III. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL »

A. UNE SOUS-CONSOMMATION CHRONIQUE DES CRÉDITS

Le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR) a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural orientées par les priorités du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Celui-ci a pour priorité de « conforter le développement et la diffusion de systèmes de production innovants et performants à la fois du point de vue économique, environnemental et sanitaire » en s'appuyant sur les principes de l'agroécologie. Ce plan, qui couvre les années 2014 à 2020, a été prolongé d'un an jusqu'en 2021 pour tenir compte de la crise sanitaire et du décalage au niveau européen de la révision de la politique agricole commune.

1. Des recettes une nouvelle fois supérieures aux prévisions

Le CAS repose sur deux programmes : le programme 775 « Développement et transfert en agriculture » et le programme 776 « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».

Les crédits du programme 775 sont principalement destinés aux chambres d'agriculture, aux organismes chargés de la sélection génétique des animaux d'élevage, à la fédération des coopératives agricoles (Coop de France) et à d'autres organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). Il s'agit de diffuser des bonnes pratiques et des connaissances auprès des agriculteurs . Le programme est géré par la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE).

Quant au programme 776 , davantage orienté vers la recherche appliquée 6 ( * ) , il finance des recherches réalisées par une pluralité d'acteurs, au premier rang desquels les instituts techniques agricoles (la plupart se trouvant rattachés à des filières de production). Le programme est géré par la direction générale de l'enseignement et de la recherche. Par ailleurs, le pilotage de la recherche passe aussi par la procédure d'appel à projets .

Le CASDAR est alimenté par le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles, prévue à l'article 302 bis MB du code général des impôts.

Pour 2021, comparées à une prévision de recettes abaissée de 136 millions d'euros en 2020 à 126 millions d'euros, les recettes finalement perçues ont atteint 138 millions d'euros soit une plus-value de 12 millions d'euros.

De façon plus problématique encore, une grande partie de cette taxe, qui pèse davantage sur les petites exploitations, reste inemployée (cf. infra ).

2. ... Combinées à une sous-exécution de crédits, aboutissant à l'augmentation continue du solde comptable du CASDAR

D'abord, l'exécution des crédits, de 126 millions d'euros en AE et de 114 millions d'euros en CP, apparaît en diminution par rapport à 2020 , de 5 % en AE et de 10,6 % en CP.

Il est à noter, outre l'arrêté de report de crédits budgétaires 2020, l'ouverture de 10 millions d'euros de crédits supplémentaires, en AE et en CP , tenant compte d'une actualisation du montant de recettes par rapport aux prévisions initiales, comme ce fut le cas l'année dernière pour la première fois. L'ouverture tardive de ces crédits n'a pas permis qu'ils soient engagés avant la clôture de l'exercice 2021.

Dépense et gestion des crédits de paiement du CASDAR

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes

Surtout, si le taux de consommation des crédits votés ressort comme satisfaisant, une fois pris en compte les crédits reportés, la sous-consommation des crédits est manifeste : la consommation des crédits disponibles s'est ainsi élevée à 92 % en AE mais à 64 % en CP . Cette sous-consommation résulte principalement :

- d'une ouverture de crédits calculée chaque année en fonction des estimations de rendement de la taxe, sans que soient pris en compte les reports des exercices précédents, qui résultent de la pluriannualité des opérations financées par le CASDAR ;

- de prévisions de rendements de la taxe très prudentes (diminution des rendements estimés en 2021 de 10 millions d'euros, passant de 136 à 126 millions d'euros, alors que les recettes s'établissent in fine à 138 millions d'euros 7 ( * ) ).

En outre, la gestion des projets soutenus par le CAS implique, tout particulièrement pour le programme 776, un dépassement de l'annualité budgétaire. Ils sont conduits sur une durée souvent supérieure à l'année et mobilisent une séquence de versements qui l'excède. Dans ce contexte, des reports et des restes à payer interviennent à chaque fin d'exercice.

