EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Partie intégrante de notre édifice constitutionnel, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose, dans son troisième alinéa, que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Ce n'est pourtant qu'au prix de longues luttes que les femmes ont progressivement obtenu d'être traitées, en tous domaines de la vie civile, publique et économique, de façon égale aux hommes - parfois aidées en cela par le droit communautaire 1 ( * ) .
A l'heure actuelle, si cette égalité est pleinement reconnue en droit, de profondes inégalités demeurent, ancrées dans des représentations et des schémas sociaux qui continuent à assigner à l'homme et à la femme des rôles distincts et souvent hiérarchisés. Malgré l'implication forte des pouvoirs publics, la place des femmes dans la vie publique et économique demeure en retrait, tandis que trop de femmes, encore, sont la cible de violences physiques ou sexuelles, notamment de la part de leur conjoint ou de leur compagnon. Il est aujourd'hui reconnu que les conséquences de ces violences sur les enfants - filles ou garçons -, même s'ils ne sont que témoins, constituent un enjeu majeur de santé publique.
Le projet de loi déposé en premier lieu devant notre assemblée tend à apporter une réponse globale, cohérente et intégrée à ces inégalités persistantes. Reposant sur le constat de la nécessité d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs, il entend, au-delà des seules mesures qu'il propose, provoquer l'impulsion nécessaire pour faire appliquer le droit existant et modifier durablement les comportements en matière d'égalité femmes - hommes.
Composé de 25 articles, il aborde quatre thématiques : mise en oeuvre de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; lutte contre la précarité des femmes isolées ; renforcement du dispositif de prévention et de répression des violences ; lutte contre les stéréotypes sexistes et mise en oeuvre de la parité pour, peu à peu, faire évoluer les mentalités.
La commission des affaires sociales a reçu délégation pour examiner au fond les dispositions relevant naturellement de sa compétence (articles 2, 4, 5, 6) et a désigné à cette fin Mme Michèle Meunier comme rapporteure. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est également saisie pour avis et a désigné Mme Maryvonne Blondin comme rapporteure. Enfin, votre commission a sollicité l'avis de la délégation aux droits des femmes, laquelle a confié à sa présidente, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, le soin de présenter ses observations.
I. LA TROP LENTE MARCHE VERS L'ÉGALITÉ RÉELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Depuis une quinzaine d'années, les pouvoirs publics - État, collectivités territoriales, partenaires sociaux, toutes tendances politiques confondues - se sont engagés de façon résolue dans la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Celles-ci demeurent toutefois prégnantes, même si, dans divers domaines, des évolutions doivent être soulignées.
A. DES INÉGALITÉS PERSISTANTES
1. Des femmes toujours en retrait dans le monde du travail
En dépit de l'adoption de nombreuses lois sociales (inscription du principe de l'égalité des rémunérations dans le code du travail par la loi du 22 décembre 1972, loi « Roudy » du 13 juillet 1983 sur l'égalité professionnelle, loi « Génisson » du 9 mai 2001, etc.), la place des femmes dans la vie économique est toujours marquée par de profondes inégalités.
Ainsi, d'après l'INSEE 2 ( * ) , si, en 2009, les femmes représentaient 46 % des salariés du privé, elles n'occupaient qu'un cinquième des postes de cadres dirigeants des entreprises du secteur privé. Les femmes cadres dirigeantes sont de surcroît moins payées que les hommes - près de 32 % de moins en moyenne en équivalent-temps-plein (ETP).
En 2009, moins de deux dirigeants de société salariés sur dix sont des femmes. En ETP, les rémunérations des dirigeantes sont inférieures à celles des dirigeants de 21 % pour les gérants minoritaires de sociétés à responsabilité limitée (SARL) et de 33 % pour les dirigeants de sociétés anonymes (SA) ou de sociétés par actions simplifiées (SAS).
La situation n'est guère meilleure dans la fonction publique, où l'État et les collectivités locales devraient pourtant être astreints à un devoir d'exemplarité : les femmes, bien que légèrement majoritaires (52 %), sont peu présentes dans les fonctions d'encadrement et les postes à responsabilités : elles y occupaient 21 % des emplois de direction au 31 décembre 2009. Elles sont pourtant également majoritaires parmi les cadres. Les femmes sont un peu mieux représentées parmi les chefs de service, directeurs adjoints et sous-directeurs (31 %). En revanche, les postes d'ambassadeur, de préfet et de trésorier-payeur-général restent encore très masculins.
