Rapport n° 29 (2014-2015) de M. Hugues PORTELLI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 octobre 2014
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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EXAMEN DES ARTICLES
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Article 1er - Modalités de
dépôt et d'examen de la proposition de réunion de la Haute
Cour
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Article 2 - Conditions d'examen devant la
première assemblée saisie
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Article 3 - Conditions d'examen devant la seconde
assemblée saisie
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Article 3 bis - Conséquence du rejet de la
proposition de résolution
par l'une des deux assemblées
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Article 4 - Bureau de la Haute Cour
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Article 5 - Composition et rôle de la
commission chargée de recueillir l'information nécessaire
à la mission de la Haute Cour
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Article 6 - Débats devant la Haute Cour et
vote sur la destitution
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Article 7 (ordonnance n° 59-1 du
2 janvier 1959) - Abrogation de l'ordonnance de 1959 sur la Haute Cour de
justice
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Article 1er - Modalités de
dépôt et d'examen de la proposition de réunion de la Haute
Cour
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 29
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2014 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi organique , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , portant application de l' article 68 de la Constitution ,
Par M. Hugues PORTELLI,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf, Alain Richard, Jean-Patrick Courtois, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Vincent Dubois, Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Mlle Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
3701 , 3948 et T.A. 827 |
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Sénat : |
288 (2011-2012) et 30 (2014-2015) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 15 octobre 2014 sous la présidence de M. Philippe Bas, la commission des lois du Sénat a adopté, sur le rapport de M. Hugues Portelli, le projet de loi organique n° 288 (2011-2012), adopté par l'Assemblée nationale, portant application de l' article 68 de la Constitution . Plus de sept ans après l'adoption de la loi constitutionnelle du 23 février 2007, réformant le statut juridictionnel du chef de l'État, ses dispositions demeurent inapplicables. En effet, la loi organique à laquelle renvoie l'article 68 de la Constitution n'a toujours pas été adoptée. Ainsi, un Président de la République qui commettrait un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ne pourrait être destitué par la Haute Cour (constituée de l'ensemble des membres du Parlement). Cette situation, certes hypothétique, n'en constitue pas moins une anomalie de l'État de droit. Afin d'y remédier, le Sénat avait adopté le 15 novembre 2011 une proposition de loi organique présentée en octobre 2009 par MM. François Patriat et Robert Badinter. Parallèlement, le Gouvernement avait déposé devant l'Assemblée nationale un projet de loi organique adopté par les députés le 24 janvier 2012. Ces deux textes, tels qu'ils avaient été modifiés par les commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, fixent, selon les termes très proches, les modalités d'examen devant la première et la deuxième assemblée saisie de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, ainsi que le déroulement des travaux précédant le vote sur la destitution. Le projet de loi organique prévoit ainsi que la proposition de résolution doit être motivée et signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée. La proposition est envoyée pour examen à la commission des lois qui conclut à son adoption ou à son rejet sans pouvoir s'opposer à son inscription à l'ordre du jour dans les treize jours qui suivent ses conclusions, le vote intervenant au plus tard le quinzième jour. La proposition de résolution est alors transmise immédiatement à l'autre assemblée qui dispose de quinze jours pour statuer. Si la réunion de la Haute Cour est décidée, le Bureau de la Haute Cour composé de vingt-deux membres désignés en leur sein et en nombre égal par le Bureau de l'Assemblée nationale et celui du Sénat, se réunit aussitôt. Une commission est constituée afin de recueillir, dans un délai de quinze jours maximum, les informations nécessaires à l'accomplissement de la mission de la Haute Cour. Le vote devant la Haute Cour doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l'ouverture des débats au cours desquels le Président de la République peut se faire représenter et intervenir à tout moment. La commission a estimé que le dispositif retenu par le projet de loi organique répondait aux exigences procédurales indispensables à la protection de la fonction présidentielle et a adopté le texte sans modification. La commission des lois a adopté le projet de loi organique sans modification. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le statut juridique du Président de la République a été profondément bouleversé par la révision qui a modifié en 2007 le titre IX de la Constitution. La loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 a en effet réécrit les articles 67 et 68 pour clarifier le régime de responsabilité des actes accomplis par le chef de l'État. Mais si l'article 67, qui traite notamment de son irresponsabilité et de son inviolabilité provisoires pour les actes étrangers à la fonction présidentielle, est d'applicabilité directe, l'article 68, qui crée la Haute Cour et la procédure exceptionnelle de destitution, nécessite pour son application une loi organique. Celle-ci n'est toujours pas adoptée par le Parlement plus de sept ans après la révision, ce qui crée un déséquilibre entre la protection du chef de l'État, entrée en vigueur dès 2007, et sa responsabilité, toujours en suspens puisque la révision a abrogé l'ancien régime inspiré des constitutions républicaines antérieures.
I. LA PORTÉE DE LA RÉVISION DE 2007
Le statut pénal du Président de la République, tel que la Constitution de 1958 en avait disposé dans ses articles 67 et 68, reprenait largement la conception et la procédure des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution du 27 octobre 1946 : un chef d'État parlementaire irresponsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions à l'exception du cas de « haute trahison ». Dans cette hypothèse, c'est un organe émanant du Parlement qui devait le juger et qui était également compétent pour juger les ministres pour le même chef d'accusation.
Cet organe, sous la Troisième République, était le Sénat, après que la Chambre des députés ait mis en accusation le Président de la République. Sous la Quatrième République, du fait de l'affaiblissement du bicamérisme, c'était la seule Assemblée nationale qui désignait parmi ses membres, au début de chaque législature, une Haute Cour, compétente pour juger le chef de l'État. La Constitution de 1958, qui a institué un bicamérisme équilibré, a maintenu dans son Titre IX l'institution de la Haute Cour de justice pour juger le président, mais cette Haute Cour était constituée paritairement de députés et de sénateurs, désignés par leurs chambres respectives (chacune désignant douze titulaires et six suppléants).