Un écart d'environ 7 millions d'euros est constaté depuis la création du CASDAR entre le solde comptable et les crédits reportés. Les justifications avancées par le ministère de l'agriculture font valoir que l'écart entre les crédits reportables et la capacité de reports tenant à la situation du solde comptable du compte proviendrait d'une erreur de programmation commise en 2006, les autorisations d'engagement alors inscrites n'ayant pas donné lieu à autant d'inscriptions en crédits de paiement à la suite de la cessation d'activité de l'Agence de développement agricole et rural. En outre, cet écart est amplifié depuis deux ans par des recettes supérieures aux prévisions et des crédits sous-consommés.

Par ailleurs, le ministère justifie la faible consommation des crédits notamment par la situation sanitaire, qui a ralenti certains travaux (recherches, laboratoires...). Or, les rapporteurs spéciaux relèvent que la sous-consommation des crédits apparaît chronique et non liée à la situation sanitaire .

Ainsi, la sous-exécution des crédits, combinée à des recettes plus importantes qu'escompté aboutit en 2021 à un résultat excédentaire de 25 millions d'euros, augmentant d'autant le solde cumulé du compte, qui s'élève à 118 millions d'euros en 2021, soit un montant représentant 85 % des recettes annuelles tirées de la taxe affectée. Le solde comptable a donc augmenté de 90 % depuis 2017.

En toute hypothèse, l'ampleur du solde comptable conduit à nourrir quelques inquiétudes sur les modalités de budgétisation du CASDAR dans l'avenir.

Dans ces conditions, les interrogations sur le financement du CAS, la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles pouvant se révéler lourdement procyclique en raison de la volatilité des conditions économiques de l'activité agricole, persistent ainsi que celles sur ses effets redistributifs et les modalités concrètes de son recouvrement.

Compte tenu de ces problématiques devenues chroniques (une sous-exécution des crédits, l'inemploi de plus de 85 % de la taxe prélevée sur les exploitations, la récurrence des subventions versées à plusieurs structures, l'absence de démonstration de l'efficacité des dispositifs financés, cf. infra ), la question se pose du maintien du CASDAR.

À ce titre, les rapporteurs spéciaux regrettent de n'avoir pas pu disposer pour l'examen du présent projet de loi du rapport de la mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur l'évolution du CASDAR, dont les conclusions ont été rendues fin 2021.

Ils seront attentifs aux conclusions de ce rapport ainsi qu'aux suites qui y seront données par le Gouvernement.

Exécution et prévision des recettes du CASDAR
et dépenses constatées 8 ( * )

(en millions d'euros)

Année

Recettes LFI

Recettes constatées

Exécution (CP)

Solde cumulé

2006

134,46

145,96

99,70

46,26

2007

98,00

102,05

101,34

46,97

2008

102,50

106,30

98,47

54,8

2009

113,50

110,56

112,34

53,02

2010

114,50

104,89

111,21

46,7

2011

110,50

110,44

108,38

48,72

2012

110,50

116,76

114,35

51,13

2013

110,50

120,58

106,98

64,73

2014

125,50

117,10

132,40

49,43

2015

147,50

137,10

131,30

55,23

2016

147,5

130,8

129,2

56,83

2017

147,5

133,4

128,1

62,13

2018

136

136,5

131,2

67,6

2019

136

142,9

130,5

80

2020

136

140,3

127,2

93,2

2021

126

138

114

118

Source : commission des finances du Sénat


* 6 La recherche fondamentale financée sur fonds publics est principalement prise en charge par les dispositifs fiscaux ou budgétaires mis en oeuvre par le ministère de la recherche.

* 7 Cette diminution de l'évaluation des recettes de la taxe découlait d'une prévision de réduction de chiffre d'affaires de certaines filières agricoles en 2020 et de mauvaises récoltes possibles à la suite des aléas climatiques.

* 8 Aux arrondis près jusqu'en 2018.

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