Rapport n° 102 (2014-2015) de M. Gaëtan GORCE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 19 novembre 2014
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N° 102
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2014 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la proposition de résolution européenne de Mme Catherine MORIN-DESAILLY et plusieurs de ses collègues, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l' Internet ,
Par M. Gaëtan GORCE,
Sénateur
et TEXTE DE LA COMMISSION
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Aymeri de Montesquiou, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk . |
Voir les numéros :
Sénat : |
44 et 81 (2014-2015) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Madame, Monsieur,
Votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été saisie de la proposition de résolution européenne n° 44 (2014-2015) 1 ( * ) sur la nécessaire réforme de la gouvernance de l'Internet, déposée par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Gaëtan Gorce le 22 octobre 2014.
Cette proposition de résolution européenne est le fruit du travail de la mission commune d'information sur le « Nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet » publié le 8 juillet 2014 2 ( * ) .
En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes a procédé à l'examen de cette proposition de résolution européenne le 4 novembre 2014 sur le rapport de Mme Colette Mélot et en a adopté le texte assorti de trois légères modifications 3 ( * ) .
*
* *
L'Internet est devenu, en un quart de siècle, le réseau mondial de communication par excellence puisque s'y connecte aujourd'hui près de 40% de la population mondiale et qu'il est le support structurant et transformateur du développement de l'économie mondiale, et plus globalement des relations humaines.
Son architecture décentralisée, son ouverture et son accessibilité ont fait la popularité et le succès de cet instrument technologique porté à l'origine par le monde de la recherche et empreint de ses valeurs. Il est devenu un nouvel espace de liberté.
Pour autant, comme tout nouvel espace de liberté, peu régulé, il est devenu un enjeu géopolitique, puisqu'aussi bien les États que de grands acteurs privés y déploient les instruments de leur puissance et leur influence, essaient de le contrôler en tout ou partie, d'y faire prévaloir des règles plus ou moins contraignantes et d'en orienter le développement technologique.
De longue date, les États-Unis se sont donné les moyens d'acquérir le leadership sur cette technologie, ce qui permet aux acteurs économiques américains du net d'y exercer une domination commerciale et juridique. Ainsi, par exemple, le système de définition des noms de domaines comme les litiges relatifs aux conditions générales des grandes plateformes relèvent-ils principalement du droit américain. La Chine, la Russie, dans une mesure moindre, se sont bâti des écosystèmes d'entreprises numériques et se donnent les moyens de contrôler les flux sur leurs réseaux physiques. L'Europe s'est contentée de suivre cette transformation, d'en tirer les avantages, mais d'en subir aussi les inconvénients sans se donner les moyens de peser véritablement sur les décisions structurantes. Aussi se trouve-t-elle distancée dans la redistribution des pouvoirs.
Ce n'est que l'accumulation des conséquences, - la place prise par les grands acteurs privés qui défient d'une certaine façon la souveraineté des États et menacent leurs modèles économique et culturel (déterritorialisation et relocalisations fiscales des transactions, par exemple), les phénomènes d'éviction et de concentration économique, le développement des espaces de non-droit et des activités criminelles (trafics, espionnage, hacking), les atteintes à la vie privée, les collectes massives de données permises par l'évolution des technologies de stockage et de traitement, par des groupes privés mais aussi des services de renseignement, ainsi que l'a révélé l'affaire Snowden -, qui ont progressivement éveillé les consciences dans la société civile et en Europe sur la vulnérabilité des sociétés du fait de leur dépendance croissante à l'Internet et, dès lors, sur la nécessaire évolution de la gouvernance.
Cette gouvernance présente, en effet, le même caractère distribué que le réseau, aucune autorité centrale ou sectorielle, mais une pléthore d'enceintes qui dialoguent et participent à une forme d'autorégulation sur un mode consensuel. Ce mode de régulation a fait preuve de son efficacité, mais de fait, pour des raisons historiques, cette gouvernance est américaine : les géants américains de l'Internet sont très présents dans ces enceintes liées aux universités américaines, les serveurs racines sont pour une très grande majorité implantés aux États-Unis, le système des noms de domaine est piloté par l'ICANN 4 ( * ) une société californienne, sous la supervision du Département du commerce....
