EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LE CONTEXTE : LA CONCLUSION D'UN INSTRUMENT MULTILATÉRAL PERMETTANT L'INTÉGRATION RAPIDE DES RECOMMANDATIONS DU « PAQUET BEPS » DANS LES CONVENTIONS FISCALES BILATÉRALES
A. LA MISE EN oeUVRE DES RECOMMANDATIONS DU PROJET BEPS PERMETTANT DE LUTTER CONTRE LES STRATÉGIES D'ÉVITEMENT DE L'IMPÔT
1. Le projet BEPS : une démarche inédite lancée en 2013 dont les résultats ont été endossés par les pays du G20 en novembre 2015
Initié par les dirigeants du G20 au sommet de Saint-Pétersbourg en septembre 2013, le plan d'action BEPS 2 ( * ) répond à la prise de conscience collective des États des importantes pertes de recettes entraînées par les stratégies d'optimisation fiscale mises en place, dans un contexte de forte mise sous tension des finances publiques.
Le plan d'action vise à cet effet les deux aspects essentiels des phénomènes d'évitement de l'impôt : la diminution du bénéfice imposable, d'une part, et le transfert des bénéfices vers des territoires à faible fiscalité, d'autre part.
Conduites par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans un cadre inclusif réunissant plus d'une centaine de pays et de juridictions, les réflexions et négociations ont abouti à la publication des résultats finaux en octobre 2015 .
Ce « paquet » a ensuite été approuvé par les chefs d'État du G20 au sommet d'Antalya le 16 novembre 2015 .
L'objectif du projet BEPS est double :
- d'une part, remettre à niveau les normes du système fiscal international , en l'adaptant au paysage actuel de l'économie mondialisée ;
- d'autre part, agréger des pays émergents et en voie de développement au respect d'un système fiscal qui a été initialement élaboré sans qu'ils y aient participé.
Dans ce cadre, il importe de « s'attaquer aux racines du problème : [...] ce n'est pas la planification fiscale qui est en cause, mais l'inaction des pouvoirs publics et du législateur (y compris de l'OCDE) qui ont laissé le système fiscal international se détériorer » 3 ( * ) .
Si Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, compare le « paquet BEPS » à une remise à niveau des normes fiscales visant à « conserver et garantir le cadre international consensuel existant » 4 ( * ) , le cadre inclusif agrège toutefois des pays aux visées économiques distinctes , avec en particulier les pays industrialisés et les pays émergents, qui constituent désormais des pôles majeurs de croissance et de consommation.
Dans ce cadre, « dès le lancement du projet en 2013, le G20 a convenu que les travaux de l'OCDE ne porteraient pas sur la répartition des droits d'imposition entre États de la source et de la résidence , mais sur la révision des normes du système fiscal international qui gouvernent l'imposition des entreprises multinationales pour s'assurer que celles-ci déclarent fiscalement leurs bénéfices dans les juridictions où [...] la valeur est créée » 5 ( * ) .
Cependant, l'analyse de la création de la valeur peut faire l'objet d'interprétations divergentes , selon que l'accent est placé sur la part immatérielle - savoir-faire et marque par exemple -, sur la conception ou sur l'acte d'achat.
Ces difficultés expliquent en partie la stratégie suivie par les États-Unis à l'égard du projet BEPS.
De même, les divergences des États sur la question de la taxation du numérique expliquent que le « paquet BEPS » ne contient aucune proposition concrète en la matière. L'action 1 prévoit seulement la remise d'un rapport sur le sujet, présenté le 16 mars dernier, qui se contente de présenter les différentes pistes possibles et prend acte de l'absence de consensus au niveau international.
