EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 14 novembre 2012, sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, la commission examine le rapport de Mme Françoise Laborde sur la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production .
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous allons examiner le rapport de Françoise Laborde sur la proposition de loi relative aux écoles de production. Mais auparavant, dans l'esprit convivial et démocratique de notre commission, je donne la parole à Jean-Claude Carle pour qu'il nous présente l'objet de son texte.
M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi . - Les écoles de production sont une voie originale pour des jeunes en rupture scolaire et sociale, qui ont quitté l'école pour se retrouver dans la rue, et ne peuvent même pas prétendre à un contrat d'apprentissage. Soit on les laisse à leur triste sort, soit on tente de les réinsérer. Ces établissements sont le lieu d'une pédagogie nouvelle, puisque l'école est intégrée à l'entreprise et vice versa , sur un même lieu. Ils accueillent environ 500 élèves et leur offrent une formation, une éducation au sens large, afin qu'ils puissent ensuite décrocher un diplôme - plus de 80 % ont obtenu un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou un baccalauréat professionnel - et trouver un emploi. Des carrières intéressantes s'ouvrent ainsi à eux : beaucoup créent une entreprise, quelques-uns ont même entrepris des études d'ingénieur.
Cette initiative mérite d'être encouragée. Au Danemark, 110 écoles de production accueillent près de 15 000 élèves. Or les écoles françaises souffrent aujourd'hui de leur précarité juridique : ce sont des écoles techniques d'enseignement privé, reconnues par l'État mais hors contrat, ce qui ne leur permet pas - non plus qu'aux élèves - de recevoir des aides publiques : bourses, cartes d'étudiant, etc. Leur précarité est aussi financière, car la scolarité y est presque gratuite, les élèves payant au plus 800 euros par an. Les écoles tirent 40 % de leurs revenus de leur production, 25 % d'aides régionales, en Rhône-Alpes notamment, et elles sont autorisées à percevoir une part de la taxe d'apprentissage, au titre du barème mais non du quota.
Je propose de clarifier leur statut en les rattachant au ministère de l'emploi et de la formation professionnelle, qui exercera son contrôle, et de les faire bénéficier pleinement de la taxe d'apprentissage, dans le cadre aussi bien du barème que du quota. Les jeunes pourraient être éligibles aux bourses de l'éducation nationale et recevoir une carte d'étudiant.
Certes, cela pose des problèmes d'ordre juridique, et c'est pourquoi le texte prévoit une expérimentation afin de procéder dans cinq ans aux ajustements nécessaires. Le Danemark s'est lui-même inspiré de l'exemple français pour améliorer sa législation.
Mme Françoise Laborde, rapporteure . - Cette proposition de loi donne aux écoles de production, à titre expérimental, un nouveau cadre juridique. Ces écoles se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique privilégiant la formation par la pratique : la formation en atelier représente les deux tiers du temps pédagogique, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Destinées principalement à des jeunes de 14 à 18 ans ayant décroché du système éducatif traditionnel, elles se proposent de former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production, en réponse à des commandes de clients, sans les contraindre à alterner comme les apprentis entre l'école et l'entreprise. Elles revendiquent donc leur statut d'« écoles-entreprises ».
Les écoles de production n'étant pas sous contrat avec l'État, elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l'éducation nationale. Elles sont cependant agréées comme centres d'examen de certains diplômes de niveau V et IV tels que le certificat d'aptitude professionnelle (CAP), le brevet d'études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat professionnel. Les métiers enseignés couvrent une large palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d'art ou de services tels que l'ébénisterie, la haute couture, la restauration et l'hôtellerie. La Fédération nationale des écoles de production (FNEP) dénombre aujourd'hui quinze écoles de production, dont huit en région Rhône-Alpes.
La FNEP indique qu'en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, l'efficacité de cette voie de formation semble démontrée : la moitié des diplômés accèdent sans grande difficulté à un emploi, l'autre moitié choisissant en général de poursuivre leurs études. Ces écoles sont un élément intéressant de notre réseau national d'enseignement technique, qui a fait la preuve de son succès.