Si la situation est plus égalitaire dans la fonction publique hospitalière 3 ( * ) , les femmes ne sont pas mieux représentées dans les emplois de direction de la fonction publique territoriale (18 %), alors qu'elles en représentent 61 % des effectifs.
Ces inégalités se reflètent dans les revenus : en 2009, le revenu salarial moyen pour l'ensemble des salariés du public et du privé s'élève à 19 270 euros par an, mais celui des femmes est inférieur de 25 % à celui des hommes (29 % dans le secteur privé et 19 % dans la fonction publique).
Près d'une femme salariée sur trois travaille à temps partiel, contre seulement 7 % des hommes, et, pour une part importante d'entre elles, il s'agit de temps partiel subi.
Ces inégalités de situations se retrouvent chez les personnes âgées : en 2008, les femmes percevaient une pension de retraite d'un montant moyen de 1 102 euros, soit 31 % de moins que celui des hommes.
2. Des inégalités qui trouvent leur source dans des schémas sociaux profondément enracinés
Ces situations s'expliquent pour partie par la persistance de schémas de pensée, profondément ancrés dans les mentalités, tendant à assigner aux hommes et aux femmes des rôles distincts.
Ainsi, alors même qu'elles travaillent (en 2010, près de 85 % des femmes vivant en couple et ayant un ou deux enfants sont actives), les femmes continuent à assurer l'essentiel des tâches ménagères et l'éducation des enfants. L'INSEE relève ainsi que les mères passent en moyenne 1h14 par jour à s'occuper de leurs enfants, contre 34 minutes pour les pères. Ce sont aussi davantage les femmes qui accompagnent leurs enfants à l'école ou qui sont présentes à leur retour au domicile. Au total, les femmes consacrent en 2010 en moyenne quatre heures par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, bricolage, jardinage, etc.), contre deux heures et 13 minutes pour les hommes.
Cette répartition des rôles se retrouve dans de nombreux domaines, comme le sport, par exemple, qui reste une activité essentiellement masculine. En outre, peu d'activités sportives sont vraiment mixtes : les sports collectifs et les sports de balle sont les moins féminisés (moins d'un tiers des participants sont des femmes), malgré la présence grandissantes des femmes dans les sports collectifs (+ trois points entre 1999 et 2010), tandis que 80 % des pratiquants de la gymnastique sont des femmes.
Votre rapporteur relève ainsi qu'à ce jour, l'équitation est la seule discipline olympique dans laquelle femmes et hommes s'affrontent dans des épreuves communes sans distinction de sexe.
De façon plus générale, elle souligne le rôle important joué par les organisateurs de manifestations sportives pour faire évoluer les mentalités dans ce domaine, notamment en permettant aux compétitions féminines d'avoir la même audience que les compétitions masculines.
Résumé du rapport de la commission de
réflexion
En mars 2008, une commission de réflexion sur l'image des femmes dans les médias a été constituée par Michèle Reiser, à la demande de Valérie Létard, secrétaire d'État à la solidarité. Cette commission s'est attachée à faire le bilan des avancées en matière de représentation des femmes dans les médias, mais aussi à pointer la persistance de stéréotypes. Le rapport rendu par Mme Brigitte Grésy, rapporteure, définit les stéréotypes comme des « images qui bloquent, qui figent à un instant donné, qui empêchent d'avancer et qui portent atteinte à l'estime de soi ». Parmi ceux-ci sont recensés « pour la sphère privée, les images de la mère, de l'idiote, blonde de surcroît, de l'hystérique déjantée, sinon de la putain, sans parler de la ménagère ». La rapporteure note que le cadre juridique existant en France semble suffisant pour lutter contre les atteintes à l'image des femmes, alors même que la jurisprudence en matière de répression des propos sexistes ou de production de stéréotypes dégradants pour l'image des femmes est quasi-inexistante. Le rapport met en évidence quelques avancées concernant la place des femmes dans les médias. Celles-ci sont essentiellement quantitatives : la part des femmes bénéficiaires de cartes d'identité de journalistes professionnels est ainsi passée de 37,54 % en 1996 à 43,35 % en 2007. La place des femmes reste malgré tout qualitativement insuffisante, puisqu'à travers une série d'exemples, le rapport souligne que celles-ci demeurent souvent invisibles ou secondaires. Les femmes sont « plus