Ce système n'a jamais été mis en oeuvre, sous aucune République, pour juger le chef de l'État : deux présidents ont bien démissionné sous la Troisième République (Mac Mahon en 1879 et Millerrand en 1924) mais à la suite d'un conflit politique avec le Parlement (le président n'acceptant pas de collaborer avec la majorité issue des élections législatives). Outre la difficulté à définir la notion de « haute trahison » (difficulté apparue dès le procès de Louis XVI devant la Convention en janvier 1793), la nature de la Haute Cour de justice a fait problème : organe politique chargé d'une fonction juridictionnelle (de nature pénale, ce qui posait aussi la question des peines infligeables), la Haute Cour de justice constituait une institution hybride qui pouvait difficilement survivre à la disparition de sa compétence pour le jugement des membres du gouvernement (à la suite de la création de la Cour de Justice de la République en 1993), mais aussi à l'adhésion de la France à la convention européenne des droits de l'homme (en 1974) et donc au contrôle potentiel du caractère « équitable » d'une telle procédure.
Mais c'est la controverse entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur l'existence d'un éventuel privilège de juridiction du chef de l'Etat qui a porté à la Haute Cour de justice le coup fatal. Dans un obiter dictum sur une décision du 22 janvier 1999 1 ( * ) relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil a considéré que le Président de la République bénéficiait d'un privilège de juridiction, y compris pour les actes étrangers à sa fonction, la Haute Cour de justice étant seule compétente pour le juger. La Cour de cassation, au contraire, saisie de l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris (qui visait Jacques Chirac, maire de Paris au moment des faits incriminés) 2 ( * ) , a jugé que le chef de l'État ne pouvait être jugé par la Haute Cour de justice que pour les cas de haute trahison, qu'il ne bénéficiait d'aucun privilège de juridiction, mais plutôt d'une inviolabilité temporaire liée à la nature de sa fonction entraînant la suspension des poursuites (et de leur prescription) le visant jusqu'à la fin de son mandat : à ce moment, redevenu simple citoyen, il relèverait des juridictions de droit commun pour être éventuellement jugé pour les actes étrangers à l'exercice de la fonction présidentielle. Si l'interprétation de l'article 68 de la Constitution par le Conseil constitutionnel était discutable (rien, à la lecture du texte, ne permettait d'étendre la compétence de la Haute Cour de justice à d'autres accusations que la haute trahison), la création d'une inviolabilité temporaire du fait de sa fonction par la Cour de cassation était purement prétorienne. Il fallait donc que le constituant tranche.
À la suite de ces deux décisions et au lendemain de sa réélection en mai 2002, le président Chirac a confié à un comité d'experts présidé par le professeur Pierre Avril l'élaboration de propositions de réécriture du Titre IX de la Constitution. Le rapport fut rendu en décembre 2002.
Optant pour la lecture des articles 67 et 68 faite par la Cour de cassation, le comité a proposé, d'une part, d'instaurer une inviolabilité du Président de la République pour la durée de son mandat pour les faits étrangers à celui-ci, quitte à ce qu'il relève des juridictions ordinaires au terme de celui-ci, et de maintenir l'irresponsabilité pour les actes qu'il accomplit dans le cadre de sa fonction (article 67 de la Constitution). Par ailleurs, le comité a suggéré de remplacer la notion de « haute trahison » par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Il appartiendra au Parlement, réuni en « Haute Cour » (c'est-à-dire dans la composition du Congrès), de destituer le chef de l'État s'il considère, à la majorité des deux-tiers de ses membres, que les faits constitutifs d'un tel « manquement à ses devoirs » sont avérés.
Les propositions du comité Avril, remises au Président de la République en décembre 2002, ont été, pour l'essentiel, reprises par le projet de loi constitutionnelle déposé le 3 juillet 2003 à l'Assemblée nationale, examiné trois ans plus tard par celle-ci puis par le Sénat et adopté par le Congrès le 19 février 2007.
Le nouveau Titre IX de la Constitution dispose désormais : « Article 67 . - Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. Article 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux-tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article ». |
L'article 67 rappelle l'irresponsabilité du Président de la République pour les actes qu'il accomplit en cette qualité sous réserve des dispositions de l'article 53-2, qui a intégré l'adhésion de la France au Traité instituant la Cour pénale internationale et prévoit la possibilité de poursuivre les responsables des crimes les plus graves (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, etc.), même s'ils bénéficient d'un statut constitutionnel (comme celui de chef de l'État) et de celles de l'article 68, qui crée la procédure de destitution.
L'article 68 est relatif à la procédure de destitution en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice du mandat ». Cette situation fait référence à un acte du Président de la République particulièrement grave, qui n'est pas nécessairement lié à l'exercice de la fonction présidentielle, mais qui rend impossible le maintien du chef de l'État dans ses fonctions. Le risque d'utilisation de cette procédure pour créer une responsabilité politique du président est sérieusement limité par les conditions de son utilisation : la mise en cause doit être votée par les deux-tiers des membres de chaque assemblée puis par les deux-tiers des membres du Parlement, ce qui signifie qu'elle ne peut être manipulée par l'opposition ou même la majorité mais nécessite un quasi-consensus entre les forces politiques.
