Rapport n° 135 (2021-2022) de M. Philippe BAS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 novembre 2021
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L'ESSENTIEL
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I. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES
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A. SUR LA NÉCESSITÉ D'ASSURER UN
CONTRÔLE PARLEMENTAIRE RÉGULIER DES PRÉROGATIVES
EXCEPTIONNELLES ACCORDÉES AU GOUVERNEMENT
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B. SUR LA TERRITORIALISATION ET L'ENCADREMENT DES
OUTILS DE LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE
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C. SUR L'ACCÈS DES DIRECTEURS
D'ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES AUX DONNÉES DE SANTÉ DE LEURS
ÉLÈVES
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A. SUR LA NÉCESSITÉ D'ASSURER UN
CONTRÔLE PARLEMENTAIRE RÉGULIER DES PRÉROGATIVES
EXCEPTIONNELLES ACCORDÉES AU GOUVERNEMENT
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II. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA
QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE IRRESPECTUEUX DES
PRÉROGATIVES DU PARLEMENT
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I. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES
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EXAMEN EN COMMISSION
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RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (RÈGLE DE L'ENTONNOIR)
N° 135
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
Première lecture : 4565 , 4574 et T.A. 682 Commission mixte paritaire : 4625
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Sénat : |
Première lecture : 88 , 104 , 109 , 110 et T.A. 21 (2021-2022) Commission mixte paritaire : 120 et 121 (2021-2022)
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SOMMAIRE
I. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES 5
A. SUR LA NÉCESSITÉ D'ASSURER UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE RÉGULIER DES PRÉROGATIVES EXCEPTIONNELLES ACCORDÉES AU GOUVERNEMENT 6
B. SUR LA TERRITORIALISATION ET L'ENCADREMENT DES OUTILS DE LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE 7
C. SUR L'ACCÈS DES DIRECTEURS D'ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES AUX DONNÉES DE SANTÉ DE LEURS ÉLÈVES 8
II. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE IRRESPECTUEUX DES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT 8
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (RÈGLE DE L'ENTONNOIR) 17
L'ESSENTIEL
Réunie le 4 novembre 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois du Sénat a examiné, en nouvelle lecture, le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche) sur le projet de loi n° 131 (2021-2022) portant diverses dispositions de vigilance sanitaire , adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture .
I. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES
Après l'échec de la commission mixte paritaire le 2 novembre 2021 , l'Assemblée nationale a achevé le 3 novembre l'examen en nouvelle lecture des articles du projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. Initialement composé de six articles, il en comptait onze au terme de son examen par l'Assemblée nationale et vingt-cinq à l'issue de son examen par le Sénat, qui en a supprimé un. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte, ne retenant des apports du Sénat que les articles additionnels qui avaient été adoptés avec un avis favorable du Gouvernement. Aucun article n'a été adopté dans les mêmes termes.
Le Sénat a constamment assumé ses responsabilités pour permettre aux autorités sanitaires de faire face à l'épidémie de covid-19. Il l'a fait de nouveau en adoptant en première lecture le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire après l'avoir amendé pour adapter les moyens d'action du Gouvernement à la réalité de l'épidémie, compte tenu des progrès de la vaccination et de la mise au point rapide de traitements prometteurs, qui ne doivent cependant pas empêcher la poursuite d'une action vigilante face aux indices d'une reprise des contaminations.
A. SUR LA NÉCESSITÉ D'ASSURER UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE RÉGULIER DES PRÉROGATIVES EXCEPTIONNELLES ACCORDÉES AU GOUVERNEMENT
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli au 31 juillet 2022 la date de terme des prérogatives exceptionnelles accordées au Gouvernement. Elle a également rétabli les demandes de rapports au Gouvernement, qui permettent selon elle d'assurer un contrôle effectif des prérogatives accordées.
Ce faisant, les députés ont avalisé la mise à l'écart du Parlement du contrôle des prérogatives exercées par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie de covid-19, alors même que ces prérogatives sont par nature fortement restrictives des libertés de nos concitoyens et ne se justifient plus au même degré qu'avant l'été.
