B. UN BILAN QUI EN FAIT UN ACTEUR INCONTOURNABLE DE LA DÉFENSE DES DROITS FONDAMENTAUX EN FRANCE

Institution récente - il a débuté ses visites en septembre 2008 -, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) présente au terme de cinq ans et demi d'exercice un bilan quantitatif et qualitatif extrêmement positif, qui a fait de lui une autorité reconnue dans la défense des droits fondamentaux.

1. Un bilan quantitatif et qualitatif très positif

Lors de sa prise de fonctions, M. Jean-Marie Delarue s'était engagé à effectuer 150 visites d'établissements par an. Cet engagement a été tenu, puisqu'au 31 décembre 2013, 807 visites avaient été effectuées par ses équipes dans des établissements accueillant des personnes privées de liberté.

Comme le résumait de façon imagée son rapport annuel l'année dernière, « on peut dresser un temps approximatif passé collectivement par les contrôleurs dans les différents lieux visités : deux ans en garde à vue, neuf ans en détention, trois ans et demi en hospitalisation, dix mois en centre éducatif fermé, un an et trois mois en rétention » 6 ( * ) .

Au total, les données disponibles fin 2012 (les services du CGLPL ne disposaient pas encore des données agrégées pour 2013 lors de la préparation du présent rapport) montraient qu'à cette date, le CGLPL avait été en mesure de visiter, depuis son entrée en fonctions :

- 237 des 4 095 locaux de garde à vue ;

- 18 des 236 locaux de rétention douanière ;

- 49 des 182 dépôts ou geôles des tribunaux ;

- 150 des 191 établissements pénitentiaires ;

- 70 des 102 centres et lieux de rétention administrative ou zones d'attente ;

- 106 des 369 établissements de santé relevant de sa compétence ;

- enfin, 34 des 44 centres éducatifs fermés.

Malgré une dotation budgétaire contrainte, le Contrôleur général s'est attaché à procéder régulièrement à des visites dans les établissements accueillant des personnes privées de liberté situés dans les départements et collectivités d'outre-mer, ce qui doit être souligné, compte tenu, comme votre commission des lois a maintes fois eu l'occasion de le déplorer, de la situation souvent alarmante de nombre de ces lieux 7 ( * ) .

Les moyens du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Le budget total du contrôle général s'élève à 4,3 millions d'euros par an, inscrits au programme n° 308 : « protection des droits et libertés ». 80 % de cette dotation est affectée aux charges de personnel.

Le CGLPL dispose actuellement de 28 ETP qui sont répartis, outre le Contrôleur général et le secrétaire général, entre 17 postes de contrôleurs, 5 postes de chargés d'enquête et quatre postes administratifs.

Ses locaux sont situés 16/18 quai de la Loire, dans le 19 ème arrondissement de Paris.

La réalisation, depuis quelques années, de « contre-visites » (retours dans des établissements déjà visités) permet par ailleurs de mesurer les transformations effectuées postérieurement aux recommandations du contrôle général et d'enrichir la mission de celui-ci.

Parallèlement à ces visites, le CGLPL a été saisi d'un nombre sans cesse croissant de courriers, la loi du 30 octobre 2007 permettant à toute personne physique ainsi qu'aux personnes morales ayant pour objet social le respect des droits fondamentaux de le saisir de toute atteinte estimée aux droits fondamentaux d'une personne privée de liberté.

Nombre de lettres adressées au Contrôleur général

2008
(4 mois)

2009

2010

2011

2012

2013 (estimation)

Nombre de lettres de saisine reçues par le CGLPL

192

1 272

3 276

3 788

4 107

4 116

Source : CGLPL

En 2012, les trois quarts de ces lettres émanaient de la personne concernée, 11 % de la famille ou de proches, 3 % d'un avocat, 3 % d'une association. Dans 93 % des cas, elles se rapportaient à des faits s'étant produits dans un établissement pénitentiaire.

