III. UN PROJET DE LOI QUI S'EST ÉTOFFÉ
A. LE TEXTE DU PROJET DE LOI INITIAL
Dans sa version issue des délibérations du conseil des ministres, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale comptait trente-quatre articles s'articulant autour de trois titres .
1. Le titre Ier contient les dispositions relatives à la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement
•
Son
chapitre I
er
est
consacré à l'efficacité des investigations judiciaires.
Alors que le droit en vigueur autorise les perquisitions nocturnes (de 21 heures à 6 heures du matin) dans les locaux à usage d'habitation pour les seules enquêtes de flagrance en matière de criminalité organisée, l' article 1 er permet la réalisation de telles perquisitions de nuit dans le cadre des enquêtes préliminaires et informations judiciaires, uniquement pour les infractions terroristes et à la condition que l'opération soit nécessaire afin de prévenir un risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique .
L' article 2 autorise, dans le cadre des enquêtes du parquet et informations judiciaires en matière de criminalité organisée, l'utilisation de l' IMSI catcher , pour une durée d'un mois renouvelable une fois, aux fins de recueil des données de connexion permettant l'identification d'un équipement terminal ou du numéro de son utilisateur.
L' article 3 poursuit deux objectifs distincts. D'une part, il élargit l'utilisation, en matière de répression de la criminalité organisée , de la technique dite de sonorisation et de fixation d'images dans les lieux privés, actuellement réservée aux seules informations judiciaires, aux enquêtes conduites par le parquet. D'autre part, il donne au parquet, dans le cadre des enquêtes menées en matière de criminalité organisée, la possibilité d'effectuer des captations de données informatiques à distance.
L' article 4 limite la compétence exclusive de la juridiction parisienne d'application des peines aux personnes condamnées par les juridictions parisiennes, alors qu'actuellement cette compétence s'étend à toutes les personnes condamnées pour une ou plusieurs infractions terroristes, y compris celles d'apologie du terrorisme pour lesquelles les juridictions parisiennes n'ont pas exercé leur compétence concurrente.
• Son
chapitre II
traite du renforcement de la protection des
témoins.
L' article 5 prévoit la possibilité pour les juridictions de jugement d'ordonner le huis clos pour l'audition de témoins en cas de danger pour leur vie, leur intégrité physique ou psychique, ou celles des membres de leur famille.
L' article 6 étend les possibilités de témoignage avec identification par numéro lors des audiences publiques et pose un fondement légal au dispositif de protection et de réinsertion des témoins.
• Son
chapitre III
porte des dispositions améliorant la lutte
contre, d'une part, les infractions en matière d'armes et, d'autre part,
la cybercriminalité.
L' article 7 a pour objet de redéfinir le régime d'autorisation et d'acquisition des armes de catégories B et C et de durcir le régime d'acquisition et de détention des armes de catégorie D. Il étend le champ d'application du fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (FINIADA) pour y inclure les personnes interdites d'acquisition en raison d'une condamnation pour une infraction pénale mentionnée à l'article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure. Enfin, il institue une nouvelle procédure administrative permettant au représentant de l'État d'interdire préventivement à une personne d'acquérir une arme de catégorie B, C ou D.
L' article 8 étend le champ du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) en y incluant les infractions relatives aux armes et aux explosifs définies par le code de la défense et le code de la sécurité intérieure. Par ailleurs, il supprime la condition de commission en bande organisée des infractions relatives aux armes afin que ces infractions relèvent de la criminalité organisée. Il autorise enfin les forces de l'ordre à procéder à la technique du « coup d'achat » 19 ( * ) en matière d'infractions relatives aux armes.
L' article 9 augmente les quantums des peines encourues pour certaines infractions relatives aux armes.
L' article 10 vise à autoriser les agents des douanes à mener des infiltrations pour réprimer le trafic d'armes, de munitions ou d'explosifs ainsi qu'à effectuer des « coups d'achat » dans le cadre de la répression de ces infractions.
L' article 11 précise la compétence des juridictions en cas d'infraction sur un réseau de communications électroniques et prévoit l'application de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées aux délits d'atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données et aux délits d'évasion, lorsqu'ils sont commis en bande organisée.
• Son
chapitre IV
est consacré à la lutte contre le
blanchiment et le financement du terrorisme
L' article 12 crée un nouveau délit terroriste pour punir l'importation, l'exportation de biens culturels issus de théâtres d'opérations de groupements terroristes.
L' article 13 donne au pouvoir réglementaire la possibilité de fixer un plafond aux cartes prépayées.
Les articles 14 et 15 visent à renforcer l'efficacité de Tracfin dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L' article 14 autorise Tracfin à exiger des établissements soumis au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des obligations de vigilance spécifiques à certaines opérations ou personnes présentant des risques élevés de financement du terrorisme. L' article 15 instaure un droit de communication au profit de Tracfin pour les entités chargées de gérer les systèmes de paiement.
L' article 16 instaure une présomption de culpabilité de droit en matière de blanchiment douanier pour établir un lien entre des fonds dont l'origine n'est pas justifiée et un délit douanier.
• Enfin, le
chapitre V
comporte des mesures de renforcement des
contrôles administratifs
Ainsi, l'article 17 a pour objet d'étendre le champ de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, relatif aux contrôles d'identité et à la fouille des véhicules ordonnés par le procureur de la République, pour permettre la fouille des bagages.
L'article 18 institue un dispositif de retenue administrative, d'une durée maximale de quatre heures, à des fins de vérification de la situation administrative d'une personne dont il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu'elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement, en particulier pour approfondir les vérifications et consulter les fichiers de police. Cette mesure s'inspire de la retenue pour vérification d'identité, définie à l'article 78-3 du code de procédure pénale.
L'article 19 crée un cas spécifique d'usage des armes à feu, en le qualifiant d'acte nécessaire à la sauvegarde des personnes au sens de l'article 122-7 du code pénal, en cas d'utilisation par les policiers, militaires et douaniers de leur arme, lorsqu'un ou plusieurs homicides volontaires ou tentatives viennent d'être commis et qu'il existe des raisons réelles et objectives de craindre une réitération de tels actes dans un temps rapproché, pour faire obstacle à cette réitération.
L' article 20 propose l'instauration d'un système de contrôle administratif des personnes de retour sur le territoire national des théâtres d'opérations de groupements terroristes. À cet effet, le ministre de l'intérieur se verrait reconnaître la capacité, pour une durée maximale d'un mois, d'assigner une personne à résidence dans un périmètre géographique compatible avec une vie familiale et professionnelle normale, cette assignation pouvant être assortie d'une obligation de demeurer dans un lieu d'habitation pendant une plage horaire maximale de huit heures par jour ainsi que d'une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois présentations par semaine. En outre, le ministre de l'intérieur pourrait également obliger une telle personne, pour une durée maximale de trois mois renouvelable une fois, à déclarer son domicile et tout changement de domicile, déclarer ses identifiants de tout moyen de communication, signaler ses déplacements à l'extérieur d'un périmètre déterminé et lui interdire de se trouver en relation avec certaines personnes nommément désignées. Les obligations prononcées par le ministre de l'intérieur pourraient être suspendues en tout ou partie dans les cas où la personne accepterait de participer, dans un établissement habilité à cet effet, à une action destinée à permettre sa réinsertion et l'acquisition des valeurs de citoyenneté. Le non-respect des obligations prononcées en application de ce nouveau régime administratif serait puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Enfin, l' article 21 permet aux organisateurs d'évènements d'une certaine importance (comme une compétition sportive internationale), faisant craindre un risque terroriste, de demander l'avis préalable de l'autorité administrative pour autoriser les personnes n'étant ni spectateurs, ni participants, à accéder aux installations ou à l'établissement concernés.
2. Le titre II regroupe les articles ayant pour objectif de renforcer les garanties de la procédure pénale et de simplifier son déroulement
•
Son
chapitre I
er
est
consacré aux garanties de la procédure pénale.
L' article 22 vise à consacrer le rôle, les prérogatives et les obligations du procureur de la République en sa qualité de directeur de la police judiciaire. Il porte également obligation pour ce dernier de veiller à ce que les investigations soient menées à charge et à décharge.
L' article 23 institue une procédure disciplinaire d'urgence applicable aux officiers et agents de police judiciaire, à la requête du procureur général, en cas de manquement professionnel grave ou d'atteinte grave à l'honneur ou à la probité, permettant une suspension de l'exercice des fonctions de police judiciaire pour une durée maximale d'un mois.
