ANNEXE :
DÉTAIL SUR LES HABILITATIONS À LÉGIFÉRER
PAR ORDONNANCES

I. LES DISPOSITIONS VISANT À GARANTIR LA CONTINUITÉ DES SERVICES DE L'ÉTAT

A. ADAPTER LE FONCTIONNEMENT DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE

1. Refuser une habilitation à légiférer en matière juridictionnelle injustifiée et inscrire « en clair » dans la loi certaines dispositions utiles en matière non pénale

Le Gouvernement sollicite par l'article 4 du projet de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, une habilitation à légiférer par ordonnances en matière juridictionnelle en vue de rétablir ou d'adapter 58 ( * ) à l'état de la situation sanitaire l'application de mesures dérogatoires déjà prises par ordonnances au printemps dernier sur le fondement des dispositions du c) du 2° du I de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 59 ( * ) .

Elles lui permettaient d'adapter, « aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions ».

Dès lors, les dispositions prises par ordonnances sur ce fondement tendaient à faciliter la continuité du fonctionnement  des juridictions , en leur permettant de recourir à divers assouplissements procéduraux parmi lesquels : le transfert de compétence entre juridictions lorsque l'une d'entre elles est dans l'incapacité de fonctionner 60 ( * ) , le recours étendu au juge unique ou à la procédure sans audience sans que les parties puissent s'y opposer dans certains contentieux 61 ( * ) , la restriction de la publicité des débats 62 ( * ) , ou encore l'organisation des audiences en visioconférence sur décision unilatérale du juge 63 ( * ) .

Au total, huit ordonnances ont été prises en matière juridictionnelle entre le 25 mars et le 20 mai 2020.

Récapitulatif des ordonnances prises en matière juridictionnelle
pour faire face à l'épidémie de covid-19

Date

Juridictions concernées

Intitulé de l'ordonnance

25 mars 2020

Juridictions pénales

Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19

25 mars 2020

Juridictions judiciaires statuant en matière non pénale (contentieux civil, commercial ou prud'homal)

Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété

25 mars 2020

Juridictions administratives

Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif

27 mars 2020

Juridictions pénales

Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale

8 avril 2020

Juridictions administratives

Ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif

13 mai 2020

Juridictions pénales

Ordonnance n° 2020-557 du 13 mai 2020 modifiant l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19

13 mai 2020

Juridictions administratives

Ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 modifiant l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif

20 mai 2020

Juridictions judiciaires statuant en matière non pénale (contentieux civil, commercial ou prud'homal)

Ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 modifiant l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété

Source : commission des lois du Sénat

Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement pourrait ainsi non seulement « réactiver » certaines de ces mesures très dérogatoires au droit commun, mais aussi les modifier voire les renforcer , ce que le terme « d'adaptation » figurant dans l'article 4 tel qu'adopté par l'Assemblée nationale permettrait.

La commission a considéré que dessaisir aussi largement le Parlement de sa compétence dans un domaine aussi sensible pour les droits fondamentaux des personnes que la justice n'était pas acceptable . Ce que le Sénat a accepté en mars 2020 dans une situation d'urgence, il ne peut y consentir de nouveau sept mois plus tard, sauf à considérer qu'une certaine forme d'impréparation justifie de légiférer par ordonnances.

Sur le fond, si certains assouplissements peuvent être envisageables pour garantir le respect de la distanciation sociale notamment, les travaux de contrôle de la commission des lois sur le suivi des mesures liées à l'épidémie de covid-19 64 ( * ) ont montré que les difficultés de fonctionnement des juridictions pendant le confinement étaient très majoritairement dues à des problèmes matériels et, en particulier en matière civile, à l'absence d'accès distant au logiciel de traitement de la chaîne civile ou à la plate-forme d'échanges de pièces avec les avocats.

Au surplus, habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans les conditions proposées lui permettrait de « réactiver », voire de rendre encore plus dérogatoires au droit commun, des mesures pour lesquelles la commission des lois avait émis de fortes réserves . Parmi celles-ci, citons la procédure sans audience sans l'accord des parties devant les juridictions judiciaires non pénales . Cette mesure fait d'ailleurs actuellement l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité sur sa conformité avec l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation le 24 septembre dernier 65 ( * ) .

Dans ces conditions, la commission a estimé que le Parlement devait se prononcer pleinement sur les mesures législatives à prendre en raison de la situation sanitaire . Elle a donc adopté, dans un état d'esprit constructif, un amendement COM-48 du rapporteur portant article additionnel après l'article 3 qui propose d'inscrire directement « en clair » plusieurs mesures législatives utiles à la continuité du fonctionnement des juridictions dans le contexte de l'état d'urgence sanitaire, tout en assurant une conciliation équilibrée avec les droits fondamentaux des personnes .

Il s'agit de « réactiver », en les encadrant davantage que dans les ordonnances du printemps dernier , dans le souci d'assurer un meilleur équilibre des procédures, la possibilité pour les seules juridictions judiciaires non pénales et les juridictions administratives :

- de restreindre la publicité des audiences ou de les tenir hors la présence du public , sur décision du juge ou du président de la formation de jugement, à condition que cette mesure soit strictement proportionnée au risque sanitaire ;

- ou de recourir à la visioconférence , à condition notamment que les parties en soient expressément d'accord et que, le cas échéant, leurs avocats soient physiquement présents auprès d'elles .

Le texte adopté par la commission « réactive » également la possibilité pour les premiers présidents de cour d'appel de transférer provisoirement la compétence d'une juridiction en incapacité de fonctionner à une autre juridiction , par exemple dans l'hypothèse d'un confinement local. La mission de contrôle de la commission des lois avait pu constater son utilité pour les conseils de prud'hommes. La commission reprend en outre la possibilité de recourir à une procédure écrite sans audience dans le cadre du contentieux administratif relevant de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation (dit « DALO injonction ») lorsque « le prononcé d'une injonction [ de logement ou relogement par l'État] s'impose avec évidence au vu de la situation du requérant ». Dans la mesure où la décision envisagée est favorable au requérant , l'absence d'audience et de débat oral devant la juridiction administrative ne pose pas ici de difficultés.

Ces dispositions dérogatoires auraient une « durée de vie » strictement limitée à l'état d'urgence sanitaire soit, conformément à la position de la commission à l'article 1 er du projet de loi, jusqu'au 31 janvier 2021 inclus .

Ainsi, l'habilitation à légiférer demandée par le Gouvernement en matière juridictionnelle à l'article 4, trop large et insuffisamment justifiée, n'aurait plus lieu d'être . La commission l'a donc supprimée par un second amendement COM-53 du rapporteur.

En matière pénale, la commission n'a pas jugé opportun , compte tenu des conséquences très lourdes sur les droits des personnes de la procédure pénale, de « réactiver » les assouplissements du printemps dernier . Le non recours à certaines dérogations , qui ne sont parfois jamais entrées en vigueur lors du pic de la crise sanitaire au printemps, plaide en faveur du statu quo : l'extension du juge unique par exemple, requérait un décret qui n'a jamais été publié. Dès lors, si la commission n'est pas hostile à ce que des dispositions dérogatoires soient adoptées ultérieurement en matière pénale en raison de la situation sanitaire, il conviendrait de les présenter au Parlement en justifiant précisément de leur nécessité.

2. Des dispositions techniques relatives aux assises

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement tendant à prolonger l'application de dispositions figurant à l'article 32 de la loi n°2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Ces dispositions visent à assouplir les règles qui régissent la composition de la liste des jurés appelés à siéger en cour d'assises (calendrier des opérations de tirage au sort, exigence de publicité, possibilité de tirer au sort un nombre de jurés plus important afin de pallier d'éventuelles absences liées à la crise sanitaire). Elles permettent également au premier président de la cour d'appel de désigner une autre cour d'assises pour statuer en appel si la cour normalement compétente n'est pas en état de siéger dans les délais légaux.

Ces mesures devaient s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2020 . L'amendement adopté par l'Assemblée nationale habilite le Gouvernement à les rétablir par ordonnance après cette date, éventuellement en les adaptant à l'évolution de la situation sanitaire.

La commission considère que ces dispositions pourraient effectivement conserver une utilité dans le courant de l'année 2021 , pour faire face à une crise sanitaire qui se prolongerait, mais aussi pour sécuriser le fonctionnement des cours d'assises qui doivent apurer un stock important d'affaires criminelles en attente de jugement.

Il n'est cependant pas nécessaire de procéder pour atteindre cet objectif à une habilitation à légiférer par ordonnance . La commission a donc adopté un amendement COM-58 qui supprime l'habilitation prévue à l'article 4 puis un amendement COM-66 qui prolonge la durée d'application de ces mesures jusqu'à la fin de l'année 2021 .

Il s'agit par cette mesure d'apporter des éléments de souplesse aux juridictions criminelles, étant précisé qu'elles ne seront pas tenues d'utiliser ces facultés si la mise en oeuvre des règles de droit commun ne soulevait pas de difficultés. L'échéance envisagée devrait répondre aux besoins exprimés par les juridictions sur le terrain.


* 58 « Le cas échéant de manière territorialisée ».

* 59 La commission note que le Gouvernement n'a pas souhaité demander la possibilité de rétablir ou d'adapter les mesures prises sur le fondement du d) de cet article concernant les règles relatives au déroulement des gardes à vue, au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique. Ces mesures avaient suscité d'importantes polémiques et de nombreux contentieux aboutissant à ce que la Cour de Cassation juge inconventionnelles les dispositions tendant au prolongement de plein droit des détentions provisoires.

Après avoir semble-t-il hésité la Gouvernement n'a pas souhaité non plus rétablir ou adapter des mesures sur le fondement du e) pour assouplir les modalités d'affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires ainsi que les modalités d'exécution des fins de peine et les règles relatives à l'exécution des mesures de placement et autres mesures éducatives.

* 60 Cette faculté n'était pas ouverte aux juridictions administratives.

* 61 Cette faculté n'était pas ouverte en matière pénale.

* 62 Idem note supra .

* 63 Voir commentaires des ordonnances figurant dans les trois rapports de la mission de contrôle de la commission des lois sur les mesures liées à l'épidémie de covid-19 publiés en le 2 avril, le 29 avril et le 8 juillet 2020. Ces rapports sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/commission/loi/missions_de_controle/mission_de_controle_sur_les_mesures_liees_a_lepidemie_de_covid_19.html

* 64 Voir notamment le rapport d'information n° 609 (2019-2020) fait au nom de la commission des lois « Mieux organiser la Nation en temps de crise (justice, sécurité, collectivités et administration territoriales, élections) - Rapport final sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire, par MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Dany Wattebled. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/r19-609/r19-6091.pdf

* 65 Cour de cassation, deuxième chambre civile, 24 septembre 2020, n° 1138 FS-D, renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cet arrêt est consultable à l'adresse suivante :

https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2020-09/2020866qpc_saisinecass.pdf

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