EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN PROJET DE LOI SOURCE D'INSTABILITÉ JURIDIQUE, QUI SOUFFRE D'UNE CONCERTATION PRÉALABLE INSUFFISANTE ET D'UN MANQUE DE COHÉRENCE

A. UN NOUVEAU TEXTE QUI VIENT AGGRAVER L'INSTABILITÉ DU CODE DU TRAVAIL OBSERVÉE DEPUIS 2012, À REBOURS DE L'OBJECTIF DE SIMPLIFICATION AFFICHÉ PAR LE GOUVERNEMENT

1. L'empilement des lois en matière de droit du travail depuis 2012

Depuis l'automne 2012, le Parlement a examiné chaque année au moins un projet de loi présenté par le ministre du travail modifiant profondément le code du travail et visant à réformer plusieurs aspects des règles relatives aux relations individuelles et collectives de travail, à la formation professionnelle et aux politiques de l'emploi.

Ces trois textes, les lois des 14 juin 2013 1 ( * ) , 5 mars 2014 2 ( * ) et 17 août 2015 3 ( * ) , ont pour point commun d'avoir été précédés d'une concertation avec les partenaires sociaux , en application de l' article L. 1 du code du travail, qui dans les deux premiers cas a abouti à un accord national interprofessionnel 4 ( * ) .

Ainsi, le Parlement a pu traduire dans la loi les orientations paritaires visant à améliorer la sécurisation de l'emploi , à réformer les outils et le financement de la formation professionnelle ou encore à définir les modalités de mesure de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs . L' échec de la négociation nationale interprofessionnelle sur la modernisation du dialogue social , au début de l'année 2015, a marqué l'arrêt de cette dynamique et conduit le Gouvernement à reprendre la main pour proposer un projet de loi dont l'objectif affiché était alors le développement du dialogue social dans les TPE et sa rationalisation dans les entreprises de plus grande taille.

C'est dans la lignée de ces lois que s'inscrit le présent projet de loi, car son champ d'application est bien plus large que celui traité par les nombreux textes thématiques également examinés par le Parlement durant la même période, pour certains d'initiative parlementaire, parmi lesquels :

- la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012 portant création des emplois d'avenir ;

- la loi n° 2013-185 du 1 er mars 2013 portant création du contrat de génération ;

- la loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l' amélioration du statut des stagiaires ;

- la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale ;

- la loi n° 2014-1528 du 18 décembre 2014 relative à la désignation des conseillers prud'hommes ;

- la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d' expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée .

En outre, le droit du travail est régulièrement modifié par des lois transversales , qui l'abordent au détour de problématiques plus générales. Ce fut le cas de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites 5 ( * ) , qui a institué le compte personnel de prévention de la pénibilité , ou encore de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 6 ( * ) , qui contenait un chapitre consacré à l' égalité professionnelle.

L'an dernier, la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 7 ( * ) a modifié le régime des dérogations sectorielles au repos dominical , certaines règles applicables en matière de licenciement économique ou encore de lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs. Elle a également réformé la justice prud'homale.

De même, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui a l'heure actuelle a subi deux lectures dans chaque chambre du Parlement, modifie des règles de financement des services de santé au travail, de la représentativité patronale, et inscrit dans le code du travail le statut de l'artiste amateur.

De manière plus anecdotique, le projet de loi pour une République numérique aménage les règles du CDD pour les joueurs professionnels de jeu vidéo.

2. Une instabilité du code du travail préjudiciable aux entreprises et aux salariés

Cette inflation législative a pour conséquence de faire diminuer la lisibilité du droit du travail pour ses premiers utilisateurs, les entreprises et les salariés. Ceux-ci sont confrontés à un corpus normatif en évolution perpétuelle qui, sur des domaines essentiels, peut connaître plusieurs modifications au cours de la même année. Dans le même temps, le pouvoir réglementaire est parfois distancé et se retrouve contraint d'attendre la publication d'une loi suivante pour prendre les mesures d'application d'un texte précédent.

Ce rythme intense conduit inévitablement à des malfaçons législatives , à des études d'impact peu approfondies ou reposant sur des hypothèses erronées et même, dans les cas les plus préoccupants, à l'adoption de dispositions qui s'avèrent représenter une charge supplémentaire insurmontable pour la très grande majorité des entreprises. L'exemple le plus marquant en la matière est le compte personnel de prévention de la pénibilité .