Toutefois, le statut hybride taillé sur mesure par cette proposition de loi me paraît inopportun ; on peut douter de la proportionnalité des mesures envisagées, qui favorisent une quinzaine d'établissements regroupant tout au plus 700 élèves, autant que de leur faisabilité juridique.
Tout d'abord, les articles 2 et 3 transfèrent l'agrément et le contrôle des écoles de production du ministère de l'éducation nationale à celui de la formation professionnelle, car ces structures privées refusent de soumettre leur organisation pédagogique aux règles des contrats d'association de la « loi Debré », ce qui supposerait de mettre en conformité leurs enseignements théoriques avec les règles et programmes de l'enseignement public, de recruter leurs enseignants par concours, de respecter un volume horaire minimal d'enseignement théorique. En rattachant ces établissements au ministère de la formation professionnelle, on les assimilerait à des organismes de formation par l'apprentissage, afin qu'ils en tirent des bénéfices financiers - recettes de la taxe d'apprentissage au titre du quota - et statutaires - les élèves, considérés comme des apprentis, recevraient la carte « Étudiant des métiers ».
Or les services d'inspection du ministère de la formation professionnelle ne disposent pas des compétences nécessaires pour évaluer les méthodes pédagogiques des écoles de production. Faut-il rappeler que même les formations par apprentissage s'appuient sur des diplômes dont le contenu et l'organisation pédagogiques ont été préalablement validés par le ministère de l'éducation nationale ? Il est inenvisageable de transférer à l'inspection du travail le contrôle d'écoles scolarisant des élèves mineurs, soumis aux exigences de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans.
L'article 4 vise à faire bénéficier les entreprises partenaires des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, correspondant à la part « barème » de la taxe d'apprentissage. Contrairement aux intentions exprimées dans l'exposé des motifs, l'article ne garantirait pas aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d'apprentissage : il rappelle seulement que les écoles dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste publiée annuellement par le préfet de région peuvent bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème, à raison des dépenses effectivement réalisées par les employeurs partenaires en faveur du fonctionnement et des équipements de ces établissements. Étendre le bénéfice d'une partie du quota de la taxe d'apprentissage aux écoles de production serait incompatible avec la législation en vigueur, car le quota de cette taxe, qui correspond à 53 % de son produit global, finance exclusivement les établissements formant des apprentis - ce que les écoles de production ne sont pas, puisque leurs élèves ne sont pas rémunérés : le rattachement au ministère de la formation professionnelle n'y changerait rien.
De même, l'article 5 tend à octroyer aux élèves des écoles de production la carte « Étudiants des métiers », qui leur offrirait des avantages et des réductions tarifaires identiques à ceux dont jouissent les apprentis et les étudiants. Or ils ne sauraient être assimilés à des apprentis : certains d'entre eux n'ont que 14 ans, alors que l'apprentissage est réservé aux plus de 15 ans, et ils ne perçoivent aucune rémunération en l'absence de contrat d'apprentissage.
L'article 6 rendrait ces élèves éligibles aux bourses nationales délivrées par l'éducation nationale, ce qui répond à un vrai problème, puisque cette éligibilité est aujourd'hui soumise à l'accord du Conseil supérieur de l'éducation nationale, qui y a donné un avis défavorable en 2006.
Les articles 5 et 6, en cela qu'ils constituent une aggravation des charges publiques, me semblent irrecevables sur le fondement de l'article 40 de la Constitution.
Au-delà des problèmes rédactionnels et juridiques, j'ai le sentiment que l'introduction d'un statut hybride taillé sur mesure en faveur des quinze écoles de production existantes, constituerait une rupture d'égalité à l'égard des 875 autres établissements d'enseignement technique privés recensés par l'Union nationale de l'enseignement technique privé (UNETP). L'incohérence du texte est manifeste : d'un côté, il retire les écoles de production du champ scolaire en en faisant des organismes de formation alternée placés sous l'autorité du ministère de la formation professionnelle, au même titre que les CFA ou les sections d'apprentissage, bénéficiant des recettes du quota de la taxe d'apprentissage comme du statut d'apprenti pour leurs élèves ; de l'autre, il est admis que ces élèves ne peuvent être tenus pour de véritables apprentis, puisqu'ils ne perçoivent aucune rémunération, et c'est pourquoi on veut les rendre éligibles aux bourses de l'éducation nationale pourtant réservées aux élèves placés sous statut scolaire.
