Rapport n° 317 (2017-2018) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 février 2018
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. LES LIMITES ET INSUFFISANCES DE L'OBLIGATION
D'ASSORTIR LES PROJETS DE LOI D'UNE ÉTUDE D'IMPACT
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II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : AFFIRMER
LA POSITION DU SÉNAT SUR LA RÉFORME DES ÉTUDES
D'IMPACT
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I. LES LIMITES ET INSUFFISANCES DE L'OBLIGATION
D'ASSORTIR LES PROJETS DE LOI D'UNE ÉTUDE D'IMPACT
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 317
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 février 2018 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d' impact des projets de loi ,
Par M. Jean-Pierre SUEUR,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Sébastien Leroux, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled . |
Voir les numéros :
Sénat : |
610 rect. (2016-2017) et 318 (2017-2018) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 21 février 2018, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Sueur, la proposition de loi organique (n° 610 rectifié, 2016-2017) visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi , présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain. Après avoir rappelé l'historique des études d'impact des projets de loi, le rapporteur a fait état des critiques fréquentes dont elles font l'objet en raison de leur contenu jugé insuffisant et de leurs modalités d'élaboration, lacunes que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet pas de surmonter. Il a jugé que l'impact de la loi était l'objet même du débat parlementaire. Le président a considéré que l'examen de cette proposition de loi, avec les amendements proposés par le rapporteur, était l'occasion d' affirmer une position consensuelle du Sénat sur l'amélioration des études d'impact , dans la perspective de la réforme institutionnelle. À l'initiative de son rapporteur, la commission a prévu que les études d'impact devraient comporter des évaluations réalisées par des organismes indépendants , en complément de celles réalisées par le Gouvernement , pour renforcer l'objectivité de l'information du Parlement sur les conséquences des projets de loi. Cette disposition reprend l'essentiel de la proposition de loi. La commission a également intégré les travaux antérieurs du Sénat sur les études d'impact et a introduit dans le texte les propositions formulées par le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle , lorsqu'elles ne nécessitaient pas de modification de la Constitution. Les études d'impact devraient ainsi comporter une évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre des projets de loi par l'État et par les administrations publiques, d'un point de vue humain, mais aussi budgétaire et informatique, ainsi que des délais nécessaires à leur mise en oeuvre. Elles devraient spécifiquement évaluer les coûts induits par les projets de loi pour les collectivités territoriales et pour les entreprises, ainsi que l' apport des projets de loi en matière de simplification . Elles devraient préciser les normes dont l'abrogation est proposée pour toute création d'une norme nouvelle. Les avis rendus par le conseil national d'évaluation des normes devraient y être joints. En outre, la Conférence des présidents de la première assemblée saisie devrait disposer d'un délai allongé de dix à trente jours pour apprécier la qualité de l'étude d'impact et s'opposer, s'il y a lieu, à l'inscription du projet de loi concerné à son ordre du jour en cas d'étude d'impact insuffisante. La commission des lois a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée . |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Légitimement attaché à l'idée d'aller au-delà des seuls indicateurs de nature économique, insuffisants pour apprécier globalement le niveau de vie et le bien-être des populations ainsi que la soutenabilité de la croissance, notre collègue Franck Montaugé a mené une réflexion approfondie dès 2016, axée sur le développement de la culture de l'évaluation des politiques publiques et son élargissement à la prise en compte de nouveaux indicateurs de richesse.
Cette réflexion a abouti, en juillet 2017, au dépôt de la proposition de loi organique (n° 610 rectifié, 2016-2017) visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi, à présent soumise à l'examen de votre commission des lois. Notre collègue a également déposé, dans une commune intention, la proposition de loi (n° 611 rectifié, 2016-2017) visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, soumise elle aussi à l'examen de votre commission.
La présente proposition de loi organique prévoit, d'une part, que les études d'impact des projets de loi doivent comporter une « évaluation qualitative de l'impact des dispositions envisagées au regard des nouveaux indicateurs de richesse » et, d'autre part, que les évaluations devant figurer dans les études d'impact doivent être réalisées par des « organismes publics indépendants et pluralistes », auxquels les assemblées parlementaires pourraient adjoindre des personnalités qualifiées.
L'examen de ce texte relativement circonscrit renvoie au débat général, récurrent au sein de notre assemblée, sur l'utilité et sur la qualité des études d'impact, alors que le Gouvernement, conformément à l'annonce du Président de la République le 3 juillet 2017 devant le Parlement réuni en Congrès, élabore un projet de révision constitutionnelle dont la discussion pourra être l'occasion d'évoquer la question des études d'impact.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 39 de la Constitution dispose que « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». En application de cette disposition, l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution prévoit que « les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact » et en précise le contenu de façon détaillée. L'article 39 de la Constitution ajoute que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues », le Conseil constitutionnel pouvant être appelé à trancher en cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, ce qu'il n'a fait qu'une seule fois, en juillet 2014, suscitant une réelle incompréhension au sein de notre assemblée, dont la Conférence des présidents avait jugé l'étude d'impact très insuffisante 1 ( * ) .
I. LES LIMITES ET INSUFFISANCES DE L'OBLIGATION D'ASSORTIR LES PROJETS DE LOI D'UNE ÉTUDE D'IMPACT
Lors des travaux de notre assemblée sur la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'opportunité d'instaurer l'obligation d'assortir les projets de loi d'une étude d'impact avait soulevé scepticisme voire opposition, même si le Sénat en a accepté le principe 2 ( * ) . La pratique suivie depuis l'entrée en vigueur des obligations organiques sur les études d'impact nourrit un débat récurrent sur la qualité des études d'impact, et même sur leur utilité - débat accentué par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, jugée par certains de nos collègues trop favorable au Gouvernement, au détriment de la qualité de l'information apportée au Parlement.
A. UNE NOUVELLE OBLIGATION D'INFORMATION DU PARLEMENT À LA CHARGE DU GOUVERNEMENT
En application de l'article 39 de la Constitution, tel qu'il est résulté de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution a instauré l'obligation de joindre aux projets de loi, dès leur transmission au Conseil d'État puis lors de leur dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre des deux assemblées, une étude d'impact, comportant une série d'informations et d'évaluations.
Cette obligation est entrée en vigueur pour les projets de loi déposés à compter du 1 er septembre 2009.
1. Le principe introduit dans la Constitution en 2008
La modification de l'article 39 de la Constitution a résulté, lors des débats sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République, d'une initiative de notre collègue député Jean-Luc Warsmann, rapporteur du texte au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Cette modification ne figurait pas dans le texte déposé par le Gouvernement.
La rédaction retenue in fine a été celle proposée en première lecture par le Sénat, modifiée par un ajout adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture prévoyant la faculté de saisir le Conseil constitutionnel en cas de désaccord entre la Conférence des présidents de la première assemblée saisie et le Gouvernement sur le respect des règles relatives à la présentation des projets de loi.
Dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle, en première lecture 3 ( * ) , notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, tout en indiquant que votre commission partageait les préoccupations à l'origine de cette disposition, s'interrogeait ainsi :
« Cette disposition implique que, lors du dépôt, le texte soit accompagné d'une analyse approfondie de ses effets attendus - analyse qui ne saurait se réduire aux études d'impact, souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis, par le passé, selon un usage plutôt aléatoire. Le Gouvernement serait ainsi tenu de s'interroger davantage sur les conséquences des dispositions qu'il propose et leur « valeur ajoutée » par rapport au droit existant.