2. Le paquet final comprend quinze actions, dont les recommandations doivent être appliquées par les États avec la modification de leur réseau de conventions fiscales bilatérales
Le projet BEPS comprend quinze actions qui s'articulent autour de trois piliers , retracés par Pascal Saint-Amans et Éric Robert : « améliorer la cohérence des règles fiscales entre les pays (...), renforcer les exigences relatives à la substance des activités (...) et garantir plus de transparence et de sécurité juridique. » 6 ( * )
Les quinze actions du projet BEPS Les quinze actions du projet BEPS se déclinent de la façon suivante : - action 1 : relever les défis fiscaux posés par l'économie numérique ; - action 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ; - action 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées ; - action 4 : limiter l'érosion de la base d'imposition faisant intervenir les déductions d'intérêts et autres frais financiers ; - action 5 : lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ; - action 6 : empêcher l'octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu'il est inapproprié d'accorder ces avantages ; - action 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable ; - action 8 à 10 : aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur ; - action 11 : mesurer et suivre les données relatives au BEPS ; - action 12 : règles de communication obligatoire d'information ; - action 13 : documentation des prix de transfert et déclarations pays par pays ; - action 14 : accroître l'efficacité des mécanismes de règlement des différends ; - action 15 : élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales. NB : Les actions en gras correspondent aux actions visées par la convention multilatérale. Source : commission des finances du Sénat, à partir des rapports finaux de l'OCDE. |
Cet ensemble de bonnes pratiques et de recommandations doit être transposé dans les législations nationales et les accords fiscaux internationaux : après la phase de réflexion et de négociation, s'est ouverte la phase de mise en oeuvre, avant le réexamen prévu en 2020 .
Le « paquet BEPS » endossé par les chefs d'État du G20 relève essentiellement du droit mou (« soft law »).
Son contenu revêt trois formes différentes :
- des recommandations consacrées au droit interne , prenant la forme de bonnes pratiques ou de modèles de législation ;
- des modifications apportées aux principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert ;
- des mesures modifiant le modèle de convention de l'OCDE , destinées à être incluses dans les conventions fiscales bilatérales.
En matière de prix de transfert, des progrès ont été enregistrés avec la signature à Paris le 27 janvier 2016 de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays (action 13), dont l'approbation par la France a été autorisée par la loi n° 2017-117 du 1 er février 2017 autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays 7 ( * ) .
Parallèlement, l'Union européenne a joué un rôle moteur dans la transcription des recommandations de BEPS . Par l'intermédiaire de la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur 8 ( * ) - dite « anti-tax avoidance directive » ( ATAD ) -, elle a rapidement procédé à leur intégration dans le droit de l'Union européenne.
Ses dispositions concernent en particulier les dispositifs hybrides (action 2), les sociétés étrangères contrôlées (action 3) et la limitation de la déductibilité des charges financières (action 4). Leur transposition en droit national, fixée d'ici la fin de l'année 2018, devra conduire la France à adapter son cadre juridique national 9 ( * ) .
S'agissant des mesures destinées à être intégrées dans les conventions fiscales bilatérales, la mise en oeuvre de BEPS rencontrait une difficulté majeure . En effet, comme l'a précisé Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat le 28 juin 2017, « les pays auraient dû renégocier une à une toutes leurs conventions fiscales bilatérales. Or la France est par exemple liée à ses partenaires par environ 120 conventions fiscales, et on dénombre au total plus de 3 500 conventions fiscales bilatérales dans le monde. [...] Un pays ne pouvant guère modifier plus de six à sept conventions par an , même en y consacrant de nombreux moyens, la France mettrait de vingt à trente ans à modifier l'ensemble de ses conventions » 10 ( * ) .
Ce risque d'inertie menaçait ainsi la mise en oeuvre et la portée effectives des recommandations du « paquet BEPS ».
C'est pourquoi l'action 15 prévoit d'examiner la faisabilité juridique d'un instrument multilatéral « permettant aux juridictions qui le souhaitent de mettre en oeuvre les mesures mises au point dans le cadre des travaux relatifs au projet BEPS et de modifier les conventions fiscales bilatérales » 11 ( * ) .
* 2 « Base erosion and profit shifting » ou « érosion de la base imposable et transfert des bénéfices ».
* 3 « Le projet BEPS et la longue marche en direction d'une fiscalité globale pour l'économie du XXI e siècle », Pascal Saint-Amans et Éric Robert, Revue de droit fiscal n° 49, 3 décembre 2015.
* 4 Art. précité.
* 5 Art. précité.
* 6 « Le projet BEPS et la longue marche en direction d'une fiscalité globale pour l'économie du XXI e siècle », Pascal Saint-Amans et Éric Robert, Revue de droit fiscal n° 49, 3 décembre 2015.
* 7 Voir le rapport n° 307 (2016-2017) d'Eric Doligé, au nom de la commission des finances, 18 janvier 2017.
* 8 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
* 9 Cf le compte-rendu de l'audition organisée par la commission des finances du Sénat le 21 mars 2018 sur les adaptations de l'impôt sur les sociétés au nouveau contexte international et européen.
* 10 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.
* 11 Cf la note explicative portant sur la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, OCDE.