anonymes, moins expertes, à la fois en parole d'autorité et davantage victimes que les hommes ». Ce constat se retrouve par exemple dans le décompte des interventions de femmes en tant qu'expertes dans les éditions du matin de deux radios nationales : - sur France Inter, 14 hommes et seulement 3 femmes experts ; 10 femmes non-expertes ou témoins et 6 hommes témoins en revanche ; - sur RTL, 10 hommes et seulement 2 femmes experts ; 10 femmes témoins et 9 hommes témoins en revanche. Enfin, l'absence de postes stratégiques occupés par des femmes dans l'organisation des grands médias français est dénoncée par le rapport. Celui-ci préconise une démarche sur le long terme, axée sur la sensibilisation, la vigilance, la régulation et le contrôle, afin d'introduire « une logique de coresponsabilité entre les acteurs privés et publics, pour répondre à ce double enjeu : un enjeu d'information pour rendre visible l'invisible, et un enjeu de dialogue et de mobilisation pour mettre en mouvement l'ensemble des parties prenantes ». |
3. Les violences faites aux femmes, source des inégalités
Les violences faites aux femmes sont sans aucun doute la première source d'inégalités entre les femmes et les hommes : comme l'indiquait Mme Ernestine Ronai, responsable de l'observatoire des violences envers les femmes de Seine Saint-Denis et de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), il n'y a pas d'égalité pour une femme qui ne peut sortir de chez elle ou qui fait l'objet de harcèlement dans le cadre de son travail, par exemple. La lutte contre les violences faites aux femmes n'est pas un corolaire des politiques d'égalité, elle en est un préalable .
Les violences faites aux femmes sont une réalité difficile à évaluer, notamment parce que, commises dans le huis-clos du foyer familial ou à l'abri des regards, une très grande majorité d'entre elles ne sont ni signalées ni détectées.
Les données les plus solides dont nous disposons en la matière sont les faits constatés par les services de police et de gendarmerie. Ces informations ne sont toutefois que partielles et doivent être complétées par des études de victimation.
En matière de violences conjugales, l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) indique ainsi dans son rapport annuel pour 2012 que 146 personnes (122 femmes et 24 hommes) sont décédées en 2011, victimes de leur conjoint(e) ou de leur ex-conjoint(e) . En diminution depuis quelques années, ce chiffre n'en demeure pas moins préoccupant, d'autant qu'il s'accompagne du décès de 11 enfants mineurs .
Violences conjugales ayant entraîné la mort de la victime
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
|
Nombre de décès consécutifs à des violences conjugales |
192 |
184 |
165 |
174 |
146 |
- dont femmes victimes |
166 |
157 |
140 |
146 |
122 |
- dont hommes victimes |
26 |
27 |
25 |
27 |
24 |
Source : ONDRP
Les unités de la gendarmerie nationale et les services de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) ont par ailleurs enregistré 100 tentatives d'homicide sur des femmes par leur conjoint ou ex-conjoint en 2011 4 ( * ) .
Le nombre d'hommes victimes, en revanche, reste constant.
Il est sans doute encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure ces évolutions sont à mettre en relation avec les dispositifs de prévention et de répression des violences adoptés au cours des dernières années (voir infra ).
906 plaintes pour viols commis sur des femmes au sein du couple ont par ailleurs été dénombrées en 2011.
En outre, cette même année, 53 868 violences non mortelles sur des femmes au sein du couple ont été enregistrées par les unités de gendarmerie et les services de la sécurité publique, ce qui correspond à plus du quart des violences enregistrées dans l'index 7 de l'état 4001, ce à quoi il convient d'ajouter 108 504 « mains courantes » comptabilisées par la DCSP et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.
Ces données font également apparaître qu'en 2011, 86,4 % des 13 866 femmes victimes avaient au moins un enfant et 10,5 % étaient enceintes, avec au moins un enfant. 83,5 % des enfants vivaient sur le lieu des violences exercées et 82,4 % en ont été témoins . Plus de 15 % des enfants ont fait l'objet de violences physiques en même temps que la victime , mais il est aujourd'hui unanimement reconnu que le seul fait d'être témoin de ces actes constitue une véritable violence exercée à l'encontre des enfants.