Cette procédure de destitution n'est pas juridictionnelle : en qualifiant la réunion des Chambres de « Haute Cour » et non de « Haute Cour de justice » comme auparavant, en limitant sa compétence à la destitution, qui est un acte politique, et en écartant toute qualification pénale de l'acte comme toute sanction autre que la cessation de fonction, le constituant a voulu éviter toute lecture judiciaire de cette procédure 3 ( * ) . La Haute Cour, assemblée politique constituée des deux Chambres, examine le comportement du Président de la République et décide de le destituer si elle considère que les faits et actes reprochés sont suffisamment graves pour rendre la poursuite de son mandat impossible. Si le président est destitué, il redevient un citoyen comme les autres, devant répondre devant les juridictions ordinaires de ses actes, si ceux-ci sont susceptibles d'une incrimination pénale.
Si la destitution est un acte politique, elle ne s'apparente pas à une motion de censure qui viserait le chef de l'État : tout comme la procédure de l'article 18 de la Constitution (prise de parole du Président de la République devant le Congrès) ne peut se conclure par un vote, la procédure de l'article 68 ne peut être banalisée du fait de la majorité qualifiée difficile à réunir pour qu'elle aboutisse. Dans les deux cas, la fonction présidentielle a été protégée de toute mise sous tutelle parlementaire et la loi organique doit traduire cet objectif.
II. LES CONTRAINTES DE LA LOI ORGANIQUE
Si l'article 68 nécessite une loi organique pour son application, il prévoit pourtant un certain nombre de conditions d'égale importance que la loi organique devra respecter :
- la première est la brièveté des délais : afin de ne pas paralyser le fonctionnement des institutions, le constituant a prévu une procédure rapide : quinze jours pour la deuxième assemblée saisie, un mois pour la Haute Cour ;
- la seconde est la nécessité d'une triple majorité qualifiée particulièrement contraignante : les deux-tiers des membres de chaque assemblée puis du Parlement constitué en Haute Cour, toute délégation de vote étant interdite et seuls les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution étant recensés ;
- la troisième est la qualification de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice [du] mandat [présidentiel] » des actes examinés par la Haute Cour. Celle-ci devra se livrer à un exercice délicat puisque le « manquement à ses devoirs » pourrait concerner aussi bien une violation de ses devoirs constitutionnels qu'une infraction grave commise en dehors de l'exercice de son mandat. Il conviendra donc de vérifier que l'initiative parlementaire n'a pas de caractère abusif, que les investigations préalables à la réunion de la Haute Cour comme la tenue de ses débats soient irrécusables afin que celle-ci, si elle devait un jour se réunir, puisse remplir sa mission dans le respect du bon fonctionnement des institutions, y compris présidentielle.
Le projet de loi organique n° 3071 portant application de l'article 68 a été adopté en conseil des ministres en décembre 2010. Examiné un an plus tard par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée Nationale, il a été adopté en première lecture par celle-ci le 24 janvier 2012. C'est ce texte qui est examiné par votre commission.
Rappelons que la lenteur qui a présidé à la préparation puis à l'adoption du projet de loi organique avait incité les sénateurs à prendre les devants. C'est ainsi que le 15 novembre 2011, le Sénat avait adopté une proposition de loi organique, déposée par le groupe socialiste le 22 décembre 2009, qui fut transmise à l'Assemblée mais non examinée par celle-ci. Entretemps, le gouvernement avait déposé son projet de loi organique, qui ne différait que sur des points mineurs du texte sénatorial, et les travaux de l'Assemblée nationale purent bénéficier des travaux sénatoriaux pour préciser le texte du gouvernement.
Les principales questions abordées par le projet de loi organique concernaient les conditions de recevabilité d'une proposition de résolution déposée par des parlementaires (nombre de parlementaires, caractère sérieux, organe chargé de l'examen), les conditions de discussion de la proposition dans les deux assemblées, l'organisation de la Haute Cour, ses pouvoirs d'investigation et ses débats.
Les débats de la commission des lois de l'Assemblée nationale puis de celle-ci ont essentiellement concerné des dispositions techniques (conditions de recevabilité des propositions de résolution, les délais d'examen et de transmission et le fonctionnement de la Haute Cour).
*
* *
Votre commission a adopté le projet de loi organique sans modification.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er - Modalités de dépôt et d'examen de la proposition de réunion de la Haute Cour
Le présent article apporte trois séries de précisions quant aux modalités de dépôt et d'examen de la proposition de réunion de la Haute Cour.
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La forme juridique : une
proposition de résolution
La proposition de réunion de la Haute Cour trouverait son origine dans une proposition de résolution . Elle constituerait ainsi la première catégorie de résolution à faire l'objet d'une adoption par les deux chambres du Parlement. En effet, les autres types de résolutions sont l'acte d'une seule assemblée : résolutions tendant à modifier le règlement d'une assemblée parlementaire, à créer une commission d'enquête, à suspendre des poursuites ou des mesures privatives de liberté contre un parlementaire ou résolutions prévues aux articles 34-1, 88-4 et 88-6 de la Constitution.
•
Les conditions de
recevabilité
La recevabilité de la proposition de résolution obéit à deux conditions.
En premier lieu, la proposition de résolution doit être motivée . À l'initiative de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a précisé qu'elle devait justifier des « motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du premier alinéa de l'article 68 de la Constitution ».
Ensuite, la proposition de résolution doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée concernée - soit cinquante-huit députés ou trente-sept sénateurs. Elle reprend ainsi une recommandation de la commission Avril, elle-même inspirée des anciennes dispositions des Règlements du Sénat (article 86, premier alinéa) et de l'Assemblée nationale (article 158) relatives au nombre minimal de signatures exigé pour une proposition de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice. La commission des lois de l'Assemblée nationale a renforcé cette condition en adoptant un amendement de M. Jean-Jacques Urvoas : un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour au cours d'un même mandat présidentiel. La commission Avril avait proposé une telle limitation destinée à dissuader les manoeuvres à caractère purement partisan.
Il s'agit, comme le soulignait notre ancien collègue, M. Robert Badinter, lors de la révision constitutionnelle, de conjurer le risque de « vieux Caton [ou] de jeunes Saint-Just » qui « à toute occasion, sous tout prétexte » déposerait une motion tendant à la destitution du Président de la République. Sans doute un nouveau manquement grave aux devoirs de la charge présidentielle peut-il se produire alors qu'une procédure de destitution n'a pas abouti. Néanmoins, si les faits présentent un tel degré de gravité, il devrait se trouver le nombre nécessaire de signataires.
•
Des modalités spécifiques
d'examen
Soumise à un examen bicaméral, la proposition de résolution échappe néanmoins à la logique législative. Il ne s'agit pas, au terme de la navette, de parvenir au texte le plus satisfaisant possible mais de décider par un choix binaire, intéressant les deux assemblées, si les faits commis par le chef de l'État justifient ou non la mise en oeuvre de la procédure de destitution. Il en résulte deux effets par ailleurs cohérents avec l'exigence de célérité qu'impose la procédure :
- aucun amendement n'est recevable à aucun stade de la procédure ;
- en outre, ainsi que l'ont précisé les députés à l'initiative de leur commission des lois, l'examen de la proposition de résolution ne peut, corrélativement à l'absence de droit d'amendement, donner lieu qu'à une seule lecture dans chaque assemblée.
Enfin, le projet de loi organique indique que la proposition de résolution est communiquée sans délai au Président de la République et au Premier ministre. Il faut comprendre que cette obligation intervient dès le dépôt de cette proposition.
L'article 68 de la Constitution apporte les précisions nécessaires quant aux modalités de vote elles-mêmes :
- l'adoption de la proposition de résolution exige la majorité des deux tiers des membres composant chaque assemblée ;
- les délégations de vote ne sont pas permises ;
- seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour.
Ni la Constitution, ni le projet de loi organique ne précise si l'assemblée statue sur la proposition de résolution par scrutin public ou à bulletins secrets. Il reviendra en conséquence aux règlements des assemblées de le préciser. Notre collègue, le président Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, avait estimé « nécessaire que les parlementaires souhaitant provoquer la saisine de la Haute Cour assument publiquement leur responsabilité » 4 ( * ) . Le Règlement de l'Assemblée nationale (article 65, 3°) prévoit d'ores et déjà que le vote par scrutin public est de droit lorsqu'une majorité qualifiée est requise.
Votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .
Article 2 - Conditions d'examen devant la première assemblée saisie
Les conditions d'examen de la proposition de résolution devant la première assemblée saisie ont été profondément modifiées par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des lois.
En effet, le projet de loi organique, dans sa version initiale, confiait à la commission des lois de la première assemblée saisie le soin de vérifier que la proposition n'était pas dénuée de tout caractère sérieux et, le cas échéant, de s'opposer à la mise en discussion. Le rôle de filtrage ainsi dévolu à la commission des lois pouvait surpendre : ni l'article 68 de la Constitution, ni les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle n'y faisaient référence. Au contraire, le quatrième alinéa de l'article 68 indique que les décisions prises pour son application - y compris l'adoption de la proposition de réunion de la Haute Cour par chaque chambre - le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée, ce qui ne paraît pas compatible avec l'institution d'un droit de veto confié à une formation restreinte de l'une des deux chambres statuant à une majorité simple.
Aussi la commission des lois de l'Assemblée nationale a-t-elle choisi d'écarter ce dispositif au bénéfice d'une procédure articulée en quatre temps :
- le contrôle de recevabilité de la proposition de résolution confié comme tel était le cas sous l'empire de l'ancien titre IX de la Constitution au Bureau de l'assemblée ; le Bureau s'assurera que les conditions liées à la motivation et au nombre requis de signataires sont remplies - dans le cas contraire, la proposition de résolution ne pourrait pas être mise en discussion ;
- l' envoi de la proposition de résolution pour examen à la commission des lois . Comme le soulignait le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Philippe Houillon, « la commission des lois ne disposerait donc d'aucun droit de veto : en cas de rejet de la proposition de résolution, sa discussion se poursuivrait ensuite en séance publique, le vote négatif de la commission invitant simplement l'assemblée plénière à rejeter à son tour la proposition » 5 ( * ) ;
- la proposition de résolution devra être inscrite à l' ordre du jour au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission des lois . Les députés se sont inspirés, sur ce point, d'une recommandation de la commission Avril : « Lorsqu'une proposition sera ainsi déposée, son inscription obligatoire à l'ordre du jour devra intervenir dans un délai suffisamment impératif pour que la question soit tranchée, et suffisamment bref pour qu'elle le soit sans alourdir inutilement le climat institutionnel ».
Ce délai, dont le fondement juridique reposerait sur la loi organique, doit toutefois respecter les prérogatives dont le Gouvernement et l'assemblée disposent pour fixer l'ordre du jour en vertu de l'article 48 de la Constitution.
En d'autres termes, il ne présente pas le caractère impératif de celui fixé à la seconde assemblée saisie pour se prononcer - 15 jours à compter de la transmission de la proposition (voir infra , commentaire de l'article 3).
Aussi, comme l'indique dans son rapport M. Philippe Houillon, « l'absence de respect de ce délai ne saurait, à elle seule, mettre un terme à la procédure tendant à réunir la Haute Cour » 6 ( * ) ;
- le vote de la proposition de résolution interviendrait quinze jours au plus tard suivant les conclusions de la commission.