Or, cette domination américaine sur la gouvernance de l'Internet, qui, il faut le reconnaître, constituait un facteur de confiance et de garantie de « la liberté en ligne » est contestée, tant par les tenants d'une reprise en main étatique de la gouvernance qui pourrait conduire à plus de surveillance, de contrôle et de censure, que par les tenants d'une régulation « multi-parties prenantes 5 ( * ) » qui pourrait être placée sous une supervision dans la sphère des Nations unies. Dans ces débats, jusqu'à maintenant l'Union européenne a été peu audible faute de stratégie politique assumée par l'ensemble des États membres.
Les révélations d'Edward Snowden sur la surveillance massive exercée par les services de renseignement américains, avec la collaboration des grandes entreprises du net, ont terriblement ébranlé la confiance dans l'Internet, y compris aux États-Unis. Nous ne mesurons pas suffisamment les effets de ce traumatisme : les enceintes de gouvernance de l'Internet appellent désormais à la mondialisation de la supervision du fichier racine, l'Allemagne et le Brésil ont fait adopter à l'ONU une résolution réaffirmant le droit à la vie privée à l'ère numérique. Incontestablement, les États-Unis ont perdu leur magistère moral ce qui rend impossible le statu quo .
Mais comment rétablir la confiance des internautes et la sécurité en ligne tout en maintenant l'unicité du réseau ? L'affaiblissement du crédit des États-Unis accélère la tendance à la fragmentation de l'Internet, déjà à l'oeuvre dans la stratégie des États et des grands acteurs privés, et le place sous la menace de politiques restrictives définies par ceux qui contrôleraient ces blocs fermés.
Contraints et forcés, les États-Unis se montrent un peu plus ouverts à une évolution 6 ( * ) mais ils restent prudents et attentifs aux évolutions qu'ils souhaitent continuer à influencer à distance, ce qui est cohérent avec leur stratégie d'ensemble de préservation de la liberté d'accès aux espaces communs ( Global commons ) 7 ( * ) . Le cyberespace, et donc l'Internet, est un espace commun au même titre que les espaces maritimes et aériens, l'espace extra-atmosphérique, ou le domaine du droit.
La conférence NETmundial, réunie en avril à Sao Paulo, a, dans sa déclaration finale, consacré certains principes et valeurs fondamentaux pour l'Internet et sa gouvernance et condamné la surveillance en ligne, sans renoncer pour autant à l'unicité et l'ouverture de l'Internet. Le rôle des États doit encore être précisé. La réforme de la gouvernance reste à réaliser.
L'Union européenne, dans ce contexte, pourrait opportunément se placer en médiateur et faire prévaloir une vision respectueuse de ses valeurs. Il y a probablement aujourd'hui la capacité de promouvoir une voie médiane entre une privatisation complète de l'ICANN dont on peut craindre qu'elle n'assure pas une transparence véritable et qu'elle ne soit exempte de conflits d'intérêts, et le modèle de la stricte régulation étatique. Cette position peut s'appuyer sur les principes dégagés par le NETmundial de Sao Paulo, reflet d'une volonté partagée par les parties prenantes impliquées dans le monde entier.
La position de l'Union européenne à ce stade est incomplète. La Commission sur le fondement de plusieurs communications, et notamment celle du 8 février 2014 8 ( * ) , a permis aux États membres de confirmer leur soutien à un Internet unique, ouvert, libre, sûr, fiable et non fragmenté, leur attachement à un modèle « multi-parties prenantes » et la nécessité de renforcer le Forum pour la Gouvernance de l'Internet 9 ( * ) , mais aussi de mondialiser les fonctions de nommage (IANA) 10 ( * ) sans pour autant porter atteinte à la sécurité et à la stabilité du système des noms de domaines et d'accroître la responsabilité, la transparence et le caractère mondial de l'ICANN.