Dans le silence de la loi, le Contrôleur général a développé une pratique, formalisée dans son Règlement de service 8 ( * ) , relative aux suites à donner à ces courriers. Il a en effet souhaité que, même en l'absence d'obligation légale, toute lettre qui lui est adressée reçoive une réponse et que, le cas échéant, des vérifications soient entreprises par ses équipes pour vérifier la véracité des faits allégués. À cette fin, il a mis en place au sein du CGLP un « pôle saisines » auquel ont été affectés cinq collaborateurs dénommés « chargés d'enquête ».

Enfin, le CGLPL a fait pleinement usage des dispositions de la loi l'autorisant à émettre des avis, à formuler des recommandations ou à proposer toute modification des dispositions législatives ou réglementaires applicables. L'ensemble de ses rapports et prises de position peut être consulté sur le site Internet de l'institution. Le CGLPL a ainsi été conduit récemment, par exemple, à émettre des avis sur la question des séjours injustifiés en unités pour malades difficiles (UMD), des documents personnels des personnes détenues ou la présence de jeunes enfants auprès de leur mère détenue, ou encore à formuler des recommandations concernant l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, les centres pénitentiaires de Nouméa ou des Baumettes à Marseille ou, très récemment, les centres éducatifs fermés d'Hendaye et de Pionsat.

Le Contrôleur général contribue ainsi à faire évoluer la situation des personnes privées de liberté en France, en portant dans le débat public des questions trop rarement évoquées auparavant. Il joue également un rôle essentiel d'accompagnement des administrations dans l'évolution des conditions d'exercice de leurs missions. À de nombreuses reprises, le Parlement s'est appuyé sur ses constats et ses analyses pour faire évoluer la loi.

2. Un magistère moral reconnu

Lors de l'examen de la loi du 30 octobre 2007, notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur de ce texte pour le Sénat, relevait que « le choix de la première personnalité appelée à exercer les fonctions de Contrôleur général revêtira une importance essentielle pour asseoir le magistère moral de cette autorité.

« Cette personnalité devra en effet réunir la compétence et l'expérience nécessaires pour bénéficier d'un crédit incontestable auprès de l'opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des personnels responsables des lieux soumis à son contrôle » 9 ( * ) .

À cet égard, M. Jean-Marie Delarue s'est sans conteste montré à la hauteur des enjeux et de la difficile tâche confiée par le législateur.

Comme l'ont souligné l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteure, il a su allier une intransigeance sur les principes avec un souci permanent du dialogue, de l'écoute des responsables et des personnels exerçant dans les lieux de privation de liberté et une exigence de rigueur imposée à ses équipes.

Votre rapporteure a notamment pu constater à l'occasion de l'audition des représentants des directeurs et des personnels de l'administration pénitentiaire que si ces derniers recevaient parfois avec amertume certaines observations du Contrôleur général, la légitimité de l'action de ce dernier ne souffrait aujourd'hui d'aucune contestation.

Enfin, M. Jean-Marie Delarue a su donner à la loi du 30 octobre 2007 toute sa portée, en mettant en place des pratiques, dans le silence ou le caractère incomplet des textes (voir infra ), conformes à une conception exigeante et ambitieuse de sa mission.

Alors que son mandat approche de son terme, votre commission sera vigilante à ce que son successeur manifeste la volonté de conforter dans la durée l'institution qu'il a contribué à façonner.

3. Quelles perspectives pour le Contrôleur général ?

L'instauration, en mars 2011, d'un Défenseur des droits, autorité constitutionnelle qui a « absorbé » en son sein les missions des anciens Médiateur de la République, Haute autorité de lutte contre les discriminations, Défenseur des enfants et Commission nationale de déontologie de la sécurité, a relancé le débat sur le maintien d'une autorité autonome chargée du contrôle des droits des personnes privées de liberté.

Article 71-1 de la Constitution
(introduit par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008)

« Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.

« Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.

« La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions.

« Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.

« Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement ».

L'Assemblée nationale avait en effet voté en première lecture l'intégration du CGLPL au sein du Défenseur des droits, cette intégration prenant effet au 1 er juillet 2014, à la fin du mandat de M. Jean-Marie Delarue.