Il faut cependant mettre fin à la situation ambiguë entretenue par le ministère de l'éducation nationale qui semble s'accommoder d'un réseau d'écoles de production prenant en charge des élèves auxquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée, sans toutefois leur reconnaître une réelle légitimité, ces écoles faisant seulement l'objet d'une reconnaissance formelle de l'État par arrêté qui n'emporte aucun droit. Il est donc indispensable de poursuivre la réflexion, afin de définir des règles minimales d'organisation de la scolarité, en concertation avec les écoles. Un temps de formation générale incompressible doit être garanti, au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Gardons à l'esprit qu'un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans. Ils doivent acquérir les connaissances fondamentales - lecture, écrit, mathématiques - nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. Pour votre information, un certain nombre sont des « primo-arrivants » qui maîtrisent difficilement le français.
Le contrôle de l'offre pédagogique devrait reposer sur une habilitation ou une accréditation du personnel appelé à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Non que cette accréditation doive être subordonnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est prévu par les contrats d'association : il faut préserver une certaine souplesse de recrutement, parmi les bénévoles et les professionnels de l'industrie.
Qu'ils soient inscrits dans un établissement sous contrat ou une école de production, tous les élèves en formation alternée doivent pouvoir bénéficier d'aides à la scolarité. Sans doute faut-il prévoir un traitement différencié des élèves en fonction de leur âge. De 14 à 16 ans, les élèves devraient idéalement être inscrits dans des établissements ou organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. Maintenus sous statut scolaire, ils bénéficieraient d'aides à la scolarité. Plusieurs dispositifs agréés existent déjà : les élèves de 14 ans peuvent suivre une « formation d'apprenti junior », c'est-à-dire un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis ; les jeunes âgés d'au moins 15 ans peuvent avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) et reçoivent alors une formation non rémunérée afin de commencer une activité professionnelle tout en demeurant sous statut scolaire ; les maisons familiales rurales peuvent aussi accueillir des jeunes de plus de 14 ans pour des formations par alternance. De 16 à 18 ans, les élèves qui le désirent pourraient être inscrits dans des écoles de production, réservées à la scolarité post-obligatoire. Ils se verraient alors reconnaître par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle le statut de stagiaires de la formation continue non rémunérés, et bénéficieraient le cas échéant d'une allocation versée par le conseil régional.
Les pistes que je viens de tracer devraient être étudiées dans le cadre d'une mission conduite par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle, destinée à évaluer l'ensemble des dispositifs de formation alternée existants. J'en ferai la demande au ministre.
Je vous propose donc de ne pas adopter de texte et de conclure au rejet de la proposition de loi en séance : il me semble plus raisonnable de nous donner le temps de la réflexion. Grâce à la mission que je viens d'évoquer, nous verrons s'il est opportun de réformer le cadre réglementaire de l'enseignement technique privé, et quelles modifications législatives s'imposent.
M. Jacques-Bernard Magner . - Merci pour ce brillant exposé. Cette proposition de loi est surprenante, mais elle m'a permis de découvrir une réalité que je connaissais mal. Je suis éberlué de constater que les écoles de production défient l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans : des jeunes de 14 ans passent 60 % de leur temps à travailler, un peu comme dans les ateliers ou les mines du dix-neuvième siècle... Il s'agit d'une véritable exploitation, puisque les produits qu'ils fabriquent sont vendus et rapportent de l'argent aux établissements, dont les formateurs sont des bénévoles ou des retraités. Des chefs d'entreprise n'ont pas tous vocation à former des adolescents. Un de nos collègues, éminent capitaine d'industrie, plaide régulièrement pour mettre les gens au travail dès le plus jeune âge et les rémunérer le moins possible... En tant qu'enseignants et citoyens, nous sommes choqués.
L'éducation nationale doit impérativement évaluer ces établissements. Bref, notre rapporteure a été claire en soulignant tous les inconvénients de cette proposition de loi. Le groupe socialiste suivra ses conclusions.