La commission des lois a prévu l'hypothèse où la clôture de la session ferait obstacle à l'application de ces deux délais. Dans ce cas, l'inscription à l'ordre du jour interviendrait au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.
Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .
Article 3 - Conditions d'examen devant la seconde assemblée saisie
Les conditions d'examen de la proposition de résolution devant la deuxième assemblée saisie sont parallèles à celles retenues par l'Assemblée nationale pour la première assemblée saisie mais enfermées dans une durée plus brève puisque le délai de quinze jours prévu par le deuxième alinéa de l'article 68 de la Constitution courre à compter de la transmission de la proposition de résolution (et non suivant les conclusions de la commission des lois pour la première assemblée saisie).
En premier lieu, le présent article rappelle le principe fixé par l'article 68 selon lequel la proposition de résolution est « immédiatement transmise à l'autre assemblée ».
Ensuite, les députés, à l'initiative de leur commission des lois, ont prévu que la proposition est envoyée à la commission des lois qui, comme dans la première assemblée saisie « conclut à son adoption ou à son rejet » sans pouvoir s'opposer à son examen en séance publique.
Comme le prévoyait le projet de loi organique dans la version initiale présentée par le Gouvernement, la proposition de résolution est inscrite de droit à l'ordre du jour de l'assemblée au plus tard le treizième jour suivant sa transmission.
Le présent article rappelle le délai maximum de quinze jours que l'article 62 a prévu entre la transmission et le vote de l'assemblée.
De la même manière que pour la première assemblée saisie, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité prendre en compte la situation où le délai assigné à la deuxième assemblée pour se prononcer sur la proposition de résolution ne pourrait être respecté en raison de la clôture de la session parlementaire. L'article 68 de la Constitution n'a pas envisagé cette hypothèse. Sans doute le Parlement pourrait-il alors être convoqué en session extraordinaire en vertu des articles 29 et 30 de la Constitution. Cependant, cette possibilité est strictement encadrée : d'une part, l'initiative en est réservée au Premier ministre et à la majorité des membres de l'Assemblée nationale à l'exclusion des sénateurs - alors que le Sénat pourrait être la deuxième assemblée saisie -, d'autre part, lorsque la demande émane des députés, la durée de la session est limitée à douze jours - soit un délai inférieur au délai de quinze jours prévu par l'article 68 -, enfin et surtout, la convocation de la session extraordinaire prend la forme d'un décret du Président de la République qui n'a pas, en la matière, de compétence liée.
Aussi, afin de tenter de contourner ces difficultés, la commission des lois de l'Assemblée nationale a-t-elle prévu, selon un dispositif identique à celui qu'elle a adopté pour l'examen de la proposition de résolution devant la première assemblée saisie, que lorsque la clôture de la session parlementaire fait obstacle à l'application du délai de quinze jours, l'inscription à l'ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.
Cette disposition plus fidèle à l'esprit qu'à la lettre de l'article 68 prend en compte une difficulté à laquelle seule une modification de l'article 68, à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle, pourrait répondre afin que l'exigence de célérité de la procédure ne bute pas sur la question de l'intersession.
Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .
Article 3 bis - Conséquence du rejet de la proposition
de résolution
par l'une des deux assemblées
Cet article, introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Jean-Jacques Urvoas, explicite que le rejet de la proposition de résolution par l'une des deux assemblées met un terme à la procédure.
En effet, comme le précise l'article 68 de la Constitution, seule la proposition de réunion de la Haute Cour « adoptée » par la première assemblée saisie est transmise à l'autre assemblée.
En outre, ainsi que l'ont indiqué les députés à l'article 1 er , l'examen d'une proposition de résolution ne peut faire l'objet de plus d'une lecture devant chaque assemblée. Le rejet de la proposition par la deuxième assemblée saisie signe donc l'échec de la procédure.
Votre commission a adopté l'article 3 bis sans modification .
Article 4 - Bureau de la Haute Cour
Le présent article précise la composition du Bureau de la Haute Cour et les responsabilités reconnues à cette instance.
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Composition du Bureau
Le projet de loi organique, dans sa version initiale, se bornait à indiquer que le Bureau de la Haute Cour réunissait un nombre égal de membres du Bureau de l'Assemblée nationale et de celui du Sénat. L'Assemblée nationale a souhaité, à l'initiative de sa commission des lois, apporter deux précisions.
Elle a fixé le nombre des membres du Bureau de la Haute Cour à vingt-deux parlementaires désignés en leur sein et en nombre égal par le bureau de l'Assemblée nationale et celui du Sénat soit onze députés et onze sénateurs. Le bureau du Sénat comprend vingt-six membres (le Président du Sénat, huit vice-présidents, trois questeurs et quatorze secrétaires désignés pour trois ans) et celui de l'Assemblée nationale vingt-deux membres (le Président de l'Assemblée nationale, six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires qui, contrairement au Président, sont renouvelés chaque année 7 ( * ) ).
En second lieu, les députés ont indiqué que la constitution du Bureau de la Haute Cour s'efforçait de « reproduire la configuration politique de chaque assemblée ». Cette précision s'accorde tout à fait à l'attention que notre assemblée attache traditionnellement au pluralisme sénatorial. Elle donne pour la première fois un fondement organique à un principe qui jusqu'à présent ne trouve sa source directe que sans les Règlements des assemblées.
Le Bureau de la Haute Cour est présidé par le président de la Haute Cour, à savoir le président de l'Assemblée nationale comme le mentionne le troisième alinéa de l'article 68 de la Constitution.
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Prérogatives du
Bureau
Le Bureau de la Haute Cour se réunit dès l'adoption d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
Il lui revient de prendre « les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour . » La capacité d'initiative ainsi laissée au Bureau est conforme aux recommandations de la commission Avril « plutôt que d'élaborer un règlement de procédure, il semble préférable de s'en remettre à l'expérience considérable acquise par les Bureaux des deux assemblées et d'instituer la réunion de ceux-ci en Bureau de la Haute Cour, ce qui permet de confier à celui-ci le soin de pourvoir à toutes les décisions (convocation de la Haute Cour, organisation du débat, répartition des temps de parole, surveillance du scrutin...) ainsi, le cas échéant, que de régler tout différend ».
Votre commission a adopté l'article 4 sans modification .
Article 5 - Composition et rôle de la commission chargée de recueillir l'information nécessaire à la mission de la Haute Cour
Le présent article tend à fixer la composition et le rôle de la commission instituée dans le prolongement de l'adoption de la proposition de réunion de la Haute Cour.
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La composition de la
commission
Le projet de loi organique déposé par le Gouvernement prévoyait initialement que la commission réunissait un nombre égal de vice-présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'Assemblée nationale, à l'initiative de la commission des lois, a choisi de fixer, pour chaque assemblée, ce nombre à six, soit l'effectif actuel des vice-présidents au sein de son Bureau. Il appartiendra au Sénat de préciser dans son Règlement les conditions de désignation des vice-présidents parmi les huit vice-présidents du Bureau.
Les députés ont précisé, sur le modèle de la modification introduite dans les dispositions relatives au Bureau, que la composition de la commission « s'efforce de reproduire la configuration politique de chaque assemblée ».
En tout état de cause, comme le relevait le rapporteur de l'Assemblée nationale, « l'effectif limité de la commission rend délicate, sinon impossible, l'application d'un système strictement proportionnel » 8 ( * ) .
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Le rôle de la
commission
La commission est chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission.
À ce titre, elle dispose des prérogatives reconnues aux commissions d'enquête par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité faire une mention explicite aux dispositions concernées de l'ordonnance - celles contenues aux II à IV de l'article 6 :
- pouvoir de contrôle sur pièces et sur place des rapporteurs. L'article 6 de l'ordonnance précitée dispose que « tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». Le refus de communiquer de tels documents est passible de deux années d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ;
- pouvoir d'entendre sous serment toute personne dont la commission « a jugé l'audition utile », à l'exception des mineurs de seize ans. Les personnes concernées sont tenues de déférer à la convocation qui leur est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique. Elles sont tenues de déposer, sous réserve des dispositions relatives au secret professionnel prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. La méconnaissance de ces obligations est passible de deux années d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En outre, les sanctions prévues en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin sont applicables (articles 434-13, 434-14 et 434-15 du même code). En revanche, les personnes entendues sont protégées, depuis 2008, contre les actions en diffamation, injure ou outrage pour les propos tenus devant la commission, à moins qu'ils ne soient étrangers à l'objet de l'enquête ;
- possibilité de demander des enquêtes à la Cour des comptes et d'obtenir communication de ses observations aux ministres (articles L. 132-4 et L. 135-5 du code des juridictions financières).
Selon le projet de loi organique dont les termes initiaux ont été confirmés sur ce point par les députés, les prérogatives de la commission ne sauraient mettre en cause l'inviolabilité du chef de l'État dont le principe est posé pour le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution. À titre d'exemple, le Président de la République ne pourrait en principe être tenu de témoigner.
Cette limitation apportée aux pouvoirs de la commission ne découle pas du texte constitutionnel lui-même puisque l'article 67 oppose l'inviolabilité du chef de l'État aux juridictions ou autorités administratives françaises, catégories dont ne relève pas la Haute Cour.
Si le Président de la République ne pourrait être tenu de déférer à une convocation de la commission, il lui serait loisible en revanche, à sa demande, de s'y faire entendre directement ou par un représentant. Il pourrait, le cas échéant, se faire assister par une personne de son choix.
Les travaux de la commission sont encadrés dans un délai maximal de quinze jours suivant l'adoption de la résolution. Ils se concluent par un rapport distribué aux membres de la Haute Cour (c'est-à-dire l'ensemble des parlementaires), communiqué au Président de la République et rendu public .
Votre commission a adopté l'article 5 sans modification .
Article 6 - Débats devant la Haute Cour et vote sur la destitution
Les débats devant la Haute Cour répondent à trois principes.
En premier lieu, ils sont publics . L'ancienne Haute Cour de justice pouvait, au contraire, exceptionnellement ordonner le huis clos (article 31 de l'ordonnance du 2 janvier 1959).
Ensuite, bien que la procédure ne revête aucun caractère juridictionnel, elle respecte néanmoins le principe du contradictoire . Ainsi, d'une part, outre les membres de la Haute Cour, peuvent seuls prendre part au débat le Président de la République et, à la suite d'une précision apportée par l'Assemblée nationale, le Premier ministre (le texte initial du Gouvernement ouvrait cette faculté au Gouvernement dans son ensemble). D'autre part, le Président de la République peut prendre ou reprendre la parole en dernier. Enfin, il peut, à tout moment, se faire représenter par une personne de son choix - le chef de l'État continue en effet d'exercer ses fonctions tant que la destitution n'est pas votée et, dans ces conditions, la faculté de se faire représenter s'avère indispensable. L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, a prévu selon le dispositif retenu pour la procédure devant la commission, qu'il pouvait aussi se faire assister par une personne de son choix.
Enfin, les débats sont enfermés dans des délais rigoureux puisque le vote doit commencer quarante-huit heures après qu'ils se sont ouverts. Si la Haute Cour n'a pas statué dans le délai d'un mois suivant l'adoption de la résolution par les deux assemblées, elle est dessaisie.
L'article 68 de la Constitution a précisé que la Haute Cour statue à bulletins secrets, à la majorité des deux tiers des membres composant la Haute Cour. Les délégations de vote sont interdites et seuls sont recensés les votes favorables à la destitution. Si celle-ci est décidée, elle est d'effet immédiat.
Elle entraînerait alors la vacance de la présidence de la République dans les conditions prévues par l'article 7 de la Constitution. Les fonctions du Président de la République seraient ainsi provisoirement exercées par le Président du Sénat ou, si celui-ci est empêché, par le Gouvernement. Pendant la période d'intérim, aucune procédure de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement (articles 49 et 50) ni aucune révision constitutionnelle ne peuvent être mises en oeuvre.
Le scrutin présidentiel doit avoir lieu, sauf cas de force majeure constatée par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l'ouverture de la vacance. Ce délai devrait courir à compter du jour où la Haute Cour s'est prononcée.
Votre commission a adopté l'article 6 sans modification .
Article 7 (ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959) - Abrogation de l'ordonnance de 1959 sur la Haute Cour de justice
Cet article vise à abroger l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice devenue sans objet depuis la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007.
Votre commission a adopté l'article 7 sans modification .
*
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Votre commission a adopté le projet de loi organique sans modification.
EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 15 OCTOBRE 2014
Mme Éliane Assassi . - Je salue le talent de notre rapporteur qui, nommé hier en commission, nous présente ce matin son travail !
M. Hugues Portelli, rapporteur . - Je connais un peu le sujet...
Mme Éliane Assassi . - Puisque nous avons élu un bureau, je souhaite qu'il soit réuni régulièrement, notamment pour examiner les conditions de nomination des rapporteurs.
M. Philippe Bas, président . - Je réunirai le bureau très prochainement.
M. Hugues Portelli, rapporteur . - Le texte que je vais vous présenter constitue la dernière loi organique nécessaire à l'application intégrale des dispositions de notre Constitution. Son origine remonte à l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, dans les années quatre-vingt-dix. Quel juge était compétent pour juger les infractions susceptibles d'avoir été commises par le chef de l'État en dehors de ses fonctions ? Le Conseil constitutionnel a estimé que c'était la Haute Cour de justice, composée à l'époque de 12 sénateurs et de 12 députés - ce qui octroyait au chef de l'État un privilège de juridiction. La Cour de cassation, dans son arrêt Breisacher, a de son côté jugé que, pour les affaires qui n'étaient pas liées à l'exercice de sa fonction, le président de la République était un justiciable ordinaire ; elle a également fabriqué un statut d'inviolabilité du président. Le Conseil constitutionnel ayant répondu à une question qui ne lui était pas posée, sa décision n'avait pas vraiment l'autorité de la chose jugée ; la Cour de cassation avait inventé de toutes pièces l'inviolabilité du président.
Réélu en 2002, M. Chirac confia donc à une commission d'experts le soin de réécrire les articles 67 et 68 de la Constitution. Cette commission, présidée par M. Pierre Avril, rendit ses conclusions en décembre 2002. Au passage, elle élargit les termes du débat et revint sur la « haute trahison », qui n'avait jamais été invoquée depuis les débuts de la V ème République. Reprenant les conclusions rendues par la Cour de cassation en 2001, les experts proposèrent que le président de la République soit inviolable pendant la durée de son mandat, et redevienne ensuite un justiciable ordinaire. Pour les actes accomplis dans le cadre de l'exercice de sa fonction, ils préconisaient de remplacer l'expression de « haute trahison » par celle de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec la poursuite de son mandat ».
Se trouvaient ainsi résolus deux problèmes. D'abord, celui de la nature exacte de la Haute Cour de justice : émanation des assemblées, il s'agissait d'un organe politique qui remplissait une fonction juridictionnelle. Elle pouvait même s'affranchir du code pénal pour infliger une peine ad hoc , ce qui n'était pas compatible avec la convention européenne des droits de l'homme, puisque le président de la République n'avait pas droit à un procès équitable. La suppression de son caractère juridictionnel, reflétée par la nouvelle appellation de « Haute Cour », a résolu ce problème : elle n'a plus à juger mais à prononcer éventuellement une destitution.
Il fallait aussi trouver une solution pour traiter d'éventuels crimes commis par le président de la République pendant la durée de son mandat. L'expression de « manquement à ses devoirs » y pourvut. Le Parlement, réuni en Congrès sous l'appellation de Haute Cour, vérifierait la réalité de ce manquement, et procéderait à sa destitution. Une majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée était requise pour réunir la Haute Cour ; puis celle-ci devait se prononcer à la majorité des deux tiers, sans possibilité de délégation et par scrutin public.
Ces propositions ont été reprises dans un projet de loi constitutionnelle relatif aux articles 67 et 68 de la Constitution, qui finit par être adopté par le Parlement réuni en Congrès en février 2007. Soit quatre ans après... Les dispositions relatives à l'article 67 étaient directement applicables. La mise en oeuvre de celles du nouvel article 68 nécessitait une nouvelle loi organique pour fixer la procédure régissant l'adoption de la résolution tendant à la réunion de la Haute Cour dans les deux chambres, sa transmission à la Haute Cour et les conditions dans lesquelles celle-ci statuerait.
