EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 10 juin 2020, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport de Mme Frédérique Puissat, rapporteur, sur la proposition de loi (n° 481, 2019-2020) permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19.
M. Alain Milon , président . - Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19.
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la possibilité pour les travailleurs de donner des jours de repos et de les monétiser afin que le montant en soit reversé à l'extérieur de l'entreprise ou de la collectivité concernée ; aux modalités de la solidarité des personnes physiques ou morales en faveur des personnels des secteurs sanitaire et médico-social mobilisés dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19, du recueil et de la distribution de dons à cette fin, notamment sous la forme de chèques-vacances.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs à toute autre disposition relative au temps de travail et au droit au repos des salariés ; à l'encadrement du dispositif des chèques-vacances destiné aux travailleurs et à leur famille ; au statut, aux carrières et à la rémunération des personnels des secteurs sanitaire et médico-social ; à l'organisation du système de santé ; et au régime fiscal des dons aux associations.
J'en viens maintenant à la proposition de loi.
Nous sommes nombreux à avoir applaudi les soignants tous les soirs à 20 heures, sans pouvoir contribuer à la lutte contre l'épidémie autrement qu'en restant chez nous. Certains de nos concitoyens souhaitent aujourd'hui exprimer leur reconnaissance de manière plus concrète, et on a mis en avant la possibilité de donner des jours de repos. Des propositions de loi ont été déposées en ce sens, par exemple par notre collègue sénateur Édouard Courtial ou par le député Maxime Minot. L'idée a été reprise par le député Christophe Blanchet, qui y a ajouté un mécanisme de conversion en chèques-vacances.
En première analyse, renoncer à un jour de repos en signe de reconnaissance envers des personnels qui n'ont guère eu l'occasion de se reposer au cours des derniers mois semble intéressant et généreux.
Dans la mesure où les personnels soignants n'ont souvent pas l'occasion de prendre les congés auxquels ils ont droit, l'idée d'une monétisation peut sembler séduisante, même si elle se distingue nettement des possibilités de don de jours de congé qui existent déjà. Enfin, le recours aux chèques-vacances permet de flécher les dépenses vers l'industrie touristique, qui a subi de plein fouet le confinement.
Pour autant, la proposition de loi déposée par Christophe Blanchet me semble appeler des précisions importantes pour pouvoir être applicable. J'avoue mon étonnement à la lecture attentive du texte adopté par l'Assemblée nationale. S'agissant d'un texte pour lequel le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée et dégage du temps sur son ordre du jour pourtant déjà bien chargé, je m'attendais à un dispositif un peu plus abouti et opérationnel. Or, le texte tel qu'il nous est transmis soulève plusieurs questions sérieuses, auxquelles les débats à l'Assemblée nationale n'ont apporté aucune réponse.
Premièrement, le texte ne précise pas quels jours de repos pourraient faire l'objet de dons. Il ne pourrait s'agir des quatre premières semaines de congés payés, ce serait contraire au droit européen. Il ne pourrait pas non plus s'agir de la cinquième semaine, à moins de prévoir une dérogation au code du travail. Il s'agirait donc des jours de réduction du temps de travail (RTT) et des jours de repos conventionnels dont disposent notamment les salariés au forfait. De nombreux salariés n'en disposent pas et l'ampleur du dispositif se trouve donc réduite. Au demeurant, beaucoup ont été incités, voire contraints, à poser des jours de RTT pendant la période de confinement.
Deuxièmement, j'ai eu du mal à comprendre ce que signifie, au-delà de l'intention généreuse, le mécanisme de don de jour de repos et sa monétisation. Dans les dispositifs actuels, un salarié peut donner un jour de congé à un de ses collègues proche aidant, dont l'enfant est malade ou vient de décéder et qui a besoin de ce temps. Ce mécanisme est simple : il s'agit de solidarité entre salariés d'une même entreprise, l'un faisant le travail de l'autre à sa place. Pour l'employeur, l'opération est neutre. En revanche, dans le dispositif qui nous est proposé, un salarié donnant un jour de repos irait travailler ce jour-là. Sa rémunération ne changerait pas. Pour sa part, l'employeur verserait, en plus de la rémunération du salarié, l'équivalent d'une journée de salaire à l'Agence nationale des chèques-vacances (ANCV). La journée de travail serait ainsi en quelque sorte payée deux fois par l'employeur : une fois au salarié et une fois sous forme de virement à l'ANCV. Il est vrai que les employeurs privés provisionnent les jours de RTT non pris par leurs salariés ainsi que les charges. L'opération serait neutre pour l'employeur d'un point de vue comptable, mais, d'un point de vue financier, il s'agirait d'un décaissement de trésorerie supplémentaire, à l'heure où celle-ci fait parfois défaut.
L'idée sous-jacente est qu'une journée de travail supplémentaire représente pour l'entreprise un surcroît de production, dont le fruit peut être reversé au bénéfice des soignants. C'est la logique qui a prévalu au moment de la création de la journée de solidarité au profit du financement de la dépendance, dans des circonstances qui ont d'ailleurs des similarités avec la situation actuelle.
Or, il me semble que ce raisonnement, qui est sans doute valable à l'échelle macroéconomique, ne peut pas être reproduit à l'échelle individuelle.
Dans certaines entreprises et pour certains postes, une journée de travail supplémentaire correspond effectivement à une production quantifiable. Dans bien des structures, en revanche, le travail est organisé de manière globale, ou partagé au sein d'une équipe, et il est difficile d'identifier la production marginale individuelle d'un salarié pour un jour donné. Concrètement, un cadre au forfait-jours qui travaillerait lundi 13 juillet prochain plutôt que de poser une journée de RTT ne produirait pas une richesse supplémentaire qui pourrait être reversée à l'ANCV.
De plus, dans de nombreuses entreprises, les jours de repos sont posés dans des périodes d'activité moins forte, voire de fermeture des sites de production, et il ne sera pas nécessairement possible à un employeur de donner du travail à un salarié qui choisirait de renoncer à un jour de RTT.
Enfin, ce qui peut être difficile dans le secteur privé l'est encore davantage dans le secteur public ou dans le secteur associatif. En effet, dans une organisation sans but lucratif, le travailleur ne génère pas de chiffre d'affaires, mais rend un service qui n'est pas immédiatement monétisable. Par ailleurs, au plan comptable, les employeurs publics ne provisionnent pas les jours de repos non pris. Dans les faits, le choix par un salarié de renoncer à un jour de congé se traduira plutôt par un versement de l'employeur.
D'ailleurs, si la prise en charge de la dépendance est symboliquement financée par une journée de solidarité travaillée par les salariés, il s'agit dans les faits d'un prélèvement obligatoire, la contribution solidarité autonomie (CSA), acquittée par les employeurs.
Le dispositif qui nous est proposé apparaît donc comme une contribution volontaire pour les employeurs.
Je ne voudrais surtout pas désespérer de la générosité des employeurs, et je suis persuadée que certains sont prêts à jouer le jeu de la solidarité. Néanmoins, tous ne le voudront ou ne le pourront pas. Le succès du dispositif s'en trouve donc sérieusement obéré. Surtout, ce qui nous est proposé ne correspond pas tout à fait à l'idée de solidarité des travailleurs envers les soignants, qui est à l'origine de la proposition de loi.
Je pense que cette solidarité peut s'exprimer de manière plus directe, sans qu'un dispositif de don de jours de congé, nécessairement fictif et complexe à mettre en place, soit nécessaire.
Troisièmement, dans l'hypothèse où, malgré ces difficultés, une somme conséquente serait versée à l'ANCV, le texte ne précise pas les modalités selon lesquelles cette somme serait répartie.
Les bénéficiaires potentiels seraient les personnels publics et privés des établissements de santé, des établissements et services médico-sociaux et des services d'aide et d'accompagnement à domicile, dont le revenu imposable - ou celui du foyer, ce n'est pas précisé - ne dépasse pas trois fois le SMIC et qui ont été, je cite, « mobilisés pendant l'épidémie de Covid-19 ». Je passe sur le fait que l'épidémie n'est pas terminée, et sur le caractère relativement flou de la notion de mobilisation. Cette liste de bénéficiaires apparaît particulièrement large, ce qui risque d'entraîner une forte dilution de l'enveloppe qui serait disponible.
Ce risque de dilution doit d'autant plus être souligné que certains d'entre vous pourraient souhaiter, non sans raisons, élargir encore cette liste afin de prendre en considération les efforts d'autres catégories de travailleurs.
Il ressort de mes échanges avec le ministère du travail que le Gouvernement se garde la possibilité de préciser ces points ultérieurement par décret, en fonction des sommes récoltées, afin de ne pas distribuer des sommes dérisoires. Encore faudrait-il que le dispositif soit borné dans le temps, ce qui n'est pas le cas dans le texte qui nous est transmis.
Au-delà de ces interrogations techniques et de l'ampleur des précisions qui devront être apportées par voie règlementaire, je me suis interrogée sur l'opportunité de ce texte.
Certes, les soignants et les travailleurs du secteur médico-social méritent notre reconnaissance. Toutefois, la proposition adoptée par l'Assemblée nationale, et que le Gouvernement nous demande d'examiner, m'apparaît en décalage avec leurs aspirations et leurs besoins, alors que des mesures structurantes doivent être adoptées dans le cadre du Ségur de la santé.
Le choix de passer par des chèques-vacances s'explique par une volonté de soutenir le secteur touristique, particulièrement sinistré en raison de la crise sanitaire. Je partage cet objectif, mais, là aussi, la solution proposée peut sembler dérisoire par rapport aux enjeux.
De plus, si le droit ne permet pas aujourd'hui la monétisation des jours de repos, parce que ces jours ont justement vocation à permettre au salarié de se reposer, je ne suis pas certaine que les moyens pour les Français de se montrer solidaires, par des dons ou des actions, manquent aujourd'hui au point qu'un dispositif aussi flou et complexe doive être imaginé.
Enfin, si les soignants méritent notre reconnaissance, d'autres publics pourraient également en bénéficier. Je pense notamment aux caissières des supermarchés, aux pompiers, aux forces de l'ordre, mais la liste est longue. Certains de nos concitoyens n'ont pas pu travailler et certains se retrouvent aujourd'hui dans une situation de précarité, ayant perdu leur emploi ou une partie de leur chiffre d'affaires.
Nombre d'entre eux en sont à demander, non pas des chèques-vacances, mais des aides alimentaires.
On est en droit de s'interroger, dans ce contexte, sur la pertinence et l'urgence de débattre d'un mécanisme qui permettrait, s'il fonctionne, d'accorder quelques dizaines d'euros aux personnels soignants.
J'ai été tentée de vous proposer le rejet de cette proposition de loi, tant elle contrevient à ma conception du rôle du législateur. Nous ne sommes pas élus pour envoyer des signaux de solidarité, ni pour « rendre possible l'impossible », comme le revendique, en toute modestie, l'exposé des motifs du texte, mais pour écrire des lois qui doivent être utiles, sous peine, comme l'écrivait Montesquieu, d'affaiblir celles qui sont nécessaires.
Toutefois, je mesure la bonne volonté, partagée au-delà des divergences partisanes, qui a présidé à la rédaction de ce texte. J'ai donc choisi d'adopter une position constructive et à défaut de rendre l'impossible possible, de donner un minimum de portée opérationnelle à ce texte.
Je vous en propose donc une réécriture globale.
Premièrement, je vous proposerai de remplacer le dispositif quelque peu baroque de don de jours de repos par un don par le salarié de sa rémunération au titre d'une ou plusieurs journées de travail. La solidarité souhaitée par le salarié serait ainsi effectivement supportée par lui, sans que l'employeur ait son mot à dire. Cette possibilité serait donc ouverte y compris aux salariés qui ne disposent pas de jours de repos.
Il me semble en effet porteur de sens que ce soit en renonçant au fruit d'une journée de travail que les salariés puissent manifester leur reconnaissance envers les personnels soignants qui se sont trouvés en première ligne dans la lutte contre l'épidémie pendant que la population était confinée.
L'employeur pourrait tout à fait participer à la solidarité manifestée par ses salariés en abondant les montants versés à l'ANCV, soit unilatéralement, soit dans le cadre d'un accord permettant d'amorcer une dynamique au sein de l'entreprise.
Le fonds dédié à ce mécanisme, géré par l'ANCV, pourrait également être alimenté par des dons volontaires de toute personne physique ou morale. Cette possibilité pourra par exemple être utilisée par les salariés disposant de jours de RTT monétisables.
Par ailleurs, le dispositif serait étendu aux agents publics dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'État.
S'agissant de la répartition des fonds, je vous proposerai de conserver, sans l'élargir, le champ des bénéficiaires potentiels tel qu'il a été prévu par l'Assemblée nationale tout en laissant au Gouvernement la possibilité de préciser les critères applicables.
Les chèques-vacances seraient versés aux établissements éligibles au prorata de leur masse salariale, à charge pour eux de les répartir entre leurs agents en fonction de la connaissance qu'ils ont de l'investissement de chacun pendant l'épidémie. Il me semble en effet préférable que la répartition soit faite au plus proche du terrain plutôt qu'au niveau national.
La loi préciserait cependant que les bénéficiaires doivent avoir travaillé pendant la période de confinement de la population, soit entre le 12 mars et le 10 mai 2020 et, comme dans le texte actuel, que leur rémunération ne doit pas excéder le triple du SMIC.
Le dispositif que je propose est borné dans le temps, car c'est la condition pour que la somme à répartir soit connue. J'ai retenu la date du 31 août 2020, qui peut être débattue mais qui permet de ne pas trop déconnecter ce mécanisme de la situation à laquelle il vise à répondre.
La mise en oeuvre de ce dispositif suppose la publication rapide des décrets d'application. Je ne doute pas que, dans la mesure où il nous est demandé de statuer en urgence, le pouvoir exécutif aura à coeur de faire le nécessaire. J'ai néanmoins une pensée pour les services de l'État auxquels cette proposition de loi imposera une charge de travail supplémentaire, alors qu'ils ont par ailleurs d'autres sujets, sans doute au moins aussi importants, à traiter.
Sous réserve de l'adoption des amendements, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi.
M. Philippe Mouiller . - Bravo d'avoir réécrit le texte pour l'adapter à la situation. Un rejet pur et simple aurait été un signal négatif. Les soignants me parlent surtout du problème des primes, qui est loin d'être réglé. Leur avis sur cette idée de don de jours de repos est très négatif. Ils y voient un moyen de ne pas traiter les problèmes de fond... Ils perçoivent bien l'esprit de solidarité, mais attendent autre chose en termes de revalorisation de leurs métiers. Ce texte part d'un bon sentiment, mais a suscité une forte mobilisation pour exprimer de l'inquiétude, voire même du mécontentement.
Mme Michelle Meunier . - De la colère, même !
M. Martin Lévrier . - Je partage 90 % de ce qu'a dit notre rapporteur. L'enfer est pavé de bonnes intentions, et la loi n'est pas là pour les mettre en scène ! Pour autant, ce texte existe, et il serait bon d'en profiter pour créer une opportunité de manifester sa solidarité, malgré le risque de dilution très important des montants récoltés. Le don de jours de congé me semble faire un lien plus évident avec les chèques-vacances que celui d'une part de rémunération, même si ce dernier est plus simple pour l'employeur. Et cela peut fonctionner dans tous les secteurs, comme l'a montré la suppression d'un jour férié décidée par le Gouvernement de M. Raffarin : à un jour de travail correspond un salaire. En tous cas, il faudra veiller à notre communication, pour ne pas inquiéter le secteur médico-social.
M. Bernard Jomier . - Je partage aussi les remarques du rapporteur. Nous ne sommes pas défavorables à des dons de RTT ou de jours de congé faits à des collègues - piste qui avait été explorée pour les proches aidants par Mme Guidez. Certaines entreprises, comme Peugeot, organisent une telle solidarité en leur sein, et nous les saluons. Un amendement de M. Ségouin a été adopté en ce sens lors du débat sur le dernier projet de loi d'urgence sanitaire, et M. Bouillon avait également amendé le texte sur ce point à l'Assemblée. De là à institutionnaliser la monétisation de jours de congé, il y a un pas. D'ailleurs, les règles européennes limitent les possibilités. Les soignants, eux, sont réticents à être les seuls récipiendaires. Après tout, dans le train de six heures du matin, il n'y avait pas qu'eux... Ils rappellent aussi que la crise n'était pas un temps de congé ! Ils ajoutent que ce n'est pas comme cela qu'on règlera les problèmes de l'hôpital. Et, comme ils ont déjà du mal à prendre leurs congés, ils sont dubitatifs sur l'idée même... D'ailleurs, comment s'organisera le circuit de monétisation ? Qui seront les bénéficiaires ? On parle des étudiants, par exemple. Beaucoup de questions sont renvoyées au niveau réglementaire. À l'Assemblée, Mme Annie Chapelier, qui est infirmière anesthésiste à Nîmes, a fait part de son malaise face à ce texte. Le réécrire, est-ce la solution ?
Donner une part de sa rémunération pose aussi des questions - même si les Français ont fait preuve d'une grande générosité envers les associations pendant la crise.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je suis scandalisée par cette proposition de loi décalée, injuste et indécente, vu ce que vivent actuellement les salariés. Ce texte donne l'impression qu'ils n'auraient pas de coeur s'ils n'acceptent pas de donner une journée de congé aux soignants ! Nous avons tous applaudi les soignants. Mais là, il s'agit de prendre dans la poche des salariés, pour aboutir à des réductions de congé. Une vendeuse de Lens m'a récemment interpellée : elle perd 350 euros par mois sur un salaire de 1 500 euros, et va peut-être devoir vendre sa petite maison... De plus, les soignants ne sont pas d'accord avec cette proposition. Il faut arrêter de prendre dans la poche des salariés, de prendre aux pauvres pour donner aux malheureux, alors que des milliers de licenciements s'annoncent.
M. René-Paul Savary . - C'est ce qu'a annoncé le ministre de l'économie, en effet...
Mme Cathy Apourceau-Poly . - C'est à l'État de s'engager, d'embaucher plus de soignants et de revaloriser leurs salaires, au lieu de leur accorder une prime. Nous voterons donc contre cette proposition de loi, même réécrite, car son seul but est de faire oublier la gestion calamiteuse de la crise du Covid - 19 par le Gouvernement.
M. Alain Milon , président . - Voilà qui promet pour la commission d'enquête !
Mme Pascale Gruny . - Je trouverais dommage qu'on se précipite pour examiner un tel texte, qui soulève des questions complexes. Du point de vue des soignants, c'est de la charité, qui ne résoudra rien. Le Ségur de la santé durera quelques jours, alors qu'il faut une remise à plat complète du système de santé. Ce texte nous donnerait bonne conscience, sans doute, mais ne correspond pas à notre rôle de législateur. Une de mes amies, infirmière, totalise plus de mille heures supplémentaires non payées. Côté entreprises, ce texte prévoit une véritable usine à gaz. Qui gérera les sommes récoltées ? Allons - nous créer une Haute Autorité pour cela ?Il vaudrait mieux voter contre ce texte, à mon avis. D'ailleurs, beaucoup de salariés ont vu leurs revenus baisser pendant la crise.
Mme Élisabeth Doineau . - Je salue le travail de notre rapporteur, qui a montré la complexité du sujet. Une fois de plus, on nous demande d'inscrire dans la loi de bonnes intentions. Mais l'enjeu dépasse celui de la générosité. Les soignants veulent avant tout une juste reconnaissance de leur travail. Le Gouvernement a annoncé une revalorisation de leurs salaires et une réflexion sur leurs métiers. Le Ségur de la santé est une bonne initiative.
Augmenter les rémunérations ne suffira pas, il faut aussi penser au bien - être au travail, faire en sorte que les personnels soient toujours aussi motivés pour aller travailler. L'accent doit aussi être mis sur la formation continue et la revalorisation de tous les métiers. Certes, les infirmiers en pratique avancée auront plus de responsabilités, mais il est dommage qu'il y ait une coupure aussi nette entre ceux qui ont bac + 3 ou 5 et ceux qui ont bac + 10, voire plus.
Il serait judicieux de ménager, comme dans d'autres pays, des possibilités de progression, de montée en compétences. Enfin, il faut développer la recherche et y associer les soignants.
Les collectivités territoriales n'ont pas attendu une loi pour lancer des initiatives, comme l'opération « Le repos des héros ». Il faut laisser toute sa place aux initiatives de terrain. Ce texte a aussi l'inconvénient de créer un clivage entre les « bons » salariés, qui peuvent donner, et ceux qui ne le peuvent pas, car ils sont déjà dans une situation difficile, et qui vont culpabiliser. La loi ne peut pas tout et ce texte me semble un petit peu rocambolesque.
Mme Laurence Cohen . - Sous prétexte de solidarité, on s'attaque en fait au temps de travail, aux congés payés et aux salaires. C'est aux salariés et à ceux qui ont de petits revenus que l'on demande de faire preuve de solidarité, non aux actionnaires. Pourtant la France est la 6 e puissance économique mondiale et crée des richesses importantes. Les dividendes ont représenté 49 milliards d'euros l'an passé. En somme, on demande aux pauvres de faire l'aumône ! Cette proposition de loi part, certes, d'un bon sentiment, mais le Parlement n'est pas une association de charité et son rôle est de faire la loi. Si l'on considère que les soignants sont des « héros » - même si, pour ma part, je trouve que le terme est mal choisi - alors il convient d'améliorer leurs conditions de travail, d'augmenter les salaires, de recruter, non de faire l'aumône ! D'ailleurs les soignants considèrent que cette proposition de loi est quelque peu insultante. Nous voterons contre.
M. Yves Daudigny . - On peut s'étonner que le Gouvernement consacre une partie de son temps, en cette période, à des textes de cette nature, même s'il s'agit officiellement d'une proposition de loi du groupe LaREM. N'importe qui peut déjà en effet faire des dons aux associations de son choix. Il est donc inutile de faire intervenir l'employeur. Ce texte est incompréhensible !
M. René-Paul Savary . - Il est difficile de saisir l'intention du Gouvernement. Peut - être veut - il se rattraper après avoir été accusé de manquer d'humanité autour de la question du congé après la perte d'un enfant.
On peut se demander qui pourrait donner des jours de congé. S'agit - il des nombreux salariés qui ont été placés au chômage partiel pendant la crise et qui n'ont touché que 84 % de leur salaire ? Il semble difficile de leur demander un effort supplémentaire. S'agit - il de tous ceux - éboueurs, caissières, etc. - qui, comme les soignants, ont continué à travailler pour assurer des missions de service public ou faire tourner la France ? Il semble difficile de les solliciter. Peut - être à la rigueur pourrait - on demander une contribution à ceux qui ont continué leur activité en télétravail.
Ces dons s'accompagneront - ils d'un avantage fiscal ? En tout cas, ce n'est pas avec ce type de mécanisme que l'on réussira à remettre l'économie sur pied.
M. Gérard Dériot . - Je veux aussi féliciter notre rapporteur. Tout a été dit. Il faut aussi penser à la situation de ceux qui sont appelés à contribuer et qui sont parfois dans une situation très difficile. Il est difficile de voter un tel texte. D'un autre côté, si nous votons contre, nous repoussons le texte de notre rapporteur et c'est le texte initial que l'on devra examiner en séance.
Mme Martine Berthet . - Le dispositif est très complexe à mettre en oeuvre et les entreprises seront pénalisées, alors qu'elles sont déjà fragilisées par la crise. Merci à notre rapporteur d'avoir modifié le texte. En tout état de cause, celui - ci ne constitue qu'un petit pansement sur un mal beaucoup plus profond.
M. Alain Milon , président . - C'est un emplâtre sur une jambe de bois ! Nous avons convenu que le texte constituait une forme d'aumône et que l'aumône est vexatoire. D'un autre côté, si nous ne faisons pas l'effort de le réécrire, c'est le texte de l'Assemblée nationale qui sera examiné en séance et qui sera susceptible d'être adopté.
Il est évident que les professionnels de santé attendent autre chose du Gouvernement et du Parlement, ne serait - ce qu'en termes d'organisation du système de santé. Attention toutefois au piège que constitue la hausse des rémunérations. La masse salariale représente 80 % du budget des dépenses de l'hôpital. Celles - ci s'élevant à 80 milliards d'euros, nous devrions trouver 6,4 milliards d'euros dès l'an prochain pour financer une hausse de 10 % des salaires ! Je n'y suis pas défavorable, mais il convient de faire attention à nos propos si l'on ne veut pas courir le risque de décevoir les personnels soignants car nos moyens financiers sont limités.
M. René-Paul Savary . - Il y a beaucoup de personnel administratif, dans le lot...
M. Alain Milon , président . - Pas plus de 20 %.
M. René-Paul Savary . - Je croyais qu'ils étaient 34 %.
M. Alain Milon , président . - Tout dépend des établissements. Quoi qu'il en soit, le personnel administratif a aussi été mobilisé !
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Si notre commission n'adopte pas de texte, en effet, le débat aura lieu en séance sur le texte initial. Nous avons tous vu les réactions sur les réseaux sociaux de soignants qui trouvent que cette mesure n'est pas acceptable et la ressentent mal.
Je me réjouis que M. Lévrier partage 90 % de mes propos. J'entends sa remarque sur la monétisation des dons de jours de congé. Le secteur privé provisionne les jours de congé en haut de bilan, mais il n'a pas à les décaisser en principe. Cette proposition de loi le contraindra à procéder à des décaissements de trésorerie non prévus. Quant aux collectivités territoriales, il s'agira d'une dépense sèche. Faute de temps, nous n'avons pu auditionner les organisations des collectivités territoriales mais l'ADF m'a fait parvenir des contributions écrites. Si le texte de l'Assemblée nationale était adopté, le conseil départemental du Val - de - Marne estime par exemple qu'il aurait à débourser 1,28 million d'euros si chaque agent donnait trois jours de congé ! Pour une petite commune de l'Isère, dont la masse salariale est de 500 000 euros, la dépense supplémentaire serait de 36 000 euros...
Merci à M. Jomier pour ses propos. Les entreprises ont déjà mis en place en effet de très belles initiatives sur le don de jours. Nous avions aussi voté le texte de Mme Jocelyne Guidez sur le don de jours de repos au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap.
L'initiative de Total, qui a offert des pleins d'essence gratuits aux personnels soignants sous forme de bons de carburant, a montré la complexité du partage. On a pu mesurer les difficultés au sein de chaque établissement pour savoir qui devait en profiter, déterminer qui était éligible, qui avait à se déplacer et qui n'avait pas de déplacement, etc. Le partage risque d'être compliqué à gérer. Je précise aussi qu'il ne s'agit pas de congés payés, mais des RTT et des jours conventionnés.
Je ne suis pas surprise des propos de Mme Apourceau-Poly. Là encore, il est dommage que nous n'ayons pu, faute de temps, auditionner les syndicats. Nous les avons interrogés, mais sans retour, car ils sont très sollicités en ce moment. Cette proposition de loi est une initiative du Gouvernement et du groupe LaREM, mais deux élus du groupe Les Républicains, un député et un sénateur, ont aussi déposé deux propositions de loi en ce sens. En outre, il s'agit aussi d'une initiative citoyenne. Le Groupe Pasteur Mutualité, groupe d'assurances et de services pour les professionnels de santé, a ainsi lancé en mars dernier, sur les réseaux sociaux, un appel aux dons de jours de RTT sous le hashtag #JeDonneMesRTT.
Je partage les propos de M. Dériot, tant sur le fond que sur la forme. Mme Gruny a raison, ce texte arrive tard et n'aura pas les effets escomptés. Le texte issu de l'Assemblée sera source d'une grande complexité, d'un point de vue opérationnel, pour ceux qui sont chargés de faire des fiches de paie dans les entreprises ou les collectivités territoriales, les obligeant à faire des mandatements, parfois pour de très petites sommes, qui ne seront d'ailleurs peut-être pas acceptés par les trésoriers vu leurs montants. La complexité est inhérente au principe du texte ; elle vaudra aussi si le texte que je vous propose est adopté. En revanche, ma rédaction évite les doubles décaissements dans les collectivités.
Madame Doineau, comme nous auditionnerons cet après-midi M. Véran sur le Ségur de la santé, nous pourrions saisir l'occasion de l'interroger sur ce texte. Vous avez raison, tout ne peut être dans la loi. Il faut saluer les initiatives locales. Les collectivités et les citoyens n'ont pas attendu une loi pour agir. Cette solidarité est importante pour le lien social. Nous devons la soutenir, mais cela ne passe pas nécessairement par un texte de loi.
Le texte vise, en effet, d'abord, les salariés, mais il vise aussi tous les citoyens. Chacun peut faire un don.
Monsieur Daudigny, cette proposition de loi a été soutenue par le Gouvernement qui a profité d'une semaine réservée pour l'inscrire à l'ordre du jour. D'autres dispositifs de dons existent déjà.
Enfin, dernière précision, les dons ne pourront pas s'accompagner d'avantages fiscaux.
Nous nous sommes beaucoup interrogés sur la position à adopter. Un rejet pourrait être difficile à expliquer dans l'opinion, mais, après tout, on ne légifère pas pour se faire des amis. Le précédent du congé après la perte d'un enfant, qui a eu des impacts médiatiques forts comme l'a rappelé M. Savary, peut contribuer à expliquer la position du Gouvernement sur le sujet. Toutefois, dans la mesure où la procédure accélérée a été engagée, si nous rejetons le texte, la CMP sera immédiatement convoquée et l'Assemblée nationale aura le dernier mot.
De plus, n'oublions pas que ce texte, en l'état, représente un impôt volontaire pour les collectivités territoriales. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la réécriture que je vous propose.
M. Bernard Jomier . - Nous entendons vos arguments, mais, au stade de la commission, nous devons nous prononcer sur le fond. C'est pourquoi notre vote sera négatif, ce qui ne nous empêchera pas, en séance, de déposer des amendements pour éviter que le texte initial ne soit adopté.
M. Philippe Mouiller . - Il y a eu des débats au sein du groupe Les Républicains, mais l'avis général est de suivre la position de notre rapporteur.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Mon amendement COM-4 réécrit l'article 1 er .
Mme Laurence Cohen . - Nous sommes presque unanimes à dire que ce texte n'est pas bon. Faut-il vraiment chercher à le sauver, ou pousser un cri d'indignation en le rejetant ?
M. Martin Lévrier . - Je déposerai de nouveau mes amendements en séance, pour attirer l'attention sur le risque de dilution des dons en proposant de limiter le plafond de revenu des bénéficiaires à deux SMIC.
L'amendement COM-4 est adopté. En conséquence, les amendements COM-1 et COM-2 deviennent sans objet.
L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Frédérique Puissat , rapporteur . - Mon amendement COM-3 supprime cet article, par coordination avec la réécriture de l'article 1 er .
L'amendement de suppression COM-3 est adopté et l'article 1 er bis nouveau est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Tableau des sorts
Auteur |
N° |
Objet |
Sort
|
Article 1
er
|
|||
Mme PUISSAT, rapporteur |
4 |
Réécriture intégrale de l'article |
Adopté |
M. LÉVRIER |
1 rect. |
Condition de rémunération inférieure au double du SMIC |
Satisfait ou sans objet |
M. LÉVRIER |
2 rect. |
Condition de revenu imposable inférieur au double du SMIC |
Satisfait ou sans objet |
Article
1
er
bis
(nouveau)
|
|||
Mme PUISSAT, rapporteur |
3 |
Suppression de l'article |
Adopté |