Le Conseil Télécom qui se réunira le 27 novembre pourrait adopter une position commune pour les négociations en cours. La présidence italienne appuie cette démarche 11 ( * ) . Pour autant, il n'est pas acquis qu'il parvienne à adopter une position satisfaisante et ambitieuse car les positions des États-membres sont encore éloignées. 12 ( * )
La France 13 ( * ) , pour sa part, souhaite que le Conseil de l'Union européenne endosse les principes que le NETmundial a permis de dégager.
Il est également important que l'Union européenne déploie des efforts diplomatiques pour s'assurer du soutien d'États non européens, notamment parmi ceux en développement 14 ( * ) .
*
* *
L'objectif du projet de résolution qui vous est soumis est :
• d'inciter l'Union européenne à agir, en se plaçant sur le terrain politique, alors que ces questions à forts enjeux stratégiques ne dépassent guère aujourd'hui l'enceinte de la DG Connect, service de la Commission et du Conseil des ministres des télécommunications
• et de soumettre plusieurs pistes de réforme qui pourront servir de guide pour l'élaboration d'une position commune et que le Sénat pourrait demander au gouvernement de soutenir.
Il y a urgence car la réforme de l'ICANN progresse rapidement pour ce qui concerne la fonction de nommage des domaines.
La commission des affaires européennes a adopté le texte du projet de résolution européenne à l'unanimité après y avoir introduit trois amendements qui :
• pour le premier, précise que l'attribution des noms de domaine n'obéit pas exclusivement à des considérations commerciales (alinéa 10),
• pour le second, renforce la légitimité de l'intervention des Etats pour protéger les cadres juridiques nationaux (en matière de sécurité, de propriété intellectuelle, de vie privée, de fiscalité, de protection des individus et des enfants, de professions réglementées,...) ou internationaux définis et agréés par la communauté internationale, en la fondant sur leur souveraineté et non seulement sur leur rôle spécifique de garants des droits et libertés (alinéa 14),
• et pour le troisième, recommande d'accueillir en Europe une nouvelle conférence « multi-parties prenantes » prolongeant le NETmundial réuni au Brésil en 2014.
Ces amendements de précisions améliorent le texte de la résolution. En conséquence, il est proposé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat d'adopter la proposition de résolution européenne sous réserve de l'unique amendement présenté ci-dessous.
En conséquence, votre rapporteur vous propose d'adopter le projet issu des travaux de la commission des affaires européennes sous réserve d'un amendement à l'alinéa 11 pour en améliorer la rédaction.
AMENDEMENT PRÉSENTÉ PAR LE RAPPORTEUR
À l'alinéa 11 :
Remplacer le texte de cet alinéa par le texte suivant :
Estimant que les décisions relatives à l'architecture de l'Internet relèvent de l'intérêt public et concernent tous ses acteurs, que dès lors sa gouvernance ne saurait être complètement privatisée et doit reposer sur un dialogue entre technique et politique;
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie sous la présidence de M. Jacques Gautier, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen de la présente proposition de résolution le 19 novembre 2014.
Après avoir entendu le rapport de M. Gaëtan Gorce, rapporteur, elle a procédé à l'examen des amendements.
Mme Nathalie Goulet. - J'aurais souhaité amender ce projet de résolution mais je crois que nous ne sommes plus dans les délais.
M. Jacques Gautier, président. - Je le confirme.
Mme Nathalie Goulet. - Le dossier technique et le texte de la résolution sont intéressants, mais nous sommes aujourd'hui confrontés à une nouvelle difficulté qui est l'utilisation de l'Internet par les réseaux djihadistes. C'est une question importante que nous avons à traiter dans le cadre de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, que je préside. Nous avons constaté à l'occasion de l'examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme les difficultés que nous avons à légiférer dans ce domaine. J'aurais souhaité que l'on puisse aborder aussi cette question, certes périphérique, mais qui concerne la gouvernance de l'Internet, dans le texte de la résolution.
M. Jean-Pierre Masseret. - Le Parlement européen s'est-il saisi de cette question ?
M. Alex Türk. - J'approuve totalement le texte de cette résolution mais cette bataille sera longue et il faudra être opiniâtre, car les États-Unis ne sont pas prêts à accepter de partager leur influence dans ces domaines. J'ai eu l'occasion de le constater en exerçant mes fonctions de président de la Commission nationale informatique et libertés . Le Président Obama, lorsqu'il était candidat, avait promis une réforme de l'ICANN, mais il n'y a pas eu beaucoup de progrès en la matière.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Je ne voudrais pas empiéter sur les conclusions auxquelles la commission d'enquête présidée par Mme Nathalie Goulet pourra parvenir, mais je ne crois pas que la question soit « peu ou mal traitée ». Nous sommes actuellement plutôt confrontés à des préoccupations qui sont liées à un excès d'interventions des États par rapport aux règles qui ont été fixées que le contraire.
À l'évidence, le sujet est bien de faire prévaloir dans la gouvernance de l'Internet les conceptions d'un État de droit, des valeurs que l'Europe porte à la différence des États-Unis, non pas qu'ils méconnaissent ces enjeux, mais ils abordent l'Internet sous l'angle de la protection des consommateurs alors que nous voulons le faire sous l'angle de la protection des citoyens avec l'ensemble des principes qui y sont attachés.
L'Union européenne a intérêt à exprimer plus fortement sa volonté, ce que le Parlement a contribué à faire puisqu'il est saisi du projet de règlement européen reprenant les règles concernant la sécurité, l'accès aux données, la protection de la vie privée. Une fois ce travail accompli, nous serons plus forts dans la négociation avec les États-Unis devant lesquels il faut se présenter avec des principes clairs car alors l'Europe pourra se prévaloir d'un texte ayant recueilli un accord global. L'examen a été repoussé en raison des élections et de la mise en place d'une nouvelle Commission. Il est important que l'Europe se saisisse de cette question. L'affaire Snowden a été un révélateur, notamment pour l'Allemagne qui se montre plus enthousiaste, ce dont on peut se réjouir.
Alinéa 11
M. Jacques Gautier, Président - La Commission est saisie d'un unique amendement présenté par le rapporteur.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Il s'agit d'une nouvelle rédaction pour l'alinéa 11, pour le rendre plus explicite.
L'amendement n°1 est adopté. Le texte est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Tableau récapitulatif sur le sort des amendements
Auteur |
N° |
Objet |
Sort des amendements |
M. Gorce |
1 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
M. Jacques Gautier, président. - En conséquence, le rapport et la proposition de résolution que la commission vient d'adopter seront publiés et distribués.
Cette proposition deviendra résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs, sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe ou d'une commission permanente, le président de la commission des affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée par le Sénat.
Si dans les sept jours francs qui suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du jour, la proposition de résolution de la commission devient résolution du Sénat.
TEXTE DE LA COMMISSION
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission au Conseil du 20 février 1998 : « Enjeux politiques internationaux liés à la gouvernance de l'Internet » (COM(1998) 111),
Vu la communication de la Commission, au Conseil et au Parlement européen du 28 juillet 1998 relative à la gestion de l'Internet : « Gestion des noms et adresses sur l'Internet - analyse et évaluation, par la Commission européenne du Livre blanc du ministre américain du commerce » (COM (1998) 476),
Vu la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 11 avril 2000 : « L'organisation et la gestion de l'Internet. Enjeux internationaux et européens 1998 - 2000 » (COM (2000) 202),
Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 18 juin 2009 : « La gouvernance de l'internet : les prochaines étapes » (COM (2009) 277),
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 12 février 2014 : « Politique et gouvernance de l'internet : le rôle de l'Europe à l'avenir » (COM (2014) 72),
Jugeant impératif de rétablir la confiance dans l'Internet par une refondation de sa gouvernance actuelle, celle-ci ayant perdu sa légitimité après les révélations d'Edward Snowden sur la surveillance massive du réseau ;
S'accordant avec la Commission européenne pour concevoir l'Internet comme un espace civiquement responsable, unifié, régi par une approche multipartenaire, au service de la démocratie et des droits de l'homme, et dont l'architecture doit être fiable et reposer sur une gouvernance transparente et inclusive ;
Soulignant aussi que l'Internet, y compris son système de nommage, est un bien commun mondial, ce qui fonde l'action des États pour assurer que cette ressource profite à tous et, notamment, que l'attribution des noms de domaine n'obéit pas exclusivement à des considérations commerciales ;
Estimant que les décisions relatives à l'architecture de l'Internet relèvent de l'intérêt public et concernent tous ses acteurs, que dès lors sa gouvernance ne saurait être complètement privatisée et doit reposer sur un dialogue entre technique et politique;
Considérant que les principes de gouvernance de l'Internet défendus par la Commission européenne, quoiqu'ayant reçu le soutien des États membres, n'ont jamais fait l'objet d'un vote ;
Déplorant que le seul interlocuteur au Conseil pour la DG Connect soit le groupe Télécoms du Conseil, ce qui ampute de fait les discussions sur la gouvernance de leur dimension géopolitique et stratégique ;
Confirme son attachement au modèle multi-parties prenantes de gouvernance de l'Internet, tout en insistant sur la nécessité de le rendre plus démocratique par une meilleure représentativité des parties prenantes et de mieux reconnaître la souveraineté des États et leur rôle spécifique comme garants des droits et libertés ;
Invite les autorités françaises à soumettre au Conseil un ensemble cohérent de principes applicables à la gouvernance de l'Internet, reprenant la déclaration issue de la conférence NETmundial, qui s'est tenue sur ce sujet à São Paulo en avril 2014 ;
Appelle les États membres de l'Union européenne à s'entendre pour proposer de refonder la gouvernance de l'Internet autour d'un traité international ouvert à tous les États, assurant le respect des droits fondamentaux et des valeurs démocratiques en ligne et consacrant les principes fondateurs définis à l'issue de cette conférence NETmundial ;
Propose de rendre plus démocratique et responsable la gouvernance de l'Internet :
- en l'asseyant sur un réseau de relations transparentes qui formalise les rôles et interactions entre l'ICANN, les registres Internet, le W3C, l'IETF, l'IAB, l'IUT, les gestionnaires de serveurs racine, les opérateurs de noms de domaine de premier niveau... ;
- en transformant le Forum pour la Gouvernance de l'Internet en Conseil mondial de l'Internet, doté d'un financement propre et chargé de contrôler la conformité des décisions des enceintes de gouvernance, qui devront rendre compte de leur action devant lui, au regard des principes dégagés au NETmundial de São Paulo ;
Recommande d'accueillir en Europe en 2015 une nouvelle conférence multi-parties prenantes prolongeant l'événement NETmundial qui s'est déroulé au Brésil en avril 2014, afin de promouvoir et construire cette nouvelle architecture mondialisée de la gouvernance d'Internet ;
Estime nécessaire de refonder l'ICANN pour restaurer la confiance dans le système des noms de domaine en :
- faisant de l'ICANN une WICANN (World ICANN), de droit international ou, de préférence, de droit suisse sur le modèle du Comité international de la Croix Rouge, afin qu'une supervision internationale du fichier racine des noms de domaine se substitue à la supervision américaine ;
- rendant la WICANN responsable devant le Conseil mondial de l'Internet ou, à défaut, devant une assemblée générale interne, doté(e) du pouvoir d'approuver les nominations au conseil d'administration de la WICANN et les comptes de cet organisme ;
- mettant en place un mécanisme de recours indépendant et accessible, qui permette la révision d'une décision de la WICANN, voire sa réparation ;
- établissant une séparation fonctionnelle entre la WICANN et les fonctions opérationnelles IANA pour distinguer ceux qui élaborent les politiques d'attribution des noms de domaine de ceux qui attribuent individuellement les noms de domaine ;
- définissant des critères d'indépendance pour l'essentiel des membres du conseil d'administration de la WICANN ;
Juge nécessaire d'exiger avant tout que le groupe directeur prévu par l'ICANN pour organiser la transition soit composé de membres désignés par les parties prenantes de l'ICANN selon des modalités transparentes et démocratiques et inclue également des représentants des autres parties prenantes non représentées aujourd'hui à l'ICANN.
