B. UNE MISE EN oeUVRE PROGRESSIVE DE L'EXPÉRIMENTATION À PARTIR DE 2015
La mise en oeuvre de l'expérimentation a été progressive et n'a commencé qu'à partir de 2015, à la suite de l'identification des collectivités retenues par les deux décrets susmentionnés. Le rapport du CNE d'avril 2017 indique que sept projets ont été mis en oeuvre en 2015, douze l'ont été en 2016 et 6 l'ont été en 2017. À la date de publication du rapport intermédiaire, soit un an avant le terme de l'expérimentation prévue par la loi du 15 avril 2013, la moitié des projets étaient mis en oeuvre 12 ( * ) .
Ce décalage s'explique par le temps nécessaire, d'une part, à l'Etat pour mettre en place le cadre général de l'expérimentation, et, d'autre part, à chaque collectivité pour définir les solutions les plus adaptées au contexte local et déployer effectivement les dispositifs de tarification ou d'aide. L'accès aux données nécessaires, l'identification des interlocuteurs et la mise en place de conventions entre parties prenantes ont également été à l'origine de délais importants.
Le CNE constate ainsi dans son rapport d'étape : « sans prolongement de l'expérimentation , légalement engagée pour une durée de cinq ans, les délais de mise en oeuvre des projets font que les collectivités ne disposeront d'au mieux que de trois ans de recul pour évaluer l'efficacité et l'efficience de leur dispositif, la plupart ne disposant que d'une ou deux années pour expérimenter leur dispositif ». Il recommandait en conclusion : « d'un point de vue strictement technique, il paraitrait souhaitable de prolonger l'expérimentation pour une durée de 3 ans afin que les dispositifs puissent se mettre en place pleinement et qu'un recul suffisant soit possible pour évaluer les dispositifs » 13 ( * ) .
C. DES PREMIERS RÉSULTATS PROMETTEURS, À CONSOLIDER AVANT D'ENVISAGER LA GÉNÉRALISATION DE CERTAINES SOLUTIONS
À partir du rapport d'étape du CNE d'avril 2017, et des informations recueillies par votre rapporteure lors de ses travaux préparatoires, plusieurs points saillants peuvent être relevés, qui témoignent de l'intérêt de cette démarche et de la diversité des solutions mises en oeuvre.
1. Les dispositifs mis en place par les collectivités
Sur la base de 26 collectivités, le rapport du CNE d'avril 2017 propose un recensement du recours aux différentes dérogations par les collectivités et groupements , parfois de manière cumulative :
- 18 ont recours au versement d'aides ;
- 10 ont recours à la modulation tarifaire , par une différenciation des tranches, une première tranche gratuite, une modulation de la part variable (baisse du prix par m 3 d'eau consommée) et/ou une modulation de la part fixe (généralement une exonération) ;
- 11 ont recours à l' utilisation accrue du fonds de solidarité pour le logement ;
- 3 ont recours à l' abondement du dispositif par leur budget général .
AXES D'INTERVENTION ENVISAGÉS PAR LES COLLECTIVITÉS
Source : rapport d'étape du CNE, avril 2017.
La modulation tarifaire ne semble avoir été qu'appliquée qu'en présence d'une part significative d' abonnés individuels , dotés de compteurs distincts. Dans les territoires caractérisés par une part importante de résidences secondaires , la gratuité de la première tranche et la progressivité des tarifs ont été généralement écartées, en privilégiant une exonération de la part fixe du service et/ou une action sur la part variable. C'est le cas de la commune de Saint-Paul-lès-Dax ou du Syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement du Marensin (SIEAM), ces deux territoires étant caractérisés par des afflux touristiques saisonniers.
En présence d' habitat collectif , regroupant généralement des usagers non abonnés 14 ( * ) , la solution souvent privilégiée est le versement d'aides , en particulier par un système de « chèque eau », afin de permettre aux foyers concernés de régler tout ou partie de leurs charges locatives liées à l'eau. Selon les collectivités, ce chèque est dématérialisé ou transmis en version papier, de manière automatique ou à la demande. Le renforcement du volet curatif , via des aides accrues au FSL ou au CCAS, a également été retenu par plusieurs collectivités pour traiter les spécificités de l'habitat collectif.
Comme le faisait remarquer le CGEDD dans son rapport de 2011 susmentionné, une politique sociale de l'eau potable plus équitable et responsabilisante nécessite à terme une généralisation du comptage individuel , par le déploiement de compteurs pour chaque logement. Obligatoire dans les nouvelles constructions, ce déploiement reste optionnel pour l'habitat existant en fonction des décisions prises par les propriétaires.
Afin de résorber progressivement ce problème, la Collectivité Eau du Bassin Rennais a mis en place en 2016 et 2017 un programme d'individualisation des compteurs sur son territoire. À Dunkerque, les élus locaux ont incité depuis de nombreuses années les bailleurs sociaux à individualiser la consommation d'eau, notamment via des discussions inter-bailleurs, permettant de disposer aujourd'hui d'un taux d'individualisation de l'ordre de 90 % dans l'habitat social.
Pour surmonter les difficultés d'accès direct aux ménages précaires dans l'habitat collectif, certaines collectivités ont mis en place des conventions avec les bailleurs, publics et privés, afin de diffuser l'information sur les aides mises en place.
S'agissant des dispositifs d'aides accordées par un système déclaratif , plusieurs collectivités signalent un taux de non-recours important pour la population ciblée, amplifié dans certains cas par des difficultés en amont de croisement des données pour identifier les bénéficiaires.
Plusieurs collectivités ou groupements ont mis en place des systèmes mixtes , combinant une tarification sociale avec des aides destinées aux foyers 15 ( * ) . L'intervention complémentaire du FSL ou du CCAS/CIAS permet pour certains participants de traiter les situations particulières ou critiques, par une approche curative et individualisée qui demeure nécessaire.
Enfin, certaines collectivités ont mis en place des mesures d'accès à l'eau pour les plus démunis , qui ne disposent pas nécessairement d'un raccordement direct. Des collectivités telles que Grenoble Alpes Métropole ou Bayonne ont ainsi réalisé un travail de cartographie et de création de points d'eau gratuits.
2. Le ciblage de la population bénéficiaire
L'identification de la population bénéficiaire des aides s'est majoritairement appuyée sur des critères de revenus : couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS), revenu de solidarité active (RSA), revenus du ménage. Les critères de composition du ménage ont également été pris en compte, principalement pour moduler les critères de revenu et apporter une réponse adaptée aux besoins des familles nombreuses.
Le rapport du CNE d'avril 2017 relève que plus de la moitié des collectivités utilisent différents critères de manière combinée . Les conditions d'éligibilité retenues par plusieurs d'entre elles s'appuient sur le seuil de 3 % des ressources consacrées au paiement des dépenses d'eau, fixé comme référence par l'OCDE pour identifier la « précarité hydrique ».
Plusieurs collectivités ont indiqué à votre rapporteure que la coopération entre les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale a été très variable d'un territoire à l'autre, et largement dépendante des responsables locaux. De fait, la source d'informations à caractère social la plus accessible a parfois déterminé le système mis en place , plutôt que l'inverse.
Dans la perspective d'une généralisation de ce dispositif, il semble indispensable d'harmoniser ces relations . Comme cela a été souligné lors des auditions, les collectivités n'ont besoin d'accéder qu'à une liste nominative des bénéficiaires de ces dispositifs sociaux, sans détails sur leur situation personnelle. Par ailleurs, le respect des règles relatives à la protection des données personnelles est garanti par la CNIL, qui doit être consultée préalablement à la transmission de ces données.
3. Le coût de l'expérimentation
S'agissant des coûts de gestion 16 ( * ) , le rapport d'étape du CNE d'avril 2017 souligne le manque de données consolidées pour en tirer des enseignements clairs .
Il relève à ce stade que les systèmes centrés sur le versement d'aides apparaissent en première analyse moins coûteux en gestion que les systèmes mixtes (versement d'aides et modulation tarifaire) : 6,35 € contre 6,57 € en moyenne. Mais le CNE note que le système le moins coûteux (0,71 €) et le système le plus coûteux (16,67 €) sont tous deux centrés sur le versement d'aides.
Outre la nécessité de disposer de données plus fiables et exhaustives, le CNE fait remarquer que ces coûts devront être mis en regard de l'efficacité des dispositifs : le versement d'aides peut être moins efficace qu'une modulation tarifaire si le taux de non-recours est élevé, ce qui est un risque important dans un système déclaratif.
S'agissant du financement du dispositif, les modulations tarifaires sont financées par la contribution des autres abonnés , domestiques ou professionnels. Quant aux aides apportées aux usagers pour le paiement des dépenses d'eau, la majorité des collectivités ou groupements financent l'expérimentation via le budget du service d'eau potable . Le rapport du CNE fait état d'un faible recours à la dérogation permettant de financer ces aides par le budget général de la collectivité.
Par ailleurs, l'impact du dispositif sur le nombre d'impayés doit encore être mesuré . Les collectivités rencontrées par votre rapporteure n'ont pas identifié d'effets notables, tout en soulignant ne pas avoir encore approfondi cette question. Néanmoins, les contacts établis par les services de l'eau avec les usagers précaires à l'occasion de l'expérimentation ont permis de développer la mensualisation , susceptible de réduire le risque d'impayés par rapport à une facture unique. En outre, plusieurs collectivités territoriales ont souligné que dans leurs territoires , les impayés n'émanent pas nécessairement des populations les plus fragiles sur le plan financier .
L'évolution de la consommation d'eau est un autre point à évaluer dans la suite de l'expérimentation . Votre rapporteure n'a pas été informée de dispositifs qui auraient conduit à une augmentation de la consommation pour les ménages bénéficiaires d'aides ou d'une tarification sociale. Dans le cas de Dunkerque, le mécanisme de tarification « éco-solidaire » a eu au contraire pour effet de réduire la consommation moyenne des ménages, en la faisant converger vers le plafond de la première tranche de consommation.
Par ailleurs, de nombreuses collectivités engagées dans l'expérimentation ont mis en oeuvre des mesures en faveur d'une consommation maîtrisée de l'eau : campagnes de sensibilisation, audit individuel des ménages, distribution de kits d'économie d'eau. Plusieurs représentants de collectivités ont fait remarquer que les ménages les plus précaires sont structurellement plus économes dans leur consommation que d'autres catégories socio-économiques.
* 12 Selon les éléments actualisés transmis à votre rapporteure, en mars 2018, toutes les collectivités le souhaitant ont pu commencer à mettre en oeuvre leur projet, tandis que 6 ont différé ou renoncé à leur participation.
* 13 Rapport d'étape sur la mise en oeuvre de l'expérimentation pour une tarification sociale de l'eau, Comité national de l'eau, avril 2017.
* 14 À titre d'exemple, sur le territoire couvert par le Syndicat des eaux d'Île-de-France, couvrant, 4,6 millions d'usagers, 72 % des foyers vivent en immeuble collectif et ne sont pas abonnés directement au service de l'eau.
* 15 Voir les fiches par collectivité annexées au rapport du CNE d'avril 2017.
* 16 Mesurés en euros par an par habitant.