Le Sénat, fort de sa position constante lors de l'examen de l'ensemble des textes législatifs de lutte contre l'épidémie, avait choisi de fixer le terme des prérogatives exceptionnelles accordées par le législateur au Gouvernement au 28 février 2022. Cette habilitation à agir pendant une durée de trois mois et demi était cohérente avec les périodes précédemment décidées par le législateur .
Il convient en effet de distinguer l'existence juridique de l'état d'urgence sanitaire , qui a été prolongé pour une durée de dix mois et demi par la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire , de la possibilité pour le Gouvernement d'exercer effectivement des prérogatives restrictives de liberté - dans le cadre du régime de l'état d'urgence sanitaire lorsque celui-ci avait été activé ou du régime de gestion de la crise sanitaire. L'exercice effectif des prérogatives accordées au Gouvernement a toujours été strictement encadré dans la durée , la plus longue prolongation ayant été de quatre mois lors de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire .
Le rétablissement par l'Assemblée nationale de la date du 31 juillet 2022 comme terme des prérogatives accordées au Gouvernement dans le cadre du régime de gestion de la crise sanitaire constitue en cela une rupture majeure dans le contrôle parlementaire des mesures de lutte contre la covid-19 .
En opposant une fin de non-recevoir à l'exigence d'une nouvelle autorisation législative d'exercice des pouvoirs exceptionnels avant le 28 février 2022, le Gouvernement fait obstacle au droit du Parlement d'exercer sans entrave sa mission constitutionnelle de protection des libertés. C'est en effet à la représentation nationale et à elle seule que revient dans sa diversité la prérogative d'apprécier régulièrement la proportionnalité et l'adaptation aux exigences de la santé publique des mesures de contrainte que le Gouvernement demande à être autorisé à prendre.
B. SUR LA TERRITORIALISATION ET L'ENCADREMENT DES OUTILS DE LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE
Le deuxième point de divergence insurmontable avec l'Assemblée nationale était constitué par les modalités de mise en oeuvre du passe sanitaire et des autres prérogatives accordées au Gouvernement .
Considérant que le passe sanitaire avait rempli son rôle en incitant à une forte accélération de la vaccination, le Sénat avait choisi de territorialiser cet outil en ne le reconduisant que dans les départements où le taux de vaccination de la population de plus de douze ans était inférieur à 80 % et où une circulation active du virus était observée.
En ce qui concerne le cadre juridique des prérogatives accordées au Gouvernement, deux régimes différents existent aujourd'hui - le régime de l'état d'urgence sanitaire et le régime de gestion de la crise sanitaire - qui rassemblent des prérogatives largement similaires qui ne se recoupent toutefois pas parfaitement. Plus précisément, seul le régime de l'état d'urgence sanitaire permet au Gouvernement d'imposer un confinement ou un couvre-feu, tandis que le passe sanitaire est rattaché au régime de gestion de la crise sanitaire. Cette dualité de régimes engendre une grande confusion , la population ne faisant plus la différence entre les deux cadres juridiques et ne connaissant pas les prérogatives qui se rattachent à chacun des deux régimes.
Le Sénat avait donc clarifié les outils de lutte contre la crise sanitaire en établissant un régime clair de vigilance sanitaire . Ce régime comprenait deux niveaux : un premier niveau dans lequel le Gouvernement disposerait de prérogatives adaptées à la diffusion actuelle de l'épidémie sur le territoire national ; et un second niveau , activable par décret motivé en conseil des ministres, dans lequel le Gouvernement disposerait de prérogatives plus restrictives de libertés afin de faire face à une éventuelle dégradation forte de la situation sanitaire . La prolongation des mesures prises dans le cadre du second niveau devait être décidée au-delà d'un mois par la loi.