* 1 Proposition de résolution n° 44 (2014-2015) de Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 22 octobre 2014 - http://www.senat.fr/leg/ppr14-044.html
* 2 Rapport d'information n° 696 (2013-2014) de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la MCI sur la gouvernance mondiale de l'Internet, déposé le 8 juillet 2014 « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne » - http://www.senat.fr/rap/r13-696-1/r13-696-1.html
* 3 Rapport n° 81 (2014-2015) de Mme Colette Mélot, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 5 novembre 2014. - http://www.senat.fr/rap/l14-081/l14-081.html
* 4 Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (société pour l'attribution des noms de domaine et des numéros sur l'Internet).
* 5 De l'anglais mutistakeholder.
* 6 L'administration Obama a fait montre d'un peu plus de souplesse dans le partage de la régulation de ces espaces communs. Elle a proposé de lâcher du lest sur la supervision du fichier racine des noms de domaine. L'ICANN se voit confier la transition vers une privatisation de cette supervision. Toutefois, elle trouvera de fortes réticences au Congrès traditionnellement hostile au dessaisissement par les États-Unis de leurs positions acquises pour les confier à des instances multilatérales.
* 7 « États-Unis : l'usage de la force et la force de l'influence ». Rapport d'information de MM. Jean-Louis Carrère, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu et M. Alain Gournac, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 708 (2013-2014) - 9 juillet 2014 http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-708-notice.html p.195
* 8 Communication de la Commission européenne - Politique et gouvernance de l'internet: le rôle de l'Europe à l'avenir (COM (2014) 72 final) - http://www.senat.fr/europe/textes_europeens/ue0092.pdf
* 9 Forum multi-parties prenantes, onusien mais non interétatique. Doté d'un rôle seulement consultatif, ce forum qui se réunit annuellement, affiche un bilan médiocre et se trouve concurrencé par une multitude d'événements traitant de la gouvernance de l'Internet.
* 10 Internet Assigned Number Authority (Autorité des adresses de l'Internet) assumée par l'ICANN
* 11 Un Conseil Télécoms informel tenu à Milan les 2 et 3 octobre a donné lieu à une déclaration de la présidence italienne assurant que l'UE est déterminée à agir comme un partenaire cohérent dans le débat sur la gouvernance de l'Internet vis-à-vis des États-Unis et des autres acteurs. Cette déclaration indique prudemment que « les États membres veulent que l'UE parle d'une seule voix tout en préservant leur droits et prérogatives individuels » et annonce de futurs messages communs au sujet de la transition de la fonction IANA et du renforcement de la redevabilité de l'ICANN, afin que soit mis en place un mécanisme de supervision inclusif, transparent et responsable qui assure un bon équilibre (« checks and balances »). Elle précise enfin que les États membres considèrent l'orientation dégagée au NETmundial comme une bonne base pour développer une communauté « multi-parties prenantes » et reconnaît à cet égard l'importance de renforcer les capacités des pays en développement.
* 12 Certains États membres, continuent, pour des raisons affichées de prudence, de défendre des positions alignées sur les États-Unis : Royaume-Uni, Suède, Pologne, Estonie, République tchèque, Pays-Bas... et manifestent leur inquiétude à l'idée d'un changement trop profond du mode de gouvernance actuel de l'Internet qui pourrait déstructurer le système et précipiter nos économies et nos sociétés dans une forme de chaos.
* 13 Lors du débat qui s'est tenu le 23 octobre 2014 au Sénat sur les conclusions de la MCI sur la gouvernance de l'Internet, Mme Axelle Lemaire, Secrétaire d'État chargée du Numérique, auprès du ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique, a rappelé ces principes essentiels que le NETmundial a permis de dégager et que la France souhaite voir endosser par le Conseil de l'UE : « la liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté d'information, le droit au respect de la vie privée, l'accessibilité, l'architecture ouverte d'internet, une gouvernance qui soit multipartite, ouverte, transparente, redevable, un système qui soit inclusif, équitable et qui promeuve des standards ouverts ».
* 14 Les autorités françaises s'attellent à faire consacrer ces principes dégagés par le NETmundial dans le cadre de la francophonie, notamment à l'occasion du prochain sommet de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui se tiendra fin novembre à Dakar.