EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé 1 ( * ) .
Déposé par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de nos collègues, ce texte tend à renforcer le rôle des professionnels de santé dans la détection et la prise en charge des situations de maltraitance, tout en les protégeant contre l'engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.
Ce texte, dans sa rédaction issue des travaux de votre commission, a fait l'objet d'une adoption à l'unanimité par le Sénat le 10 mars 2015. Après avoir apporté une précision concernant les professionnels concernés par l'application de ce dispositif, l'Assemblée nationale l'a également voté à l'unanimité le 11 juin dernier.
I. LA PROPOSITION DE LOI INITIALE : UNE VÉRITABLE OBLIGATION DE SIGNALER CONTREBALANCÉE PAR UNE IRRESPONSABILITÉ CIVILE, PÉNALE ET DISCIPLINAIRE DES MÉDECINS
Dans sa rédaction initiale, l'article unique de la proposition de loi modifiait le 2° de l'article 226-14 du code pénal pour préciser que le médecin est « tenu » de porter « sans délai à la connaissance du procureur de la République les constatations personnellement effectuées dans l'exercice de sa profession, quand elles lui ont permis de présumer, sans avoir à caractériser une infraction » des violences « physiques, sexuelles ou psychologiques ».
Les médecins auraient désormais été soumis à une véritable obligation de signaler au procureur de la République, toute présomption de violences commises sur un mineur ou sur une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.
En contrepartie de cette obligation, pour protéger les médecins, le texte disposait que « le signalement effectué dans [les conditions de l'article 226-14 du code pénal] ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du praticien , à moins que sa mauvaise foi n'ait été judiciairement établie ».
II. LA POSITION DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : PRIVILÉGIER LE RENFORCEMENT DE LA PROCÉDURE DE SIGNALEMENT À TRAVERS SON EXTENSION, UNE MEILLEURE FORMATION DES PROFESSIONNELS ET UNE AFFIRMATION CLAIRE DE LEUR IRRESPONSABILITÉ
1. Une obligation pour le médecin de saisir sans délai le procureur de la République écartée par le Sénat
À l'initiative de votre commission, le Sénat a écarté l'obligation pour le médecin de signaler sans délai au procureur de la République toute présomption de violences commises sur un mineur, prévue par le texte initial.
Comme le soulignait votre rapporteur dans son rapport de première lecture 2 ( * ) , dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser.
Pour satisfaire à cette obligation de signalement, les médecins auraient été contraints de signaler le moindre fait. Dès lors, il serait devenu très difficile pour le procureur d'identifier les signalements de situations particulièrement dangereuses .
Une telle obligation est également apparue incompatible avec les principes de déontologie médicale qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d'apprécier chaque situation en toute conscience.
Enfin, cette nouvelle obligation aurait présenté un danger pour les victimes elles-mêmes , qui auraient pu se voir privées de soins, les auteurs des sévices hésitant à présenter leur enfant ou la personne protégée à un médecin par crainte d'être dénoncés.
2. L'affirmation claire de l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin
Après avoir relevé que le droit en vigueur protégeait déjà les praticiens qui effectuent des signalements au procureur de la République dans le respect de l'article 226-14 du code pénal 3 ( * ) , votre commission, suivie par le Sénat, a cependant souhaité renforcer la lisibilité du dispositif, dont la compréhension nécessitait une lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l'articulation qui existe entre les différents types de responsabilité.
À l'invitation de votre commission, le Sénat a approuvé la disposition de la proposition de loi initiale qui, sans modifier au fond le droit en vigueur, affirmait sans ambiguïté et de manière parfaitement explicite que le médecin qui signale régulièrement une présomption de maltraitance ne peut voir sa responsabilité, quelle qu'elle soit, engagée .
3. L'extension de l'immunité prévue à l'article 226-14 du code pénal à l'ensemble des membres des professions médicales et aux auxiliaires médicaux
En première lecture, le Sénat a considéré que le dispositif prévu à l'article 226-14 du code pénal méritait d'être étendu à d'autres professionnels intervenant auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, les enfants en particulier.
À l'initiative de votre commission, il l'a ainsi étendu à l'ensemble des membres des professions médicales, ainsi qu'aux auxiliaires médicaux . Seraient désormais concernés les médecins, mais également les sages-femmes ou les infirmières, ainsi que les gardes malades, les aides-soignants ou les aides médicaux.
4. La possibilité pour les auteurs de signalements de s'adresser directement à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP)
Constatant une certaine réticence des médecins à s'adresser directement à l'autorité judiciaire, votre commission a proposé au Sénat, qui l'a suivie, de préciser , à l'article 226-14 du code pénal, que les médecins pourraient adresser leurs signalements directement à la CRIP .
Outre la saisine de l'autorité judiciaire, celle-ci pourrait proposer une solution adaptée, allant d'une proposition d'accompagnement de la famille en difficulté au placement de l'enfant dans un service d'assistance éducative par exemple.
5. L'instauration d'une obligation de formation aux procédures de signalement de maltraitances dans la loi du 9 juillet 2010
Enfin, après avoir relevé que le principal défaut du dispositif était l'absence de formation des médecins à l'identification des situations de maltraitance et à la procédure de signalement mise à leur disposition par l'article 226-14 du code pénal, le Sénat a introduit une obligation de formation des médecins à la détection et au signalement des situations de maltraitance à l'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
Tirant les conséquences des différentes modifications apportées à la proposition de loi initiale, le Sénat a également modifié le titre de la proposition de loi pour le rendre plus conforme à son objet.
* 1 P roposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance n° 531 (2013-2014). L'intitulé de ce texte a été modifié par le Sénat, à l'initiative de votre commission, en première lecture.
* 2 Rapport n° 313 (2014-2015) de M. François PILLET, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi visant à modifier l'article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance, p. 12. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l14-313/l14-3131.pdf
* 3 En écartant dans ce cas l'application de l'article 226-13 du code pénal qui dispose que « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».