L'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a là encore rétabli le texte initial du projet de loi , qui prévoit une simple prorogation sans aucune simplification d'un droit d'exception particulièrement complexe fondé sur la superposition de deux régimes de lutte contre l'épidémie, en grande partie concurrents . Cette décision ne permet pas une prise en compte au niveau législatif des spécificités territoriales et du niveau désormais très élevé de la vaccination. Elle laisse toute latitude au Gouvernement dans la prise en compte de ces éléments nouveaux, sans que le législateur ne joue son rôle dans l'appréciation du bien-fondé des contraintes susceptibles d'être imposées à nos concitoyens.
C. SUR L'ACCÈS DES DIRECTEURS D'ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES AUX DONNÉES DE SANTÉ DE LEURS ÉLÈVES
Enfin, le troisième point de divergence concerne la nouvelle dérogation au secret médical que le Gouvernement souhaite créer au profit des directeurs d'établissements d'enseignement scolaire aux fins de « faciliter l'organisation de campagnes de dépistage et de vaccination » et d' « organiser des conditions d'enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus ».
Le Sénat, saisi pour la seconde fois de cette disposition aux contours flous, qui pourrait permettre d'organiser les classes selon le statut vaccinal des élèves, s'y est opposé , considérant qu'il n'y avait pas lieu d'autoriser les chefs d'établissements à connaître le statut virologique et vaccinal de leurs élèves, ainsi que leur statut de cas-contact, ce alors même qu'un employeur ne peut y avoir accès pour ses salariés.
Permettre une discrimination entre élèves pour l'accès aux enseignement fondée sur leur statut vaccinal ou virologique et remettre ainsi en cause les exigences fondamentales du secret médical sans justification sérieuse du point de vue de l'efficacité de la lutte contre le virus est inacceptable et paraît en outre intervenir totalement à contretemps à l'heure où la situation sanitaire évolue plus favorablement.
Le Sénat a préféré prolonger jusqu'au 28 février 2022, le dispositif de communication aux chefs d'établissement par les organismes d'assurance maladie des indicateurs en matière de contamination et de vaccination.
L'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a là encore rétabli le texte initial du projet de loi .
II. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE IRRESPECTUEUX DES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT
La position de l'Assemblée nationale sur ce projet de loi constitue une source de très vive préoccupation. Dans un domaine aussi important que les libertés individuelles, il n'est pas acceptable que la représentation nationale tout entière soit tenue à l'écart des pouvoirs exercés par l'exécutif pour restreindre ces mêmes libertés . Le Sénat considère que la défense des droits de la représentation nationale, c'est la défense des droits de nos concitoyens, d'autant plus que la date choisie par l'Assemblée nationale conduira à accorder à un Gouvernement encore inconnu des prérogatives ayant pour effet de restreindre les libertés.
À l'initiative du rapporteur, la commission a donc adopté la motion tendant à opposer au texte la question préalable et qu'elle déposera pour la séance publique.
*
* *
La commission n'a pas adopté de texte et a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Le projet de loi sera examiné en nouvelle
lecture en séance publique
le jeudi 4 novembre 2021.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons cet après-midi, en nouvelle lecture, le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, sur lequel notre rapporteur a déposé une motion tendant à opposer la question préalable.
M. Philippe Bas , rapporteur . - C'est avec tristesse que j'ai déposé cette motion. J'ai le sentiment que nous avons défendu les droits de nos concitoyens, en voulant préserver le rôle de la représentation nationale, et que nous avons été bien seuls à le faire. Le rapporteur de l'Assemblée nationale nous a opposé, expressément au nom du Gouvernement, une fin de non-recevoir.
Cette tristesse est alimentée par le fait que cette fin de non-recevoir ne s'appuie sur aucune raison sanitaire ou liée à la lutte contre l'épidémie. Nous n'avons jamais dit que nous excluions par avance de donner de nouveau une autorisation au Gouvernement au-delà du mois de février, si cela devait être nécessaire. Nous avons seulement dit que nous ne pouvions pas concéder les pleins pouvoirs au Gouvernement jusqu'au 31 juillet 2022, sans assurer un réel contrôle parlementaire.