Cette loi tardant à arriver, le groupe socialiste a déposé au Sénat en 2009 une proposition de loi organique qui fut, après un renvoi en commission, votée le 15 novembre 2011, quelques mois après que le Gouvernement, sans doute aiguillonné par cette initiative, eut déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi organique sur le sujet. La commission des lois de l'Assemblée nationale y a intégré, entre autres grâce à M. Urvoas, plusieurs éléments issus du texte voté par le Sénat. Examiné début 2012 en séance publique, ce texte a recueilli 294 votes favorables, 32 défavorables - essentiellement issus du groupe communiste - et 145 abstentions. Le groupe UMP au Sénat a proposé que nous examinions ce texte dans le cadre de son espace réservé, pour boucler enfin le dossier. Le gouvernement de M. Ayrault a déposé plusieurs projets de loi constitutionnelle, dont un modifiant l'article 67, pour limiter l'inviolabilité du chef de l'État, et l'article 68-1, concernant les membres du Gouvernement, mais il ne s'est pas intéressé aux dispositions de l'article 68 dont nous parlons ici.
Le présent projet de loi organique ne comporte que quelques articles. L'article 68 de la Constitution prévoit des délais très courts : 15 jours après le vote de la première assemblée pour que la seconde se prononce, et un mois ensuite pour que la Haute Cour statue. Si ces délais sont dépassés, la procédure s'arrête. De même si l'une des deux assemblées ne vote pas la proposition de résolution : car il ne s'agit pas d'une procédure législative, il n'y a pas de navette. La procédure étant politique et non juridictionnelle, elle n'est pas susceptible d'être déférée devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci s'est prononcée sur ce point en 2011 à propos de la destitution du président de la République de Lituanie, et a estimé qu'elle n'était pas compétente sur une décision qui n'est pas d'ordre juridictionnel.
L'article 1 er porte sur les modalités de dépôt et d'examen de la proposition de résolution. Alors que les résolutions constituent, en principe, l'acte unilatéral d'une assemblée, celle-ci présentera un caractère bicaméral, et devra être votée dans les mêmes termes par les deux chambres. Le Gouvernement avait prévu que la commission des lois de chaque assemblée puisse s'opposer à l'inscription à l'ordre du jour d'une résolution. La commission des lois de l'Assemblée nationale a estimé que ce barrage ne correspondait pas au texte de l'article 68 et, à l'initiative de M. Urvoas, elle l'a supprimé. La proposition de résolution devra être adoptée à la majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée, sans possibilité de délégation.
La Haute Cour, comme le Congrès, est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle se dote d'un bureau mixte, composé d'un nombre égal de membres des Bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat. Elle constitue une commission de six sénateurs et six députés, chargée d'éclairer les travaux de la Haute Cour, en auditionnant, s'il le souhaite, le président de la République, qui peut se faire représenter. Ses auditions doivent se tenir dans un délai de 15 jours suivant l'adoption de la proposition de résolution. La Haute Cour n'a ensuite que 48 heures pour se prononcer, à l'issue d'un débat qui doit être contradictoire, et dans lequel le président de la République a le dernier mot. Une fois adoptée, la décision de la Haute Cour est d'application immédiate. Si le président de la République est destitué, il redevient un citoyen comme les autres et peut faire l'objet de poursuites judiciaires - tout comme il peut se présenter à nouveau aux élections, ce qui revient à demander au peuple de trancher le conflit.
M. Jean-Jacques Hyest . - En effet !
M. Hugues Portelli, rapporteur . - Le projet de loi organique abroge l'ordonnance de 1959, qui avait créé la Haute Cour de justice - celle-ci n'existe d'ailleurs plus depuis 2007.
Ce texte ayant fait l'objet d'un débat assez large au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a intégré nombre d'amendements issus de notre travail, je ne vois rien à y ajouter et vous propose une adoption conforme.
M. Philippe Bas . - Merci pour cet exposé très riche. Si nous adoptons ce texte, ce sera l'aboutissement d'un processus visant à appliquer une loi constitutionnelle votée il y a sept ans !
M. Hugues Portelli, rapporteur . - Et cela comblera un vide juridique ouvert par le vote du Congrès en 2007...
M. Alain Anziani . - Merci à notre rapporteur pour la clarté de son exposé. Il a fallu un septennat pour que ce texte soit examiné. La proposition de loi organique avait été déposée par MM. Patriat et Badinter. Nous approuvons ce texte. Nous proposerons néanmoins quelques amendements. Pourquoi le président de la République peut-il se faire représenter devant la commission ou la Haute Cour ? Cela nous semble contraire à l'esprit de cette modification constitutionnelle : la Haute Cour doit avoir en face d'elle le président de la République et non un représentant.
Le projet de loi organique est adopté sans modification.
M. Philippe Bas, président . - Je salue notre belle unanimité.
* 1 Décision n°98-408 du 22 janvier 1999 considérant 16.
* 2 Cour de Cassation, Chambre criminelle, n°01-84922 du 10 octobre 2001.
* 3 Dans son arrêt n° 34932/04 du 6 janvier 2011 (arrêt de Grande Assemblée), Paksas contre Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme, à propos de la destitution du président de la République lituanienne, a considéré que sa destitution au terme d'une procédure d'impeachment ne constitue pas un acte de nature juridictionnelle et ne relève donc pas de la compétence de la Cour.
* 4 Rapport par M. Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du Titre IX de la Constitution, 2006-2007, n° 194, p. 40.
* 5 Rapport par M. Philippe Houillon au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution, n° 3948, XIII e législature, p. 36.
* 6 M. Philippe Houillon, rapport cité, p. 37.
* 7 À l'exception de l'année précédant le renouvellement de l'Assemblée (article 10 du Règlement de l'Assemblée nationale).
* 8 M. Philippe Houillon, rapport cité, p. 47.