L' article 24 instaure une procédure contradictoire dans le cadre des enquêtes préliminaires en cours depuis plus d'un an. Six mois après l'accomplissement d'une audition libre, d'une garde à vue, d'une perquisition ou d'une saisie, la personne objet de l'un de ces actes pourrait demander au procureur de la République de consulter le dossier de la procédure pour faire des observations. Dans le cas où le procureur estimerait son enquête en état d'être communiquée et sauf en cas de décision de classement sans suite, le procureur serait alors tenu d'aviser la personne ou son avocat de la mise à disposition d'une copie de la procédure et de la possibilité de formuler des observations pendant le délai d'un mois. Pendant ce délai, le procureur ne pourrait prendre aucune décision sur l'action publique, hors l'ouverture d'une information judiciaire ou décision de défèrement devant la juridiction de jugement. Cette communication du dossier et le recueil d'observations pourrait également intervenir à tout moment à l'initiative du procureur. Le procureur apprécierait enfin les suites à donner à ces observations, ses décisions étant insusceptibles de recours.
L' article 25 vise à encadrer les modalités d'interceptions des correspondances, placées sous l'autorité du juge judiciaire, émises par la voie des télécommunications.
Dans le prolongement de recommandations formulées par la Cour de cassation dans ses rapports annuels, l' article 26 renforce certaines garanties en matière de détention provisoire, notamment en encadrant les délais dans lesquels la chambre de l'instruction doit, après cassation, statuer sur le contentieux de la détention.
L' article 27 précise que toute personne arrêtée en mer doit être présentée dans les plus brefs délais à un juge si elle fait l'objet d'une mesure de garde à vue à son arrivée sur le sol français.
• Son
chapitre II
comporte des dispositifs tendant à
simplifier le déroulement de la procédure pénale.
L' article 28 supprime une disposition législative qui mentionne la délivrance par le procureur général d'une habilitation spécifique en cas de suppléance d'un officier de police judiciaire, dans la perspective d'une simplification, effectuée par la voie réglementaire, des modalités d'habilitation.
L' article 29 encadre la possibilité de formuler une demande de mise en liberté par une personne placée en détention provisoire en prévoyant qu'aucune nouvelle demande n'est recevable tant qu'il n'a pas été statué, dans les délais légaux, sur la précédente. Il permet également de placer sous contrôle judiciaire une personne qui était placée en détention provisoire et qui a été libérée pour irrégularité procédurale.
L' article 30 autorise les délégués et médiateurs du procureur de la République à remettre les convocations en justice et à notifier les ordonnances pénales contraventionnelles. Il permet également aux juges et aux greffiers de notifier la date et le lieu d'une prochaine audience aux personnes poursuivies et non détenues dont la présentation en vue d'une comparution immédiate n'a pu avoir lieu.
L' article 31 autorise les officiers et agents de police judiciaire à contrôler l'identité de toute personne pour laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle viole les obligations résultant d'un contrôle judiciaire ou d'une peine.
3. Le titre III est consacré aux dispositions diverses
• Son
chapitre I
er
, qui
se compose d'un unique
article
32
, est
consacré aux caméras piétons. Cet article pérennise
l'expérimentation, menée depuis fin 2013, consistant à
équiper les forces de l'ordre de caméras mobiles pour enregistrer
leurs interventions sur la voie publique.
• Son
chapitre II
contient un
article 33
qui prévoit de nombreuses habilitations du
Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances, afin de
transposer et mettre en conformité le droit français avec les
normes de l'Union européenne, avec les exigences internationales issues
de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et
avec plusieurs décisions d'inconstitutionnalité rendues par le
Conseil constitutionnel. Ces habilitations doivent également permettre
de simplifier et de renforcer l'efficacité des dispositifs en
matière de saisies et confiscations, de rendre obligatoire le recours
à la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) lors
d'interceptions judiciaires, et enfin de permettre l'application des
modifications législatives outre-mer.
• Enfin, le
chapitre III
compte
exclusivement l'
article
34
qui contient
les mesures nécessaires à l'application outre-mer du projet de
loi.
* 19 Technique consistant à autoriser des agents à acquérir des biens interdits à la vente ou de fournir une aide logistique aux personnes se livrant à des trafics, sans que la responsabilité des agents soit engagée.