M. Jacques Legendre . - Je salue l'initiative de Jean-Claude Carle qui attire notre attention sur des établissements qui existent depuis longtemps et dont les résultats sont probants. Ce coup de projecteur était utile. Les jeunes en difficulté doivent être scolarisés et formés afin de trouver un travail. Il ne faut pas rejeter a priori un système qui permet à certains jeunes en échec scolaire d'entrer dans la vie professionnelle.
J'ai été secrétaire d'État à la formation professionnelle et je puis témoigner des rivalités entre le ministère du travail, qui veut avoir autorité sur la formation professionnelle, et le ministère de l'éducation nationale qui la considère comme un sous-ensemble de l'enseignement technique. Ces querelles administratives sont dérisoires ; seuls les résultats comptent.
A juste titre, on a voulu démocratiser l'enseignement ; mais le collège issu de la « loi Haby » a rassemblé dans les mêmes classes des jeunes issus de trois formations différentes, d'où la disparition de techniques pédagogiques innovantes.
Les écoles de production obtiennent de bons résultats : pourquoi interdire à des jeunes en situation d'échec de s'insérer dans le monde du travail ? Avec Jean-Claude Carle et Françoise Laborde, la réflexion doit se poursuivre. A trop vouloir mettre tout le monde sous le même boisseau, nous risquons de passer à côté de méthodes pédagogiques novatrices.
Mme Corinne Bouchoux . - Il s'agit ici d'une initiative essentiellement régionale. Comme nous sommes particulièrement préoccupés par les 150 000 décrocheurs scolaires et que nous prônons la liberté pédagogique, cette proposition de loi nous semble à plus d'un titre intéressante, même si le dispositif juridique paraît inapproprié.
Pourquoi ne pas mettre à profit ce texte pour travailler sur la liberté pédagogique ? Ces jeunes, à n'en pas douter, doivent relever de l'éducation nationale. La question est de savoir comment celle-ci peut valoriser leurs talents. Veillons à ne pas rallumer la guerre scolaire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Notre rapporteure a clarifié le débat en rappelant les arguments en présence. Notre groupe n'est pas favorable au développement de ce type d'écoles, même à titre expérimental. La première école de production a été ouverte en 1882 par le chanoine Boisard...
M. Jacques Legendre . - Quelle horreur !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - De tels établissements doivent relever de l'éducation nationale. Le décrochage scolaire révèle l'échec du système éducatif qui peine à se remettre en question. Nous ne pouvons être favorables à des écoles où des enfants de 14 ans travaillent à 60 % de leur temps pour des entreprises. Cette professionnalisation est bien trop précoce.
Mme Françoise Férat . - Je salue le travail de Jean-Claude Carle qui maîtrise parfaitement les questions de formation et d'éducation. Pourquoi vouloir à tout prix garder des jeunes à l'école alors qu'ils ont décroché ? Cette initiative doit être regardée avec intérêt, même si elle ne concerne que 700 élèves. Toute expérimentation est bonne à prendre, et cette proposition de loi prévoit une clause de revoyure dans cinq ans. Allons-nous rejeter d'un revers de main une méthode qui a permis à des jeunes de trouver un emploi ou de reprendre des études ? Beaucoup d'emplois intéressants dans le bâtiment ou dans l'artisanat ne sont pas pourvus.
M. Jacques-Bernard Magner . - Il y a des écoles pour cela !
Mme Françoise Férat . - Mais cette expérience est unique et elle permet de combler des manques.
M. Jean-Pierre Plancade . - Merci à Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir une réalité que je ne connaissais pas, alors même que j'ai vécu dans la région lyonnaise. Merci aussi à notre rapporteure d'avoir bien posé le problème.
Si ces écoles existent, c'est qu'il y a une défaillance dans le système : l'exclusion ou le décrochage nous obligent à nous remettre en cause. Cela dit, on ne peut laisser des enfants de moins de 15 ans dans des écoles de production - appellation d'ailleurs un peu choquante. Celles-ci ne sauraient fonctionner sans contreparties, sans contrôle et sans évaluation permanente de l'éducation nationale et de la formation professionnelle. Je souscris donc aux conclusions de notre rapporteure.
Mme Françoise Cartron . - Je salue le travail fouillé et méthodique de notre rapporteure qui décrit le fonctionnement des écoles de production. Je déplore qu'elles s'affranchissent de toutes les contraintes qui encadrent la formation des jeunes.
