III. LA POSITION DU RAPPORTEUR : RATIFIER TOUT EN RESTANT ATTENTIF ET EN ATTENDANT DES ENGAGEMENTS DU GOUVERNEMENT
A. AUTORISER LA RATIFICATION DE L'INSTRUMENT MULTILATÉRAL PERMETTANT D'AMÉLIORER L'APPLICATION DU « PAQUET BEPS »
1. Le défi de la mise en oeuvre effective des dispositions du « paquet BEPS » au sein des conventions fiscales bilatérales
Les crises économiques, financières et budgétaires qui se sont succédées depuis 2008 ont favorisé la prise de conscience du coût des pratiques d'évasion et d'optimisation fiscales .
De surcroît, tandis que les prélèvements obligatoires sont fortement mobilisés pour faire face à la dégradation des finances publiques, le constat d'une faible contribution de quelques multinationales a accentué la pression pour une actualisation des règles fiscales internationales .
C'est dans ce contexte « d'alignement des astres » 41 ( * ) que les pays du G20 ont mandaté l'OCDE en vue de réfléchir à une réforme de la fiscalité internationale dans une double perspective de transparence, au sein du Forum mondial 42 ( * ) , et de lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt, par le projet BEPS.
Réunissant plus d'une centaine de juridictions, le cadre inclusif retenu agrège l'essentiel de l'économie mondiale . Parallèlement, selon l'OCDE, le manque à gagner pour les recettes publiques des phénomènes d'évitement de l'impôt est estimé, selon des hypothèses qualifiées de prudentes, entre 100 milliards d'euros et 240 milliards d'euros par an, soit de 4 % à 10 % des recettes d'impôt sur les sociétés dans le monde.
Le « paquet BEPS » endossé par les pays du G20 en novembre 2015 procède toutefois d' un ensemble de bonnes pratiques et de recommandations, qui doivent être transcrites en droit . Sa mise en oeuvre effective conditionne la réussite du projet 43 ( * ) , avant le réexamen à mi-parcours prévu en 2020.
L'intégration des dispositions relatives au réseau conventionnel liant les juridictions entre elles soulevait une difficulté majeure à deux égards .
D'abord, comme déjà indiqué supra , le projet BEPS aurait connu une mise en oeuvre difficile en raison du temps nécessaire pour procéder à la renégociation de chaque convention fiscale bilatérale. Ainsi que le rappelle Pascal Saint-Amans concernant le temps qui aurait été nécessaire pour adapter chaque convention fiscale, « i l est clair que, durant cet intervalle, toutes les lacunes que nous avons identifiées dans les conventions fiscales seraient utilisées à des fins de planification fiscale agressive » 44 ( * ) .
Ensuite, il existait un risque d'application en raison du manque d'homogénéité des dispositions de BEPS retenues au gré de chaque négociation bilatérale.
Ces deux facteurs auraient de facto obéré la portée effective du plan d'action BEPS.
2. L'instrument multilatéral permet d'accélérer la mise en oeuvre du « paquet BEPS » tout en préservant le caractère bilatéral des relations fiscales
C'est pourquoi l'instrument multilatéral dont le présent projet de loi propose d'autoriser la ratification constitue une avancée inédite et majeure. En agrégeant déjà 78 États et juridictions, il accélère considérablement le rythme de la réforme du droit fiscal international.
Son cadre inclusif permet également aux pays en voie développement de bénéficier des recommandations de BEPS, conformément aux objectifs que les États du G20 et du Conseil de l'OCDE s'étaient assignés.
Surtout, tout en faisant sauter « l'effet de verrou » du réseau conventionnel existant souligné par la doctrine fiscale 45 ( * ) , il préserve la souveraineté fiscale des États en restant inscrit dans le cadre bilatéral des conventions fiscales.
Quoique multilatérale, la convention constitue un ensemble de dispositions ayant vocation à modifier, point par point, les conventions fiscales bilatérales liant deux parties ayant notifié à l'OCDE leur souhait de procéder à cette modification et en laissant une grande flexibilité aux États.
De fait, « la nature bilatérale des conventions est préservée , même si l'instrument est bien multilatéral car signé par un ensemble d'États, de manière concomitante par certains à l'origine puis rejoints par d'autres : les États choisissent les dispositions qu'ils souhaitent voir appliquer dans leurs relations bilatérales et l'expriment ensemble, dans la même unité de temps et de manière coordonnée » 46 ( * ) .
L'effet potentiel pour la France est d'autant plus important qu'elle dispose du deuxième réseau conventionnel le plus vaste derrière celui du Royaume-Uni 47 ( * ) . Or, comme le précise Pascal Saint-Amans, « plus le réseau de conventions d'un pays est large, plus celui-ci est exposé au risque que ses conventions fassent l'objet de treaty shopping 48 ( * ) » 49 ( * ) .
L'adhésion à l'instrument multilatéral reflète aussi et avant tout la stratégie fiscale poursuivie par un État. C'est ce qui explique l'absence de certains pays majeurs de la liste des signataires, au premier rang desquels les États-Unis ou le Brésil . C'est également ce qui motive le choix des réserves formulées et des options activées par les différents États parties à la convention multilatérale.
* 41 Selon les propos de Pascal Saint-Amans, à l'occasion de l'audition par la commission des finances du Sénat le 28 juin 2017.
* 42 Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales est la continuation d'un forum qui a été créé au début des années 2000 dans le cadre des travaux de l'OCDE pour aborder les risques de conformité fiscale posés par les paradis fiscaux.
* 43 « Mise en oeuvre du projet BEPS : le moment de vérité approche », Grégory Abate, Revue de droit fiscal n° 5, Février 2016.
* 44 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.
* 45 Voir à ce sujet les travaux de Richard Vann dès 1991, in « A model tax treaty for the Asia-Pacific region ? », Bulletin for international fiscal documentation n° 45, mars 1991.
* 46 « L'instrument multilatéral vient bouleverser les relations fiscales entre États : consacre-t-il l'apparition d'un nouvel outil juridique international efficace ? », Éric Lesprit, Marie-Charlotte Mathieu et Julie Mussard, Revue européenne et internationale de droit fiscal, décembre 2017.
* 47 Voir l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, page 8.
* 48 Le « treaty shopping » désigne les pratiques de chalandage fiscal, à savoir la pratique consistant à rechercher les conventions fiscales internationales offrant les meilleures possibilités de réduire la charge globale d'impôt.
* 49 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.