodes électorales, que nous pourrions garantir l'emploi par la loi. Si le législateur peut tout, c'est qu'il a méconnu auparavant ses responsabilités juridiques et politiques !

Pour toutes ces raisons, je m'abstiendrai, puisqu'il est permis, au Sénat, d'exprimer librement ses réserves tout en nourrissant peu d'espoir quant à la sagesse des divers candidats dans les mois qui viennent.

M. François Pillet . - Concernant Petroplus, une action en responsabilité ou en extension a-t-elle été engagée ?

Mme Éliane Assassi . - Je ne m'étendrai pas sur les raisons qui expliquent le dépôt précipité de cette proposition de loi. Nous avons nous-mêmes déposé une proposition de loi sur ces questions industrielles. Cela dit, je partage les réserves de M. Gorce sur ce texte d'opportunité. À l'Assemblée nationale, mon groupe avait déposé des amendements pour préserver les droits des salariés ; ils n'ont pas été retenus. J'entends ce que vous dites, nous envisageons de déposer des amendements demain et nous nous abstiendrons si le texte était voté en l'état.

M. Philippe Bas . - Monsieur le rapporteur, vous avez établi votre synthèse avec une rapidité admirable. Cette proposition de loi, de portée générale, me laisse perplexe, car ses conséquences, qui ne peuvent pas être toutes mesurées, me paraissent assez contraires au principe de sécurité juridique. Le droit de propriété doit être pris en compte de manière stable, dans l'intérêt du développement économique. Nous légiférons pour répondre, fût-ce légitimement, à une situation particulière : ce texte opportun demeure un texte d'opportunité. Il répond avec des manières de corsaire à un comportement de requins...

M. Michel Delebarre . - Vous voulez dire de pirates, les corsaires avaient une commission royale !

M. Philippe Bas . - Sans doute aurons-nous, une fois l'affaire Petroplus réglée, à revenir de manière plus complète sur cette législation que je soutiendrai.

M. Yves Détraigne . - Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat . - Le groupe RDSE soutient cette proposition de loi, qui répond à un impératif social. Comme dans les hôpitaux, je suggère d'ouvrir un service d'urgence législative, jour et nuit, afin de traiter tous les cas pouvant se présenter...

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - ... jusqu'au 6 mai !

M. Pierre-Yves Collombat . - ... en période électorale ! Ainsi nous serions encore plus réactifs, pour sauver la France toutes les nuits !

M. Patrice Gélard . - Je suis le régional de l'étape, Petit-Couronne étant dans ma circonscription, en Seine-Maritime. Les parlementaires de tous bords se sont penchés sur le problème, afin de trouver une solution aux difficultés de cette entreprise, dont le propriétaire s'est comporté comme un voyou. Je partage les inquiétudes de Jean-Jacques Hyest sur la rédaction de ce texte, imparfaite à tous points de vue et susceptible de poser problème par la suite. Nous ne sommes pas à l'abri de mises en cause...

M. Jean-Jacques Hyest . - La Cour de cassation le dira !

M. Patrice Gélard . - Laissons les tribunaux agir ! Comme le rapporteur, j'observe que cette méthode de fin de session n'est pas terrible : nous sommes obligés de donner suite en 24 heures à un texte adopté par l'Assemblée nationale...

M. Gaëtan Gorce . - ... soutenu par deux anciens premiers ministres !

M. Patrice Gélard . - ... ce qui n'est pas enthousiasmant ! Je me mets à la place des salariés de Petroplus et je voterai cette proposition de loi, telle que le rapporteur nous la présente.

M. Nicolas Alfonsi . - J'avais compris que mon groupe s'abstiendrait, mais en fait il votera pour, comme moi.

M. Jean-Pierre Michel , président . - Le groupe socialiste suivra le rapporteur, partageant les réserves qu'il a énoncées, mais comprenant l'attente des salariés de l'entreprise. Nous voterons la proposition de loi en l'état, sous réserve des amendements dont nous prendrons connaissance d'ici demain.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - En écoutant le spécialiste qu'est M. Hyest, je n'ai aucun doute quant aux possibilités d'amélioration de ce texte, dont la lisibilité pourrait être accrue. Ce qu'il dit des stocks vaut pour les machines comme pour le pétrole.

Ce texte présente un caractère conservatoire. L'action pour insuffisance d'actif aurait pu être mise en oeuvre, si l'ordonnance de 2008 ne nous avait pas privés de moyens qui auraient été pertinents. Nous sommes là, en tant que législateurs, en face du réel. Je vois tout à fait le discours que je pourrais tenir sur les conditions d'urgence dans lesquelles nous travaillons : le vendredi, le ministre chargé des relations avec le Parlement est venu me voir dans mon bureau, le lundi, nous avons décidé de faire un rapport, que nous présentons aujourd'hui, avant d'examiner le texte demain en séance publique. Mais enfin, il y a un principe de réalité ! La majorité gouvernementale actuelle aurait pu décider de voter ce texte sous une autre forme. Il aurait fallu une commission mixte paritaire, qui aura peut-être lieu, avant que l'Assemblée statue en dernière lecture. Faire passer la concertation et l'intérêt général avant toute autre considération me paraît plutôt une bonne chose, dans le contexte que nous connaissons.

Monsieur Gorce, je vous comprends. Il est difficile, dans ce domaine comme dans d'autres, de faire croire qu'il suffit d'une loi pour régler un problème ! Comme l'a dit Pierre-Yves Collombat, nous pourrions ouvrir un service d'urgence législative, sur le modèle des services hospitaliers ! Je redis que ce texte est conservatoire. Personne n'est contraint de le voter, mais tout le monde peut l'améliorer par des amendements ou d'autres initiatives législatives dans le futur. Vous avez longuement parlé de votre liberté : nous y sommes attachés, comme nous le montrons les uns et les autres en certaines circonstances.

Monsieur Pillet, à ma connaissance, plusieurs actions civiles et pénales ont été engagées, peut-être M. Gélard pourra-t-il nous éclairer. Je vérifierai d'ici demain si une action en responsabilité a été engagée.

Madame Assassi, vous regrettez que la proposition de loi de votre groupe n'ait pas été inscrite à l'ordre du jour. Elle aurait pu l'être par le Gouvernement - nous sommes en semaine gouvernementale jusqu'à samedi minuit, pas après... La proposition de François Hollande aurait pu être inscrite conjointement à l'Assemblée et au Sénat. Ces deux propositions de loi ne bénéficient pas du sort heureux de celle d'aujourd'hui. Nous examinerons les amendements demain.

Monsieur Bas, vous avez raison sur la sécurité juridique. Dans l'arbitrage entre les précautions juridiques qui pourraient être prises et le principe de réalité, nous sommes nombreux à avoir fait le choix qui est le vôtre. Quant aux corsaires, je rejoins M. Delebarre : attention aux légendes que l'on colporte sur leur compte, auxquelles on est particulièrement sensible à Dunkerque !

M. Michel Delebarre . - Très bien !

M. Patrice Gélard . - Je suis descendant de corsaire !

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je remercie Messieurs Alfonsi et Collombat du soutien cohérent du groupe RDSE. Je remercie Monsieur Michel d'avoir indiqué le soutien du groupe socialiste et Monsieur Gélard de nous avoir éclairés à la lumière de réalités qu'il connaît parfaitement.

M. Jean-Jacques Hyest . - Dans le droit des difficultés des entreprises, un cas particulier a suscité un texte qui n'est pas très bien rédigé. Ne nous livrons pas à des initiatives échevelées, soyons raisonnables ! On ne peut faire n'importe quoi sur le droit de propriété. Certaines propositions, électoralement sympathiques, peuvent n'être absolument pas conformes aux règles de droit.

M. Jean-Pierre Michel , président . - Je vais mettre aux voix la proposition de loi issue de la coproduction qui a été signalée entre les rapporteurs des deux assemblées.

La proposition de loi est adoptée sans modification.


* 1 Déposé à l'Assemblée nationale le 13 octobre 2008, le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie a été adopté par le Sénat le 15 octobre 2008.

* 2 Dépêche AFP du 29 février 2012, 9 h 27.

* 3 Articles L. 651-1 et suivants du code de commerce.

* 4 Article L. 621-2 du code de commerce.

* 5 Cette même ordonnance a supprimé l'obligation aux dettes sociales des dirigeants, instituée par la loi du 26 juillet 2005, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, considérant qu'elle pouvait faire double emploi avec l'action pour insuffisance d'actif. Elle a été prise sur le fondement de l'article 74 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, qui comportait une habilitation permettant de remanier assez largement le droit des procédures collectives. L'habilitation était précise et force est de constater qu'elle ne visait pas expressément la révision du champ de l'action pour insuffisance d'actif ou la suppression de l'obligation aux dettes sociales. On pourrait dans ces conditions s'interroger sur le respect par le Gouvernement de l'habilitation qui lui a été accordée par le Parlement. Le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, publié au Journal officiel en même temps que cette dernière, n'évoque même pas la restriction du champ de l'action pour insuffisance d'actif.

* 6 La situation particulière de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est aussi prise en compte par l'article L. 621-2.

* 7 L'article L. 621-9 du code de commerce prévoit que « le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence ».

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