II. AUDITION DE M. BERNARD ROMAN
Réunie le mardi 22 mai 2018, la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
M. Hervé Maurey , président . - Nous vous recevons à la veille de l'examen par notre commission du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, sur lequel nous aurons un débat approfondi, puisque 162 amendements ont été déposés, émanant de tous les groupes politiques.
L'Assemblée nationale a précisé que les modifications qui seront apportées par l'ordonnance s'agissant de la fixation des redevances d'infrastructure ne pourront pas remettre en cause le caractère conforme de l'avis de l'Arafer. Nous nous en réjouissons car nous sommes très attachés au rôle de l'Arafer. Ses prérogatives doivent être confortées.
Même si vous êtes tenu par un certain devoir de réserve, nous aimerions connaître le regard que vous portez sur ce texte qui est loin d'être abouti puisque il s'agissait initialement d'une loi d'habilitation qui s'est progressivement transformée en une loi quasi-ordinaire. Comme vous le savez, c'est au Sénat que la partie sociale va s'écrire. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur ce texte : en quoi pourrions-nous l'améliorer ? Quels enseignements tirer des exemples étrangers ? Quelles seront les conséquences pour l'Arafer de l'ouverture à la concurrence ?
M. Bernard Roman, président de Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer). - Le pacte ferroviaire est enfin soumis à la sagacité du Sénat. Initialement le Gouvernement avait choisi de légiférer par ordonnances. La loi d'habilitation a été enrichie à l'Assemblée nationale et le sera encore davantage au Sénat. Vous venez d'évoquer la question sociale : l'Arafer n'a pas de compétence en cette matière. Je ne m'exprimerai donc pas sur les questions statutaires, même si je vous dirai un mot de la question du transfert des personnels. De nombreux sujets méritent d'être réglés directement dans la loi. Ayant été parlementaire pendant longtemps, je sais qu'il est exceptionnel que le Parlement puisse, dans le cadre très particulier d'une loi d'habilitation, faire un travail législatif normal en inscrivant dans le marbre de la loi un certain nombre de dispositions.
L'Arafer est une autorité publique indépendante qui a été créée en 2009 sous le nom d'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) pour accompagner l'ouverture à la concurrence du marché de transport ferroviaire. Ses missions ont été étendues en 2015 et en 2016 au transport routier et autoroutier.
La première question posée est celle de la structuration du groupe ferroviaire. L'article 1 er du projet de loi acte la transformation, à compter du 1 er janvier 2020, du groupe public ferroviaire en un « groupe public unifié » avec une société nationale à capitaux publics, la SNCF, détenant intégralement deux sociétés nationales : SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Ainsi une holding de tête regroupera le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur historique. Ce schéma verticalement intégré pose la question de l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure. Les directives européennes 2012/34/UE et 2016/2370 posent des exigences fortes en matière. Certes, le projet de loi, en modifiant l'article L. 2111-9 du code des transports pour confier à SNCF Réseau l'exercice « de missions transversales nécessaires au bon fonctionnement du système de transport ferroviaire national au bénéfice de l'ensemble des acteurs de ce système », répond en partie à ces critiques. La ministre a aussi indiqué devant vous la semaine dernière, lors de son audition, que le Gouvernement serait amené lors de l'examen du texte au Sénat à clarifier la répartition des missions transversales entre la holding de tête et SNCF Réseau. Mais des interrogations importantes demeurent sur le périmètre des missions de la holding SNCF. Quelle maîtrise pour SNCF Réseau de ses ressources humaines ? Quelle maîtrise de ses systèmes d'information ? Quelle maîtrise de ses fonctions juridiques ? Aujourd'hui ces fonctions sont centralisées, gérées de manière transversale par l'établissement public de tête. Que se passera-t-il demain, en cas de conflit juridique entre SNCF Réseau et un autre opérateur ferroviaire, si le dossier est suivi par le service juridique de la holding qui détient par ailleurs SNCF Mobilités, c'est-à-dire un concurrent de l'autre opérateur ? Il importe donc de renforcer les garanties d'indépendance de SNCF Réseau dans la loi. L'indépendance concerne aussi la gouvernance : l'article 2 octies prévoit une incompatibilité entre les fonctions d'administrateur de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités. Cependant, rien n'est inscrit au sujet des incompatibilités de fonctions entre le gestionnaire d'infrastructure et la holding de tête.
Au-delà de la gouvernance se pose une autre question importante, celle des relations entre les différentes sociétés de la holding. Des amendements concernaient ce point parmi les amendements déposés en vue de l'élaboration du texte en commission, mais ils ont disparu. SNCF Réseau, gestionnaire des gares, fera payer des péages à SNCF Mobilités, qui fera partie du même groupe. Il est essentiel de veiller à ce que la facturation entre des entités d'un même groupe soit la même que pour tous les autre opérateurs ferroviaires. Pour éviter les subventions croisées et les distorsions de concurrence, nous préconisons de nous inspirer de ce qui a cours dans le secteur de l'énergie : ces prestations doivent être doivent être facturées au prix régulé lorsqu'il s'agit de prestations régulées par le régulateur et au prix du marché lorsqu'il s'agit de prestations qui ne sont pas régulées. Si le texte reste muet sur ce point, les concurrents de la SNCF risquent de saisir l'Arafer dans le cadre d'une procédure en manquement, dénonçant des subventions croisées, invoquant le fait que SNCF Réseau fait payer à SNCF Mobilité ses prestations moins cher. Pire, l'Autorité de la concurrence pourrait aussi être saisie pour distorsion de concurrence. Il n'appartient pas à l'Arafer de se prononcer sur le choix d'organisation du groupe public ferroviaire mais notre mission est de nous assurer que toutes les garanties sont apportées à l'indépendance de SNCF Réseau. À cet égard, j'ai le sentiment que nous reproduisons la même erreur dans le ferroviaire que dans l'énergie, il y a quelques années. Les murailles de Chine que l'on construit pour garantir l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure conduisent à des lourdeurs et des complexités considérables, alors qu'il aurait été beaucoup plus simple et moins coûteux d'opérer une séparation claire entre l'entreprise ferroviaire et le gestionnaire d'infrastructure en deux entreprises distinctes, éventuellement à capitaux publics.
Le deuxième problème concerne l'indépendance des gares, sujet déjà abordé dans la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs de MM. Maurey et Nègre. Il n'était pas possible de laisser les gares dépendre de SNCF Mobilités. La proposition du Gouvernement de rattacher Gares & Connexions à SNCF Réseau est pertinente. Il reste toutefois deux questions à régler. Celle du personnel tout d'abord : 17 000 personnes travaillent dans les gares dont plus de 15 000 qui dépendent de SNCF Mobilités. Pour que Gares & Connexions puisse se développer, elle doit avoir la maîtrise de son personnel et de l'ensemble des 17 000 agents nécessaires au fonctionnement des gares. La deuxième question est celle du foncier qui est géré aujourd'hui par d'autres entités de la SNCF : là aussi, il serait pertinent de transférer le foncier, au moment où l'on donne l'autonomie à Gares & Connexions. L'Arafer recommande en outre que les régions, autorités organisatrices de transport (AOT), qui le souhaitent puissent se voir déléguer la gestion des gares mono-transporteur. Il est incompréhensible de devoir multiplier des échanges entre les AOT et Gares & Connexions pour régler le moindre petit problème dans des gares où ne passent que des trains express régionaux (TER) !
Le troisième point concerne le calendrier de l'ouverture à la concurrence. Pendant la période transitoire, entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023, le projet de loi autorise l'État à attribuer directement l'exploitation des services à SNCF Mobilités ou après mise en concurrence ; de même, les régions ou le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) pourront attribuer l'exploitation des services directement à SNCF Mobilités, fournir eux-mêmes ces services, les attribuer à une entité in house , ou encore les attribuer après mise en concurrence. Ainsi le texte ne prévoit pas la possibilité pour une autorité organisatrice, pendant la période transitoire, d'attribuer directement un contrat de service à une entreprise ferroviaire autre que SNCF Mobilités. C'est contraire au droit européen. Le règlement européen OSP (obligation de service public dans les transports de voyageurs) dispose en effet que l'attribution directe peut être consentie à toute entreprise ferroviaire, quelle qu'elle soit. Dès lors, nous proposons qu'à compter du 3 décembre 2019, les autorités compétentes puissent avoir le choix de procéder soit à une mise en concurrence, soit à une attribution directe. Dans tous les cas, le monopole de SNCF Mobilités doit être remis en cause dès le 3 décembre 2019. Cette interprétation nous a été confirmée par la commissaire européenne aux transports en 2015.
Autre sujet, les dérogations, qui permettent de ne pas attribuer par appel d'offres les transports ferroviaires régionaux. Le texte en compte six ; quatre d'entre elles ne posent aucune difficulté : celles qui concernent les situations d'urgence, les régies, l'hypothèse où l'exploitant est aussi gestionnaire d'infrastructure et les petits contrats. Très peu de situations de ce type n'existent en France et dans ces cas-là, il n'est pas utile de procéder à un appel d'ouverture à la concurrence. En revanche, deux dérogations doivent être traitées avec précaution. J'ai lu certains amendements qui font penser que le Sénat ira dans ce sens. Il s'agit de l'exception de performance et des circonstances exceptionnelles. L'exception de performance permet, dans certaines conditions, lorsqu'un opérateur sortant dit qu'il peut faire mieux et moins cher, de ne pas ouvrir un appel d'offres et de signer une nouvelle convention avec lui. La question est de savoir comment on apprécie ces conditions. Certains amendements proposent que l'Arafer soit saisie pour avis en amont. Il convient aussi de définir des indicateurs pour apprécier si les objectifs qui ont été annoncés sont effectivement atteints, et donc aussi des sanctions si les obligations ne sont pas respectées. L'autre dérogation problématique concerne les circonstances exceptionnelles. Cette dérogation est prévue par le règlement européen OSP. La loi en reprend le texte, mais celui-ci ne donne pas de définition des circonstances exceptionnelles. Il appartiendra dès lors aux décideurs régionaux d'apprécier s'il y a bien une situation relevant des circonstances exceptionnelles. Ce flou entraine un risque de contentieux important.
Autre problème : l'accès à l'information et aux données. Nous partageons le même constat que MM. Hervé Maurey et Louis Nègre sur cette question essentielle. On ne peut rédiger un bon appel d'offres si l'on ne dispose pas de toutes les informations. Le texte prévoit que les entreprises ferroviaires titulaires d'un contrat de service public, les gestionnaires d'infrastructure et les exploitants d'installations de service transmettent à l'Autorité organisatrice des transports toute information relative à l'exécution du service et des missions « qui s'avère nécessaire pour mener les procédures d'attribution des contrats de service public ». Mais le terme « nécessaire » est juridiquement imprécis. Nous jugeons utile de supprimer ce terme pour que les entreprises sortantes ne puissent refuser de livrer des informations, au motif qu'elles ne seraient pas nécessaires. Nous voulons aussi inclure les données qui sont couvertes par le secret commercial ; celles-ci sont utiles pour configurer l'appel d'offres. Elles seraient évidemment protégées, comme le sont déjà les données à caractère confidentiel : l'Arafer manipule déjà quotidiennement des informations couvertes par le secret commercial et il n'y a jamais eu de fuite.
Sixième sujet : le nombre de salariés transférés. Tout le monde s'accorde maintenant pour dire que la proposition initiale, qui confiait au sortant le soin de fixer le nombre de salariés transférés, était mauvaise. Les propositions de votre rapporteur vont dans le bon sens. Il entend confier à l'Arafer le soin de valider, ou non, ce nombre. Il appartiendrait au régulateur, ou à l'AOT après avis conforme du régulateur, selon ce que vous déciderez, de le définir de manière définitive.
Enfin, dernier problème, la péréquation par les péages. Beaucoup a été dit sur les exemples étrangers et européens. Nous les avons étudiés et avons publié un livret consacré aux enseignements européens de l'ouverture du transport ferroviaire. Notre rapport est sans concession, indépendant, objectif, transparent. Nous ne comparons que ce qui est comparable. Beaucoup évoquent l'exemple anglais, mais les Anglais n'ont pas fait une ouverture à la concurrence, ils ont privatisé le secteur. Si on laisse de côté la Grande-Bretagne, nous constatons que partout le transport ferroviaire a augmenté de volume d'une manière considérable ; parfois le nombre d'usagers a doublé en dix ans ; partout l'opérateur historique a une activité plus importante qu'avant l'ouverture du marché ; partout le ferroviaire a gagné des parts de marché. La politique d'aménagement du territoire a fait l'objet de nombreuses questions à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement défend l'idée d'un maintien de TGV pour desservir les territoires par le biais d'une péréquation des péages. Pour le Gouvernement, la libre organisation, ou open access, est la modalité d'organisation privilégiée des relations nationales. Les relations conventionnées n'interviennent qu'en complément, s'il est constaté que les services librement organisés sont insuffisants. L'objectif de la réforme est donc de mettre en place une péréquation entre TGV via le niveau des péages, de sorte que les péages seront ajustés à la rentabilité de chaque liaison. Ce mécanisme doit permettre d'assurer que les services librement organisés répondent aux besoins d'aménagement des territoires et de desserte des villes moyennes. Néanmoins, si cela ne suffisait pas, les régions ou l'État disposeraient de la capacité de conventionner des services supplémentaires. La ministre a cité l'exemple des lignes Paris-Lyon Paris-Chambéry lors de son audition la semaine dernière devant votre commission. Elle a indiqué que cette modulation des péages était possible, en lien avec l'Arafer. Nous sommes tout à fait favorables à un travail en ce sens avec la ministre. Chacun doit tenir son rôle : l'État fixe ses priorités stratégiques et sa politique d'aménagement du territoire ; l'Arafer rend un avis conforme sur la tarification et vérifie notamment qu'elle respecte les règles européennes. La modulation des péages paraît tout à fait envisageable. Elle concerne les redevances perçues en plus de la redevance de circulation, qui est calculée sur la base du coût directement imputable, c'est-à-dire du coût marginal de circulation d'un train supplémentaire sur le réseau. Les péages s'élèvent à deux milliards d'euros (soit entre 30 et 40 % des recettes du TGV. Le coût directement imputable, vérifié par l'Arafer, représente 20 % de cette somme. Les 80 % restants sont ce qu'on appelle la modulation. La ministre disait devant vous qu'il était possible de jouer sur cette part. Le critère qui est fixé par l'Europe, c'est la soutenabilité : plus une ligne est rentable, plus les péages sont chers. Si le Gouvernement veut maintenir des lignes non rentables- qui ne sont pas aussi nombreuses qu'on le dit : quand on dressera le bilan pour 2017, on verra que plus de 20 ou 30 % des lignes TGV sont à l'équilibre -, il faut que les péages soient le moins cher possible. Il serait donc possible d'agir sur 80 % des redevances, soit 35 à 40 % des recettes d'une ligne de TGV, c'est tout à fait significatif.
Dans ce but, en liaison avec SNCF Réseau, nous menons des travaux pour définir finement les segments de marché en prenant en compte les liaisons origine-destination de même nature. Nous pourrons bientôt déterminer, à partir de modèles économétriques, le calcul de l'élasticité de la demande par rapport aux tarifs, le tarif optimal pour stimuler, en fonction des objectifs du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire, par rapport à la consistance du réseau ferroviaire, le maintien d'un certain nombre de dessertes ou l'arrivée d'entreprises nouvelles.
Ces travaux intéressent tout particulièrement le Gouvernement et laissent augurer une meilleure articulation entre les péages et les grands objectifs de la politique de mobilité et d'aménagement du territoire. Ce pourrait être le début d'un cercle vertueux qui permettrait de sortir de la logique strictement budgétaire et pour l'instant malthusienne qui a prévalu jusqu'à présent dans le monde ferroviaire.
Dernier point : même si c'est l'Assemblée nationale qui a fait en sorte qu'on ne remette pas en cause l'avis conforme du régulateur, le Sénat a pesé dès l'amont en ce sens. Je vous en remercie. En 2009, en 2014 et cette fois-ci, chaque gouvernement a proposé de remettre en cause l'avis conforme sur la tarification. Et chaque fois c'est le Parlement qui a rétabli cet avis conforme. Sans lui, nous ne serions pas en mesure de travailler sur une segmentation fine des tarifications des péages.
Pour la prochaine tarification du réseau pour 2019, nous allons travailler sur 15 catégories de péage pour les trains pour nous permettre d'arriver à cet objectif. La tarification 2018 comptait elle 135 catégories de péages : demander aux entreprises ferroviaires d'y voir clair - pour le fret comme pour les voyageurs - c'était impossible. L'avis conforme était donc essentiel. Restent les conditions dans lesquelles cet avis conforme doit être sollicité : des amendements ont été déposés visant à permettre au régulateur d'avoir le temps d'examiner ces propositions tarifaires de réseau.
Autre question essentielle : si l'Arafer ne valide pas une tarification, que se passe-t-il ? Il faut une tarification provisoire parce qu'il faut que les entreprises ferroviaires aient de la visibilité, mais si cette tarification provisoire est supérieure à la dernière tarification validée par l'Arafer, SNCF Réseau ne sera pas incité à faire une proposition plus performante. Nous souhaitons donc que cette tarification ne soit pas supérieure à la dernière tarification validée par l'Arafer.
L'Arafer a été créée par le Parlement et son indépendance consacrée. Une fois que les membres de son collège sont nommés, ils font leur travail avec des équipes extrêmement performantes, des experts qui sont à la disposition des assemblées. Moi-même, j'ai été de nombreuses fois auditionné. Tant la directive que la loi de 2014 indiquent bien que l'Arafer doit assurer ses missions au bénéfice des usagers, des clients, des entreprises ferroviaires.
Dans notre pays, on parcourt 1 000 milliards de kilomètres-passagers par an ; la part du train représente 10 %, un taux qui baisse chaque année depuis 2010. Réussir la réforme du ferroviaire est un énorme défi, pour faire en sorte que ce mode de transport attire de plus en plus et soit de plus en plus performant, sans que cela se fasse au détriment de l'entreprise historique.
M. Hervé Maurey , président . - Votre intervention était à la fois très intéressante et très utile. Elle apporte un éclairage précieux à la veille de l'examen de ce texte en commission. Elle pourra même susciter de nouveaux amendements de séance publique.
Vous avez dit que nous avions organisé peu d'auditions : peu d'auditions publiques, certes, mais le rapporteur en a organisé beaucoup, recevant tous les acteurs concernés et même au-delà.
Sur l'indépendance de l'Arafer, le Sénat est traditionnellement attaché à l'indépendance du régulateur. Il y a quelques années, nous avons sauvé l'indépendance de l'Arcep, quand le gouvernement de l'époque voulait nommer un commissaire du gouvernement pour mieux contrôler ses décisions.
Le Sénat est traditionnellement la chambre des libertés publiques et il le montre notamment lorsqu'il s'agit de sauvegarder l'indépendance du régulateur.
M. Gérard Cornu , rapporteur . - Je vous remercie de cet exposé sans langue de bois, très précis, qui contient des propositions intéressantes. En parcourant les amendements qui ont été déposés, vous avez bien compris que les propositions de l'Arafer ont été largement retenues ou comprises.
Je ne suis pas un rapporteur « glouton » : je ne prends pas tous les amendements pour moi, car il est important que le Sénat puisse s'exprimer dans ses différentes sensibilités. Aussi, je me suis concentré sur l'aménagement du territoire et les questions sociales. Il y a un besoin impérieux de sortir par le haut de cette épreuve. Et on part de loin puisque le Gouvernement voulant légiférer au départ par ordonnances, l'Assemblée n'avait pas eu le temps de traiter les problèmes sociaux. Tous ceux qui s'intéressent aux aspects sociaux pourront être satisfaits de cette attention que leur a accordée le Sénat.
J'invite nos collègues à lire d'abord les quatre « cahiers » de l'Arafer, très complets et très intéressants. Nul doute que les amendements extérieurs vont foisonner, nos collègues de tous bords voulant apporter leur pierre à l'édifice et faire valoir leur expérience d'élu local. Je pense que le texte issu du Sénat fera honneur au Parlement.
Même si tous les amendements proposés par l'Arafer n'ont pas été repris par le rapporteur, ils pourront l'être par des amendements de séance. Sans préjuger, certains d'entre eux pourraient être intégrés au texte de la commission.
Je voudrais moi-même revenir sur deux points que vous avez longuement évoqués. S'agissant des modulations des redevances d'infrastructure, vous avez insisté sur les modulations par le prix. Je suis très attaché à l'aménagement du territoire et je ne crois pas que les seules modulations par le prix puissent permettre une irrigation fine des territoires. Comment envisagez-vous de prendre en compte l'aménagement du territoire ? L'Arafer a-t-elle procédé à des simulations sur les effets de cette modulation ?
Nous sommes très attachés à maintenir le pouvoir d'avis conforme de l'Arafer sur la tarification. S'agissant de l'articulation entre la tarification annuelle du réseau et l'évolution tarifaire prévue par le contrat de performance, il est regrettable que l'avis de l'Arafer ait pu être contourné. Un amendement sera examiné demain par notre commission pour résoudre ces difficultés en prévoyant un avis conforme de l'autorité sur le volet tarifaire du contrat. J'ai par ailleurs déposé un amendement visant à prévoir qu'en cas de blocage, la tarification applicable ne pourra pas dépasser le niveau de celle appliquée l'année précédente. J'hésite toutefois, car il faut veiller à ne pas entraver l'activité, et peut-être évoluerai-je.
M. Hervé Maurey , président . - Cette question de la tarification est très importante. Nous nous étions interrogés à ce sujet lors de l'examen de la proposition de loi. Nous ne doutons pas de l'intérêt de cette tarification « modulable », mais nous ne sommes pas convaincus que ce sera suffisant. C'est pourquoi, dans notre proposition de loi, nous avons essayé de sécuriser le dispositif (c'est aussi l'objet de plusieurs amendements) : c'est l'idée des contrats de service public, qu'on retrouve d'une certaine manière dans le texte de l'Assemblée, même si nous ne sommes pas totalement convaincus. Le texte dit que les contrats peuvent être signés soit par les régions, soit par l'État ; en général, on sait comment se passent ces échanges entre l'État et les collectivités : ce sont toujours elles qui finissent par payer !
Concernant la modulation des péages, le droit européen laisse-t-il toute latitude pour fixer à un niveau relativement élevé la tarification des péages pour les lignes les plus rentables ? Si l'on vous suit bien, on a le sentiment qu'on peut aller assez loin. Or d'autres intervenants nous ont dit que le droit européen fixait des limites à la « surtarification » des lignes les plus rentables.
M. Bernard Roman. - Les seules modulations par le prix ne régleront pas tout. Nous sommes en train de faire des études économétriques très pointues pour voir, ligne par ligne, origine-destination par origine-destination, comment classifier l'ensemble des éléments.
L'arme que le Parlement a donnée à l'Arafer, c'est le pouvoir de collecte, qui nous permet, contrairement d'ailleurs à l'actionnaire principal de la SNCF, de demander à celle-ci telle ou telle information. Et la SNCF est obligée de nous la donner ; dans le cas contraire, le Parlement nous a donné un pouvoir de sanction colossal, puisqu'il peut aller jusqu'à 3 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée. Ce pouvoir de collecte nous permet de disposer de tous les éléments (souvent couverts par le secret commercial) nous permettant de mener des études économétriques.
Sur certaines lignes, l'équilibre ne sera pas assuré. Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit que, pour assurer cet équilibre, il sera possible de conclure des conventions entre la SNCF, les opérateurs et l'État ou les régions : le président Maurey a raison de demander des précisions, parce que quand l'État dit « l'État ou les régions », ça se termine généralement par « les régions » !
C'est un peu plus complexe que cela en a l'air. Je n'ai pas évoqué devant vous la question des tests d'équilibre économique. Si une entreprise ferroviaire veut faire du Paris- La Rochelle, les régions concernées pourront signaler à l'Arafer que cela porterait atteinte à un service conventionné régional pour lequel la région paie et demander l'interdiction ou la limitation de ce nouveau service. Si l'Arafer (c'est le droit européen et cela existe déjà pour les « cars Macron ») constate en effet qu'il serait porté atteinte à un service conventionné, c'est-à-dire financé sur fonds publics, la mise en service de cette ligne sera interdite.
Sur Paris-La Rochelle, vous allez de Paris à Poitiers en TGV sur voie à grande vitesse, puis de Poitiers à La Rochelle sur une voie classique. Il se trouve que des TER assurent également la liaison entre Poitiers et La Rochelle. Si demain une société veut faire du Paris-La Rochelle alors que l'AOT concernée finance sur fonds publics du Poitiers-La Rochelle, l'Arafer sera saisie et interdira la nouvelle liaison en cas d'atteinte au service conventionné.
La majorité des parcours en TGV se font non pas sur des voies à grande vitesse, mais sur des voies classiques. D'où le nombre des dessertes. C'est aussi le rôle du Sénat de préciser dans quelles conditions les conventions pourront être signées pour définir les dessertes et comment seront décidés le maintien ou la création de nouvelles dessertes.
Nous sommes en train de faire les études économétriques et attendons les renseignements de la part de la SNCF. Les chiffres pour 2016 n'étaient pas très bons ; les chiffres pour 2017 seront bien meilleurs.
Pour répondre à la question de M. Maurey, l'Europe fixe deux limites. Premièrement, le coût global du péage ne peut pas dépasser le coût complet. Mais personne ne sait ce qu'est le coût complet. Tous les États européens financent largement leur infrastructure ferroviaire. Si le coût complet était assuré, cela signifierait que le système serait à l'équilibre.
Deuxièmement, il ne peut pas y avoir un accès à l'infrastructure à un coût inférieur au coût directement imputable dont je vous parlais tout à l'heure : une entreprise ne pourrait pas payer moins que les 20 % du coût global des péages, le coût directement applicable, c'est-à-dire ce que coûte le passage d'un train sur les rails, devant se retrouver dans la tarification. Mais puisque le coût complet n'a été atteint nulle part, on peut parfaitement travailler sur les deux redevances de modulation des péages.
Je sens une évolution possible s'agissant de la tarification provisoire. Je veux préciser un point, monsieur le rapporteur : nous n'avons pas subi le décret fixant la tarification pour 2018. J'ai accepté de ne pas ouvrir de contentieux après la validation par la ministre de la tarification avant même l'avis de l'Arafer, à condition que l'État actionnaire de SNCF Réseau active ses équipes pour parvenir à une tarification conforme aux règles européennes. Nous y sommes arrivés. Je ne regrette donc pas de ne pas avoir ouvert de contentieux. D'autres en ont ouvert, qu'ils risquent de gagner, parce qu'il n'est pas conforme à la réglementation européenne que le Gouvernement fixe par décret la tarification. J'ai préféré fermer les yeux sur 2018 pour préparer 2019. La tarification pour 2019 est d'ailleurs prête et sera soumise au collège de l'Arafer, qui, de mon point de vue, la validera.
Si jamais on ouvrait la possibilité d'une tarification provisoire supérieure au dernier tarif validé, on casserait la machine à incitation, le coeur du système de régulation dans notre pays : il n'y aurait plus besoin de nous saisir, il suffirait de dire qu'elle est indexée sur l'inflation ou le contrat de performance.
Certains aimeraient bien qu'on casse la machine à régulation dans notre pays ; mais sans régulation, le ferroviaire n'avancera pas.
M. Hervé Maurey , président . - Merci de cette précision importante et utile.
Mme Pascale Bories . - Je vous remercie de ces explications très intéressantes et vous félicite de votre implication.
Je veux revenir sur la dette de la SNCF. Vous avez évoqué son équilibre économique. Cette péréquation par les péages permettra-t-elle d'absorber davantage la dette de la SNCF ?
Par ailleurs, s'agissant de la péréquation des péages, vous avez évoqué essentiellement les péages TGV. Mais les TGV passent par des gares qui ne sont pas des gares TGV proprement dites, puisqu'elles sont utilisées par les TER. J'aimerais un peu plus de précisions sur la tarification possible sur ces gares un peu « de seconde zone », parce qu'on évoque tout le temps les gares TGV ou l'open access .
S'agissant des appels d'offres, vous avez évoqué le cas des lignes existantes. Mais quid de la possibilité de création de nouvelles lignes, notamment régionales ? Le projet de loi en tient-il compte ? Comment l'opérateur peut-il lancer concrètement un appel d'offres pour la création d'une nouvelle ligne ?
M. Olivier Jacquin . - Merci pour cette intervention complète et de qualité.
Il n'est plus question d'ordonnances, mais, pour autant, nous ne disposons pas d'une étude d'impact. Questionnée la semaine dernière sur le nombre de lignes en équilibre, Mme la ministre n'a pas bien répondu. Les chiffres qu'a avancés le président Maurey n'ont pas été contestés : une ligne sur deux serait en équilibre et, après régulation par cette nouvelle méthode de modulation, une sur six serait en grande difficulté. D'où viennent ces chiffres ?
Autre question importante : la raison d'être de l'Arafer, à savoir l'ouverture équilibrée à la concurrence. Le Gouvernement plaide en faveur d'un fonctionnement plus fluide de la SNCF. Effectivement, du point de vue de la concurrence, cela soulève de vraies questions. Il y a une contradiction : faut-il envisager de supprimer la holding ? Ne serait-ce pas plus clair, si j'ai bien écouté le régulateur ? La SNCF serait alors un opérateur parmi d'autres.
Sur le secret industriel et commercial, il est question de « données nécessaires ». Ne pourrait-on pas renforcer la disposition contenue dans la proposition de loi d'Hervé Maurey et Louis Nègre, - d'une liste validée par l'Arafer - de manière à protéger le secret industriel et commercial, patrimoine public constitué au fil du temps ?
Je me suis rendu en Suisse, où l'on m'a démontré que pour bien diluer le coût fixe ferroviaire, pour qu'il soit le plus faible possible pour les voyageurs, on a intérêt à faire circuler un maximum de fret sur les lignes. Ce débat est absent ici et j'ai même l'impression qu'on a jeté l'éponge.
M. Hervé Maurey , président . - Il est normal que la ministre n'ait pas démenti mes chiffres puisqu'ils proviennent de sources gouvernementales ! L'absence d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'Etat s'explique par cette procédure législative pour le moins inhabituelle ou étrange.
Mme Michèle Vullien . - Une gare, c'est un lieu particulier. Notre collègue Fabienne Keller avait d'ailleurs rédigé un excellent rapport sur les gares. Pendant trois mandats, j'ai été chargée, en tant que vice-présidente de la métropole de Lyon, de tout ce qui concernait la mobilité, et celle-ci a beaucoup financé (il n'y a pas que les régions). À l'époque de RFF, cet établissement ne versait rien, excipant un fameux article 4 de je ne sais quelle convention. Dans les dossiers que je gérais, les domanialités étaient matérialisées par différentes couleurs (parkings, voies d'accès, etc.). C'est un véritable embrouillamini. Du fait de la carence de l'État, souvent, les autres collectivités sont obligées elles aussi de participer. Comment imaginez-vous la suite ?
M. Frédéric Marchand . - Merci au président Romand de cette présentation pédagogique.
Ma question porte sur les conditions de distribution et de commercialisation des types de transport, élément important d'un cadre concurrentiel équitable. Tout nouvel entrant ne pourra développer son activité que si les conditions d'accès sont soumises à des règles transparentes et équitables. Le contre-exemple allemand montre malheureusement que les nombreux opérateurs alternatifs font face à un blocage.
Quid des compétences nouvelles qui pourraient être exercées par l'Arafer pour garantir cette équité et cette transparence ? Des amendements ont d'ailleurs été déposés sur ce sujet.
M. Guillaume Gontard . - Merci de vos explications. Vous avez rappelé que le projet de loi prévoit de transformer les trois EPIC en sociétés nationales à capitaux publics, et vous avez insisté sur la nécessité de conserver l'indépendance du gestionnaire de l'infrastructure. Selon vous, ce passage en SA est-il indispensable à cette démarche de mise en concurrence ?
S'agissant des modulations de péage, je rejoins les remarques de mes collègues sur l'aménagement du territoire : au-delà du caractère flou de cette modulation, je me demandais comment mieux prendre en compte cette notion d'aménagement du territoire.
Sur le fret, je rejoins le constat de mon collègue Olivier Jacquin, celui de son absence dans ce projet de loi.
M. Ronan Dantec . - Notre débat tourne beaucoup autour d'une question : les régions ne paieront-elles pas encore plus demain ? D'après l'ARF, le kilomètre TER est passé de 10 euros à 17 euros en une douzaine d'années, et la charge des régions de 1,4 milliard d'euros à 2,8 milliards d'euros. En dépit de la dotation de l'État, les régions ont mis beaucoup de moyens, sans que l'offre en soit améliorée à due concurrence.
Le débat sur le ferroviaire est un débat extrêmement complexe. L'Arafer sera-t-elle demain garante de la maîtrise des coûts pour les régions ? Existe-t-il un moyen pour stabiliser notamment les péages TER ou en tout cas pour faire en sorte que le total du péage et de l'exploitation n'augmente pas (si jamais, comme nous l'a dit la ministre, la mise en concurrence fait baisser les coûts d'exploitation) ? Il existe de grandes inégalités entre les régions.
M. Guillaume Chevrollier . - Dans un contexte d'ouverture à la concurrence, je suis favorable à ce que les le régulateur dispose de davantage de prérogatives. Quelles auraient été les conséquences sur votre autorité d'une suppression de l'avis conforme ? Quels sont vos pouvoirs juridiquement contraignants notamment sur les problématiques d'aménagement du territoire ?
Vous avez produit un rapport sur les enseignements européens de l'ouverture à la concurrence à partir des exemples allemand, britannique et italien. De quel modèle européen la réforme qui nous est proposée s'inspire-t-elle le plus ?
Après deux années passées à la tête de l'Arafer, à la suite de vos mandats de député, quels sont vos retours d'expérience dans un contexte de profonde transformation du secteur ferroviaire ?
M. Éric Gold . - Ma question porte sur les outils de calcul de la rentabilité des lignes que vous utilisez en tant que régulateur. Des éléments de comptabilité analytique, tels que le nombre de passages et de rames, la fréquentation, le coût des maintenances sont assez faciles à appréhender, mais des éléments d'aménagement du territoire sont-ils pris en compte ?
M. Jean-Michel Houllegatte . - Ma question porte sur la structuration du groupe. Mme la ministre nous a indiqués la semaine dernière qu'elle voulait reconstituer la SNCF telle qu'elle a fonctionné entre 1937 et 1982. Historiquement, il y a toujours eu une séparation entre le réseau et l'exploitation. Ne fait-on donc pas fausse route aujourd'hui en voulant maintenir une holding ?
M. Michel Vaspart . - Les régions pourront contester un opérateur, auquel cas il appartiendra à l'Arafer d'arbitrer. Cela va se produire partout en France ! Est-ce que ce ne sera pas une source de complication et de blocage dans le cadre de l'ouverture à la concurrence ?
Par ailleurs, l'Arafer peut-elle obliger la SNCF à faire preuve d'une plus grande transparence vis-à-vis des collectivités locales lorsque celles-ci financent des travaux à hauteur de 70 % ou de 80 % ?
M. Jean-Pierre Corbisez . - Le Gouvernement souhaite transformer les trois entreprises actuelles en une seule. Or la réglementation européenne prévoit que les voies doivent être la propriété d'une entité distincte. Où en est-on aujourd'hui ?
Par ailleurs, si la responsabilité de l'accessibilité aux personnes handicapées devait revenir aux propriétaires des gares, et dans le cas où celles-ci seraient récupérées par certains conseils régionaux, les travaux coûteraient très cher aux régions, dans la mesure en outre où il n'y a pas d'accès handicapé dans la plupart des gares TER.
M. Bernard Roman . - Monsieur Cornu, les seules modulations du prix des péages ne permettront pas de régler l'ensemble des problématiques d'aménagement du territoire.
Madame Bories, il n'est pas un seul exemple de réforme réussie à l'étranger sans reprise de la dette. Il n'est pas un exemple étranger de fonctionnement harmonieux du système ferroviaire et de modèle économique pérenne pour le gestionnaire d'infrastructure sans un investissement massif et continu de l'État. En France, l'État investit de manière importante, et ce depuis toujours, dans les infrastructures. Le problème, c'est que ces investissements ont été concentrés pendant vingt ans sur les lignes à grande vitesse, au détriment de l'ensemble des 30 000 kilomètres de voies, lesquelles se sont dégradées. Cela étant dit, des efforts de performance doivent faits en termes de gestion des infrastructures. Un gain de 1,5 milliard d'euros pourrait être réalisé. Il est nécessaire que nous ayons un modèle économique le plus fiable possible.
M. Jacquin m'a interrogé sur le maintien de la holding. Nous ne cessons d'écrire depuis 2015 que, soit on clarifie et on définit très précisément les compétences de l'EPIC de tête, soit on le supprime. Je ne suis pas dans mon rôle en vous le disant, le rôle de l'Arafer n'étant que de se prononcer sur l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure, mais nous pensons que nous nous apprêtons à commettre la même erreur que celle qui a été faite à l'origine dans le secteur de l'énergie, lorsqu'on a mélangé la distribution et la propriété du réseau. Il a ensuite fallu les séparer.
Le maintien de la « Grande Maison » s'explique également par des raisons sociales : objectivement, pour les cheminots, il est plus sécurisant d'appartenir à une même et grande maison que d'être éclatés entre deux ou trois sociétés anonymes.
Mme Vullien, les problèmes du fret dans notre pays s'expliquent par la difficulté à obtenir des sillons sûrs, en raison de l'état du réseau, des travaux nécessaires et des milliers de chantiers qui sont réalisés en priorité la nuit, au moment où les voies sont utilisées pour le fret. Le réseau doit être régénéré, ce qui prendra une dizaine d'années au minimum. Il faut pour cela investir 40 milliards d'euros, à hauteur de 3 ou 4 milliards d'euros par an.
M. Corbisez, la plupart des investissements réalisés dans les gares, y compris en termes d'accessibilité, étaient financés par la région. Vous avez raison, il faut déléguer la gestion des gares aux collectivités locales, y compris aux intercommunalités. Il existe des exemples d'intercommunalités ayant demandé à gérer leur gare. Les questions de trafic et de sécurité sont prises en charge par la SNCF, mais la gestion de la gare, son développement et son insertion dans le milieu urbain sont pris en charge par l'intercommunalité.
M. Marchand a évoqué une question essentielle. Lorsqu'il y aura plusieurs opérateurs, l'usager devra bien entendu disposer d'un guichet unique où accéder à l'ensemble de l'offre. Certes, il peut arriver, comme cela se passe chez certains voisins européens, que certains souhaitent empêcher que l'offre des autres apparaisse. Cette question est traitée dans plusieurs amendements transpartisans. Donner à l'Arafer un pouvoir de régulation, de contrôle, voire de règlement des différents dans ce domaine est envisageable, à condition de lui octroyer les moyens d'assumer ces fonctions !
M. Gontard a évoqué la modulation des péages, j'ai répondu à sa question.
Monsieur Dantec, permettez-moi de vous remettre le bilan ferroviaire 2015-2016 réalisé par l'Arafer. C'est la première fois dans notre pays qu'est réalisé un bilan exhaustif du coût du kilométrage parcouru, de la régularité, des retards et des suppressions de trains. Vous verrez que certains chiffres sont très trompeurs. Il est vrai que le coût du kilomètre de TER est passé de 10 euros à 17 euros en une dizaine d'années. Mais il faut rapporter ce coût au nombre de passagers transportés. Si un TER transporte deux fois plus de passagers qu'il y a dix ans, cela signifie que le coût du kilomètre passager est deux fois moins élevé aujourd'hui.
Vous constaterez dans ce bilan que le coût investi par les régions dans leurs TER varie plus que du simple au double. Ainsi, le nombre de personnels nécessaires pour faire 100 kilomètres en TER varie de 20 % ou 30 % entre certaines régions. Cette question mérite réflexion. La direction des TER basée à Lyon s'interroge sur ces sujets. Les marges de progression sont colossales.
En 2016, pour chaque kilomètre parcouru par passager dans un service régional conventionné, l'usager a payé en moyenne 6,5 centimes, le complément, de 17,7 centimes, ayant été payé par la région. En Limousin, les concours publics représentent 90 % du coût du TER, contre 65 % en Alsace.
Ensuite, des choix politiques sont faits, des choix de service public. Certaines régions dépensent beaucoup d'argent pour des dessertes sur lesquelles voyagent très peu de gens. On évoque toujours une ligne, que je ne citerai pas, qu'une région a décidé d'électrifier, pour un coût de 80 millions d'euros, alors que seuls quelques passagers l'empruntent chaque semaine. Je ne jette pas la pierre à cette région. Peut-être a-t-elle pensé provoquer ainsi une dynamique, mais elle s'est trompée. On peut tous se tromper dans nos choix politiques, mais cela signifie qu'il faut s'interroger sur ces questions.
L'Arafer ne peut pas être garante du coût pour les régions. Ce n'est pas notre mission.
M. Ronan Dantec . - Même sur les péages ?
M. Bernard Roman . - Notre rôle est de valider la tarification des péages de SNCF Réseau. Les péages des régions sont compris dans les conventions.
M. Gold a évoqué les critères de rentabilité des lignes. Quand on calcule la rentabilité des lignes, on essaie davantage de faire un bilan socio-économique qu'un bilan économétrique. C'est beaucoup plus difficile, complexe et subjectif de prendre en compte le qualitatif plutôt que le quantitatif.
M. Houllegatte nous a lui aussi interrogé sur la structuration du groupe. Le choix a été fait par le Gouvernement. Le rôle de l'Arafer est de juger les conséquences de ce choix sur l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure. Peut-être que nos successeurs respectifs constateront dans dix ans que, comme pour l'énergie, une étape de plus était nécessaire. Pour ma part, je serai vigilant sur l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure. Sans indépendance affirmée, l'ouverture ne sera jamais une réussite.
Aujourd'hui, le péage est le même pour un TGV simple que pour un TGV à étages. Nous proposons qu'en 2019, la tarification se fasse au poids. On n'exclut pas de tenir compte à l'avenir du chiffre d'affaires et du nombre de passagers. Notre système de péage n'incite pas au développement du trafic.
M. Vaspart a évoqué les risques de demandes de suppression ou de limitation de service. Je ne réagis pas comme vous. Si un opérateur extérieur veut des sillons sur la ligne Paris-Rennes à péage 10 et du Paris-Saint-Malo à péage 6, la région y trouvera son compte en termes de développement économique.
Vous avez évoqué le rôle de l'Arafer dans les relations entre la SNCF et les collectivités locales. Elle n'a aucun rôle à jouer. Je peux juste vous dire que je trouve que la SNCF progresse dans ce domaine. L'ouverture du marché la conduira à nouer un dialogue de plus en plus constructif avec les régions.
Monsieur Corbisez, les règles européennes - la directive de 2012, le règlement OSP, le quatrième paquet de décembre 2016 - sont extrêmement claires : l'infrastructure doit être gérée par un opérateur indépendant.
Quant à l'aménagement des gares, il devra faire l'objet d'un accord entre SNCF Réseau et Gares et connexions. Là où on gagne le plus d'argent dans le monde ferroviaire en France, c'est dans les grandes gares, à l'instar des grandes gares parisiennes et de province. Il faut toutefois veiller à ce que cet argent n'aille pas combler le déficit de SNCF Réseau. Un certain nombre de dispositions législatives sont prévues à cet égard. Cet argent doit être réinvesti dans une logique de développement.
La France compte 3 000 gares, dont 130 grandes gares et 19 très grandes gares de type St Pancras. L'un d'entre vous a eu une très belle formule : les gares peuvent devenir de magnifiques maisons de service public dans un certain nombre de villes. C'est tout à fait juste, si on permet à Gares et connexions d'être maître de son destin.
Telles sont mes réponses, monsieur le président, aux questions qui m'ont été posées.
J'ajoute, pour conclure, que je compte sur le Sénat pour octroyer à l'Arafer, lors du vote du projet de loi de finances, les ETP supplémentaires qui nous sont nécessaires non seulement pour assumer les conséquences de la « loi Macron », mais aussi les missions complémentaires qui seront confiées à l'Arafer dans le cadre de l'ouverture du transport ferroviaire à la concurrence. Nous avons besoin de nouvelles compétences. Je compte sur le Sénat pour être cohérent, comme il l'est toujours !
M. Hervé Maurey , président . - Vous pouvez en être assuré ! Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir éclairés à la veille d'un débat important.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
La réunion est close à 18h50.