Certes, 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification, mais nous aborderons cette question majeure à l'occasion de la loi de refondation de l'école présentée par M. Peillon. Nous devrons nous interroger sur la place de l'apprentissage dans l'éducation nationale et sur les liens entre lycées professionnels et entreprises. M. Legendre a salué la pédagogie des écoles de production, mais peut-on encore parler de pédagogie quand 60 % du temps des élèves est consacré à la production et que les enseignements ne sont soumis à aucun contrôle ? Les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle doivent évaluer ces pratiques pour que nous y voyions clair. Enfin, peut-on s'affranchir de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans ? Est-ce en faisant travailler des jeunes de 14 ans que l'on répond à leurs souffrances ?
M. David Assouline . - Je salue ce rapport très précis. La loi prévoit de donner aux enfants un socle commun de connaissances théoriques durant leur scolarité obligatoire. Il ne s'agit pas de chamailleries administratives, mais d'un devoir républicain ! Certes, l'échec scolaire nous impose l'humilité : certains enfants ayant du mal avec la théorie, toutes les expériences pédagogiques méritent d'être tentées. En revanche, les demandes des écoles de production sont inacceptables. C'est par intérêt financier qu'elles veulent être rattachées au ministère de la formation professionnelle ! Elles souhaitent bénéficier des bourses et autres aides de l'éducation nationale, tout en s'exonérant de toute contrainte. C'est d'ailleurs un texte de circonstance que l'on nous propose, qui favorise un projet pédagogique lancé dans une région : ce n'est pas de bonne méthode.
Lorsque nous débattrons de la loi de refondation de l'école, nous aborderons la question de la formation professionnelle avec les deux ministres en charge de ce dossier et qui doivent travailler de concert. Gardons-nous des fausses solutions.
M. Claude Domeizel . - Merci à Françoise Laborde et Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir ces écoles de production. Notre commission gagnerait à aller voir de près ce qui se passe dans ces établissements, alors que l'obligation scolaire est fixée à 16 ans. Comment sont-ils contrôlés ? Il faudra le demander au ministre.
Lors d'une vie professionnelle antérieure, j'ai mené à la demande de mon inspecteur d'académie une enquête sur les sectes. Comment savoir s'il n'y a pas de dérives sectaires dans telle ou telle école de production ? Les élèves de 14 à 16 ans doivent demeurer sous le contrôle pédagogique de l'inspection académique. Pourquoi n'enverrions nous pas une délégation de la commission pour visiter ces écoles ?
M. Jacques-Bernard Magner . - Il faudrait aussi s'interroger sur leurs financements.
M. Claude Domeizel . - La formation professionnelle déborde largement le cadre des seules écoles de production : on ne doit pas oublier les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ni les établissements régionaux d'enseignement adapté. Plutôt que ce bricolage, mieux vaut aborder la question de façon plus générale.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Comme nombre d'entre vous, je suis détachée de l'éducation nationale et je défends ardemment l'école gratuite, laïque et républicaine. Pourtant, face aux 150 000 jeunes laissés sur le bord du chemin, l'urgence est extrême. Nous devons apporter de promptes réponses et toute expérimentation est bienvenue. Quand 100 % des élèves des écoles de production réussissent leur insertion professionnelle, on ne peut parler de fausse solution, monsieur Assouline ! Pourquoi refuser une expérimentation, puisque le législateur sera amené à faire le point dans cinq ans ? Ce texte ne nous empêchera pas de nous pencher sur la formation professionnelle à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la refondation de l'école. Soyons pragmatiques plutôt que dogmatiques.
M. Jean-Claude Carle , auteur de la proposition de loi. - Je remercie Françoise Laborde pour son travail qui a permis d'affiner certains points juridiques. Je vous invite, mes chers collègues, à visiter ces écoles : votre jugement évoluera. Vous aurez du mal à en trouver qui soient dirigées par un chanoine : il n'y en a plus depuis belle lurette.