Institué par la loi du 20 janvier 2014 précitée, il reposait initialement sur un suivi individuel par l'employeur de l'exposition de chacun de ses salariés à dix facteurs de risques professionnels, selon des seuils définis par décret et déclarée annuellement à la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) dont elle dépend, pour une entrée en vigueur au 1 er janvier 2015. Son financement est assuré par deux cotisations , l'une due par chaque employeur et la seconde par les seuls employeurs exposant leurs salariés à la pénibilité. Face aux premières difficultés , apparues dès les travaux préparatoires 8 ( * ) à la publication des modalités d'application de ce dispositif, le Gouvernement avait été contraint, dans un premier temps, de reporter au 1 er janvier 2016 la prise en compte de six facteurs de risques professionnels et avait décidé de fixer par un décret 9 ( * ) le taux de la seconde cotisation à un taux inférieur à la fourchette fixée par la loi, décret que le Conseil d'Etat a récemment annulé 10 ( * ) .

Entretemps, un rapport remis au Premier ministre par notre collègue député Christophe Sirugue et MM. Gérard Huot et Michel de Virville proposait douze recommandations , dont six de niveau législatif, pour un dispositif « plus simple, plus sécurisé et mieux articulé avec la prévention » 11 ( * ) . Elles ont été reprises dans la loi du 17 août 2015 précitée, qui a notamment substitué à la fiche individuelle de prévention des expositions une déclaration annuelle des expositions de ses salariés par l'employeur via la déclaration annuelle des données sociales (DADS) puis, à partir de 2017, via la déclaration sociale nominative (DSN). Ce texte a également ouvert la faculté à des référentiels professionnels de branche , homologués par arrêté ministériel, de définir les postes, métiers ou situations de travail exposés à la pénibilité. Il a enfin abaissé le taux minimal de la cotisation additionnelle destinée à financer les droits associés au compte afin de l'aligner sur celui prévu dans le décret du 9 octobre 2014 précité.

Malgré ces efforts, le Gouvernement reste prisonnier d'un dispositif dont les difficultés actuelles découlent des erreurs commises lors de sa conception , notamment l' absence complète de consultation des partenaires sociaux , en particulier des organisations représentatives des employeurs, qui sont pourtant chargés de l'alimenter et de le financer. Dès lors, cette catastrophe administrative a donné naissance à un outil qui, si chacun en partage les objectifs, s'avère dans les faits inapplicable.

A l'inverse, certaines innovations présentées au moment de leur introduction dans la loi comme des avancées notables pour les entreprises ou les salariés n'ont rencontré aucun succès auprès des acteurs du dialogue social . Il en va ainsi des accords de maintien de l'emploi , institués par la loi du 14 juin 2013 précitée et destinés à permettre aux entreprises rencontrant de graves difficultés économiques conjoncturelles d'aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ainsi que la rémunération, dans le respect d'un plancher de 1,2 Smic (art. L. 5125-1 du code du travail). En raison d'un encadrement juridique trop restrictif, seuls douze accords de ce type ont été signés à ce jour .

Cette même loi avait également prévu la possibilité, pour les employeurs d'au moins 50 salariés, de négocier des accords portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise . Le bilan d'application de ce texte réalisé par le ministère du travail 12 ( * ) deux ans après sa publication souligne qu'à cette date aucun accord de ce type n'avait été recensé , l'articulation des dispositions afférentes du code du travail avec les clauses de mobilité préexistantes des contrats de travail et la définition jurisprudentielle, par la Cour de cassation, de la notion de « secteur géographique » suscitant des difficultés juridiques et procédurales majeures .


* 1 Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ; JO 16 juin 2013, p. 9 958.

* 2 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale ; JO 6 mars 2014, p. 4 848.

* 3 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ; JO 18 août 2015, p. 14 346.

* 4 Accords nationaux interprofessionnels des 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés et 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle.

* 5 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, art. 10 ; JO 21 janvier 2014, p. 1 050.

* 6 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ; JO 5 août 2014, p. 12 949.

* 7 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ; JO 7 août 2015, p. 13 537.

* 8 Michel de Virville, « Préconisations établies au terme de la deuxième étape de concertation », 9 juin 2014.

* 9 Décret n° 2014-1157 du 9 octobre 2014 relatif au fonds de financement des droits liés au compte personnel de prévention de la pénibilité.

* 10 Conseil d'Etat, 4 mars 2016, n° 386354.

* 11 Christophe Sirugue, Gérard Huot, Michel de Virville, « Compte personnel de prévention de la pénibilité : propositions pour un dispositif plus simple, plus sécurisé et mieux articulé avec la prévention », rapport au Premier ministre, 26 mai 2015.

* 12 Bilan de la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 au 3 avril 2015, ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

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