Le Sénat s'y est opposé. Dans son rapport, notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de la loi organique et de la loi ordinaire relatives au Défenseur des droits, avait ainsi souligné qu'« une intégration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au sein du Défenseur des droits ne pourrait être décidée qu'au regard du premier bilan d'activité de cette autorité, créée par la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007.

« Ce premier bilan permettra de mesurer si un Contrôleur distinct du Défenseur des droits doit poursuivre son action, en raison des difficultés identifiées, ou s'il peut être intégré au Défenseur des droits.

« Décider aujourd'hui une intégration qui ne prendrait effet que dans trois ans, ce serait en outre affaiblir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité qui depuis sa récente installation, en juin 2008, a seulement commencé à porter un regard indépendant, critique et informé sur des établissements qui ne connaissaient pas ce type de contrôle.

« Enfin, la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté s'inscrit avant tout dans une démarche de contrôle et de prévention, au moyen de nombreuses visites sur place, et se distingue fortement de celle du Défenseur des droits, que l'article 71-1 de la Constitution définit comme une autorité que peuvent saisir les personnes s'estimant lésées dans leurs droits » 10 ( * ) .

La pratique a en outre mis en évidence la complémentarité des missions du Défenseur des droits et celles du CGLPL : si des délégués du Défenseur des droits sont présents dans un certain nombre de lieux de détention ou peuvent être saisis de faits s'étant commis dans des lieux de privation de liberté (en matière de déontologie des forces de sécurité notamment), il leur revient avant tout de rechercher une solution à un litige particulier et d'exercer à cette fin une mission de médiation.

Le CGLPL, pour sa part, exerce une mission de contrôle et de prévention et, à travers des visites d'établissements qui se déroulent sur plusieurs jours et, le cas échéant, des enquêtes portant sur des faits particuliers, il lui appartient de dégager des constats et de formuler des recommandations propres à améliorer la gestion et le fonctionnement des établissements entrant dans son champ de compétence et à accompagner les personnels dans l'évolution de leurs pratiques.

Comme le CGLPL le note d'ailleurs dans son dernier rapport d'activité, « les échanges de dossiers avec le Défenseur des droits sont réguliers et ne posent pas de difficulté particulière : ou bien le Défenseur est saisi d'un litige mettant en cause en tout ou partie le fonctionnement d'un lieu privatif de liberté ; ou bien le contrôleur général a à connaître d'une affaire mettant en cause - c'est le cas le plus fréquent - la déontologie des fonctionnaires. Les lettres de saisine sont transmises à la bonne autorité, leurs auteurs systématiquement informés et l'issue de la saisine est communiqué à l'autorité initialement saisie. Des contacts entre les responsables des deux maisons ont eu lieu pour envisager s'il y avait matière à des actions communes. Ils n'ont pas prospéré jusqu'alors » 11 ( * ) .

Au regard de ces constats, mais également du bilan très positif rappelé ci-dessus, votre commission des lois ne peut que réaffirmer son profond attachement au maintien d'une autorité indépendante autonome chargée de contrôler, en France, le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.


* 6 CGLPL, rapport d'activité pour 2012, page 288.

* 7 Voir à ce sujet par exemple les récents avis budgétaires de nos collègues Félix Desplan et Christian Cointat, avis n°162, tomes III et VII, sur le projet de loi de finances pour 2014. Ces rapports sont consultables aux adresses suivantes : http://www.senat.fr/rap/a13-162-7/a13-162-7.html et http://www.senat.fr/rap/a13-162-3/a13-162-3.html

* 8 Qui peut être consulté sur le site Internet de cette institution.

* 9 Rapport n°414 (2006-2007) fait au nom de votre commission des lois par M. Jean-Jacques Hyest, page 35.

* 10 Rapport de deuxième lecture n° 258 (2010-2011) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 janvier 2011. Ce dossier législatif peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl08-611.html

* 11 CGLPL, rapport d'activité pour 2012, page 301.

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