J'ajoute que, depuis le début de cette crise, nous avons parfaitement montré que nous avions le souci de la sécurité sanitaire de nos concitoyens, puisque nous avons accepté la plupart des demandes du Gouvernement, tout en les ajustant en cas de nécessité - je pense naturellement au couvre-feu, au confinement ou encore au passe sanitaire. On ne peut donc pas nous faire aujourd'hui le procès en irresponsabilité que certains voudraient nous faire. Pour autant, jamais nous n'avons accepté d'accorder au Gouvernement de tels pouvoirs exorbitants du droit commun pour une durée aussi longue.
À mon sens, la demande qui est nous faite dans ce texte est strictement politique. Ce ne sont pas les exigences de la lutte contre la crise sanitaire qui justifient que le Parlement ne soit pas saisi, si cela est nécessaire, au mois de février ; c'est uniquement la volonté explicite de ne pas perturber, par un débat parlementaire, la candidature d'Emmanuel Macron à la présidence de la République. J'ajoute que l'exécutif a tort de craindre un tel débat compte tenu de l'esprit de responsabilité dont nous avons toujours fait preuve.
Nous ne défendons pas une position d'opportunité ; il s'agit au contraire de la position constante du Sénat depuis le début de cette crise : nous défendons la séparation des pouvoirs et le rôle de contrôle du Gouvernement que doit exercer, selon notre Constitution, le Parlement, en particulier lorsque celui-ci décide de déléguer à l'exécutif une partie de ses compétences.
Déléguer notre compétence pour une durée aussi longue que celle qui est inscrite dans ce texte est absolument sans précédent et c'est le noeud de notre désaccord avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
Certains sujets auraient pu donner lieu à une discussion, comme les modalités de mise en extinction du passe sanitaire, mais ni l'Assemblée nationale ni le Gouvernement n'a fait le moindre mouvement dans notre direction.
De la même manière, s'agissant de l'information des chefs d'établissements scolaires sur le statut vaccinal ou virologique des enfants, il n'y a pas eu non plus la moindre discussion. Or cette question ne porte pas tant sur le secret médical que sur la possibilité de procéder à des discriminations entre élèves pour l'accès à l'enseignement en fonction de leur statut vaccinal, statut qui résulte d'une décision des parents.
Imaginez les réactions si un tel dispositif était transposé dans le monde du travail, c'est-à-dire entre employeurs et salariés. Ces réactions seraient légitimes : jamais un employeur ne pourrait décider d'admettre ou non dans l'entreprise un salarié en fonction de son statut vaccinal ou virologique. Il n'y a pas de raison de procéder différemment pour les élèves, d'autant que des procédures existent dans le cas où un élève est cas contact. Cette mesure, présentée comme banale, fait montre d'une grande légèreté, car elle me semble en fait extravagante.
Voilà les raisons pour lesquelles je propose à la commission d'adopter, en nouvelle lecture, une motion tendant à opposer la question préalable à ce texte.
M. Loïc Hervé . - De mon côté, j'éprouve du dépit.
M. Philippe Bas , rapporteur . - C'est assez proche de la tristesse...
M. Loïc Hervé . - Je pense que tout le monde y perd dans cette affaire.
Ceux qui, comme moi, sont opposés au passe sanitaire y perdent, parce qu'il va perdurer et que l'accoutumance s'installe... Nous ne sommes donc plus à mettre en place un dispositif « le temps d'un été »... Et on peut sincèrement s'interroger : dans quelles circonstances sanitaires ou épidémiologiques pourra-t-on supprimer le passe sanitaire, alors que, dès maintenant, une très grande partie de la population est vaccinée ? Malheureusement, cette question n'a pour l'instant aucune réponse.
Ceux qui sont favorables au passe sanitaire au Sénat y perdent aussi, puisque notre assemblée n'aura pas fait changer la position du Gouvernement d'un iota.
Finalement, le Sénat, dans son ensemble, y perd parce qu'il n'aura pas su apparaître, dans le débat public sur ce texte, comme le défenseur des libertés fondamentales, alors qu'il s'agit d'une position traditionnelle pour lui. J'ai sur ce point une divergence stratégique avec le rapporteur. Les efforts qu'il a fournis lors de l'examen en première lecture n'auraient eu de sens que s'il y avait eu un accord en commission mixte paritaire. Dans la mesure où il y a eu un désaccord, tout aura été vain.
Je rejoins toutefois le rapporteur sur un point, mais je pousserai sa logique un peu plus loin : l'exécutif aura la capacité incroyable de décider seul de supprimer le passe sanitaire, y compris durant la période électorale - le fait du prince, finalement ! Il pourra ainsi récompenser les « bons » citoyens au moment où il le jugera opportun... Et cette décision ne viendra pas du Parlement, mais de Jupiter ! Cette abdication décidée par l'Assemblée nationale aura nécessairement des conséquences sur la démocratie parlementaire ; c'est en ce sens une folie, et cela m'inquiète grandement.
J'espère ne pas avoir eu raison trop tôt ! En tout cas, je m'abstiendrai sur cette motion.
M. Jean-Yves Leconte . - Le groupe socialiste avait certaines convergences avec le texte adopté par le Sénat en première lecture. Nous partagions la volonté de territorialiser le passe sanitaire et l'opposition à la capacité des directeurs d'école de prendre connaissance du statut virologique des élèves.
Nous partagions surtout le profond regret que l'Assemblée nationale organise finalement sa propre démission, en permettant que de tels pouvoirs exceptionnels soient confiés au pouvoir exécutif.
Et c'est justement parce que nous considérons qu'il n'est pas convenable que le Parlement n'assume pas ses fonctions fondamentales - contrôler le Gouvernement et voter la loi - que nous nous opposons à la motion présentée par le rapporteur. Depuis un an et demi, le Parlement a participé à l'amélioration des outils mis en place pour lutter contre la crise et nous refusons qu'il démissionne aujourd'hui.
Il nous semble tout de même paradoxal que vous nous proposiez ici de ne pas adopter de texte. Il nous paraît pourtant nécessaire de réaffirmer en nouvelle lecture nos principes et notre opposition à un certain nombre de mesures.
M. Guy Benarroche . - Depuis le début, le groupe écologiste est opposé au passe sanitaire et nous n'avons soutenu ni le texte de la commission ni celui du Sénat. Nous pensions déjà que ces textes ne permettraient pas un accord en commission mixte paritaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Vous êtes pessimiste !
M. Guy Benarroche . - Loïc Hervé a expliqué pourquoi nous ne pourrions pas aboutir à un compromis. Il s'agissait d'une question de stratégie...
De fait, le Gouvernement n'a pas bougé d'un centimètre - il n'a d'ailleurs jamais eu l'intention de bouger et de coconstruire un texte avec nous. Comme toujours depuis le début de cette crise, toutes les décisions ont émané d'un seul endroit. Or rien ne justifie cette obstination, hormis des éléments politiciens - aucun argument de fond !
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu'il faut dire stop. Il n'est plus possible de discuter avec des gens qui n'ont pas l'intention de nous respecter.
Nous avons cependant déposé trois amendements, qui portent sur les points qui nous semblent les plus importants. Ils deviendront évidemment sans objet, si la motion tendant à opposer la question préalable était adoptée, mais nous avons estimé que, s'il n'est effectivement pas possible de discuter avec le Gouvernement, cela l'est encore au sein de notre commission...
Mme Éliane Assassi . - Le groupe CRCE n'a soutenu ni le texte du Sénat ni celui du Gouvernement. Plusieurs éléments nous ont poussés à prendre cette position, notamment la date en débat, la mesure relative aux directeurs d'école ou la question du passe sanitaire.
Mais finalement, la vérité est ailleurs ! Comme je le dis souvent, il y a le texte et le contexte... Or le contexte est particulier et, quoi que l'opposition puisse faire ou dire, rien ne passera du fait des élections à venir.
Par conséquent, même si nous ne partageons pas l'ensemble de l'objet de cette motion, nous la voterons. Il faut savoir dire stop !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion.