« La loi organique devrait détailler le type d'informations que le Gouvernement serait tenu de réunir ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci seraient transmises au Parlement, au plus tard, lors du dépôt du projet de loi concerné. Il appartiendrait ensuite à chaque assemblée d'apprécier ces informations, de les valider, de les compléter par le travail d'investigation conduit dans le cadre des commissions permanentes et de juger in fine si le projet de loi répond à une véritable nécessité. »
Lors des débats de notre assemblée en séance publique, le 23 juin 2008, notre ancien collègue Bernard Frimat s'est exprimé contre cette disposition, dans des termes qui pourraient être repris aujourd'hui, au regard de la pratique des études d'impact par les gouvernements successifs :
« Tout cela pour obliger le Gouvernement à réaliser des études d'impact lors de l'élaboration d'un projet de loi : mais rien ne l'en empêche aujourd'hui !
« Supposons un instant, par exemple, qu'une telle disposition ait existé à l'époque de l'élaboration du projet de loi relatif aux OGM.
« Le Gouvernement aurait alors dû demander à des experts choisis par ses soins de procéder à une étude d'impact. Nul doute qu'après sa publication celle-ci aurait été immédiatement contestée par d'autres scientifiques. En outre, pourquoi aurions-nous dû, nous parlementaires, nous contenter des études d'impact effectuées à la demande du Gouvernement ? Nous n'aurions pas manqué de demander que d'autres études soient réalisées et que le Parlement se dote d'une capacité d'expertise autonome en la matière.
« Il est peut-être souhaitable d'éviter la construction de telles usines à gaz, quelle que puisse être par ailleurs leur utilité... On se plaint parfois d'un délire législatif, mais nous tombons ici dans un délire constitutionnel ! Je le dis par avance, la rédaction proposée par la commission des lois est intelligente, mais elle ne règle pas le problème du contenu du dispositif, avec lequel je suis en complet désaccord.
« Cela ne signifie pas que nous soyons hostiles a priori aux études d'impact. Toutefois, est-il vraiment indispensable d'imposer au Gouvernement, quel qu'il soit, des guides dans la phase qui précède l'élaboration du projet de loi ? »
Suivant son rapporteur, qui a exprimé en séance publique les mêmes interrogations que dans son rapport, le Sénat a néanmoins approuvé ce nouveau dispositif, émettant le souhait qu'il puisse contribuer à la qualité de la législation.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les troisième et quatrième alinéas de l'article 39 de la Constitution disposent donc ainsi :
« La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. »
En application notamment de ces nouvelles dispositions, le Parlement a adopté la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, dont les articles 7 à 12 déterminent les règles de présentation des projets de loi, en particulier l'obligation pour les projets de loi d'être accompagnés d'une étude d'impact détaillée, tant lors de leur transmission au Conseil d'État que lors de leur dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée.
2. Le régime organique des études d'impact élaboré en 2009
Dans son rapport sur le projet de loi organique, en première lecture 4 ( * ) , après avoir rappelé l'échec des circulaires du Premier ministre de 1995 et 1998 exigeant l'établissement d'études d'impact préalablement à l'élaboration de nouvelles législations ainsi que certaines expériences étrangères plus probantes, notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest concluait à la nécessité d'un « dispositif coercitif » auquel le législateur devait participer, en définissant la teneur des études d'impact, pour pouvoir vérifier la pertinence de la législation envisagée. Il ajoutait que « le Parlement doit en outre pouvoir apprécier le contenu de l'étude d'impact qui lui est transmise et, le cas échéant, sanctionner son insuffisance », de façon à ce que le Gouvernement soit réellement incité à améliorer la qualité de ses projets de loi.
Force est de reconnaître, selon votre rapporteur, que ces intentions ne semblent pas avoir été pleinement satisfaites par la pratique gouvernementale, pourtant validée par le Conseil constitutionnel.
Lors des débats du Sénat en séance publique, le 10 février 2009, notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, tout en prenant soin de préciser qu'il n'était pas « fanatique, comme certains, des études d'impact » et de rappeler que « les expériences passées ont largement démontré leur vacuité, les études d'impact ayant le plus souvent été réalisées après l'élaboration des projets de loi, et ayant finalement été abandonnées », souhaita néanmoins que les études d'impact « conduisent à une déflation législative », avant de conclure ainsi : « D'une manière générale, si les études d'impact constituent incontestablement un progrès et une garantie de meilleure information du Parlement, soyons attentifs - je pense aux rapports de certains grands corps de l'État ces dernières années - à ce qu'elles ne délivrent pas une vérité « univoque », qui renforcerait la technocratie et qui empêcherait, en définitive, de vrais choix politiques. »
Présentés dans l'encadré ci-après, les articles 8 et 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 précitée définissent le régime général des études d'impact et de leur contenu 5 ( * ) . Des dispositions spécifiques concernent certaines catégories de projets de loi : projets de loi de finances, projets de loi de financement de la sécurité sociale, projets de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance et projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation d'une convention internationale. Sont exonérés de toute obligation les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de programmation mentionnés à l'article 34 de la Constitution et les projets de loi prorogeant des états de crise.
L'étude d'impact comprend des informations factuelles ou juridiques, a priori objectives par nature, mais aussi des évaluations sur les conséquences du projet de loi, incluant des données chiffrées, lesquelles peuvent être discutées voire contestées. Cette seconde catégorie d'informations suscite des critiques récurrentes sur la qualité, l'utilité et le manque d'objectivité des études d'impact élaborées par le Gouvernement.
Articles 8 et 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution Article 8 Les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent. Ces documents définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation. Ils exposent avec précision : - l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ; - l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ; - les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ; - les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ; - l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ; - l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ; - les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'État ; - s'il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ; - la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires. Article 9 La Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles fixées par le présent chapitre sont méconnues. Lorsque le Parlement n'est pas en session, ce délai est suspendu jusqu'au dixième jour qui précède le début de la session suivante. |
B. UN DÉBAT RÉCURRENT AU SÉNAT SUR LA QUALITÉ ET L'UTILITÉ DES ÉTUDES D'IMPACT
Si l'opportunité de prévoir l'élaboration par le Gouvernement d'études d'impact sur ses propres projets de loi avait suscité des réserves en 2008, la pratique suivie en la matière depuis 2009 donne lieu à de fréquentes critiques. À plusieurs reprises, votre commission a d'ailleurs été saisie de propositions de loi organique visant à réformer le dispositif des études d'impact.
1. Des réserves fondamentales persistantes sur le régime des études d'impact
Selon votre rapporteur, le dispositif des études d'impact soulève une question fondamentale, car il repose implicitement sur l'idée d'une évaluation neutre, technique et objective de l'impact d'une loi, alors que l'initiative d'une loi est d'abord un acte politique par excellence et que l'on peut considérer que l'impact d'un projet de loi est précisément l'objet du débat parlementaire. La nécessité de légiférer ne peut pas être dictée de façon systématique par des arguments techniques, sauf à priver le débat politique et parlementaire de toute utilité, au motif qu'une loi qui présenterait un impact présenté comme étant positif ne pourrait être qu'approuvée.
Le problème théorique posé par l'étude d'impact consiste à savoir s'il est pertinent que puisse exister un discours positif qui surplomberait voire transcenderait toutes les oppositions politiques pour présenter de manière totalement objective des vérités qui s'imposeraient à tous. La réponse est dans la question : un tel discours ne peut pas exister.
