N° 109
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 novembre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, autorisant la prorogation de l' état d' urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Première lecture : 3464 , 3472 et T.A. 489
Commission mixte paritaire : 3498
Nouvelle lecture : 3495 , 3502 et T.A. 494
Première lecture : 74 , 78 , 79 et T.A. 12 (2020-2021)
Commission mixte paritaire : 99 et 100 (2020-2021)
Nouvelle lecture : 108 et 110 (2020-2021)
L'ESSENTIEL
Après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) qui s'est réunie le 30 octobre 2020, la commission des lois a examiné le jeudi 5 novembre 2020, en nouvelle lecture , le rapport de Philippe Bas sur le projet de loi n° 108 (2020-2021) autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire , adopté par l'Assemblée nationale le 4 novembre.
En première lecture, comme il l'a toujours fait depuis mars 2020, le Sénat, dans un esprit de responsabilité, avait accordé au Gouvernement les moyens nécessaires pour faire face à la reprise brutale de l'épidémie de covid-19 .
Au vu de l'aggravation de la situation sanitaire, il avait ainsi non seulement souscrit à la prolongation de l'état d'urgence sanitaire et des systèmes d'information de lutte contre l'épidémie, mais également accepté les habilitations à légiférer par ordonnances qui s'avéraient nécessaires.
Les modifications que le Sénat avait apportées au texte poursuivaient un objectif principal : préserver les droits du Parlement en cette période de crise . À cette fin, il avait choisi de mieux encadrer et de limiter dans le temps la prolongation de l'état d'urgence sanitaire , de manière à maintenir un contrôle resserré du législateur sur la nécessité et la proportionnalité des mesures prescrites pour lutter contre l'épidémie.
Refusant de confier un blanc-seing au Gouvernement, il avait également réduit de moitié le nombre d'habilitations à légiférer par ordonnances , soit car elles apparaissaient trop étendues ou injustifiées, soit parce qu'il lui semblait plus efficient d'inscrire directement dans la loi les mesures d'urgence envisagées.
Réunie sans délai après l'adoption du texte par le Sénat, la commission mixte paritaire (CMP) n'est pas parvenue à un accord . Une divergence fondamentale est apparue entre les deux chambres concernant le rôle du Parlement en temps de crise : pour le Sénat, plus les libertés publiques sont restreintes pour lutter contre l'épidémie, plus le Parlement doit exercer, par le vote de la loi, son contrôle .
Le Sénat ne peut pas se résoudre à autoriser le Gouvernement à prolonger les régimes d'exception jusqu'au 1 er avril 2021 sans solliciter l'accord du Parlement à intervalles réguliers. Comme l'a souligné le rapporteur lors de la CMP, « l'exécutif, loin de vouloir éviter le vote du Parlement, devrait le réclamer, pour élargir la légitimité de son action, car il a besoin, pour le succès même de cette action, que cette légitimité soit bien installée ». L'ampleur de la crise sanitaire exige, en effet, une unité nationale autour de la nécessité de vaincre l'épidémie.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli, pour l'essentiel, son texte de première lecture, ne concédant que quelques apports ponctuels au Sénat et se refusant à engager tout dialogue avec lui sur un aménagement des conditions de prolongation de l'état d'urgence sanitaire et sur la réduction du périmètre des habilitations.
Fermé à toute évolution réelle par rapport à son texte initial, le Gouvernement n'a pas fait l'effort de présenter des arguments de fond pour justifier ses demandes de suppression, par exemple en ce qui concerne la sécurisation des élections régionales et départementales de 2021. Une seconde délibération a même été nécessaire, à l'Assemblée nationale, pour imposer le texte du Gouvernement sur l'état d'urgence sanitaire.
Compte tenu de l'importance du texte examiné et soucieuse de faire prévaloir les droits du Parlement en cette période de crise sanitaire, la commission des lois du Sénat a souhaité maintenir ses positions adoptées en première lecture, tant en ce qui concerne l'état d'urgence sanitaire que les habilitations sollicitées par le Gouvernement.
Elle a adopté 37 amendements pour poursuivre le débat avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale.
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I. L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE : UN DÉSACCORD PROFOND SUR L'ÉTENDUE DES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT EN TEMPS DE CRISE SANITAIRE
A. L'OBJECTIF DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : SOUTENIR LA LUTTE CONTRE LA COVID-19, EN PRÉSERVANT LES DROITS DU PARLEMENT
Partageant le souci de conférer à l'exécutif les outils nécessaires pour juguler la reprise brutale de l'épidémie de covid-19 au cours des dernières semaines, le Sénat a abordé l'examen du projet de loi en première lecture dans un esprit de responsabilité et accepté, dans son principe, la prolongation de l'état d'urgence sanitaire au-delà du 16 novembre prochain.
Compte tenu de la rigueur des restrictions imposées à la population et des atteintes portées aux libertés individuelles, en particulier à la liberté d'aller et de venir, il a toutefois jugé indispensable que cette prorogation soit accompagnée d'un contrôle resserré du Parlement .
À cette fin, il a, à l'initiative de la commission, apporté deux principales modifications au texte.
Afin que la prolongation de régimes d'exception soit soumise à une approbation régulière du Parlement , le Sénat a, en premier lieu, ramené au 31 janvier 2021 le terme de l'état d'urgence sanitaire et supprimé la prolongation, jusqu'au 1 er avril 2021, du régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire .
En second lieu, il a souhaité encadrer plus fortement la mesure de l'état d'urgence sanitaire la plus restrictive de la liberté d'aller et de venir, à savoir le confinement , en conditionnant sa prolongation au-delà du 8 décembre 2020 à un nouveau vote du Parlement.
Sans réduire la capacité d'action du Gouvernement au cours des prochaines semaines, ni l'efficacité de la lutte contre la covid-19, ces modifications sont apparues nécessaires pour permettre au législateur de s'assurer, sur une base régulière, de la nécessité et de la proportionnalité des prérogatives accordées à l'exécutif en vertu de ce droit d'exception.
Comme le relevait le rapporteur en première lecture, « dès lors qu'il y a reconfinement, le contrôle du Parlement doit s'exercer. Plus les droits des Français sont mis en cause, plus le Parlement doit être présent ! » 1 ( * ) .
* 1 Propos tenus par le rapporteur Philippe Bas lors de l'examen en séance publique du projet de loi, le 29 octobre 2020.