EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 13 NOVEMBRE 2019
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - La proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, proposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, vise à permettre à chacune des deux assemblées du Parlement d'être informée « de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des enfants ».
Cette proposition de loi doit être examinée le 20 novembre prochain, jour du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), ratifiée par la France en 1990. Un texte similaire avait été adopté par l'Assemblée nationale en 2003 mais n'avait jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Le groupe CRCE nous propose de remettre au goût du jour ce texte.
Nous sommes tous d'accord pour dire que les droits de l'enfant doivent être pris en compte et que celui-ci doit faire l'objet d'une protection. Tel n'est évidemment pas l'angle sous lequel j'ai abordé cette proposition de loi. Car la question n'est pas de savoir si nous devons nous soucier des droits de l'enfant, mais de déterminer l'organisation parlementaire optimale pour ce faire.
Sommes-nous dans l'obligation, dans le cadre de la CIDE, de mettre en place une délégation parlementaire ? Non. Un mécanisme de suivi, piloté par le Comité des droits de l'enfant auprès du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, permet de contrôler l'application de la CIDE. Les États signataires doivent soumettre un premier rapport dans les deux ans suivant la signature de la convention, puis tous les cinq ans. La France va ainsi remettre son sixième rapport en 2021. Ce comité de suivi bénéficie de relais institutionnels dans notre pays : le Défenseur des enfants, qui dépend du Défenseur des droits ; la Commission nationale consultative des droits de l'homme ; le Contrôleur général des lieux de privation des libertés.
Nous bénéficions ainsi déjà d'une organisation permettant le contrôle de l'application de la CIDE en France, prévue soit par la convention, soit par l'État lui-même. Il n'est donc nullement besoin de délégations parlementaires.
Le Parlement se désintéresse-t-il des droits de l'enfant ? À cette question provocatrice la réponse est bien évidemment négative. Les droits de l'enfant sont pris en compte dans le travail habituel des assemblées.
D'abord, par les commissions permanentes, au premier rang desquelles la commission des affaires sociales. Son domaine de compétences couvre la santé, la politique familiale, l'action sociale. Elle produit des rapports législatifs spécifiques - je pense à la récente proposition de loi sur la prise en charge des cancers pédiatriques - et des rapports d'information, par exemple sur les mineurs non accompagnés, et mène des auditions, comme dernièrement celle d'Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
La commission de la culture et de l'éducation traite, quant à elle, des sujets relatifs à l'enseignement scolaire et à la jeunesse. Elle produit régulièrement des travaux relatifs aux enfants, des rapports législatifs - je pense à celui sur l'exposition précoce des enfants aux écrans -, et des rapports d'information, par exemple sur les rythmes scolaires. Notre commission des lois travaille sur l'enfance délinquante, adopte des rapports législatifs, dont l'un récent et directement inspiré de la CIDE, relatif aux violences ordinaires éducatives, et entend le Défenseur des droits.
Des travaux ponctuels sont également organisés, par les missions d'information et les missions communes d'information, par exemple sur la psychiatrie des mineurs et les violences sexuelles dans les institutions. La délégation aux droits des femmes mène quant à elle un travail important sur la situation des enfants - je pense au mariage des enfants ou aux grossesses précoces. Enfin, chaque sénateur a un pouvoir d'initiative individuel, notamment par le biais des questions au Gouvernement.
Le travail parlementaire prend donc déjà largement en compte les droits et la protection de l'enfant. Serions-nous plus efficace si nous créions une délégation aux droits des enfants ? Je ne le pense pas au regard de l'évolution de notre institution depuis 2003, date à laquelle une proposition de loi similaire a été votée à l'Assemblée nationale. En effet, la réforme constitutionnelle de 2008 a expressément consacré la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement, qui s'est organisé en conséquence pour travailler plus efficacement, notamment grâce à une loi de 2009, qui a permis de supprimer cinq délégations et offices.
En 2015, MM. Richard et Karoutchi ont présenté, dans le cadre du groupe de réflexion sur les méthodes d'évaluation des méthodes de travail du Sénat, des propositions. L'une d'elles tendait à « éviter la dispersion des sénateurs et donc la multiplication, la polysynodie des structures ». Étaient ainsi notamment visées les délégations parlementaires.
En réalité, les conditions actuelles du travail parlementaire, qui s'est structuré au fil du temps, sont suffisantes. Les commissions permanentes, et leurs moyens considérables, nous permettent d'être efficaces. C'est moins le cas des délégations, qui n'ont pas de pouvoirs législatifs. Aussi, créer une délégation supplémentaire risquerait de rendre moins efficace notre travail en morcelant nos activités.
Pour conclure, je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi. Néanmoins, je remercie le groupe CRCE de l'avoir déposée, car elle permet de mettre en valeur l'important travail du Parlement, et singulièrement du Sénat, en faveur de la protection des droits de l'enfant.
M. Philippe Bas, président . - Je m'associe à votre propos sur l'intérêt de cette proposition de loi qui permet de mettre en valeur notre travail relatif aux enfants.
M. François Bonhomme . - Historiquement, nous avons assisté à une multiplication des organismes, qui a conduit à un alourdissement inutile. Aujourd'hui, la logique est différente. Ainsi, en 2011, le Défenseur des enfants est devenu l'adjoint du Défenseur des droits.
La France respecte la CIDE. Il faut rester dans l'universel. Je ne crois pas à la création de catégories, notamment d'âge, qui sont, par définition, provisoires. L'essentiel est d'oeuvrer au jour le jour à l'approfondissement des droits de l'enfant.
Je me rappelle que la création du Défenseur des droits avait suscité de nombreuses protestations, à commencer par la Ligue des droits de l'homme. L'accumulation de rapports et de propos hyperboliques affaiblit la cause que l'on veut défendre. Le Défenseur des droits fait son travail : il ne s'agit pas de brouiller son message et son action en créant un organisme supplémentaire, fut-il parlementaire.
Mme Josiane Costes . - Je souscris aux propos de Mme la rapporteur. Trop de dispersion nuit à l'efficacité. Les commissions permanentes, notamment la nôtre, sont tout à fait aptes à s'occuper des droits de l'enfant.
M. Jacques Bigot . - Madame la rapporteure, vous vous êtes interrogée sur le mode d'organisation, et en avez conclu qu'il n'était pas nécessaire de prévoir d'institution supplémentaire puisque les commissions permanentes s'occupaient de la question des droits de l'enfant. Je remercie également le groupe CRCE d'avoir inscrit cette proposition de loi dans sa niche du 20 novembre prochain.
La France respecte-t-elle correctement la CIDE ? Nous ne sommes certainement pas les plus mauvais, mais en tant qu'héritiers du siècle des Lumières nous devrions montrer le meilleur exemple. Vous avez évoqué le sixième rapport que rendra notre pays en 2021, mais vous n'avez pas mentionné les réflexions et les recommandations du comité de suivi à la suite de notre dernier rapport. En 2016, celui-ci avait noté que le Défenseur des enfants ne disposait pas d'assez de ressources, qu'il manquait de visibilité au sein du Défenseur des droits et que l'État ne le consultait pas systématiquement sur les projets de loi concernant les droits des enfants.
Le Gouvernement, qui exprime régulièrement son mépris à l'égard du Parlement, et surtout du Sénat, cherche à supprimer les autorités indépendantes et les organismes de contrôle de l'action de l'administration. Une des missions du Sénat, surtout lorsque l'Assemblée nationale est très proche du pouvoir, est de contrôler l'action du Gouvernement. Exerçons-nous ce travail s'agissant de la mise en oeuvre de la CIDE ? Ce n'est pas tout à fait le cas, ce qui est d'ailleurs normal car nous avons diverses missions. Par exemple, notre commission s'occupe de l'enfance délinquante. Certes, mais les droits de l'enfant, ce n'est pas que cela !
La commission des affaires sociales s'occupe de la protection de l'enfance par le biais de la question de l'aide sociale à l'enfance. Pourtant, le Parlement ne dit pas à l'État qu'il est impossible de continuer avec le système actuel, dans lequel les disparités entre les départements sont grandes. La commission de la culture et de l'éducation se charge bien sûr de l'éducation. Mais le fait-elle au regard de la CIDE ? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, en tant qu'homme, père et grand-père, je suis surpris que vous ayez cité la délégation aux droits des femmes. Nous ne sommes plus dans une société dans laquelle les enfants sont la préoccupation des seules femmes !
Enfin, pourquoi aurait-on créé une délégation aux collectivités locales puisque nos commissions se préoccupent des collectivités locales ? Quid de la délégation aux entreprises alors que nous avons une commission des affaires économiques ?
Le 20 novembre prochain, nous aborderons le véritable sujet : que fait notre pays s'agissant de la CIDE ? Nous évoquerons peut-être les rapports du comité relatifs à la France, et nous mesurerons à quel point nous devons améliorer notre travail de contrôle parlementaire. C'est la raison pour laquelle la proposition de création d'une délégation me paraît saine.
Mme Marie Mercier . - Je remercie Muriel Jourda pour son excellent rapport. Certes, il y a encore beaucoup à faire, mais la création d'une délégation est-elle vraiment le bon vecteur ? Sur ces sujets, je suis persuadée que tout passe par le respect de l'autre et l'éducation. Les enfants victimes deviennent souvent des enfants auteurs : c'est pourquoi un accompagnement à la parentalité est nécessaire. Plutôt que les lois, ce sont les mentalités qu'il faut changer. C'est en accompagnant ces familles que nous protégerons les plus vulnérables d'entre nous, les femmes et les enfants.
Mme Muriel Jourda, rapporteur . - Je remercie M. Bonhomme et Mme Costes de leur soutien, et Mme Mercier de son propos pertinent sur les mentalités et l'éducation.
Monsieur Bigot, vous êtes en désaccord avec ma proposition. Respectons-nous la CIDE ? Pas dans sa totalité, évidemment. Mon propos ne portait pas sur les réponses aux rapports de la France qui pointent les éléments à améliorer. Nous avons bien sûr une marge de progression et c'est un euphémisme de le dire... J'ai rappelé que la proposition de loi sur les violences éducatives ordinaires découle d'ailleurs directement de la CIDE.
Les commissions font un travail de contrôle et d'évaluation. Rien ne nous empêche de nous en saisir ! J'insiste, je ne dis pas que nous avons atteint la perfection ; je me demande simplement comment assurer l'efficacité du travail parlementaire.
J'ai évoqué la délégation aux droits des femmes : loin de moi l'idée de prétendre que seules les femmes se préoccupent des enfants ! Je partais d'un constat factuel : cette délégation traite des droits de l'enfant.
Nous pouvons améliorer les choses, mais nous avons déjà les instruments pour le faire. Depuis une dizaine d'années, nous avons constaté que la multiplication des structures ne plaidait pas en faveur d'une meilleure efficacité de notre travail.
La commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants.
En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat.