EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Depuis 2004, le vote par correspondance électronique, couramment appelé « vote par internet » 1 ( * ) , est admis par la loi comme une modalité de vote pour les Français établis hors de France pour certaines des élections auxquelles ils peuvent participer.

À l'initiative de notre collègue Robert del Picchia, le Sénat puis l'Assemblée nationale avaient adopté en mars 2003, pour la première fois, l'instauration de cette nouvelle modalité de vote pour l'élection des membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger, devenue en 2004 l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE). L'ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 2 ( * ) a étendu cette possibilité de vote à l'élection des députés élus par les Français établis hors de France.

La loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France a repris une disposition similaire pour l'élection des conseillers consulaires, mettant parallèlement fin pour cette élection au vote par correspondance postale.

À l'initiative du groupe UMP, votre commission est donc appelée à se prononcer une nouvelle fois sur la question du « vote par internet », cette question faisant par ailleurs l'objet de la mission d'information créée par votre commission et confiée à notre collègue Alain Anziani et à votre rapporteur. La proposition de loi de Robert del Picchia et de plusieurs de nos collègues vise, en effet, à ouvrir cette modalité de vote aux Français établis hors de France pour l'élection des représentants au Parlement européen.

En effet, depuis la loi n° 2011-575 du 26 mai 2011 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, nos compatriotes expatriés ont recouvré le droit de vote pour l'élection des députés européens.

Le rétablissement du droit de vote des Français établis hors de France

Le passage d'une circonscription unique à huit circonscriptions pour l'élection des représentants au Parlement européen prévu par la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 a eu pour effet de priver les Français établis hors de France de la possibilité de voter pour cette élection. En effet, la loi ne les a alors rattaché à aucune circonscription, ni érigé une circonscription particulière aux Français établis hors de France.

Chaque État membre détermine librement les titulaires du droit de vote et d'éligibilité à cette élection, sous réserve de respecter le principe d'égalité entre les électeurs 3 ( * ) . Il existe ainsi des différences entre ressortissants des États membres expatriés, certains États comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni privant leurs ressortissants résidant à l'étranger de leur droit de vote tandis que d'autres États comme la France ou la Pologne l'admettent.

Pour mettre fin à cette inégalité entre ressortissants français, la loi n° 2011-575 du 26  mai 2011 a rattaché l'ensemble des Français établis hors de France à la circonscription d'Ile-de-France. Lors de l'examen de cette loi, le Sénat avait rejeté des propositions alternatives qui auraient conduit soit à rattacher les électeurs votant à l'étranger à la circonscription Outre-mer, soit à créer une circonscription spécifique.

S'agissant de l'intégration au sein de la circonscription Outre-mer, votre commission avait estimé que cette solution soulèverait des difficultés techniques en raison du découpage en sections de cette circonscription et que d'un point de vue symbolique, elle pourrait sembler assimiler les collectivités ultramarines à des pays étrangers.

Sur la création d'une nouvelle circonscription, votre commission relevait alors qu'au vu de la faiblesse relative du nombre d'électeurs votant à l'étranger, cette circonscription serait toutefois dotée d'un nombre très réduit de sièges, vraisemblablement deux, ce qui aurait pour effet de dénaturer la portée du scrutin à la représentation proportionnelle. Une telle solution serait, au demeurant, contraire à l'Acte du 20 septembre 1976, selon lequel la mise en place d'éventuelles circonscriptions ne doit pas « porte[r] atteinte au caractère globalement proportionnel du scrutin », ce qui impose que le nombre de sièges attribué à chacune des circonscriptions soit suffisamment important.

Le rétablissement du droit de vote pour les Français établis hors de France n'a pas été sans soulever des difficultés quant à la conciliation des législations nationales au sein de l'Union européenne. La loi du 26 mai 2011 a ouvert aux Français établis hors de France résidant au sein de l'Union européenne une double faculté de vote, à la fois dans leur État de résidence et en France. Comme le relevait notre collègue Jean-Yves Leconte lors de l'examen du projet de loi visant à faciliter l'exercice du droit d'éligibilité aux candidats non français, « ce dispositif peut aboutir à une situation paradoxale où, comme en Belgique, un français expatrié est soumis au caractère obligatoire du vote, ce qui le conduit à voter dans son État de résidence, alors qu'il pourrait, en vertu de la loi française, choisir de voter auprès de son ambassade ou de son consulat pour les représentants au Parlement européen au titre de la France » 4 ( * ) .