Nous sommes tous inquiets de ce qui se passe aujourd'hui. Nous voterons contre la motion, parce que, même si nous partageons l'analyse de base du rapporteur, nous voulons continuer le combat. Certes, nous ne pensons pas que la discussion serait plus fructueuse si nous débattions effectivement du texte, d'autant que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale hier en nouvelle lecture nie complètement le travail réalisé par le Sénat, mais nous pensons qu'il faut continuer.
Il me semble que nous avons tort de voter des motions si nous voulons dans le même temps défendre les droits du Parlement. Il y a là un paradoxe !
M. Philippe Bas , rapporteur . - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux articles restant en discussion, c'est-à-dire ceux concernant les prérogatives accordées aux autorités de l'État pour lutter contre la crise sanitaire et à la durée de celles-ci ; les traitements de données mis en oeuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19 ; les modalités de contrôle du respect de l'obligation vaccinale contre la covid-19 ; le champ des personnes soumises à l'obligation vaccinale ; les sanctions en cas de non-respect de l'obligation vaccinale ; et les modifications à apporter à diverses dispositions de nature législative prises pour faire face à la crise sanitaire, en particulier en matière d'activité partielle et d'indemnisation des salariés ne pouvant travailler en raison de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales, de droits d'auteur et de droits voisins, de modalités de vote, participation et réunion au sein des organes délibérants des collectivités territoriales pendant la crise sanitaire, de validité des titres de formation professionnelle maritime et de règles d'organisation des assemblées générales de copropriétaires.
La motion COM-1 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
L'ensemble des amendements devient sans objet.
M. François-Noël Buffet , président . - Il résulte de la décision de déposer une motion que nous n'adopterons pas de texte en commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Motion |
|||
M. BAS, rapporteur |
1 |
Motion tendant à opposer la question préalable |
Adopté |
Article 1 er |
|||
M. BENARROCHE |
2 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 2 |
|||
M. BENARROCHE |
3 |
Suppression de la prolongation du régime de gestion de la crise sanitaire |
Rejeté |
Article 4 ter |
|||
M. BENARROCHE |
4 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
RÈGLES RELATIVES À
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44
BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (RÈGLE DE L'ENTONNOIR)
Aux termes du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
Le Conseil constitutionnel considère qu'il ressort de l'économie de ces dispositions que « les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ».
Cette règle dite de « l'entonnoir » est reprise à l'article 48, alinéa 6, du Règlement du Sénat, aux termes duquel : « il ne sera reçu, au cours de la deuxième lecture ou des lectures ultérieures, aucun amendement ni article additionnel qui remettrait en cause, soit directement, soit par des additions qui seraient incompatibles, des articles ou des crédits budgétaires votés par l'une et l'autre assemblée dans un texte ou avec un montant identique. De même est irrecevable toute modification ou adjonction sans relation directe avec une disposition restant en discussion. »
Elle est assortie de trois exceptions, énoncées par le Conseil constitutionnel et mentionnées à l'article 48, alinéa 7, du Règlement du Sénat, qui permettent d'admettre la recevabilité des amendements et sous-amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle.
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du 4 novembre 2021, le périmètre indicatif du projet de loi n° 131 (2021-2022), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire .
Elle a conclu que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux articles restant en discussion relatifs :
- aux prérogatives accordées aux autorités de l'État pour lutter contre la crise sanitaire et à la durée de celles-ci ;
- aux traitements de données mis en oeuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19 ;
- aux modalités de contrôle du respect de l'obligation vaccinale contre l'épidémie de covid-19 ;
- au champ des personnes soumises à cette obligation vaccinale ;
- aux sanctions en cas de non-respect de cette obligation vaccinale ;
- aux modifications à apporter à diverses dispositions de nature législative prises pour faire face à la crise sanitaire, en particulier en matière d'activité partielle et d'indemnisation des salariés ne pouvant travailler en raison de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales ; de droits d'auteur et de droits voisins ; de modalités de vote, participation et réunion au sein des organes délibérants des collectivités territoriales pendant la crise sanitaire ; de validité des titres de formation professionnelle maritime ; et de règles d'organisation des assemblées générales de copropriétaires.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :