EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 10 AVRIL 2019

M. Philippe Bas , président . - Nous passons maintenant à l'examen du rapport de M. Philippe Bonnecarrère et du texte proposé par la commission sur la proposition de résolution n° 387 (2018-2019), présentée par MM. Franck Montaugé, Jean-Pierre Sueur et plusieurs de leurs collègues, tendant à modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôler l'application et d'évaluer les lois.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur . - Cette proposition de résolution, déposée par le groupe Socialiste et républicain, vise modifier le Règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôler l'application et d'évaluer les lois. L'objectif de nos collègues est d'aller plus loin sur ces deux terrains en désignant un sénateur qui, en plus de son rôle traditionnel de rapporteur, aurait la responsabilité de suivre l'application de la loi et de l'évaluer. Il s'agirait donc d'une forme de « tout-en-un » !

Cette proposition de résolution prend la forme, à l'article 1 er , d'un droit de suite sur l'application de la loi au bénéfice du rapporteur du projet ou de la proposition de loi et vise à affirmer, à l'article 2, la mission d'évaluation des lois.

Le premier volet du texte concerne le suivi de l'application des lois. Aux termes de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l'exécution des lois ». Il s'appuie sur le secrétariat général du Gouvernement, qui dresse un échéancier de mise en application. Une circulaire du 29 février 2008 commande que les textes d'application soient pris dans les six mois.

Le Gouvernement agit sous le contrôle du Parlement, qui veille à la bonne exécution des lois. Depuis 1972, le Sénat a d'ailleurs mis en place un dispositif ad hoc pour assurer ce contrôle.

Au printemps, chaque président de commission dresse un bilan de l'application des lois qui relèvent des compétences de sa commission. Le président de la délégation du Bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, élabore ensuite le bilan annuel de l'application des lois, publié fin mai ou début juin.

Depuis 2009, le Règlement de notre assemblée reconnaît, en son article 22, le rôle des commissions permanentes dans le suivi de l'application des lois. Rien n'interdit donc, comme le proposent nos collègues du groupe Socialiste et républicain, d'inscrire le droit de suite du rapporteur dans ce dispositif.

Nous pourrions ainsi trouver une issue favorable à leur proposition, sous réserve de respecter les mécanismes existants et d'être souple, car il ne peut être question d'emboliser les commissions. De même, le droit de suite du rapporteur aurait vocation à alimenter le bilan annuel de l'application des lois, non à s'y substituer. Tous les présidents de commission que j'ai consultés approuvent cette mesure, sous réserve de maintenir de la souplesse.

Par ailleurs, la proposition n° 30 du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle prévoit la possibilité pour les présidents des deux assemblées, soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil d'État afin de contester un retard ou une carence du Gouvernement dans l'application des lois. Cette proposition me semble fondamentale. Aujourd'hui, tout citoyen ayant intérêt à agir peut saisir le Conseil d'État. Pourquoi ne pas ouvrir cette possibilité aux parlementaires ?

Le deuxième volet de la proposition de résolution concerne l'évaluation des lois.

Je rappelle que le Parlement dispose, au titre de l'article 24 de la Constitution, d'une mission plus large d'évaluation des politiques publiques. Cette mission fait d'ailleurs l'objet de nombreuses réflexions.

L'article 9 du projet de loi constitutionnel pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ne change pas la face des choses. Il prévoit, pour l'ordre du jour des assemblées, une fongibilité entre les semaines d'initiative et de contrôle.

Les quarante propositions du groupe du travail du Sénat sur la révision constitutionnelle sont bien plus intéressantes. Elles prévoient notamment un élargissement de la mission d'assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules la commission des finances et la commission des affaires sociales peuvent lui commander des enquêtes thématiques. L'idée serait d'étendre ce droit de tirage à l'ensemble des commissions. En outre, le groupe de travail du Sénat propose d'étendre les prérogatives des commissions permanentes en leur reconnaissant les mêmes pouvoirs d'investigation que les commissions des finances et des affaires sociales. Les membres de chaque commission pourraient procéder à des missions d'évaluation au sein de leur département, au plus près des réalités de terrain.

En matière d'évaluation, beaucoup reste à faire. Le Sénat ayant mis des propositions fortes sur la table, il me semble aujourd'hui prématuré de réviser notre Règlement pour confier un rôle d'évaluation des lois à chaque rapporteur. Comme l'a souligné le président de la commission des finances lors de son audition, l'évaluation doit être un exercice collectif et hiérarchisé. Si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur.

En conclusion, je propose de faire droit à la proposition de nos collègues du groupe Socialiste et républicain concernant le droit de suite du rapporteur pour examiner l'état d'application des lois. Je suggère toutefois d'assouplir ses modalités, notamment en prévoyant la possibilité de désigner plusieurs rapporteurs ou des groupes de travail pluralistes.

En revanche, il me paraît préférable de ne pas confier la mission d'évaluation au rapporteur du projet ou de la proposition de loi, dans l'attente des réflexions menées pour renforcer l'évaluation des politiques publiques.

Trois amendements seront soumis à votre appréciation. Le gentlemen's agreement applicable aux textes inscrits dans les espaces réservés implique que ne soient adoptés en commission que les amendements ayant reçu l'accord des auteurs de la proposition de résolution, sachant que nous retrouvons tous notre liberté en séance.

En tout état de cause, la décision que vous prendrez en commission puis en séance restera en « circuit court ». Il n'y aura, par définition, aucune navette, le texte étant directement transmis au Conseil constitutionnel.

M. Philippe Bas , président . - Je remercie le rapporteur pour sa présentation.

J'en profite pour vous informer que le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a rendu publique une proposition de résolution afin de modifier, à droit constant, notre Règlement et d'en améliorer la lisibilité.

M. Jean-Pierre Sueur , auteur de la proposition de résolution . - La proposition de résolution que nous examinons, dont l'objectif est limité, part d'un constat simple : tout ministre peut s'affranchir de l'application de la loi. Dans les années 2000, j'ai réussi à faire voter dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale un amendement pour que les femmes dont les mères avaient pris du Distilbène puissent bénéficier d'un congé maternité adapté : il a fallu attendre quatre ans, cinq mois et vingt jours pour que le Gouvernement publie le décret d'application !

Notre idée est modeste : quand un rapporteur est désigné sur un projet ou une proposition de loi, il doit être chargé jusqu'à la fin de son mandat de suivre la parution des textes d'application. Nul besoin pour cela d'organiser un débat, un simple rapport écrit peut suffire. Mais, si au bout d'un certain nombre d'années les décrets n'ont toujours pas paru, le rapporteur doit pouvoir interroger le ministre.

Notre collègue Franck Montaugé tenait beaucoup à ce que la proposition de résolution intègre les questions relatives à l'évaluation des lois. Mais, après discussion avec le rapporteur, il nous a paru judicieux de la borner au suivi de l'application de la loi.

Je donne donc dès à présent notre accord aux trois amendements présentés par le rapporteur, d'autant que, comme l'a rappelé Philippe Bas, le président du Sénat a présenté hier une proposition de résolution qui pourrait permettre de renforcer nos efforts en matière d'évaluation.

M. Alain Marc . - À l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool, nous avons adopté en août dernier une loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. Ce texte est particulièrement nécessaire, notamment pour les sapeurs-pompiers.

Ne voyant poindre aucun décret, M. Jean-Pierre Decool a dû alerter le ministre sur les retards pris par le Gouvernement. Avec une instance de suivi de l'application de la loi, les décrets auraient pu être pris bien en amont !

M. François Grosdidier . - En matière d'application des lois, chacun se renvoie la balle, notamment lorsque l'administration fait tout pour ralentir les choses ou qu'il faut recueillir l'avis d'organismes tels que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Parfois, ce n'est pas une question de mois, mais d'années !

Lorsque le Parlement a autorisé les policiers municipaux à consulter directement les fichiers des plaques d'immatriculation ou des permis de conduire, il a fallu plus de deux ans pour que le décret soit pris. À l'exception de quelques expérimentations, ces consultations sont toujours impossibles, faute de moyens matériels. On en vient à expérimenter la mise en oeuvre d'un décret d'application de portée générale, plus de deux ans après le vote de la loi : c'est surréaliste !

Concernant les caméras mobiles, les policiers municipaux pouvaient déjà les utiliser mais le ministère de l'intérieur a souhaité instaurer un cadre légal. La loi a mis en place une expérimentation, qui devait être suivie d'une généralisation au bout de deux ans. Le législateur ayant omis de procéder à cette généralisation, il a fallu utiliser la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Decool pour pérenniser le dispositif. Et il a encore fallu attendre huit mois pour les décrets d'application !

EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article 1 er

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur . - Le premier amendement concerne le droit de suite du rapporteur et le fait que sa saisine n'est pas exclusive des autres moyens de contrôle du Parlement. Il règle le problème des commissions spéciales, qui disparaissent à l'issue de l'examen du projet ou de la proposition de loi pour lequel elles ont été créées.

L'amendement COM-1 est adopté.

Article 2

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur . - Le deuxième amendement vise à mentionner le bilan annuel de l'application des lois dans le Règlement du Sénat.

L'amendement COM-2 est adopté.

Intitulé de la proposition de résolution

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur . - Par cohérence, le dernier amendement tend à supprimer, dans l'intitulé de la proposition de résolution, la référence à l'évaluation des lois.

L'amendement COM-3 est adopté.

La proposition de résolution est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Droit de suite du rapporteur

M. BONNECARRÈRE, rapporteur

1

Assouplissement du droit de suite du rapporteur

Adopté

Article 2
Bilan annuel de l'application des lois

M. BONNECARRÈRE, rapporteur

2

Insertion, dans le Règlement du Sénat, du bilan annuel de l'application des lois

Adopté

Intitulé de la proposition de résolution

M. BONNECARRÈRE, rapporteur

3

Coordination

Adopté

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