EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Si chacun a le droit de défendre ses convictions, ce droit ne saurait autoriser certains individus ou certains groupes d'individus à empêcher leurs concitoyens de se livrer à des activités parfaitement licites. Telle est la philosophie qui sous-tend la proposition de loi n° 23 (2018-2019), présentée par Jean-Noël Cardoux et plusieurs de nos collègues du groupe Les Républicains et Union centriste.
La République respecte la liberté et les choix de vie de chacun de ses citoyens : les vegans, les militants antispécistes peuvent s'alimenter comme ils le souhaitent et ils peuvent, naturellement, au nom de la liberté d'expression, défendre leur point de vue et tenter de gagner un plus grand nombre de leurs concitoyens à leur cause, y compris dans le cadre de manifestations. Mais ces activités doivent se dérouler dans le respect des Français attachés à une alimentation et à un mode de vie plus traditionnels, notamment dans les territoires ruraux, où des activités comme la chasse restent largement pratiquées.
Pourtant, notre pays fait face, depuis quelques années, à l'apparition de nouvelles menaces que les pouvoirs publics semblent avoir du mal à maîtriser et à faire cesser. Des mouvements extrémistes commettent ainsi des actions violentes ou perturbent le bon déroulement d'activités au nom de la défense de la cause animale. Outre les saccages de commerces, on se souvient de l'incendie volontaire d'un abattoir en septembre 2018, qui témoigne d'une radicalisation de certains groupuscules. Une réaction des pouvoirs publics s'impose pour mettre un terme à ces dérives, avant qu'elles ne débouchent sur des conséquences plus dramatiques.
I. DIVERSES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÈGLEMENTAIRES SANCTIONNENT LES ENTRAVES AUX LIBERTÉS
Outre l'article 431-1 du code pénal, que la proposition de loi envisage de modifier, plusieurs dispositions législatives ou réglementaires punissent aujourd'hui les agissements tendant à entraver la liberté d'autrui.
A. UN ARSENAL JURIDIQUE ÉTOFFÉ
1. Le texte visé par la proposition de loi
La proposition de loi tend à modifier l'article 431-1 du code pénal qui vise à garantir l'exercice de certaines libertés fondamentales.
Alors que cet article ne protégeait, à l'origine, que la liberté du travail, il a été étendu, à l'occasion de la recodification du code pénal en 1992, aux libertés d'expression, d'association, de réunion et de manifestation. Depuis 2016, il vise expressément la liberté de création artistique et la liberté de diffusion de la création artistique.
Il protège également le bon fonctionnement de nos institutions démocratiques, en sanctionnant l'entrave au déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'une collectivité territoriale.
Quoiqu'en nombre limité, des condamnations sont régulièrement prononcées sur le fondement de cet article : on en dénombrait cinq en 2013, une seule en 2014, six en 2015, trente en 2016 et douze en 2017.
L'augmentation observée en 2016 s'explique principalement par les plaintes déposées contre des groupes de chrétiens intégristes qui ont perturbé les représentations de la pièce Sul concetto di volto nel figlio di Dio ( Sur le concept du visage du fils de Dieu ) du créateur italien Roméo Castelluci, d'abord présentée au festival d'Avignon avant d'être jouée au Théâtre de la Ville à Paris.
Les peines prononcées sont majoritairement des amendes fermes, dont le montant moyen varie, selon les années, entre 500 et 3 000 euros.
2. Les autres dispositions législatives ou réglementaires
Plusieurs dispositions législatives ou réglementaires assurent la protection d'autres droits et libertés.
Dans le code pénal, on peut citer les articles 432-4 à 432-6, qui sanctionnent les atteintes à la liberté individuelle par personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public, l'article 433-11, qui sanctionne le délit d'opposition à l'exécution de travaux publics ou d'utilité publique , ou encore le troisième alinéa de l'article 313-6, qui punit l'entrave à la liberté des enchères . Les personnes qui s'introduisent sans autorisation dans un établissement d'enseignement scolaire , dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre dans l'établissement, peuvent enfin être poursuivies sur le fondement des articles 431-22 et suivants du code pénal.
Dans le code de la route, l'article L. 412-1 punit l'entrave à la circulation routière . C'est souvent sur le fondement de cette incrimination que sont poursuivies les opérations de blocage de routes ou les blocages de raffineries ou de dépôts de pétrole qui se produisent à l'occasion de certains mouvements sociaux.
En matière sociale, on peut citer les articles L. 2131-3 et R. 2131-1 du code du travail, qui sanctionnent les entraves à la liberté syndicale , ainsi que l'article L. 2223-2 du code de la santé publique, qui punit l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
Sur un sujet plus ponctuel, l'article 32 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l'État punit « ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices ».
Pour être complet, il convient de mentionner, dans le champ réglementaire, la contravention relative à l'entrave à la chasse . Le décret n° 2010-603 du 4 juin 2010 a inséré dans le code de l'environnement un article R. 428-12-1 qui réprime « le fait, par des actes d'obstruction concertés, d'empêcher le déroulement d'un ou plusieurs actes de chasse ». Cette infraction est punie d'une amende de cinquième classe, dont le montant peut donc atteindre jusqu'à 1 500 euros. Cette disposition est cependant peu appliquée puisqu'une seule condamnation, en 2016, a jusqu'ici été prononcée.
Sur le terrain disciplinaire , des sanctions peuvent également être prises contre les auteurs de comportements fautifs. Ainsi, un salarié responsable d'un blocus commet une faute lourde, qui peut entraîner son licenciement sans indemnité et sans préavis. De même, le blocage par un élève ou par un étudiant de son lycée ou de son université constitue une faute passible de sanctions pouvant aller jusqu'au renvoi.