Au demeurant, la pratique détourne cette conception théorique des études d'impact, devenues trop souvent une simple obligation quelque peu formelle dans l'élaboration des projets de loi. En outre, il est difficile d'évaluer de façon absolue l'impact d'un projet de loi : selon le point de vue ou les objectifs que l'on privilégiera ou selon ses convictions politiques, on peut considérer que l'impact d'une disposition législative est positif ou non. Le débat politique porte par nature sur l'impact lui-même que l'on peut attendre - ou redouter - d'un projet de loi, dans divers domaines. Le débat politique ne peut être assujetti par principe à un discours technique sur l'évaluation de l'impact d'une loi, quelles que soient la qualité et la fiabilité de cette évaluation.
Par ailleurs, le fait que le Gouvernement établisse lui-même les études d'impact de ses projets de loi - et plus spécialement que les services rédacteurs du projet de loi en préparent aussi l'étude d'impact, quel que soit le contrôle assuré par le secrétariat général du Gouvernement et par le Conseil d'État -alimente une critique structurelle, l'objectivité des études d'impact apparaissant nécessairement altérée. Votre rapporteur constate que l'étude d'impact ne sert trop souvent qu'à justifier techniquement une décision politique déjà prise par le Gouvernement.
Néanmoins, la révision constitutionnelle de 2008 ayant prévu des règles de « présentation des projets de loi », votre rapporteur estime qu'elle a confié implicitement mais nécessairement au Gouvernement la responsabilité d'élaborer les études d'impact sur les textes qu'il présente en vertu de son droit d'initiative législative, en l'état de la rédaction de l'article 39 de la Constitution. Cette difficulté est à prendre en compte, notamment si l'on envisage que les études d'impact devraient être réalisées par des organismes indépendants du Gouvernement, pour garantir la qualité, la fiabilité et l'objectivité des études d'impact : la réalisation d'une contre-expertise ou encore d'une évaluation complémentaire de celle effectuée par le Gouvernement lui-même semble une voie constitutionnellement plus praticable qu'une externalisation des études d'impact, à cadre constitutionnel inchangé.
2. Des critiques régulières sur les études d'impact, accentuées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel
Ainsi, l'établissement d'une étude d'impact apparaît souvent comme une obligation formelle nécessaire pour le dépôt d'un projet de loi, réalisée tardivement voire a posteriori , plutôt qu'un outil d'aide à la décision pour le Gouvernement, lui permettant de vérifier la nécessité de légiférer et donnant au Parlement des informations et des évaluations de nature à apprécier la pertinence de la réforme qui lui est soumise. Dans ces conditions, l'utilité de l'étude d'impact dans les travaux parlementaires s'avère réduite.
À cet égard, lors des auditions de la mission commune d'information sur la démocratie, dont notre collègue Philippe Bonnecarrère était rapporteur 6 ( * ) , Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, énonça un jugement sévère à l'égard des études d'impact, le 8 mars 2017 :
« Dans une précédente étude, nous avions recommandé de réaliser des études d'impact préalables, ce qui a conduit à la réforme constitutionnelle de 2008. Les résultats sont toutefois peu satisfaisants : ils ne correspondent pas, en tout état de cause, à ceux que nous attendions. La première difficulté tient au moment auquel on procède aux études d'impact : livrées très tardivement au Conseil d'État, elles ne servent la plupart du temps qu'à justifier la réforme déjà décidée. La deuxième difficulté vient de l'absence de contrôle externe sur la qualité de l'étude d'impact, faite par l'administration qui prépare la norme. Troisième motif d'inquiétude : l'absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l'exception notable des collectivités territoriales, grâce au conseil national d'évaluation des normes, organe issu d'une initiative parlementaire et non gouvernementale. Enfin, le champ de l'étude d'impact est insuffisant, puisque de nombreux textes y échappent. »
Plus largement, le Conseil d'État déplore fréquemment dans ses avis les lacunes des études d'impact des projets de loi dont il est saisi, sans que l'on puisse savoir dans quelle mesure elles sont ensuite complétées, avant le dépôt du texte sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée.
Au demeurant, le guide méthodologique pour l'élaboration des études d'impact des projets de loi, accessible sur le site Legifrance , ne comprend que 11 pages, pour beaucoup descriptives et paraphrasant en les développant les dispositions de la loi organique. Un référentiel chiffré de 7 pages s'y ajoute 7 ( * ) .
Par ailleurs, en janvier 2018, votre rapporteur a relevé que le ministère de la transition écologique et solidaire avait décidé de conclure un marché public pour sous-traiter la rédaction de l'exposé des motifs et de l'étude d'impact du projet de loi sur les mobilités, avec un délai de consultation de dix jours pour la remise des offres et un délai d'exécution du marché de deux semaines 8 ( * ) . Votre rapporteur s'interroge sur la conformité d'une telle pratique aux prescriptions organiques et constitutionnelles ainsi que sur la possibilité de réaliser une étude d'impact de qualité dans un tel délai.
De plus, on peut considérer que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les études d'impact n'a pas contribué, à tout le moins, à en renforcer la qualité ni le niveau d'exigence pour le Gouvernement.
Le Conseil constitutionnel a eu à examiner des études d'impact pour la première fois en 2013, à l'occasion des décisions n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 sur la loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral et n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. En effet, les requérants mettaient en cause la qualité des études d'impact de ces deux projets de loi. Dans les deux cas, après avoir relevé que la Conférence des présidents de l'assemblée concernée n'avait pas été saisie d'une demande tendant à constater la méconnaissance des règles de présentation des projets de loi, le Conseil a considéré « qu'au regard du contenu de l'étude d'impact, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 [devait] être écarté ».
Dans une décision n° 2013-683 DC du 16 janvier 2014 sur la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, après avoir cette fois-ci constaté que la Conférence des présidents de la première assemblée saisie avait été saisie d'une demande tendant à constater que les règles relatives aux études d'impact étaient méconnues sans y donner suite, le Conseil constitutionnel a estimé de même que, au regard de son contenu, l'étude d'impact était conforme aux prescriptions organiques.
Par la suite, dans une décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015 sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, selon la règle dite du « préalable parlementaire », le Conseil a considéré désormais qu'il ne saurait examiner des griefs tenant à la méconnaissance des exigences relatives au contenu d'une étude d'impact dès lors que la Conférence des présidents de la première assemblée saisie n'en avait pas été préalablement saisie.
En outre, en 2014, pour la première et unique fois depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, la Conférence des présidents de la première assemblée saisie d'un projet de loi a estimé que les règles de présentation des projets de loi fixées par la loi organique n'étaient pas respectées : en l'espèce, la Conférence des présidents du Sénat a estimé, le 26 juin 2014, que l'étude d'impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral était déficiente, faisant ainsi obstacle à son inscription à l'ordre du jour du Sénat. Le Gouvernement n'a pas partagé ce point de vue et le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre, conformément à la procédure de l'article 39 de la Constitution.
Statuant au vu des observations du Gouvernement, mais également des groupes UMP et RDSE du Sénat, présentées par leurs présidents respectifs, dans une décision n° 2014-12 FNR du 1 er juillet 2014, le Conseil constitutionnel a considéré, en particulier, que l'étude d'impact comprenait les « développements » nécessaires sur les options possibles et les choix opérés par le Gouvernement et que son contenu répondait aux prescriptions de la loi organique, sans même se prononcer sur la qualité et le sérieux de ce contenu, à l'origine de la contestation de l'étude d'impact par notre assemblée. Le Conseil considéra donc que « les règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009 pour la présentation des projets de loi en application du troisième alinéa de l'article 39 de la Constitution [n'avaient] pas été méconnues ».
Cette décision, la seule rendue dans ce cadre à ce jour, a été largement analysée comme ne procédant qu'à un contrôle restreint du contenu de l'étude d'impact au regard de la liste des informations et évaluations devant y figurer en vertu de la loi organique, indépendamment de la qualité de ces évaluations. Selon votre rapporteur, le Conseil s'est borné à constater que le Gouvernement avait rempli l'obligation formelle d'établir une étude d'impact, sans prendre en compte la finalité même des études d'impact, dont l'objet est d'éclairer la décision du Gouvernement puis du Parlement en matière législative - c'est du moins ainsi que cela a été conçu en 2008.
À la suite de cette décision, très contestée au sein de notre assemblée, notre ancien collègue Jacques Mézard, afin de montrer qu'il convenait de tirer les conséquences d'une telle décision par l'absurde, a déposé une proposition de loi organique supprimant l'essentiel du contenu des études d'impact, intitulée proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1 er juillet 2014 9 ( * ) . Le groupe RDSE a alors demandé que ce texte fût inscrit à l'ordre du jour du Sénat.
Sur le rapport de notre ancien collègue Hugues Portelli, votre commission jugea préférable de compléter l'article 8 de la loi organique plutôt que de le vider de sa substance, notamment pour allonger les délais permettant à la Conférence des présidents de statuer sur les études d'impact des projets de loi. En séance publique, dès lors que l'essentiel des dispositions initiales du texte était supprimé par amendement, notre ancien collègue Jacques Mézard le retira, mettant fin à la discussion.
Dans son rapport, déplorant l'absence d'un « véritable examen » par le Conseil constitutionnel, notre ancien collègue Hugues Portelli dressait ce constat sur la pratique des études d'impact, là encore sévère :
« On peut conclure de ce bilan d'étape après sept ans d'application de ce dispositif d'évaluation que ses effets sont loin d'être concluants. D'une part, il n'a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation, celle-ci étant due principalement au jeu des alternances et au développement des lois de simple réaction aux évènements et aux mouvements d'opinion sans se préoccuper de l'état du droit en vigueur. D'autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d'impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l'état ce dispositif. Faut-il le ramener à des dimensions plus réduites pour tirer les conclusions de cet échec partiel ou au contraire durcir les obligations imposées au Gouvernement pour le rendre enfin effectif ? »
Enfin, notre collègue Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, a déposé, en septembre 2017, une proposition de loi organique (n° 722, 2016-2017) relative aux études d'impact des projets de loi 10 ( * ) , dans le prolongement d'un rapport d'information de la délégation présenté en février 2017 sur le thème plus large de la simplification des normes 11 ( * ) . Dans l'exposé des motifs de ce texte, notre collègue estime, à juste titre, que « n'ayant pas à craindre de sanction, le Gouvernement peut aisément s'en tenir à des généralités teintées d'optimisme qui ne contribuent guère à la qualité de l'examen parlementaire » et insiste sur la déficience des études d'impact en matière d'évaluation des coûts induits par les projets de loi pour les collectivités territoriales et les entreprises.
Ainsi, les critiques à l'encontre des études d'impact sont récurrentes, d'autant que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a abaissé le niveau d'exigence à la charge du Gouvernement par rapport aux intentions du constituant, de sorte que le dispositif actuel, largement insatisfaisant, ne saurait selon votre commission demeurer en l'état.
II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : AFFIRMER LA POSITION DU SÉNAT SUR LA RÉFORME DES ÉTUDES D'IMPACT
Dans le cadre des réflexions préparatoires à l'élaboration de la révision constitutionnelle souhaitée par le Président de la République, notre assemblée a mis en place en son sein un groupe de travail, dont les travaux étaient dirigés par le président Gérard Larcher et dont notre collègue François Pillet était le rapporteur. Votre rapporteur était aussi membre de ce groupe de travail. Parmi les 40 propositions présentées à l'issue des réunions de ce groupe de travail 12 ( * ) , plusieurs concernent les études d'impact.
Alors que le Gouvernement est en train d'élaborer le projet de révision constitutionnelle, votre commission estime que l'examen de cette proposition de loi organique est l'occasion d' affirmer la conception commune du Sénat sur la réforme du dispositif des études d'impact des projets de loi . Le contenu, la qualité et la procédure des études d'impact doivent être améliorés. Une telle réforme suppose des modifications de nature constitutionnelle et organique.
Votre commission a adopté à cette fin sept amendements .
En outre, le renforcement des exigences relatives aux études d'impact est indissociable d'un développement des travaux et des capacités d'expertise et d'évaluation des assemblées , afin notamment d'améliorer l'évaluation de l'application des lois, au regard de leurs objectifs initiaux et de leurs études d'impact. Il s'agirait ainsi de rendre plus effective la mission des assemblées énoncée par l'article 24 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle de 2008, selon lequel « le Parlement vote la loi », mais également « contrôle l'action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ». Tel est d'ailleurs l'objectif de la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être, également présentée par notre collègue Franck Montaugé et examinée parallèlement à la proposition de loi organique.
A. UNE PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE EN DEÇÀ DES EXIGENCES DE RÉFORME DES ÉTUDES D'IMPACT
La proposition de loi organique présentée par notre collègue Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain comporte deux articles.
Premièrement, elle ajoute au contenu des études d'impact une nouvelle « évaluation qualitative » de l'impact des projets de loi au regard des « nouveaux indicateurs de richesse créés par la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques », ladite loi se bornant à exiger la remise chaque année d'un « rapport présentant l'évolution (...) de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d'inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu'une évaluation qualitative ou quantitative de l'impact des principales réformes engagées l'année précédente et l'année en cours et de celles envisagées pour l'année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l'évolution du produit intérieur brut ».
Si votre rapporteur partage le point de vue de notre collègue Franck Montaugé quant à l'insuffisance des seuls critères économiques et purement quantitatifs pour apprécier l'impact d'un projet de loi et à l'utilité de recourir à d'autres indicateurs, il s'interroge cependant sur la nature législative de ces dispositions, indépendamment même de leur pertinence et de leur portée dans l'établissement des études d'impact des projets de loi. Il considère qu'elles relèvent davantage de textes d'application. Ceux-ci pourraient prendre en compte la préoccupation inscrite dans cet article, dans le cadre des diverses évaluations que doivent déjà comporter les études d'impact, par exemple en matière de « conséquences (...) sociales et environnementales » des dispositions des projets de loi.
Aussi votre commission a-t-elle supprimé cet article pour ce motif, en adoptant un amendement COM-6 présenté par son rapporteur.
Deuxièmement, la présente proposition de loi organique prévoit que les évaluations incluses dans les études d'impact doivent être « réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes comprenant notamment le Conseil économique, social et environnemental, l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'Institut national de la statistique et des études économiques ». Elle ajoute que l'Assemblée nationale et le Sénat, selon des modalités définies par leurs règlements respectifs, « pour réaliser ces évaluations, [pourraient] désigner des universitaires et des personnes qualifiées en fonction de leur compétence par rapport aux domaines du projet de loi ».
S'il paraît utile au Parlement de disposer d'une expertise indépendante sur l'impact des projets de loi, l'esprit de la révision constitutionnelle veut qu'il relève de la responsabilité du Gouvernement d'établir les études d'impact sur ses projets de loi, ainsi que votre rapporteur l'a développé supra .
Dès lors, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-9 prévoyant, en complément des évaluations réalisées par le Gouvernement sur ses projets de loi et non en substitution de celles-ci, des évaluations indépendantes, réalisées par des organismes désignés à cet effet, pour renforcer l'objectivité de l'information du Parlement sur l'impact des dispositions envisagées . Ces organismes pourraient être publics, mais aussi privés. Les évaluations ainsi réalisées seraient obligatoirement incluses dans les documents rendant compte de l'étude d'impact. Un décret en Conseil d'État déterminerait la liste et les modalités de désignation des organismes concernés ainsi que les modalités de réalisation des évaluations.
B. DES AMÉLIORATIONS PLUS IMPORTANTES À RÉALISER À CADRE CONSTITUTIONNEL INCHANGÉ
Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a apporté à la proposition de loi organique plusieurs adjonctions de nature à améliorer le contenu, la qualité et la procédure des études d'impact, en reprenant certaines dispositions déjà adoptées par votre commission dans le cadre de propositions de loi organique traitant des études d'impact et en traduisant les propositions formulées par le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle sur ce même sujet réalisables à cadre constitutionnel inchangé.
En premier lieu, par l'adoption d'un amendement COM-7 , votre commission a complété le contenu des études d'impact par une évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre, par l'État et les administrations publiques, des dispositions envisagées, en termes de crédits et d'emplois, ainsi que de mise à niveau des systèmes d'information, et des délais nécessaires à cette mise en oeuvre. En effet, la réalisation de certaines réformes ambitieuses peut être largement entravée par l'insuffisance des moyens humains comme matériels qui lui sont alloués. Votre commission fait souvent ce constat, par exemple en matière de réforme judiciaire, ainsi que les travaux de sa mission d'information sur le redressement de la justice 13 ( * ) l'ont montré en 2017.
Il s'agirait de compléter les informations communiquées au Parlement, car l'évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une réforme lui est en effet indispensable pour en apprécier la crédibilité. Une réforme sans moyens peine à atteindre ses objectifs, voire peut être contre-productive.
Cette disposition reprend la proposition n° 15 issue du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle.
En deuxième lieu, par l'adoption d'un amendement COM-8 , votre commission a prévu que l'étude d'impact devait également mentionner l'apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d'une nouvelle norme, préciser les normes dont l'abrogation est proposée. Il s'agirait ainsi de clarifier l'impact du projet de loi en termes de simplification dans le domaine concerné, ce qu'il est souvent difficile d'apprécier.
Cette disposition reprend elle aussi la proposition n° 15 issue du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle. Elle correspond en outre à une disposition de la proposition de loi organique relative aux études d'impact des projets de loi présentée par notre collègue Élisabeth Lamure, évoquée supra .
En troisième lieu, par l'adoption d'un amendement COM-10 , votre commission a prévu que les avis rendus par le conseil national d'évaluation des normes (CNEN) devaient également être inclus dans les documents rendant compte de l'étude d'impact, pour permettre au Parlement de mieux apprécier l'impact du texte sur les collectivités territoriales.
Cette disposition reprend la proposition de loi organique (n° 828, 2012-2013) tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d'évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales, présentée par notre ancienne collègue Jacqueline Gourault et par votre rapporteur, adoptée par le Sénat le 7 octobre 2013, sur le rapport de notre collègue Alain Richard 14 ( * ) .
En quatrième lieu, par l'adoption d'un amendement COM-11 , votre commission a souhaité allonger de dix à trente jours le délai dans lequel la Conférence des présidents de la première assemblée saisie d'un projet de loi peut constater que les obligations relatives aux études d'impact ne sont pas remplies pour ce projet de loi, faisant ainsi obstacle à son inscription à l'ordre du jour, sous réserve de saisine du Conseil constitutionnel en cas de désaccord avec le Gouvernement. Par cohérence, dans le cas où le Parlement n'est pas en session, ce délai serait suspendu jusqu'à l'ouverture de la session suivante, plutôt que dix jours avant l'ouverture de la session suivante.
Cette disposition reprend la proposition n° 18 issue du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle. Elle reprend également une disposition votée par votre commission à l'occasion de l'examen de la proposition de loi organique (n° 776, 2013-2014) relative aux études d'impact présentée par notre ancien collègue Jacques Mézard, évoquée supra .
En outre, à l'initiative de notre collègue Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, votre commission a adopté un amendement COM-12 pour préciser que les études d'impact doivent spécifiquement évaluer les conséquences, notamment les coûts, des dispositions envisagées pour les collectivités territoriales et pour les entreprises. Il s'agirait de reprendre une disposition de la proposition de loi organique relative aux études d'impact des projets de loi présentée par notre collègue.
À cadre constitutionnel inchangé, les exigences relatives au contenu des études d'impact pourraient ainsi être renforcées.
C. DES PERSPECTIVES D'AMÉLIORATION ACCRUES EN CAS DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
À la suite des travaux du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, ont également été formulées des propositions d'amélioration du dispositif des études d'impact exigeant une modification de la Constitution.
D'une part, il s'agirait d'étendre le champ des études d'impact aux ordonnances (proposition n° 16) et aux amendements du Gouvernement qui comportent des mesures nouvelles (proposition n° 17).
Sur le premier point, dans sa décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009 sur la loi organique relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a censuré l'obligation d'établir une étude d'impact pour les projets de loi ratifiant des ordonnances, considérant qu'une telle disposition avait pour effet de contraindre le Gouvernement de « déposer devant la première assemblée saisie, non l'étude d'impact des dispositions en cause, mais celle des ordonnances précédemment prises en vertu des articles 38 ou 74-1 de la Constitution et entrées en vigueur » et « qu'une telle exigence, qui ne trouve pas son fondement dans l'article 39 de la Constitution, méconnaît les prescriptions de ses articles 38 et 74-1 ». Il en résulte la règle paradoxale selon laquelle le projet de loi d'habilitation doit comporter une étude d'impact, mais pas le projet de loi de ratification, limitant l'information du Parlement sur l'impact de l'ordonnance et donc sur la manière dont l'habilitation a été utilisée par le Gouvernement 15 ( * ) .
Sur le second point, dans sa décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 sur la loi de réforme des collectivités territoriales, le Conseil a indiqué que les obligations relatives aux études d'impact ne s'appliquaient qu'aux projets de loi et pas aux amendements du Gouvernement, de sorte qu'est inopérant le grief selon lequel des modifications substantielles apportées à un projet de loi par voie d'amendement entraîneraient une méconnaissance de ces obligations.
D'autre part, il s'agirait de permettre à la Conférence des présidents de chaque assemblée de constater que les obligations relatives aux études d'impact ne sont pas remplies (proposition n° 18) et pas seulement à celle de la première assemblée saisie du projet de loi. L'étude d'impact a effectivement vocation à éclairer les deux assemblées dans leurs travaux législatifs, au cours de la navette parlementaire. Votre rapporteur ajoute que la question de la mise à jour de l'étude d'impact, en fonction des ajouts et modifications au projet de loi en première lecture, peut également être étudiée 16 ( * ) .
Ces différentes propositions pourront être utilement examinées à la faveur des débats préalables à une prochaine révision constitutionnelle.
*
* *
Votre commission des lois a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée .
EXAMEN EN COMMISSION
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M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Nous allons aborder successivement l'examen de deux propositions de loi, qui sont le fruit du travail très approfondi de notre collègue Franck Montaugé, l'une sur les études d'impact des projets de loi et la seconde sur l'évaluation des politiques publiques et du bien-être.
Notre collègue est très attaché à ce que les études d'impact portent non pas seulement sur des indicateurs quantitatifs, mais aussi sur des indicateurs qualitatifs, en matière de niveau de vie, de bien-être des populations ainsi que de soutenabilité de la croissance et de développement durable. L'essentiel de cette proposition de loi réside dans la formulation d'une proposition visant à ce que les études d'impact soient rédigées avec une certaine indépendance à l'égard du Gouvernement. Permettez-moi de citer certains collègues et anciens collègues, qui ont exprimé dès la réforme de 2008 des doutes quant au fait que l'étude d'impact soit rédigée par l'instance qui rédige le projet de loi.
Ainsi, M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois, affirmait : « Cette disposition implique que, lors du dépôt, le texte soit accompagné d'une analyse approfondie de ses effets attendus - analyse qui ne saurait se réduire aux études d'impact, souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis, par le passé, selon un usage plutôt aléatoire. »
Notre ancien collègue Bernard Frimat prenait un exemple simple : une étude d'impact sur un projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) dirait qu'il faut développer le recours aux OGM si le Gouvernement y est favorable ou le contraire s'il y est défavorable. Cette étude d'impact donne donc une position politique.
Or on peut penser que l'impact de la loi est justement l'objet du débat parlementaire : si vous pensez que la loi aura un bon impact, vous voterez en sa faveur ; si vous pensez le contraire, vous vous y opposerez.
Notre collègue Philippe Bonnecarrère, alors rapporteur d'une mission commune d'information sur la démocratie - vaste sujet ! - avait reçu Mme Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, qui avait déclaré l'année dernière : « Dans une précédente étude, nous avions recommandé de réaliser des études d'impact préalables, ce qui a conduit à la réforme constitutionnelle de 2008. » M. Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil d'État, nous avait confié auparavant : « La clef pour mieux légiférer, ce sont les études d'impact. » Mais pour Mme de Saint-Pulgent, « les résultats sont toutefois peu satisfaisants : ils ne correspondent pas, en tout état de cause, à ceux que nous attendions. La première difficulté tient au moment auquel on procède aux études d'impact : livrées très tardivement au Conseil d'État, elles ne servent la plupart du temps qu'à justifier la réforme déjà décidée. La deuxième difficulté vient de l'absence de contrôle externe sur la qualité de l'étude d'impact, faite par l'administration qui prépare la norme. Troisième motif d'inquiétude : l'absence de confrontation systématique aux destinataires de la norme, à l'exception notable des collectivités territoriales, grâce au conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ».
Enfin, notre ancien collègue Hugues Portelli dressait ce constat : « On peut conclure de ce bilan d'étape après sept ans d'application de ce dispositif d'évaluation que ses effets sont loin d'être concluants. D'une part, il n'a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation, celle-ci étant due principalement au jeu des alternances et au développement des lois de simple réaction aux événements et aux mouvements d'opinion sans se préoccuper de l'état du droit en vigueur. D'autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d'impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l'état ce dispositif. » Vous le voyez, nombreuses sont les déclarations négatives.
La réforme constitutionnelle de 2008 a prévu d'assortir chaque projet de loi d'une étude d'impact et permis à la Conférence des présidents de la première assemblée saisie, lorsqu'elle n'est pas satisfaite de cette étude, de s'opposer à l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour, le Conseil constitutionnel étant appelé à trancher un éventuel désaccord avec le Gouvernement. Cette procédure n'a été mise en oeuvre qu'une seule fois, pour la loi visant à créer les grandes régions. L'étude d'impact était en effet quelque peu succincte, pour le dire de manière bienveillante... Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré qu'« au regard du contenu de l'étude d'impact, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 [devait] être écarté. » Il n'a pris aucune décision constatant qu'une étude d'impact était insuffisante.
Dans ce contexte, je proposerai un amendement visant à intégrer dans les études d'impact un document d'évaluation élaboré par une personne publique indépendante distincte du Gouvernement. Dans le cadre d'un projet de loi sur la santé, pourquoi ne pas demander l'avis de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), par exemple ?
Certains d'entre vous ont été ministres, vous savez comment cela se passe : le Gouvernement prépare son projet de loi, le ministre demande alors aux services de son administration de produire trente ou quarante pages d'étude d'impact.
M. Philippe Bas , président . - Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Par ailleurs, je vous proposerai de retenir, avec l'accord du président Larcher, trois dispositions issues des quarante propositions formulées par le groupe de travail sur la révision constitutionnelle, dont François Pillet était le rapporteur. Il s'agira pour le Sénat de prendre position sur trois propositions positives et consensuelles.
En outre, je vous proposerai d'adopter un amendement de Mme Lamure pour souligner la place des collectivités locales et des entreprises dans l'étude d'impact.
Enfin, je suggérerai de reprendre par amendement une proposition de loi organique que nous avions déposée avec Mme Jacqueline Gourault, pour inclure les avis du CNEN concernant les collectivités locales et leurs établissements publics, lequel donne en amont l'avis des élus locaux sur tout texte législatif ou réglementaire ayant un impact sur les collectivités locales.
M. Pierre-Yves Collombat . - Avec quels résultats ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cette proposition n'a jamais été examinée par l'Assemblée nationale.
Voilà ce que pourrait être la position de la commission, qui modifie quelque peu la proposition de loi organique de Franck Montaugé, tout en conservant sa disposition centrale et essentielle.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article additionnel avant l'article 1 er
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-12 vise à rendre plus explicite le huitième alinéa de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, afin de préciser que l'étude d'impact doit spécifiquement porter sur deux éléments importants : les collectivités territoriales et les entreprises. Avis favorable.
L'amendement COM-12 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-6 supprime l'article 1 er qui porte sur les indicateurs de richesse. La réflexion de notre collègue Franck Montaugé est très subtile et pourra être utilement reprise, mais le contenu de l'article 1 er relève davantage de textes d'application.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Nous nous abstenons.
L'amendement COM-6 est adopté.
Articles additionnels après l'article 1 er
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-7 reprend la proposition n° 15 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, sur le rapport de notre collègue François Pillet. Il prévoit que figure explicitement dans l'étude d'impact l'évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre par l'État et les administrations publiques des dispositions envisagées, en termes de crédits et d'emplois, ainsi que de la mise à niveau des systèmes d'information et des délais nécessaires à cette mise en oeuvre.
M. Philippe Bas , président . - C'est un amendement de MM. Sueur et Pillet ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - C'est la reprise d'une proposition de M. Pillet, mais aussi de M. Larcher...
L'amendement COM-7 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-8 reprend également la proposition n° 15 du groupe de travail. L'étude d'impact doit préciser « l'apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d'une nouvelle norme, les normes dont l'abrogation est proposée ».
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-13 part d'une démarche intéressante et vertueuse pour améliorer la méthode d'évaluation de la loi, au regard des objectifs initiaux. Toutefois, le sujet s'éloigne des études d'impact stricto sensu et du cadre des règles de présentation des projets de loi, car il prévoit des obligations pour l'avenir, afin de permettre l'évaluation de la loi a posteriori .
L'amendement COM-13 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-9 prévoit que les évaluations prévues dans l'étude d'impact par la loi organique sont également réalisées par des organismes publics indépendants. Aux termes de la Constitution, il appartient au Gouvernement de produire l'étude d'impact. Il pourrait aussi produire une étude complémentaire réalisée par un organisme indépendant, qui serait incluse dans les documents rendant compte de l'étude d'impact. Un décret en Conseil d'État pourrait fixer la liste des organismes indépendants, comme des universités, des laboratoires de recherche, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)...
M. Philippe Bas , président . - Pourquoi ces organismes indépendants devraient-ils être publics ?
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cela peut se discuter. Nous sommes sûrs que les organismes précités sont indépendants, nous le sommes moins pour une entreprise.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ils n'ont pas les mêmes intérêts à défendre.
M. Philippe Bas , président . - Envers qui se mesure l'indépendance ? La plupart des organismes publics sont dépendants du Gouvernement - leurs moyens d'action sont incorporés au budget de l'État. Un organisme privé peut dépendre d'intérêts privés, dont la nature n'est pas forcément inférieure aux intérêts publics du Gouvernement face au Parlement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Conservons le terme « publics » pour nous épargner le débat - légitime - que nous avons déjà eu sur les agences de notation. Un organisme censé être expert parce qu'il n'est pas public peut néanmoins être suspect. Il faut le payer... Il faut donc absolument garder le terme « publics ».
M. Alain Marc . - Le caractère public n'est pas un gage d'indépendance !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Non, mais c'est mieux.
M. Alain Marc . - Je n'en suis pas si sûr. Certains organismes indépendants publics voulant se protéger eux-mêmes produisent des études d'impact qui leur sont favorables. Cela s'est déjà vu.
M. Éric Kerrouche . - Sans défendre la confrérie des chercheurs, dans la plupart des organismes publics, les chercheurs, fonctionnaires, font leur travail objectivement. C'est une manière de faire confiance à notre recherche publique qui est de bonne qualité.
M. Pierre-Yves Collombat . - L'indépendance est une notion morale difficile à apprécier.
Mme Esther Benbassa . - Surtout en politique !
M. Pierre-Yves Collombat . - Entre deux inconvénients, un organisme public a davantage de garanties : plus de gens peuvent intervenir. C'est la moins mauvaise solution, même si certains détails de travaux de l'INSEE laissent à désirer : ils intègrent dans le calcul du PIB le trafic de drogue !
M. Éric Kerrouche . - Cela n'a rien à voir !
M. Pierre-Yves Collombat . - C'est pourquoi la proposition de loi organique est intéressante.
M. Philippe Bas , président . - Je propose un sous-amendement retirant le terme « publics » de l'amendement COM-9.
Le sous-amendement COM-15 est adopté.
L'amendement COM-9 , ainsi modifié, est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je me félicite de l'adoption de cette disposition : l'étude d'impact intégrera l'analyse d'un organisme indépendant, distinct du Gouvernement. Un décret en Conseil d'État précisera les modalités d'application.
M. Philippe Bas , président . - Dans mon esprit, cet organisme indépendant a de toute façon de fortes chances d'être public...
M. Pierre-Yves Collombat . - Quel intérêt y a-t-il alors à modifier la loi ? Le Gouvernement pourrait être capable de réaliser des études d'impact objectives !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Il est important d'avoir un organisme indépendant.
La disposition reprise par l'amendement COM-10 a été rédigée avec Mme Jacqueline Gourault.
M. Pierre-Yves Collombat . - C'était la belle époque !
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Lors des états généraux de la démocratie territoriale, Jacqueline Gourault et moi avions été chargés de rédiger des propositions de loi pour concrétiser le débat. Toutes ont été adoptées, sauf une qui est restée en instance. Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) examine en amont tous les textes concernant les collectivités territoriales, comme je l'ai dit précédemment. En cas d'avis défavorable, le Gouvernement doit en principe revoir sa copie. Les parlementaires devraient obligatoirement avoir communication de l'avis d'une instance qui est l'émanation directe des collectivités territoriales. La proposition de loi organique a été adoptée à l'unanimité par le Sénat, sur le rapport de M. Alain Richard.
M. Philippe Bas , président . - L'amendement COM-12 de Mme Lamure, que nous avons adopté, prévoit que les études d'impact prennent en compte les coûts induits pour les collectivités et les entreprises. Il serait cohérent d'adopter l'amendement COM-10.
L'amendement COM-10 est adopté.
Articles additionnels après l'article 2
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-2 prévoit de joindre à l'étude d'impact l'avant-projet de loi, soumis au Conseil d'État, et l'avis du Conseil d'État lui-même. La publication de l'avis du Conseil d'État est prévue dans les propositions de notre groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Joindre à l'étude d'impact l'avant-projet de loi présenté au Conseil d'État serait un mélange des genres.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-3 reprend la moitié de l'amendement COM-2. Avis défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-11 vise à allonger de dix à trente jours le délai dans lequel la Conférence des présidents de la première assemblée saisie d'un projet de loi peut constater que les obligations relatives aux études d'impact ne sont pas remplies. Il reprend la partie de la proposition n° 18 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle qui ne nécessite pas de réviser la Constitution.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-5 tend à soumettre le Gouvernement et la commission saisie au fond au délai limite de dépôt des amendements. Il vise à remettre en cause un principe cardinal de la procédure législative : le Gouvernement ou la commission saisie au fond doivent pouvoir déposer des amendements jusqu'au dernier moment. Certes, il faudrait éviter que le Gouvernement ne dépose une demi-heure avant le débat des dispositions importantes.
De plus, cet amendement est irrecevable : il traite des conditions d'exercice du droit d'amendement sur le fondement de l'article 44 de la Constitution, alors que la proposition de loi organique ne traite que des études d'impact sur le fondement de l'article 39 de la Constitution.
L'amendement COM-5 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-4 , excessif, prévoit que le Gouvernement présente une étude d'impact à chaque fois qu'il dépose un amendement. Ce serait paralysant.
M. Philippe Bas , président . - Cette piste, ouverte par notre collègue Jean-Pierre Grand, mérite d'être étudiée. Les abus de procédure du Gouvernement - déposer un amendement de 15 pages ajoutant 15 articles de loi ! - doivent être encadrés et restreints.
M. François Pillet . - Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle a envisagé cette hypothèse et propose des mesures correctives. Il répond à cette inquiétude, tout en restant mesuré, par une limitation aux amendements présentant des mesures nouvelles.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Cet amendement est au demeurant également irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-4 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Intitulé de la proposition de loi organique
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-1 de cohérence n'aurait eu de sens que si les précédents amendements de M. Grand avaient été adoptés. Avis défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Philippe Bonnecarrère . - Ces dispositions sont à la charnière entre la manière de faire la loi et les débats au sein de la société française entre démocratie représentative et démocratie participative. Cette proposition de loi organique répond à une bonne intuition, mais soyons prudents sur les solutions. Comme vous l'avez relevé, elle recoupe les propositions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Est-ce rendre service aux projets de révision constitutionnelle, voulus par le Président de la République et le Sénat, que d'adopter une proposition de loi organique ? La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne pose pas de problème, puisqu'il considérait que l'étude d'impact n'était pas insuffisante...
Cette proposition de loi organique comporte un volet participatif avec une évolution majeure : le Conseil économique, social et environnemental (CESE) deviendrait une « chambre du futur » avec pleine compétence sur les procédures de consultation, d'analyse et d'évaluation. Il serait important et indispensable que le Sénat se positionne par rapport à l'organisation des consultations, lors de la phase amont. Ne laissons pas au CESE le monopole de ce travail, nous serions marginalisés.
Une grande partie du débat est de niveau constitutionnel, une autre relève du règlement des assemblées. Pour améliorer les études d'impact et favoriser une meilleure participation du public, on pourrait leur intégrer les Civic tech, en particulier les consultations numériques. Le Sénat est assez en pointe sur ce sujet, mais rien n'oblige à les intégrer dans les études d'impact. Nous pourrions réactiver le droit de pétition devant nos assemblées via le filtre des commissions, tombé en désuétude, pour davantage de participation du public.
M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je vous remercie de vos propos. Vos dernières remarques figurent en quelque sorte dans l'article 1 er : elles relèvent de mesures d'application. Nous devons demander dans la loi organique ce recours à des analyses d'organismes indépendants, sinon le Gouvernement n'y serait pas contraint.
M. François Pillet . - M. Bonnecarrère a opportunément souligné les efforts du Sénat pour permettre la participation de tous à l'établissement de la loi. De nombreux sénateurs utilisent les consultations ou les espaces participatifs, qui sont très novateurs et à l'écoute de ce qui se dit hors de notre enceinte. La procédure de pétition, peu utilisée aujourd'hui, qui bénéficie d'un filtre, est un exemple de quasi-démocratie directe.
M. Philippe Bas , président . - Les amendements du rapporteur ou adoptés sur son avis favorable modifient assez substantiellement la proposition de loi organique tout en renvoyant certains sujets à un débat ultérieur et en incorporant au texte les résultats du groupe de travail sur la révision constitutionnelle. Le président du Sénat a été informé de notre travail, et n'y a émis aucune objection : il est sans doute intéressant que le Sénat marque sa volonté par un vote, consensuel, sur les études d'impact, même si le président du Sénat a rappelé que les propositions du groupe de travail n'engageaient pas les groupes politiques, mais qu'elles visaient à favoriser des convergences. Cette proposition de loi organique est un jalon dans le processus qui donnera davantage de force au projet de révision constitutionnelle.
La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission .
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article additionnel avant l'article 1 er |
|||
Mme LAMURE |
12 |
Mention spécifique dans les études d'impact des coûts induits pour les collectivités territoriales et les entreprises |
Adopté |
Article 1
er
|
|||
M. SUEUR, rapporteur |
6 |
Suppression |
Adopté |
Articles additionnels après l'article 1 er |
|||
M. SUEUR, rapporteur |
7 |
Inclusion dans les études d'impact d'une évaluation des moyens nécessaires pour la mise en oeuvre de la loi par l'État et les administrations publiques |
Adopté |
M. SUEUR, rapporteur |
8 |
Mention dans les études d'impact de l'apport de la loi en matière de simplification |
Adopté |
Mme LAMURE |
13 |
Mention dans les études d'impact des critères d'évaluation de la loi |
Rejeté |
Article 2
|
|||
M. SUEUR, rapporteur |
9 |
Inclusion dans les études d'impact d'évaluations complémentaires réalisées par des organismes indépendants |
Adopté |
M. BAS |
15 |
Précision |
Adopté |
M. SUEUR, rapporteur |
10 |
Inclusion dans les études d'impact des avis du conseil national d'évaluation des normes |
Adopté |
Articles additionnels après l'article 2 |
|||
M. GRAND |
2 |
Inclusion de l'avant-projet de loi et de l'avis du Conseil d'État dans les études d'impact |
Rejeté |
M. GRAND |
3 |
Inclusion de l'avis du Conseil d'État dans les études d'impact |
Rejeté |
M. SUEUR, rapporteur |
11 |
Allongement du délai permettant à la Conférence des présidents de constater l'insuffisance d'une étude d'impact |
Adopté |
M. GRAND |
5 |
Soumission du Gouvernement et de la commission au fond au délai limite pour le dépôt des amendements |
Irrecevable (48-3) |
M. GRAND |
4 |
Obligation pour le Gouvernement de réaliser des études d'impact sur ses amendements |
Irrecevable (48-3) |
Intitulé de la proposition de loi organique |
|||
M. GRAND |
1 |
Modification de l'intitulé de la proposition de loi organique pour étendre son objet |
Rejeté |
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
M. Franck Montaugé , auteur de la proposition de loi organique
Mme Élisabeth Lamure , présidente de la délégation aux entreprises
* 1 Il s'agissait du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
* 2 L'opposition du Sénat avait été plus vive à l'égard de la possibilité de transmettre une proposition de loi pour avis au Conseil d'État, puisqu'il l'avait supprimée en première lecture.
* 3 Rapport n° 387 (2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l07-387/l07-387.html
* 4 Rapport n° 196 (2008-2009) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l08-196/l08-196.html
* 5 Ces dispositions n'ont été modifiées qu'une fois, par la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental, pour préciser que l'étude d'impact doit mentionner, « s'il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ».
* 6 Décider en 2017 : le temps d'une démocratie « coopérative » , rapport d'information n° 556 (2016-2017) de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la mission commune d'information sur la démocratie. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/commission/missions/democratie/index.html
* 7 Ces documents sont consultables à l'adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Evaluation-prealable-des-projets-de-normes/Etudes-d-impact-des-lois/Methodologie
* 8 À ce jour, le dossier de consultation intitulé « DGITM-SAGS-EP3-02-2018 - Prestation d'appui et de rédaction des documents annexes au projet de loi d'orientations des mobilités » n'est plus en ligne sur le site www.marches-publics.gouv.fr, mais il est toujours mentionné sur un site privé d'information sur les marchés publics : https://centraledesmarches.com/marches-publics/Ministere-de-la-Transition-ecologique-et-solidaire-Ministere-de-la-Cohesion-des-Territoires-Prestation-d-appui-et-de-redaction-des-documents-annexes-au-projet-de-loi-d-orientations-des-mobilites/3361658
Le marché comporte également une tranche optionnelle de mise à jour des documents, notamment pour tenir compte des observations éventuelles du Conseil d'État.
* 9 Le dossier législatif de cette proposition de loi organique est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-776.html
* 10 Cette proposition de loi organique est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl16-722.html
* 11 Simplifier efficacement pour libérer les entreprises , rapport d'information n° 433 (2016-2017) de Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic, fait au nom de la délégation aux entreprises. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-433-notice.html
* 12 Le rapport du groupe de travail est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/presidence_senat/40_propositions_du_groupe_de_travail_du_Senat_sur_la_revision_constitutionnelle.pdf
* 13 Cinq ans pour sauver la justice , rapport d'information n° 495 (2016-2017) de M. Philippe Bas, président-rapporteur, Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-495-notice.html
* 14 Le dossier législatif de cette proposition de loi organique est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl12-828.html
* 15 Par exemple, si le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures comportait une étude d'impact, notamment sur l'habilitation visant à réformer par ordonnance le droit des contrats et des obligations, tel n'était pas le cas pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
* 16 La mission d'information sur le redressement de la justice avait ainsi recommandé, compte tenu de l'impact de certaines réformes de la législation civile et pénale sur les juridictions, d'actualiser les études d'impact des projets de loi discutés au Parlement qui ont un impact sur la justice et de réaliser des études d'impact des propositions de loi réformant les procédures et l'organisation judiciaire.