Ces données peuvent être complétées par les études réalisées par des associations. À ce titre, la Fédération nationale solidarité femmes, qui gère le numéro « 39 19 - Violences Femmes Info », a établi, à partir des 13 866 appels qu'elle a traités en 2011 et qui concernaient des faits de violences entre conjoints, un profil des violences : parmi les fiches renseignées, près de 88 % des femmes faisaient état de violences psychologiques, 79,4 % de violences physiques, plus de 72 % de violences verbales et 6 % de violences sexuelles. Il ressort que les humiliations (73 %), les coups à main nue (67,5 %), les viols conjugaux (52,3 %), les privations de ressources (37 %) sont les actes les plus couramment commis dans chaque type de violences répertoriées. Les causes de déclenchement ou d'aggravation des actes de violence évoqués par les femmes victimes étaient la consommation d'alcool chez l'auteur et, en ce qui concerne la situation familiale, la séparation ou le divorce, la présence d'enfants et la grossesse, principalement.
Votre rapporteur souligne également l'émergence, à la faveur du développement des nouvelles technologies, de nouvelles formes de harcèlement qui s'apparentent à de réelles violences psychologiques, parmi lesquelles l'utilisation d'outils, accessibles par Internet, permettant la surveillance des téléphones, des messageries, la géolocalisation de la victime ou l'utilisation de « logiciels espion » pouvant aller jusqu'à des écoutes de l'environnement de cette dernière constituent, malgré leur utilisation interdite, un phénomène dont la fréquence croissante est préoccupante.
Les violences commises contre les femmes ne le sont pas exclusivement au sein du ménage. Se fondant sur des études de victimation, l'ONDRP estime ainsi à 210 000 le nombre de femmes de 18 à 75 ans « victimes déclarées » de violences sexuelles hors ménage en 2010-2011 (80 000 hommes sur la même période).
154 000 femmes et 34 000 hommes se sont déclarés victimes de viols ou tentatives de viol sur la période 2010-2011. D'après l'INSEE, les attouchements ou rapports sexuels forcés, bien que moins fréquents, concernent également essentiellement des femmes : 1 % des femmes de 18 à 75 ans ont déclaré en avoir subis au cours des deux années précédant l'étude, contre 0,3 % des hommes 5 ( * ) .
L'INSEE indique, par ailleurs, que 4,1 % des femmes de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été confrontées en 2009 ou en 2010 à un homme qui, ne vivant pas avec elles, a cherché à les embrasser, à les caresser ou à faire d'autres gestes déplacés contre leur volonté. Cette part est d'autant plus importante que les femmes sont jeunes : elle atteint 11,2 % chez les 18-24 ans. Cette forme de violence n'épargne pas les hommes, même s'ils sont nettement moins nombreux (1,3 %) à l'avoir subie.
En tout état de cause, que les victimes soient des hommes ou des femmes, les auteurs de ces violences sexuelles sont, dans l'immense majorité des cas, des hommes 6 ( * ) .
Ces violences sont toutefois difficiles à évaluer de façon fine car, dans une très grande majorité des cas, les victimes ne portent pas plainte . Ainsi, en moyenne, seules 8,1 % des personnes de 18 à 75 ans se déclarant victimes de violences sexuelles hors ménage déposent plainte à la suite de l'agression. Ce taux est toutefois de près de 10 % pour les femmes, tandis qu'il n'est que de 2,5% pour les hommes.
S'agissant des violences conjugales, 7,5 % des personnes de 18 à 75 ans s'étant déclarées victimes de violences physiques ou sexuelles intra-ménage de 2006-2007 à 2010-2011 ont dit avoir porté plainte à la suite de l'un au moins des actes subis. Cette part moyenne, qui est inférieure à 3,5 % pour les hommes, s'établit à 9,3 % pour les femmes.
* 1 Dans l'arrêt « Defrenne » du 8 avril 1976, la Cour de justice des communautés européennes a considéré que le principe de l'égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes faisait partie des fondements de la Communauté.
* 2 INSEE, Regards sur la parité, édition 2012.
* 3 Les femmes représentent ainsi 40% des emplois de direction de la fonction publique hospitalière, notamment parce qu'elles sont plus souvent à la tête d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux ; elles sont en revanche moins nombreuses à être directeur d'hôpital (seulement 16% de femmes).
* 4 Il s'agit d'une augmentation par rapport aux tentatives d'homicide constatées au cours des années précédentes : 77 en 2008, 84 en 2009, 77 en 2010.
* 5 INSEE, Regards sur la parité, édition 2012, fiches thématiques « conditions de vie ».
* 6 Ainsi, en 2010, 6 371 hommes et 50 femmes (soit des proportions de 99,2 % et 0,8 %) ont été condamnés pour des faits d'agression sexuelle ou de viol (source : casier judiciaire national).