Selon l'exposé des motifs, cette proposition de loi repose sur une double motivation : favoriser la participation électorale et alléger la charge de l'organisation des élections européennes et des élections consulaires qui seront concomitantes en mai 2014 5 ( * ) .

La crainte exprimée par les auteurs de la proposition de loi est que les électeurs qui voteraient par internet pour l'élection des conseillers consulaires, le 24 ou le 25 mai prochain 6 ( * ) , ne se rendent pas au bureau de vote pour voter pour l'élection des députés européens puisque la même « facilité de vote » n'existe pas pour cette élection.

S'agissant de l'organisation de deux élections le même jour, les auteurs de la proposition de loi mettent en avant que la concomitance des élections qui obligera à un doublement des fonctionnaires chargés de la tenue des bureaux de vote. Ils citent ainsi en exemple le fait qu' « au lieu d'ouvrir 20 bureaux de vote à Montréal, il en faudra 40 », soit « 80 fonctionnaires réquisitionnés pour toute une journée pour cette seule ville, et autant d'assesseurs à trouver », sachant que « la même chose est à craindre à Bruxelles, Londres, Genève... ».

Votre rapporteur relève cependant que le vote par correspondance électronique est une modalité supplémentaire de vote qui ne se substitue donc pas au vote à l'urne 7 ( * ) . L'ouverture de cette nouvelle possibilité pour les électeurs ne permettraient donc pas de décharger, même partiellement, l'administration consulaire de son obligation de tenue des bureaux de vote.

Enfin, lors de son audition, notre collègue M. Robert Del Picchia a avancé que cette modalité de vote existe, depuis 2011, pour l'élection des députés élus par les Français établis hors de France et qu'il serait paradoxal qu'elle ne soit pas étendue pour l'élection des députés européens.

Avant tout examen au fond, votre commission a relevé que, contrairement à la tradition républicaine, l'adoption de cette proposition de loi interviendrait dans le délai d'un an précédant le déroulement du scrutin.

En outre, à moins de six mois du déroulement de ces élections, la modification des modalités de vote poserait des difficultés matérielles que lors de son audition, les représentants du ministère des affaires étrangères ont amplement exposées à votre rapporteur. Selon eux, le ministère des affaires étrangères n'est pas en mesure d'organiser le scrutin pour les élections européennes avec un « vote par internet » d'ici mai 2014.

En effet, le Gouvernement estime à un an environ le délai nécessaire à la mise en oeuvre d'un « vote par internet » qui nécessite une analyse des risques en fonction de l'importance de l'élection, du corps électoral concerné, de la taille de la circonscription ou encore des règles juridiques applicables comme le nombre de procurations et la recherche de solutions techniques en fonction de ces risques et des enjeux. De même, ce délai serait indispensable à la passation des marchés publics et à l'édiction des mesures règlementaires qui appelleraient la consultation de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). L'ensemble de ces démarches devraient être achevées avant le décret de convocation des électeurs, soit au maximum, en application de l'article 20 de la loi du 7 juillet 1977, avant le 20 avril 2013.

À cet égard, la solution existante pour les élections concomitantes des conseillers consulaires n'est pas transposable en l'état pour les élections européennes notamment à cause des différences entre ces deux élections quant à la composition des listes électorales ou au nombre des circonscriptions 8 ( * ) . Il conviendrait, au demeurant, de s'interroger s'il faut délivrer un identifiant unique à chaque électeur ou deux identifiants distincts pour se connecter.

Lors de son audition devant votre rapporteur, M. François Saint-Paul, directeur de l'administration consulaire et des Français de l'étranger, a ainsi estimé qu'une mise en oeuvre précipitée du vote par internet pour les prochaines élections européennes pourrait engendrer des dysfonctionnements, ce qui jetterait, selon lui, un discrédit durable sur cette modalité de vote, mettant à bas les efforts entrepris depuis une décennie.

Au-delà de la question de la date d'application du texte, votre commission a relevé que l'adoption de cette proposition de loi marquerait le franchissement d'un nouveau cap dans l'introduction du vote électronique pour les élections politiques françaises . En effet, jusqu'à présent, le vote par correspondance électronique n'est autorisé que pour des élections pour lesquelles le vote des Français établis hors de France est isolé au sein de circonscriptions spécifiques : c'est le cas de l'élection des députés au sein de 11 circonscriptions ou celle des conseillers consulaires qui se déroulera, en mai 2014, au sein de 130 circonscriptions. En revanche, pour un électeur expatrié, la participation aux autres scrutins au suffrage direct, que ce soit l'élection du président de la République et l'élection des députés européens, ainsi qu'à un référendum national ne peuvent se faire par la voie électronique, à l'instar des électeurs votant sur le territoire national.

Dans le cas des élections européennes, les Français établis hors de France votent au sein de la même circonscription que les Franciliens. Instaurer une modalité supplémentaire de vote pour les seuls électeurs établis hors de France aurait pour effet d'introduire, au sein d'une même circonscription, des modalités de vote différentes et ainsi soulever une difficulté au regard du principe constitutionnel d'égalité entre électeurs.

En outre, votre commission s'est interrogée sur les effets d'une éventuelle fraude ou erreur technique lors du vote par internet, ce qui conduirait le juge de l'élection à écarter l'ensemble des votes émis par ce moyen et, en fonction du nombre de suffrages et de l'écart des voix recueillis par les différentes listes, à annuler l'ensemble des opérations au sein de la circonscription « Ile-de-France ». Si, pour le vote traditionnel, le juge peut aisément décompter les bulletins qu'il juge viciés et les soustraire aux résultats, il est plus délicat de mesurer l'ampleur d'une erreur survenue lors du vote par correspondance électronique, qu'elle soit liée à un acte malveillant ou à une défaillance technologique, ce qui conduirait le juge à annuler l'ensemble des opérations.

À titre personnel, bien que conscient des difficultés posées, votre rapporteur a invité votre commission à adopter, à ce stade, ce texte afin de permettre un débat en séance publique sur cette question.

Cependant, à l'initiative de son président, votre commission a estimé que l'examen de cette proposition de loi devait être éclairé par les conclusions issues des travaux de la mission d'information confiée à notre collègue Alain Anziani et à votre rapporteur, souhaitant ainsi que le Sénat renvoie l'examen de ce texte en commission dans l'attente du rapport d'information.

Votre commission a donc décidé de déposer une motion de renvoi en commission qui sera présentée en séance publique et n'a pas adopté la proposition de loi.

*

* *

À l'issue de ses travaux, votre commission a décidé de déposer une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.


* 1 Le vote par correspondance électronique et le vote par machine à voter sont généralement désignés sous le vocable « vote électronique ».

* 2 Cette ordonnance a été ratifiée par la loi n° 2011-411 du 14 avril 2011.

* 3 CJCE, 12 septembre 2006, C-145/04 et C-300/04

* 4 Rapport n° 137 (2013-2014) de M. Jean-Yves Leconte, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à l'exercice du droit d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants - octobre 2013

* 5 Dans un souci de compromis entre la proposition du Gouvernement d'organiser l'élection des conseillers consulaires en juin et le souhait du Sénat d'une élection concomitante avec les élections municipales, soit en mars, l'article 14 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 a fixé en mai l'élection des conseillers consulaires.

* 6 À l'initiative du Sénat, l'article 18 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 prévoit, comme pour l'élection des représentants au Parlement européen, que pour le continent américain, le vote s'effectue la veille du dimanche fixée ordinairement pour les autres bureaux de vote afin d'éviter que, du fait du décalage horaire, les résultats ne soient connus des électeurs situés sur le continent américain avant leur propre vote.

* 7 De manière constante, le législateur n'a jamais souhaité remplacer le vote traditionnel auprès d'un bureau de vote par le vote par correspondance électronique, contrairement au vote grâce aux machines à voter qui se substitue au sein du bureau de vote au vote à l'urne.

* 8 Si l'élection européenne a lieu, du point de vue des Français établis hors de France, au sein d'une seule circonscription électorale, l'élection des conseillers consulaires se déroule au sein de 130 circonscriptions électorales.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page