D. DES DIVERGENCES PONCTUELLES
1. Des désaccords portant sur la voie la plus adaptée pour promouvoir la parité dans la vie politique, sociale et économique
En matière de promotion de la parité, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, le législateur est confronté, dans les secteurs d'activité où les femmes (ou les hommes) sont significativement peu représenté(e)s, à un dilemme : soit adopter des dispositions ambitieuses, imposant la parité dans des délais rapides, afin d'obliger les acteurs à s'adapter rapidement et faire évoluer les comportements « à marche forcée », avec le risque de placer parfois certains d'entre eux dans l'impossibilité matérielle de se conformer à la loi, soit adapter l'exigence de parité à la réalité sociologique d'un certain nombre de secteurs et accompagner l'évolution des comportements dans la durée, au risque alors d'affaiblir le message porté par la représentation nationale.
Sur cette question, les députés ont opté pour une démarche volontariste et ambitieuse, choisissant alors l'option de mettre en place des dispositifs trop éloignés des réalités du terrain pour pouvoir être appliqués.
Votre commission, pour sa part, comme en première lecture, a adopté une démarche pragmatique : lorsque les stéréotypes sont profondément ancrés ou quand les réalités sociologiques ne permettent pas d'exiger une représentation strictement paritaire, elle estime nécessaire d'accompagner les acteurs dans le changement, en procédant par étapes successives et évaluations périodiques. Comme l'a notamment observé Mme Karen Serres, représentante de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), lors des auditions, une telle démarche progressive est indispensable pour conforter, sans contestation possible, la légitimité des femmes qui bénéficieront de ces dispositifs.
a) L'égal accès aux responsabilités sociales et professionnelles
S'agissant de la représentation des femmes et des hommes au sein des instances de direction des établissements publics de l'État (article 19 ter ), des entreprises publiques (article 20) et des sociétés privées (article 21), votre commission a supprimé l'article 19 ter et rétabli les articles 20, sous réserve du maintien d'un ajout de la commission des lois de l'Assemblée nationale, et 20 bis dans la rédaction issue de travaux du Sénat, de façon à ce que les obligations de représentation équilibrée, à hauteur de 40 % au moins de représentants de chaque sexe, ne soient pas remises en cause alors que le calendrier de leur mise en oeuvre a déjà été engagé . L'Assemblée nationale a, selon les cas, accéléré le calendrier de mise en oeuvre ou renforcé le niveau de l'obligation à hauteur d'une parité stricte, dont la rigidité ne correspond pas aux choix opérés jusqu'à présent par le législateur, avec la proportion de 40 %, offrant un minimum de souplesse pour limiter le risque de composition irrégulière des instances concernées.
S'agissant de la représentation des femmes et des hommes au sein des chambres consulaires (articles 21, 22 et 22 ter ), votre commission a rétabli le texte issu des travaux du Sénat pour l'élection des chambres d'agriculture , considérant que la sociologie des professions agricoles , en particulier des salariés agricoles pour lesquels il existe un enjeu de mesure de la représentativité des syndicats, ne permettait pas d'imposer à brève échéance une obligation de listes strictement paritaires de candidats.
Elle a, en revanche, adopté sans modification les dispositions relatives aux chambres de commerce et d'industrie et aux chambres de métiers et de l'artisanat , l'Assemblée nationale ayant adopté pour ces dernières un dispositif judicieux de montée en charge très progressive de l'obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
Votre commission a supprimé l'article 21 bis qui prévoyait, « autant qu'il est possible », une obligation de parité dans les candidatures pour l'élection des délégués consulaires , lesquels sont élus au scrutin majoritaire plurinominal et sans suppléant aux fins de constituer le collège électoral des juges des tribunaux de commerce . Outre que la réforme du mode d'élection des juges consulaires supposerait une concertation préalable, le mode d'élection des délégués consulaires ne permet pas en l'état de mettre en place des obligations de représentation des deux sexes.
S'agissant de la représentation équilibrée entre les sexes au sein des instances des ordres professionnels (article 23 bis ), votre commission a approuvé la démarche pragmatique que le Gouvernement a proposée à l'Assemblée nationale pour cette disposition introduite par le Sénat en séance publique. Alors que l'amendement sénatorial prévoyait un minimum de 40 % de représentants de chaque sexe directement dans la loi, sans considération des réalités sociologiques des professions concernées, la commission des lois de l'Assemblée a accepté d' habiliter le Gouvernement à intervenir par voie d'ordonnances, avec des modalités différenciées selon les ordres . Procéder de cette façon présente également le mérite de permettre d'engager avec les professions concernées, avant la prise des ordonnances, la concertation qui n'a pas eu lieu sur la question.
Concernant la représentation des femmes et des hommes dans les instances dirigeantes des fédérations sportives , votre commission a souhaité réaffirmer la position adoptée par le Sénat à l'initiative de la commission de la culture en première lecture. Elle a ainsi rétabli à l' article 19 l'objectif d'une représentation à hauteur de 40 % pour les fédérations dans lesquelles la proportion de licenciés de chaque sexe est supérieure à 25 %, plutôt que la stricte parité souhaitée par l'Assemblée nationale. Il lui est apparu que cet objectif conciliait les deux impératifs que sont la nécessité d'une meilleure représentation de chaque sexe au sein de ces instances et la prise en compte de la spécificité de l'activité de ces fédérations , dont le fonctionnement repose en grande partie sur le bénévolat.
En matière de fonction publique, votre commission a supprimé l' article 18 quater A adopté par l'Assemblée nationale et prévoyant la publication annuelle d'un rapport déjà prévue par la loi. De même, votre commission a supprimé l' article 20 ter qui instaurait une nullité de plein droit pour les nominations ne respectant pas, sur une année civile, les obligations minimales de nomination de personnes de chaque sexe aux emplois supérieurs des trois fonctions publiques, au regard des forts risques constitutionnels qu'il présentait en l'état.
Votre commission a par ailleurs supprimé l' article 19 bis du projet de loi, adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale en vue de prévoir que les membres de l'Institut de France et de ses cinq académies devaient veiller, lors des élections des nouveaux membres, à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes . Outre qu'une telle disposition n'était évidemment assortie d'aucune sanction, par exemple la nullité des élections, elle n'est guère articulée avec les modalités statutaires d'élection des membres, au scrutin uninominal au vu des candidatures déposées. Dans ces conditions, cette disposition n'a qu'une valeur déclaratoire, de sorte qu'elle trouve difficilement sa place dans la loi.
Enfin, votre commission a supprimé l' article 23 du projet de loi. Dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, cet article fixait un dispositif général d' encadrement des nominations, tendant à renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes au sein des autorités administratives indépendantes, des autorités publiques indépendantes, des commissions et instances consultatives ou délibératives placées auprès de ministres ou de la Banque de France et des instances consultatives collégiales créées auprès de toute autorité exécutive locale. Dans un souci de cohérence et de meilleure lisibilité de la loi, votre commission a estimé plus opportun de fixer les modalités de nomination au sein de ces organismes directement dans les textes qui les régissent . Elle a donc invité le Gouvernement à déposer une demande d'habilitation à prendre par ordonnance ces mesures relevant de la loi, comme le prévoyait le projet de loi initial.
b) L'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives
Dans le but de renforcer les minorations financières de l'aide publique aux partis politiques en cas d'écart entre le nombre de candidats et de candidates présentées aux élections législatives générales, l' article 18 prévoyait de doubler le montant actuel de minoration en élevant le pourcentage de 75 % à 150 % de l'écart constaté. Voulant rendre d'autant plus dissuasive ces « pénalités » financières, l'assemblée nationale a fixé à 200 % de l'écart constaté ce pourcentage. Doutant de la constitutionnalité de cette modification, votre commission a préféré rétablir le taux de 150 %.
En outre, l'Assemblée nationale a souhaité renforcer la parité au sein des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
Si votre commission a approuvé dans son principe la présentation d'un rapport avant le débat budgétaire sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de chaque collectivité ( article 18 ter ), elle a supprimé les dispositions imposant, sans mesure réelle et précise des incidences éventuelles, une composition paritaire au sein des conseils d'administrations des établissements publics locaux ( article 18 quinquies ) et des établissements publics de coopération culturelle ( article 22 ter A ).
De même, votre commission a supprimé la prise en compte du sexe du maire ou du président de conseil départemental ou régional pour déterminer celui du premier adjoint au maire du premier vice-président de conseil départemental ou régional ( article 18 bis ), cette construction présentant une fragilité constitutionnelle.
Enfin, votre commission a approuvé et complété l' article 18 quater permettant, dans le cas spécifique des communes ne disposant que d'un siège au conseil communautaire, que le remplaçant d'un élu démissionnaire soit un élu de sexe différent.
2. Le renforcement par votre commission de plusieurs dispositifs
En matière de marchés publics , à l'article 3 , l'Assemblée nationale est revenue sur l'interdiction de soumissionner fondée sur la violation de l'obligation annuelle de négociation sur les salaires effectifs , introduite au Sénat en première lecture. Votre commission a rétabli cette disposition , estimant que la lutte pour l'égalité salariale entrait pleinement dans le champ du texte examiné et que ce nouveau cas d'exclusion n'était pas moins conforme au droit communautaire que l'interdiction de soumissionner fondée sur le non-respect de l'obligation qui pèse sur les entreprises d'engager des négociations annuelles sur les objectifs d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, prévue par le projet de loi initial.
En matière de lutte contre les violences ensuite, votre commission a modifié l' article 7 relatif aux ordonnances de protection , pour prévoir la délivrance « en urgence » de l'ordonnance en cas de menace de mariage forcé . Elle a par ailleurs supprimé une disposition introduite à l'Assemblée nationale permettant à la victime des violences d'élire domicile, pour les besoins de la vie courante, chez une personne morale qualifiée.
Enfin, votre commission a souhaité un retour à la rédaction de l' article 17 qu'elle avait adoptée en matière de signalement des contenus illicites sur Internet. Elle a donc rétabli l'extension de cette obligation de signalement à la diffusion d' images enregistrées lors d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne . Contrairement à l'Assemblée nationale, elle a considéré que cette disposition ne remettait pas en cause la liberté d'expression de manière excessive.