EXAMEN EN COMMISSION
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M. Michel Delebarre . - « Le Parlement est appelé à délibérer d'un ensemble de dispositions qui, à un titre ou à un autre, se présentent comme relatives aux rapports entre l'argent et la politique. [...] Or, à chaque fois, en 1988 comme en 1990 ou en 1992 - et aujourd'hui encore - le Parlement se voit contraint de légiférer en fin de session, à chaud et sous la pression des médias. »
Ces mots de notre ancien collègue Christian Bonnet, lorsqu'il rapportait la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique, décrivent parfaitement la situation du Parlement lors de l'examen de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, dont le projet a été transmis fin juin 2013 au Sénat en première lecture et adopté moins d'un mois après. Les députés avaient introduit des dispositions relatives au financement de la vie politique dans ce texte qui en était dépourvu. Le Sénat s'en saisit pour les améliorer. En séance publique, à la faveur d'un amendement, notre collègue Jean-Yves Leconte a soulevé une difficulté d'ordre constitutionnel : l'Assemblée nationale avait modifié les règles de plafonnement des dons des personnes physiques aux partis politiques. Ce plafond annuel de 7 500 euros était apprécié auparavant par parti politique, ce qui permettait à une même personne de donner cette somme la même année à plusieurs partis, y compris à des « micro-partis » qui collectaient au profit d'un seul parti. L'Assemblée nationale proposait d'apprécier dorénavant ce plafond par donateur et non par parti bénéficiaire, ce qu'approuva le Sénat. Cependant, les sanctions pénales prévues par la loi du 11 mars 1988 n'étaient plus adaptées car, lorsque ce don excédait ce plafond, était puni de 3 750 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement autant la personne donatrice que le parti bénéficiaire. Or, le parti politique pouvait ignorer que le donateur avait effectué d'autres dons et qu'il acceptait un don au-delà du plafond légal. Cet amendement, repris en séance publique par le président Jean-Pierre Sueur, rapporteur du texte au nom de la commission des lois, reçut l'avis favorable du Gouvernement puis fut approuvé par l'Assemblée nationale.
Par ce biais, une malfaçon législative s'était insérée au sein de l'article 11-5 de la loi du 11 mars 1988. Elle se révéla quand des juges d'instruction voulurent au printemps 2015 poursuivre un parti politique pour financement par une personne morale : le périmètre de l'infraction ne le permettait plus. La presse s'en fit l'écho. La loi pénale est d'interprétation stricte et par un raisonnement a contrario , seul le financement d'un parti politique par une personne physique au-delà du plafond légal est, en l'état nouveau du droit, sanctionné pénalement mais plus le don d'une personne morale.
Le financement d'un parti politique par une personne morale, à l'exception d'un autre parti politique, reste illicite mais ne peut plus être sanctionné pénalement pour les faits commis depuis le 13 octobre 2013. La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur répare cette lacune pour l'avenir - selon le principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Je vous demanderai donc d'approuver ce texte, après vous avoir soumis un amendement rédactionnel et un autre pour en assurer l'application outre-mer.
M. Philippe Bas , président . - Merci de ce rapport très éclairant.
Mme Esther Benbassa . - Et bref !
M. Jean-Pierre Sueur . - Merci, Monsieur le rapporteur, de vous être penché avec sagacité sur ce texte. Lorsque la malfaçon - euphémisme ! - nous est apparue, j'ai derechef rédigé cette proposition de loi. Nos collègues députés ont préféré une solution qui leur semblait plus rapide et plus pratique - un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne - malgré le risque de censure que je leur signalais, la loi ayant un objet différent. Ce qui devait arriver arriva : le Conseil constitutionnel, au coeur du mois d'août, n'a pas manqué de censurer cet amendement déposé par facilité par les députés. Il a fallu revenir à la proposition de loi, qui eût pu être adoptée dès le mois de juillet sans cette mésaventure.
La disposition au coeur de cette proposition de loi a été présentée à la suite de l'affaire Cahuzac. Lors de plusieurs quinquennats, il était fréquemment nécessaire que le Parlement votât dans les délais le plus brefs. J'appartiens à ceux qui sont profondément attachés à la procédure parlementaire et à la double lecture, afin de bien écrire la loi. La généralisation de la procédure accélérée, dénoncée ces deux derniers jours, mais qui ne date pas d'hier, n'est pas une bonne chose pour l'écriture de la loi. Dans ces circonstances, aucun sénateur ni député, aucun de nos administrateurs ni ceux de l'Assemblée nationale, aucun ministre, aucun membre de cabinet ministériel, aucun service ministériel, aucun des journalistes qui nous font parfois la leçon n'a vu cette erreur - c'est la réalité ! Le seul qui l'ait découverte - et j'en suis désolé - c'est M. Wallerand de Saint-Just, que je ne connais guère. Je le redirai en séance publique à l'attention de tous ceux qui veulent réformer précipitamment : adoptons moins de lois, mais prenons davantage le temps de les faire !
Mme Esther Benbassa . - Quelle sagesse !
M. Michel Delebarre , rapporteur . - Lors de la préparation de mon rapport, le président Sueur m'a fait part de l'histoire de ce texte et de la liste des personnalités qui l'avaient examiné sans voir la malfaçon.
M. Philippe Bas , président . - Monsieur Sueur, à qui pensiez-vous lorsque vous vous plaigniez de la procédure accélérée ?
M. Jean-Pierre Sueur . - À de nombreuses personnes ! J'ai évoqué plusieurs quinquennats...
M. Michel Delebarre , rapporteur . - Vous êtes habile !
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Michel Delebarre , rapporteur . - L'amendement COM-2 poursuit le même objectif que le texte initial, dans une rédaction plus précise, fortement inspirée de travaux parlementaires sur la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.
L'amendement COM-2 est adopté.
Article additionnel après l'article unique
M. Hugues Portelli . - Je retire l'amendement COM-1 : j'y tiens beaucoup mais le sujet pourra être mieux traité dans une proposition de loi à venir.
L'amendement COM-1 est retiré.
M. Michel Delebarre , rapporteur . - Nous comprenons ce retrait. L'amendement COM-3 assure l'application de la loi outre-mer.
L'amendement COM-3 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
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M. DELEBARRE, rapporteur |
2 |
Précision et harmonisation rédactionnelles |
Adopté |
Article additionnel après l'article unique |
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M. PORTELLI |
1 |
Suppression de la possibilité de dons entre partis politiques |
Retiré |
M. DELEBARRE, rapporteur |
3 |
Application dans les collectivités ultramarines régies par le principe de spécialité législative |
Adopté |