C'est après en avoir moi-même visitées, lorsque j'étais chargé de la formation dans la région Rhône-Alpes, que j'ai pris des mesures pour les soutenir. Après l'alternance, Mme Demontès et M. Queyranne, bien loin de les supprimer, ont amplifié ces aides et M. Collomb m'a récemment fait part de son soutien. Certes, elles ne scolarisent que 500 élèves, mais ce sont autant de jeunes qui ne sont plus à la rue. Demain ils pourraient être 5 000. C'est pourquoi je propose de sortir ces établissements de leur précarité juridique et matérielle. Peut-être est-ce du bricolage ; pourquoi pas si cela réduit le chômage ? Soit l'on attend que tous les problèmes juridiques soient réglés, et l'on risque d'attendre longtemps, soit on lance une expérimentation pendant cinq ans, comme nous y autorise la Constitution, sous la responsabilité du ministère de la formation professionnelle.
Mme la rapporteure souhaite donner du temps au temps, ce qui m'attriste pour ces jeunes, mais je ne désespère pas de parvenir à des résultats concrets, car l'Association des régions de France (ARF) s'intéresse à ces écoles de production. Le bon sens finira, j'en suis persuadé, par l'emporter.
Mme Françoise Laborde, rapporteure . - Merci de vos compliments et merci à Jean-Claude Carle qui m'a donné l'occasion d'approfondir un sujet sur lequel je souhaite continuer à travailler.
La question de la dimension confessionnelle de ces écoles est secondaire, monsieur Magner. Les jeunes de ces écoles sont de confessions et d'origines sociales diverses. Sont-ils exploités ? Je n'ai pas de réponse précise et catégorique, c'est pourquoi je réclame une évaluation. Le produit des ventes sert à couvrir les dépenses de fonctionnement des établissements, qui bénéficient aussi d'autres ressources, comme une part de taxe d'apprentissage ou des subventions de régions. Certains versent une - maigre - allocation à leurs élèves sous la forme d'un pécule en fin de scolarité.
M. Legendre s'est félicité du coup de projecteur sur ces écoles. Dès lors que des très jeunes y sont scolarisés, ne les éloignons pas de l'éducation nationale pour ne pas rouvrir la guerre de la scolarité à 14 ou à 16 ans. Lorsque nous examinerons le projet de loi sur la refondation de l'école, nous devrons trouver les référentiels adéquats, afin de garantir l'égalité de traitement entre les élèves.
Je me réjouis que Corinne Bouchoux soit favorable à l'innovation pédagogique, absolument indispensable, mais n'oublions pas les exigences communes de l'instruction obligatoire. Une remise à plat générale s'impose donc.
La fédération nationale des écoles de production ne garantit pas un référentiel commun de formation théorique, madame Férat. Des référentiels obligatoires sont pourtant nécessaires, car il arrive que des cours soient supprimés lorsqu'une commande doit être terminée.
L'arrêté du 19 juin 2006 a reconnu sept écoles de production comme établissements privés d'enseignement technique, mais cela ne leur donne aucun droit supplémentaire. La situation est donc loin d'être satisfaisante. Jean-Claude Carle propose que ces écoles changent de tutelle, mais pourquoi ne seraient-elles pas soumises, comme les CFA, à la double tutelle des ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle ? Les élèves ne doivent pas non plus être considérés comme des apprentis, puisque certains ne sont âgés que de 14 ans alors que l'apprentissage a vocation à commencer à partir de 15 ans révolus.
Certains lycées professionnels vendent aussi leur production, monsieur Assouline, ne serait-ce que pour acheter du matériel.
Les quinze écoles actuelles ne me semblent pas présenter de risques sectaires, monsieur Domeizel, mais comme le président de la FNEP m'a dit que 20 à 25 écoles supplémentaires pourraient rapidement être créées, nous devons effectivement être attentifs à ce problème. Je préfère donc que l'on règle la situation des écoles actuelles avant d'envisager d'en créer de nouvelles.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Je vous propose, comme l'a suggéré M. Domeizel, de nous rendre à Lyon pour réfléchir à la scolarisation des enfants de 14 à 16 ans. Les écoles de production feront partie de notre circuit.
Nous allons passer à l'examen des articles.
L'article 1 er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5 et 6.
La commission repousse l'ensemble de la proposition de loi.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - La commission n'ayant adopté aucun texte, c'est la proposition de loi initiale qui sera examinée en séance.
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La commission rejette la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production.
En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi .